Besuch des UNO-Generalsekretärs in Genf. Internationale Lage: Kräfteverhältnis USA - UdSSR, Korea, Indochinafrage, Deutsche Frage. Eindrücke Lies zu Eisenhower und Stalin.
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 18, doc. 121
volume linkZürich/Locarno/Genève 2001
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2800#1990/106#100* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2800(-)1990/106 19 | |
Titre du dossier | Conversations avec des personnalités politiques étrangères : volume I (1945–1961) | |
Référence archives | 341.3 |
dodis.ch/8703 Notice du Chef du Département politique, M. Petitpierre1 ENTRETIEN AVEC M. TRYGVE LIE, À GENÈVE, LE MARDI 30 OCTOBRE 1951
Invité par le Conseil d’Etat de Genève, j’ai assisté hier à un déjeuner donné par lui en l’honneur de M. Trygve Lie, Secrétaire général des Nations Unies. Prenaient part au repas, à côté des représentants des autorités genevoises, les directeurs de quelques institutions spécialisées: Dodd (FAO), Morse (OIT), Mulatier (Télécommunications), ainsi que des collaborateurs de M. Lie. J’étais assis à côté de ce dernier. Nous nous sommes entretenus en allemand pendant le repas. Après celui-ci, nous nous sommes retirés, M. Lie [et moi, dans un salon et avons eu une longue conversation sur la situation politique générale2. M. Zutter faisait fonction d’interprète.
M. Lie a commencé par me demander mon avis, puis il m’a donné le sien. Nous avons pu constater que, dans leurs grandes lignes, nos points de vue concordent, notamment en ce qui concerne l’avenir immédiat et le risque de guerre.
Nous avons constaté que les années 1952 et 1953 seront particulièrement difficiles et peut-être décisives. M. Lie croit que les Russes ont perdu la guerre contre le temps, en ce sens que, lors du blocus de Berlin3, ils auraient eu la possibilité d’occuper l’Europe en quelques jours. Aujourd’hui, cette possibilité n’existe plus. Les Russes s’en rendent compte. Au surplus, ils savent que les Américains possèdent au moins trois fois plus de bombes atomiques qu’euxmêmes et qu’ils ont la possibilité dans les vingt-quatre heures de bombarder à peu près n’importe quel point du territoire de l’URSS. Ils ne songent vraisemblablement pas à prendre une initiative qui les entraînerait dans une guerre. Ils ont subi une défaite militaire en Corée, une défaite politique à San Francisco à l’occasion de la signature du traité de paix avec le Japon, une défaite politique et militaire en Indochine depuis que les Anglais et les Américains soutiennent les Français. M. Lie ne croit pas qu’ils désirent la paix en Corée. Ils ont intérêt à retenir le plus de troupes américaines possible dans cette région, pour éviter que ces troupes ne soient transportées ailleurs, par exemple en Europe. Mais ils ne savent pas comment sortir de l’affaire de Corée, où ils ne veulent pas non plus engager trop de matériel. Celui-ci a été transporté en abondance à travers la Mandchourie. Les Russes paraissent d’ailleurs être en difficulté avec les Chinois et les Coréens du Nord en ce qui concerne la liquidation de la guerre de Corée. M. Lie ne pense pas que les Chinois donneront suite à leur intention de s’emparer de Formose. Il pense plutôt qu’après la disparition de Tschang-kai-chek, l’île sera mise sous mandat de l’ONU. Les Russes continuent d’ailleurs à être extrêmement forts, peutêtre plus même qu’on ne l’imagine. Mais les Américains, de leur côté, ont actuellement à peu près 4 millions d’hommes aptes à faire la guerre, ce que les Russes n’ignorent pas.
M. Lie pense que, si une guerre peut être évitée en 1952 et 1953, il sera possible d’arriver à un modus vivendi, mais le communisme ne sera pas pour autant éliminé et continuera à sévir dans les pays démocratiques de l’Occident. M. Lie a vu récemment le Général Eisenhower. Celui-ci a confirmé les renseignements que nous avons, à savoir qu’en Allemagne orientale, il ne semble y avoir aucun préparatif de guerre de la part des Russes. Ceux-ci procèdent simplement à des relèves et à des mouvements de troupes dans cette région. Le Maréchal Tito, que M. Lie a également vu à Belgrade il y a quelques mois, est aussi d’avis que les Russes ne préparent pas actuellement la guerre en Europe4.
