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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 1991, doc. 36
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Archive | Archives of the Swiss National Bank, Bern |
Archival classification | CH-ASNB Bankausschuss 1 |
Dossier title | Protokolle des Bankausschusses (1991–1991) |
dodis.ch/57653Exposé du Directeur du 3ème Département de la BNS, le Directeur général Zwahlen, à la séance du Comité de banque du 23 août 19911
[Situation économique et monétaire]
[...]2
2.1 Introduction
1993 verra la réalisation du grand marché européen.3 Il devient de plus en plus probable que ce dernier sera complété d’une Union économique et monétaire plus ou moins intégrale.4 Les négociations la concernant ont fait l’objet de mes deux derniers exposés.5 Aujourd’hui, mon propos est de vous faire partager mes réflexions sur les implications probables d’une telle évolution sur les marchés financiers de notre pays et sur la politique monétaire de la BNS.
Il n’est pas nécessaire d’attendre la réalisation de l’union monétaire pour percevoir des modifications substantielles dans l’environnement de la place financière helvétique. Déjà maintenant, donc avant même la réalisation complète du grand marché européen, l’interdépendance des marchés financiers a été grandement accrue, et les possibilités de substitution considérablement élargies. Face à une telle évolution, la BNS doit constamment s’assurer de l’adéquation de sa stratégie monétaire, à plus forte raison si le grand marché européen se double d’une Union économique et monétaire plus ou moins parfaite.
Vouloir parler des conséquences pour la Suisse de l’Union économique et monétaire consiste d’abord à faire des suppositions sur l’évolution interne de la CE, mais également sur la forme des liens qui s’établiront entre la Suisse et l’Europe. Divers scénarios de rapprochement sont imaginables mais, dans tous les cas, je suis convaincu qu’il nous faudra réviser certaines habitudes et pratiques.
L’alternative au maintien de notre totale souveraineté formelle réside dans la conclusion du Traité sur l’Espace économique européen (EEE), dont l’effet sera de nous faire participer au grand marché.6
À plus long terme, une éventuelle adhésion ou autre forme d’association plus étroite à la Communauté entraînerait une adaptation encore plus profonde des institutions économiques et politiques de notre pays.7
Dans un premier temps, je vous décrirai en grandes lignes les effets du grand marché européen et d’une éventuelle Union économique et monétaire (UEM) à l’intérieur de la Communauté européenne, pour ensuite évaluer leurs effets sur la Suisse, selon les divers scénarios de rapprochement actuellement imaginables. Ma conviction personnelle est que, quelles que soient les formes de rapprochement entre la Suisse et la CE et quelle que soit l’évolution du SME actuel,8 la réalisation du grand marché, qu’elle entraînera, obligera les pays participants à adopter des politiques monétaires convergentes.
2.2 Les implications financières et monétaires du grand marché européen
La réalisation des quatre libertés de circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes entraîne déjà des implications considérables sur la politique économique et monétaire des pays membres. Une zone homogène est en voie de création. À l’intérieur de cette zone les opportunités d’arbitrage sont toujours plus exploitées, tant au niveau de l’allocation des biens et services qu’à celui des facteurs de production.9 Du point de vue de l’activité économique générale, deux enseignements peuvent être tirés: d’une part, une meilleure allocation des ressources devrait permettre un gain de croissance supplémentaire; d’autre part, les cycles conjoncturels des différents pays membres auront tendance à converger encore plus étroitement.
La substituabilité accrue des différents actifs financiers proposés par les pays de la Communauté a déjà entraîné une forte accélération des mouvements de capitaux. Alors que les marchés monétaires sont depuis longtemps intégrés, les marchés des capitaux le sont moins. La suppression des dernières barrières à la circulation des capitaux, mais aussi, et surtout, l’harmonisation et la déréglementation des législations financières nationales provoqueront une intégration croissante des marchés encore cloisonnés. Les implications de cette évolution sur la politique monétaire des pays membres sont considérables.
