Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 26, doc. 158
volume linkZürich/Locarno/Genève 2018
more… |▼▶Repository
Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2812#1985/204#228* | |
Old classification | CH-BAR E 2812(-)1985/204 7 | |
Dossier title | Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), Helsinki, 30.07.1975 (1975–1975) | |
File reference archive | 4 |
dodis.ch/38867 Discours du Président de la Confédération, P. Graber, à la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe1
Permettez-moi d’adresser d’abord à nos hôtes finlandais mes sentiments de vive gratitude pour la qualité de leur accueil. Je tiens à leur dire le plaisir que j’éprouve à me trouver une nouvelle fois chez eux. Les affinités qui existent entre la Suisse et la Finlande tiennent à la nature profonde des choses. Elles nous rendent particulièrement réceptifs à l’âme de ce pays, empreinte, à l’image de la musique de Sibelius, de grandeur sans ostentation et de sérénité.
La Suisse, située au carrefour de trois cultures qui ont valu au vieux con tinent son rayonnement universel, la Suisse a toujours vibré de la vie de l’Europe. Elle en a, au long de son histoire sept fois séculaire, partagé les fastes et les tribulations.
Comme je l’ai déclaré de cette même tribune voici deux ans2, la neutralité de mon pays n’a jamais été l’alibi d’une politique de la chaise vide, de l’indifférence, du repli sur soi-même. Elle lui a dicté, au contraire, un souci de solidarité et l’ambition d’être prêt, en permanence et selon ses moyens, à rendre service à la Communauté internationale.
Parce qu’elle connut elle-même la chance historique de surmonter les antagonismes de race, de langue et de religion qui causèrent l’affrontement de ses voisins, la Suisse a ressenti leurs conflits comme autant de luttes fratricides. Elle avait ardemment souhaité leur réconciliation. Elle se félicite de leur coopération d’aujourd’hui. Mais son intérêt ne s’est pas limité à cet horizon immédiat: c’est la bonne entente de l’Europe entière que nous n’avons cessé d’appeler de nos vœux. Notre refus d’adhérer à des alliances ou à des coalitions répondait ainsi dans ses profondeurs à une vocation plus largement européenne.
C’est pourquoi nous nous réjouissons de voir l’option de neutralité inscrite au chapitre des principes qui devraient régir les relations entre nos États. La neutralité est ainsi reconnue comme un instrument spécifique de la sécurité et de la coopération européenne.
Mais notre volonté d’ouverture est loin de se borner au cercle des États ici présents. Si nous souhaitons que l’Europe – qui fut trop souvent dans le passé la source de déchirements universels – devienne une zone claire de paix et de travail, c’est aussi pour qu’elle puisse consacrer davantage d’attention, d’énergies et de ressources à l’œuvre prioritaire de notre temps, qui est d’orienter vers le développement et le bien-être les multitudes encore dépourvues des biens que nous avons presque tous en abondance.
On a mis l’accent sur le caractère profondément original, à plus d’un titre, de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe. En effet, c’est la première fois que se trouvent réunis les dirigeants de tous les pays membres de la famille européenne3 – rejoints par ceux des deux grandes démocraties nordaméricaines, liées à elle par une vivante communauté d’origine et de destin.
À la différence de certains congrès diplomatiques du passé, la CSCE a été préparée, convoquée, a siégé, délibéré, pris ses résolutions, pour conclure aujourd’hui ses travaux sur la base de l’égalité souveraine des États participants. Ce principe a trouvé son expression parlante dans la pratique du consensus. S’il n’a pas simplifié les discussions de Genève4, un tel système a eu le mérite de permettre aux délégations de tous les pays, grands ou petits, de faire librement valoir leurs points de vue et de participer activement à l’élaboration d’un document5 politique commun. Il s’agit à nos yeux d’une prérogative tout à fait légitime, mais qui trouve sa contre-partie nécessaire dans un comportement res ponsable et mesuré.
Pour nous autres Suisses, la vertu essentielle de l’égalité souveraine des États, c’est qu’elle conditionne à son tour le principe suprême de l’indépendance nationale.