J’avais attiré l’attention de M. Lie sur le problème allemand. Il m’a dit que l’importance de celui-ci lui avait échappé et qu’il chercherait à se renseigner plus qu’il ne l’est aujourd’hui. Il ne considère pas le problème allemand comme un des plus cruciaux. Mais, pour lui, les problèmes les plus graves intéressent le Proche et le Moyen Orient. La question du Cachemire peut donner lieu à des développements critiques, étant donnée l’exaspération de l’opinion publique au Pakistan5. En Iran, il n’est pas exclu qu’un arrangement intervienne6. La question égyptienne n’est en elle-même peut-être pas aussi grave qu’on ne le pense7. C’est plutôt le problème musulman et de l’Islam qui se pose dans son ensemble. Nous pourrions assister à des développements dangereux également dans toute l’Afriquedu Nord. Ces pays offrent un terrain favorable au communisme, en particulier l’Egypte, où un nombre limité de familles vivent dans l’opulence alors que la grande masse de la population crève de faim. A la prochaine Assemblée des Nations Unies, c’est vraisemblablement le problème arabe qui donnera lieu aux débats les plus passionnés. Dans tous ces pays, que M. Lie a visités il y a quelques mois, on déteste les Anglais, mais l’on n’aime pas davantage les Français et les Américains. Les puissances coloniales comme la Grande-Bretagne et la France n’ont pas compris les changements intervenus dans le monde et n’arrivent pas à se débarrasser de leur esprit colonialiste.
M. Lie a été très déçu de l’entretien qu’il a eu en 1950 avec Staline. Il s’est rendu compte qu’il n’y avait pas de possibilité d’arrangement avec les Russes. Ceux-ci le détestent, en particulier parce qu’il leur a dit que le réarmement des nations occidentales était légitime et, en rétablissant un certain équilibre, était une contribution à la paix. M. Lie est toujours de cet avis et pense que seul le réarmement des Etats-Unis et de l’Europe occidentale peut permettre d’arriver un jour à un modus vivendi avec l’URSS.
En conclusion, même si le danger de guerre ne paraît pas imminent, il peut à tout instant se produire un événement qui modifie la situation. Il faut donc être vigilant et suivre les événements de très près pour ne pas se laisser surprendre.
P. S. A propos des préparatifs de guerre, M. Lie a relevé que, d’après les renseignements qu’il avait reçus de Norvège et de Finlande, on ne constatait aucun préparatif de la part des Russes dans le Finnmark et dans la région de Mourmansk, où il est facile d’observer ce qui se passe.
A propos des Etats-Unis, M. Lie a relevé également que, si Taft l’emportait aux prochaines élections et si sa tendance prévalait, il n’était pas exclu qu’il y ait un renversement dans la politique des Etats-Unis et que ceux-ci retournent à l’isolationnisme. Il y a donc un danger si la tendance républicaine devait l’emporter sur celle des démocrates.
Enfin M. Lie m’a fait une déclaration importante. Il considère qu’en cas d’attaque de l’Union soviétique contre un pays quelconque du monde occidental, tous les pays devraient prendre les armes pour le défendre. Même si la Suisse ou la Suède étaient attaquées, a-t-il ajouté, je ferais mon possible pour obtenir que les Nations Unies prennent les armes pour défendre ces deux pays.
- 1
- E 2800(-)1990/106/19.↩
- 2
- Pour un tour d’horizon de M. Petitpierre sur la politique extérieure de la Suisse après le début de la guerre de Corée, cf. DDS, vol. 18, doc. 58 et sa réponse à l’interpellation d’E. Boerlin devant le Conseil national, PV CN du 14 juin 1951, E 1301(-)-/ I/402, pp. 358–379 (dodis.ch/8741).↩
- 3
- Cf. DDS, vol. 17, doc. 81, dodis.ch/4423 et 88 (dodis.ch/4362).↩
- 4
- Sur les relations entre la Suisse et la Yougoslavie, cf. DDS, vol. 18, doc. 11.↩
- 5
- Cf. DDS, vol. 18, doc. 114.↩
- 6
- Cf. DDS, vol. 18, doc. 100.↩
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Corée (Général) Russie (Politique) Chine (Politique) Le rôle international de Genève Guerre de Corée (1950–1953)