La formulation d’objectifs de croissance monétaire est devenue plus difficile. La raison en est que, par suite du processus d’innovation financière et de déréglementation des marchés des capitaux, il s’avère beaucoup plus difficile d’interpréter l’évolution des agrégats monétaires. Les agrégats répondant aux définitions étroites semblent en particulier souffrir d’une instabilité croissante. À ce sujet, les banques centrales de la Communauté ont entamé des négociations en vue d’adopter une définition d’objectif commune, fondée autour du concept de M₃.10
L’accroissement de l’interdépendance des économies a exigé une concertation accrue. L’existence simultanée de marchés fortement intégrés et d’un objectif de stabilité des taux de change, qui sous-tendent déjà le SME, conduit «de facto» les banques centrales à renoncer à une politique monétaire autonome. La concertation systématique entre les gouverneurs des banques centrales européennes existe depuis quelques années déjà, mais la réalisation progressive du grand marché européen l’a rendue plus indispensable, tout en mettant en évidence les insuffisances de la coordination actuelle.11
Parallèlement à ces efforts institutionnels, la capacité d’innover du système financier s’est révélée impressionnante, et il ne fait aucun doute que la déréglementation va accroître ce processus en Europe. Le rapide développement du marché de l’Ecu témoigne du rôle moteur d’intégration que joue le secteur privé. À n’en pas douter, la réalisation du grand marché va créer des besoins auxquels le marché tentera de répondre d’une manière ou d’une autre, même si la coordination institutionnelle devait prendre du retard.
Ainsi, le grand marché implique nécessairement un renforcement de la coopération, voire une forme d’union monétaire. En l’état actuel des négociations, la création d’une monnaie européenne unique, gérée par un institut indépendant et attaché à la stabilité des prix, semble l’option la plus probable, mais il est encore difficile de dire combien de temps il faudra pour que cette monnaie voit le jour. À l’intérieur de la Communauté, ce pas supplémentaire renforcera les effets de l’intégration, mais pourrait dans un premier temps, générer des tensions inflationnistes. À l’extérieur, une telle monnaie constituerait une alternative très séduisante au dollar. Dans une première phase, les incertitudes liées à son développement risquent toutefois de susciter d’importants mouvements spéculatifs. À long terme cependant, l’Ecu deviendra une monnaie de réserve, de levée de capitaux et de transactions internationales de première importance.12
2.3 Les implications de l’Union économique et monétaire sur la politique monétaire suisse
La politique monétaire suisse est déjà affectée par la réalisation du grand marché européen et par la perspective de l’instauration d’une Union économique et monétaire entre les pays de la Communauté. Je suis persuadé que, indépendamment des options institutionnelles de rapprochement qui nous sont proposées, notre marge de manœuvre s’est réduite. D’une part, dans tous les cas, la liberté de circulation des biens et des capitaux entre la Communauté et la Suisse devra être en grande partie maintenue. D’autre part, même en cas d’«Alleingang» constructif, il n’existerait pas d’autre alternative viable que de s’adapter à la plupart des pratiques communautaires.
Je vais donc me placer dans la perspective d’une Suisse participant au grand marché européen, tout en restant en dehors de l’UEM.
Il importe de distinguer, parmi les influences, celles qui proviennent de:
– la constitution d’un espace intégré avec libre circulation des capitaux englobant la Suisse,
– l’instauration d’une monnaie communautaire,
– des effets de la reprise de l’acquis communautaire par la Suisse.
L’accroissement de l’interdépendance des économies va exiger une concertation accrue des politiques économiques et monétaires. En soi, une forte mobilité des capitaux n’entrave pas les possibilités de réguler la masse monétaire, mais elle renforce la réceptivité de l’économie réelle aux chocs monétaires externes par le biais de l’appréciation ou de la dépréciation du taux de change. Mais, pour bénéficier pleinement des avantages du grand marché européen, il est nécessaire de disposer de relations de change stables. En outre, du fait des turbulences auxquelles risquent d’être soumis les différents agrégats monétaires, l’évolution du cours de change pourrait servir encore plus que maintenant d’indicateur du degré de restriction de la politique monétaire. Toutes ces raisons font que la BNS devra accorder une importance encore plus grande à l’évolution des cours de change des monnaies européennes.