Mais, l’indépendance, pour quoi faire? D’abord, bien entendu, pour conduire librement et dans le respect des règles internationales nos rapports avec l’étranger. Mais, tout autant, pour bâtir et développer notre propre communauté en fonction d’une certaine idée que nous nous faisons de la personne humaine, de sa dignité, de ses besoins et de sa finalité, en un mot de son bonheur.
Une autre caractéristique originale de la CSCE est d’aménager des structures plus complètes et plus sûres dans les rapports inter-européens, mais également de faciliter, de développer et d’harmoniser dans chacun de nos pays, et par-dessus leurs frontières, les relations humaines.
Il s’agit à nos yeux d’un tout indissociable. Car il n’est pas de libertés individuelles sans souveraineté nationale, de même que l’indépendance de l’État trouve sa justification première dans le plein épanouissement de la personne. C’est pourquoi nous reconnaissons à la CSCE le mérite d’avoir hissé les droits de l’homme6 au niveau des dix principes appelés à régir les relations mutuelles entre les États participants. En raison de la valeur égale qui est expressément reconnue à chacune de ces règles, le respect des libertés fondamentales pourra ainsi devenir une contribution positive de la Conférence au système des relations entre États. Il en résulte que le respect d’un principe si solennellement consacré revêt désormais, au niveau de la conscience européenne, la même importance que celui de l’inviolabilité des frontières.
C’est précisément pour des considérations de cet ordre que la Suisse avait estimé, dès le point de départ, que le chapitre sur les contacts humains et l’information constituerait un élément indispensable de la CSCE.
À première vue, nous devons le dire, les résultats paraissent modestes. Ils ne répondent certainement pas aux espoirs que certains avaient nourris. Les textes élaborés sont trop souvent imprécis et assortis de réserves qui en réduisent encore la portée.
Et pourtant! Que des sujets aussi délicats aient pu être abordés et discutés en toute franchise, au niveau diplomatique, entre pays à systèmes politiques, économiques et sociaux différents, est déjà en soi un élément positif. Et le fait que les mêmes pays aient pu se mettre d’accord sur des textes qui ont au moins le mérite d’exister, est un gage supplémentaire d’espoir. Ici plus qu’ailleurs, il faut se garder de la tentation du tout ou rien. C’est pourquoi l’excès d’ambition n’avait pas sa place dans la réalité politique de l’Europe. Mais l’absence d’ambition eût été le désaveu des objectifs mêmes que nous nous étions assignés. On peut dire, dans ces conditions, que le document que nous avons sous les yeux représente un premier point d’ancrage. L’avenir seul dira ce qu’il vaut.
En d’autres termes, il faudra demain que les dispositions que nous allons solennellement adopter dans ce domaine, comme dans d’autres, soient encore traduites dans les faits. Leur mise en application révèlera le degré de volonté des États ici représentés de donner un contenu concret au cadre qui vient d’être tracé7.
Les progrès qui seront réalisés dans le vaste domaine des relations humaines, c’est-à-dire de celles qui sont vécues au niveau de la personne, destinées à rendre les cloisons moins étanches en Europe, joueront tout particulièrement le rôle d’un révélateur dans notre appréciation du bilan8 de la Conférence elle-même.
Nous souhaitons, par exemple, que certains problèmes qui se sont révélés particulièrement difficiles – je pense notamment à tous les drames humains qui résultent de la séparation des familles – trouvent à l’avenir, dans les cadres multilatéral ou bilatéral appropriés, des solutions qui procèdent de cet esprit.
Dans un autre domaine – auquel nous attachons également une grande importance – celui de l’information, nous espérons que sa diffusion plus large et son accès plus libre, ainsi que le travail des journalistes seront facilités et qu’ainsi il sera mis fin, peu à peu, à une situation qui est encore loin d’être satisfaisante partout.
C’est le même souci de donner un prolongement concret aux principes destinés à régir les relations entre États participants qui nous a incités à présenter un projet détaillé de règlement pacifique des différends.