La libre circulation des capitaux, doublée d’une homogénéisation des conditions cadres entre la Suisse et la Communauté, et d’un parallélisme de leur cycle économique, va certainement avoir pour conséquence une tendance à l’égalisation des taux d’intérêts réels. Dans la mesure où l’Ecu arrive à s’affirmer comme monnaie forte, son attractivité renforcera encore cette tendance.
Il n’est cependant pas exclu que l’union monétaire connaisse des difficultés, du moins dans un premier temps. Pendant cette période, la BNS pourrait avoir intérêt à conserver une certaine liberté d’action à l’égard du taux de change. Cependant, il faut garder à l’esprit que des mouvements spéculatifs sur le franc suisse pourraient rendre une politique monétaire autonome insupportable pour l’économie réelle.
Cela prêcherait en faveur d’une politique monétaire dans laquelle le cours de change jouerait un rôle encore plus important qu’aujourd’hui. Pour ne pas pénaliser systématiquement les secteurs de l’économie exposés à la concurrence, il faudra de toute manière mieux harmoniser les trois piliers que constituent la politique monétaire, la politique budgétaire et le mécanisme de formation des prix, en d’autres termes les mécanismes automatiques d’indexation.
En cas d’acceptation du Traité sur l’EEE, la reprise de l’acquis communautaire par la Suisse va certainement déstratifier de nombreux secteurs de l’économie. Ainsi, le marché du travail devrait gagner en souplesse avec l’adoption de la libre circulation des personnes. De même, l’accroissement de la concurrence engendrera des prix moins élevés et moins rigides pour de nombreux biens et services, ce qui impliquera une réaction plus rapide des prix aux modifications de la politique monétaire. La tâche de l’institut d’émission dans sa lutte contre l’inflation s’en trouvera significativement facilitée.13
2.4 Conclusions
La réalisation du grand marché européen implique une convergence des politiques monétaires des pays participants. La perspective d’une Union économique et monétaire en Europe, si elle engendre de grandes espérances, peut néanmoins comporter quelques risques pendant la période de transition.
L’alignement de la politique monétaire de la BNS sur celle des banques centrales de la Communauté sera certainement très marqué en cas d’évolution favorable de l’UEM. Dans le cas contraire, mais aussi pendant la période de transition, il serait préférable que l’action de la BNS ne soit pas trop entravée par l’obligation de respecter une parité fixe avec une monnaie de la Communauté, car le taux de change est pour l’instant l’instrument le plus valable que nous ayons pour contrer les chocs externes. À terme cependant, nous serons portés par la vague de l’UEM, et cela quelle que soit notre décision à l’égard de l’EEE – sauf, bien sûr, si nous décidions d’adopter une politique d’autosuffisance sur le modèle albanais d’antan.
Je n’ai pas soulevé le problème des implications pour la politique monétaire suisse d’une adhésion à la Communauté, car ce sujet mérite une étude beaucoup plus approfondie. Je voudrais juste remarquer que, en dehors de toute considération sur les avantages et inconvénients d’un tel abandon de notre souveraineté monétaire formelle, les statuts de la BNS sont en grande partie euro-compatibles, ce qui est loin d’être le cas pour d’autres domaines de notre économie réelle.14
[...]15
- 1
- CH-ASNB Protokolle des Bankausschusses 1 (1991). L’extrait ici édité est le point 2 du rapport sur la Situation économique et monétaire. Il est rédigé par le 3ème Département de la BNS et présenté lors de la séance du Comité de banque du 23 août 1991 par le Directeur du 3ème Département et Directeur général de la BNS, Jean Zwahlen. Pour les autres points du rapport sur la Situation économique et monétaire, cf. le facsimilé dodis.ch/57653. Pour le procès-verbal de la séance du Comité de banque de la BNS du 23 août 1991, cf. dodis.ch/57665. Les rapports sur la situation économique et monétaire sont présentés par la BNS au Comité de banque par les membres du Directoire de la BNS à chaque séance. Pour les procès-verbaux des séances du Conseil de Banque et pour les annexes discutées lors des séances, cf. le dossier CH-ASNB Protokolle des Bankausschusses 1 (1991).↩
- 2
- La partie 1. Évolution sur le marché des changes et de l’argent de l’exposé du Directeur général Zwahlen se trouve dans la version complète du document, cf. le facsmilé dodis.ch/57653.↩
- 3
- Sur les prévisions de différentes étapes de l’intégration européenne, cf. DDS 1991, doc. 27, dodis.ch/58039, ainsi que la notice du 24 janvier 1991 de Jacques de Watteville, Conseiller d’ambassade de la Mission suisse auprès des Communautés européennes à Bruxelles, dodis.ch/58076.↩
- 4
- Pour une analyse de l’état de l’Union économique et monétaire (UEM) de la CE, cf. la notice du 11 février 1991 du Service économique et financier du DFAE préparée pour le Conseiller fédéral René Felber, Chef du DFAE, en vue de son intervention lors de la séance commune des Commissions des affaires étrangères et des affaires économiques du Conseil national, dodis.ch/58866 et dodis.ch/58146.↩
- 5
- Pour les autres procès-verbaux des séances du Conseil de Banque de la BNS, cf. le dossier CH-ASNB Protokolle des Bankausschusses 1 (1991). Pour un exemple des discussions menées par la BNS, cf. la notice du Directeur général Zwahlen du 4 avril 1991 sur les entretiens à Vienne, dodis.ch/58083.↩
- 6
- Sur les négociations pour la réalisation du traité de l’EEE, cf. DDS 1991, doc. 9, dodis.ch/57510; doc. 13, dodis.ch/57331; doc. 20, dodis.ch/57748; doc. 27, dodis.ch/58039.↩
- 7
- Sur la possibilité d’une adhésion prochaine de la Suisse à la CE, cf. DDS 1991, doc. 31, dodis.ch/58250 et doc. 42, dodis.ch/57475. Cf. également les réactions du Comité de Banque de la BNS à l’idée d’une adhésion, dodis.ch/57665.↩
- 8
- Le Système monétaire européen (SME) est un méchanisme de changes stables, mais pas fixes, entre les monnaies des pays de la CE. En vigueur entre 1979 et 1993, il sera abandonné et remplacé par l’UEM.↩
- 9
- Sur la politique suisse en matière d’arbitrage, cf. le Message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale sur le droit international privé du 10 novembre 1982, dodis.ch/60001, pp. 284–287 et 442–455.↩
- 10
- M₃ désigne un agrégat de calcul de la masse monétaire d’un pays ou d’une zone donnée qui comprend la monnaie en circulation (M₀), plus les dépôts bancaires à vue (M₁), plus les dépôts à court terme (M₂) et certains instruments du marché monétaire (pensions, organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) et titre de créances à moins de deux ans) (M₃).↩
- 11
- Cf. notamment les explications supplémentaires fournies par le Directeur général Zwahlen dans le procès-verbal de la séance du Comité de Banque du 23 août 1991, dodis.ch/57665, p. 111.↩
- 12
- Sur les évolutions du marché des capitaux et le rôle de la Suisse comme exportatrice de capitaux, cf. le facsimilé dodis.ch/57653, pp. 93–98 et annexes.↩
- 13
- Pour les discussions annuelles de la politique économique et financière de la Confédération entre le Président de la BNS, Markus Lusser, et le Conseil fédéral, cf. le PVCF de décision II du 19 décembre 1991 de la séance du Conseil fédéral du 9 décembre 1991, dodis.ch/57765, et la notice préparatoire du 6 décembre 1991 de Fritz Zurbrügg de l’Administration fédérale des finances du DFF au Conseiller fédéral Otto Stich, Chef du DFF, dodis.ch/59534.↩
- 14
- Sur l’euro-compatibilité des différents secteurs de l’économie suisse, cf. l’étude de Heinz Hauser, PVCF No 1215 du 17 juin 1991, dodis.ch/57442.↩
- 15
- Pour la version complète du document, cf. le facsimilé dodis.ch/57653.↩
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