Les discussions de Genève ont malheureusement révélé que certaines caractéristiques de ce projet, notamment la nature obligatoire des décisions ou simplement de la procédure, n’étaient pas encore acceptables à tous. Cela ne nous a nullement découragés dans notre effort. Nous constatons pour l’instant que la Conférence a, d’une part, donné aux trente-cinq pays participants l’occasion de discuter, pour la première fois et d’une façon approfondie, une idée qui a de tout temps constitué une des lignes de faîte de notre politique étrangère. D’autre part, les suites de la Conférence et le mandat précis que nous avons reçu à ce sujet nous permettront de reprendre dans deux ou trois ans l’étude et l’élaboration d’un tel système.
Nous pourrons envisager, cette fois-ci avec de meilleures chances de succès, la réalisation de notre projet. Certains l’avaient trouvé trop ambitieux, d’autres pas assez mûr. Quoi qu’il en soit, il garde à nos yeux le mérite d’essayer d’organiser ce que nous appelons la paix, la sécurité et la détente; de donner à ces concepts généraux un contenu réel, concret et, pourquoi ne pas le dire, une dimension nouvelle.
Dans le secteur économique, enfin, la CSCE, bien que d’essence politique, s’est efforcée de faciliter les transactions, de renforcer la confiance et d’animer d’un meilleur esprit la coopération industrielle, scientifique et technique entre nos États. Pour un pays tel que la Suisse, tributaire plus que tout autre de l’essor du commerce mondial, toute mesure destinée à promouvoir le libre mouvement des échanges est la bienvenue. Nous souhaitons que les efforts entrepris dans ce domaine se poursuivent, en vue de parvenir à un équilibre judicieux entre les droits et obligations réciproques.
Monsieur le Président9, Messieurs les Hauts-Représentants10,
Il ne serait sans doute pas équitable de mesurer les résultats concrets qui ont été obtenus à l’aune des espoirs généreux, mais fragiles, que l’annonce de la Conférence avait suscités chez certains. De toute évidence – et, pour notre part, nous n’en avons jamais douté – instaurer le règne de la sécurité et de la coo pération en Europe – région qui, plus que nulle autre au monde, fut ravagée par les guerres et cloisonnée par la méfiance réciproque – est une œuvre de longue haleine. Elle exige de tous les États participants une bonne volonté sans défaillance; elle nécessitera encore les plus considérables efforts.
Je me garderai donc de porter sur les textes laborieusement mis au point à Genève un jugement prématuré. Ces textes vaudront en définitive ce que vaudra leur application.
C’est donc moins aujourd’hui que dans les mois et les années qui viennent que nous pourrons les apprécier à leur juste valeur.
Pour l’heure, ce qui est avant tout nécessaire, c’est qu’un esprit nouveau souffle sur les relations internationales; c’est que les principes solennellement énoncés – ceux avant tout qui consacrent la pleine indépendance des États, la non-ingérence dans leurs affaires intérieures, le non-recours à la menace ou à l’emploi de la force, la pratique du règlement pacifique des différends et, bien entendu, le respect des droits de l’homme – que tous ces principes, dis-je, se traduisent demain en actes dans le comportement quotidien des Puissances.
Mais ne nous y trompons pas, si les choses devaient continuer à aller comme trop souvent dans le passé, c’est-à-dire si les petits pays demeuraient exposés aux pressions des plus grands, alors à coup sûr, la Conférence aurait échoué dans son effort d’instaurer la sécurité en Europe. Ce qui est certain, c’est qu’une telle sécurité n’est guère compatible avec le renforcement continu des potentiels militaires sur notre continent. L’État actuel des travaux des conférences consacrées à la réduction ou à la limitation des armements nous confirme en tout cas qu’une défense nationale adaptée aux défis de la guerre moderne demeure, pour un pays comme le nôtre, impérieuse de nécessité.
Pour toutes ces raisons je dirai en conclusion que les résultats que nous allons entériner sont à la fois peu et beaucoup. Peu, si on ne les considère qu’en eux-mêmes et comme le point final d’un long et difficile exercice. Beaucoup s’ils pouvaient être le signe et la promesse d’une ère vraiment nouvelle dans les relations internationales.
Nous attendons quant à nous un tel avènement avec un optimisme à la mesure des quelques progrès qui ont été déjà obtenus. Mais aussi avec réalisme et circonspection. Nous avons toujours pensé en effet que ce n’était pas le climat de la détente – si bénéfique qu’il soit en lui-même, en tant qu’antidote à la guerre froide – qui engendrerait comme par enchantement cette sécurité à laquelle aspirent tous les peuples que nous représentons ici, mais que c’était bel et bien l’inverse.
C’est dans cet esprit que j’exprime le vœu que les longs travaux de la Conférence, qui trouvent leur consécration solennelle aujourd’hui, connaissent un écho durable dans les événements de demain.
- 1
- Discours (copie): CH-BAR E2812(-) 1985/204 Bd. 7 (4). Ce texte a aussi été publié dans FF, 1975, II, pp. 934–938. Cf. aussi le compte rendu sténographique de la deuxième séance de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe tenue au Finlandia Hall à Helsinki le 30 juillet 1975, doc. CSCE/III/PV.2, pp. 42–48, CH-BAR#E2001E-01#1987/78#691* (B.72.09.15.1). Pour les entretiens bilatéraux au cours de la troisième phase des négociations de la CSCE à Helsinki, cf. DDS, vol. 26, doc. 160, dodis.ch/38322.↩
- 2
- Discours de P. Graber du 5 juillet 1973, dodis.ch/38846. Pour un bilan des consultations préliminaires et de la première phase de la CSCE, cf. DDS, vol. 26, doc. 32, dodis.ch/38816.↩
- 3
- À l’exception de l’Albanie. Pour les relations de la Suisse avec l’Albanie, cf. DDS, vol. 26, doc. 75, dodis.ch/38383, note 19.↩
- 4
- Pour les négociations à Genève, cf. DDS, vol. 26, doc. 57, dodis.ch/38848 et doc. 89, dodis.ch/38858.↩
- 5
- Acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe rédigé par le Comité de coordination du 21 juillet 1975, doc. CSCE/CC/64, CH-BAR#E2001E-01#1987/78#687* (B.72.09.15.1). Cf. aussi FF, 1975, II, pp. 939–1016.↩
- 6
- Sur la Convention des droits de l’homme du Conseil de l’Europe, cf. DDS, vol. 26, doc. 25, dodis.ch/39375 et doc. 107, dodis.ch/39382.↩
- 7
- Sur le développement de la CSCE, cf. DDS, vol. 26, doc. 177, dodis.ch/38875.↩
- 8
- Pour un bilan de la CSCE, cf. le rapport de la Délégation suisse à la CSCE du 7 juillet 1975, dodis.ch/38868 et la notice du Secrétariat politique du Département politique du 8 juillet 1975, dodis.ch/38869 dont le Conseil fédéral a pris connaissance avec le PVCF No 1230 du 9 juillet 1975, CH-BAR#E1004.1#1000/9#820*. Cf. aussi le rapport de R. Bindschedler du 29 août 1975, dodis.ch/38870.↩
- 9
- A. Casaroli.↩
- 10
- H. Schmidt, E. Honecker, G. Ford, B. Kreisky, L. Tindemans, T. Jivkov, P. E. Trudeau, Makarios III., A. Jørgensen, C. Arias Navarro, U. Kekkonen, V. Giscard d’Estaing, H. Wilson, K. Karamanlis, J. Kádár, L. Cosgrave, G. Hallgrímsson, A. Moro, W. Kieber, G. Thorn, D. Mintoff, A. Saint-Mleux, T. Bratteli, J. den Uyl, E. Gierek, F. da Costa Gomes, N. Ceaușescu, G. L. Berti, O. Palme, G. Husák, S. Demirel, L. I. Breschnew et J. Broz Tito.↩
Relations to other documents
http://dodis.ch/38867 | refers to | http://dodis.ch/38871 |
Tags
OSCE / CSCE / Conference on European Security
Human Rights Political issues Collective security projects Security policy Economic relations Press and media Europe's Organisations Final CSCE conference in Helsinki (30.7.1975–2.8.1975)