Baden, 19/20.2.1947
Internationale Lage: Ziele und Mittel der sowjetischen Politik, Rolle der UNO, Schweiz und UNO, schweizerische Neutralität.
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 16, doc. 111
volume linkZürich/Locarno/Genève 1997
more… |▼▶Repository
Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2800#1967/60#2* | |
Old classification | CH-BAR E 2800(-)1967/60 4 | |
Dossier title | Commission des affaires étrangères du Conseil des Etats (1946–1961) | |
File reference archive | 01 |
dodis.ch/1960
Exposé du Chef du Département politique, M. Petitpierre1
COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES [DU]C[ONSEIL]N[ATIONAL]BADEN, 19/20 FÉVRIER 1947
Les conférences internationales qui se sont tenues pendant l’année 1946 jusqu’à l’automne ont toutes abouti à des résultats négatifs. En revanche, l’Assemblée générale des Nations Unies et la conférence des quatre Grands, réunies à New York à la fin de l’automne, ont créé une atmosphère de détente. Cette détente est due essentiellement à un changement dans l’attitude et le comportement des Russes, qu’il s’agisse de la discussion des traités de paix ou des problèmes intéressant les Nations Unies. En particulier, à New York, une volonté d’apaisement s’est nettement manifestée dans les discours prononcés par M. Molotov. On doit se féliciter sans réserve de cette évolution.
Mais on a aussi le devoir de se poser et de chercher à donner une solution à quelques questions:
Quelles sont les raisons de ce changement d’attitude des Russes?
Ont-ils renoncé à leurs prétentions – c’est-à-dire y a-t-il un revirement dans leur politique?
Quelles sont les perspectives, les espoirs qu’ouvre cette amélioration de la situation internationale?
Les raisons par lesquelles on explique le changement d’attitude des Russes sont de nature très diverse.
Les unes intéressent la situation intérieure en Russie même.
Le pays serait affaibli économiquement et la situation alimentaire serait difficile, ensuite de la guerre et de la sécheresse de l’an dernier, qui aurait anéanti les récoltes en Ukraine. Des problèmes politiques se sont posés. On sait que les tendances des militaires et celles des politiciens ou du parti étaient divergentes. Les maréchaux victorieux (Joukov, Koniev, Verchinine) poussaient à une épreuve de force avec le monde occidental. En revanche, Staline et le Politbureau estiment qu’il serait imprudent de courir un tel risque. Ils auraient eu le dessus.
Pour rétablir la primauté du parti sur l’armée, Staline a choisi comme premier collaborateur militaire Nicolas Boulganine, fonctionnaire assez obscur, ancien directeur de la Banque d’Etat. Boulganine a mis sa signature au bas de deux ordres du jour adressés à l’armée soviétique à l’occasion du 22 e anniversaire de la révolution. Cet honneur insigne, que jusqu’à présent s’était réservé Staline, éclipse les maréchaux et les ramène au rang de serviteurs anonymes de la Grande Muette. La subordination du pouvoir militaire au pouvoir civil est la pierre angulaire du régime stalinien.
Il s’agirait, d’autre part, d’en revenir au marxisme léniniste et de réagir impitoyablement contre toutes les forces qui tendent à le désagréger. C’est ce qui expliquerait la promotion d’AndréJdanov, qui a la double charge de parler à la nation au nom du gouvernement et de veiller à l’intérieur au maintien des normes communistes. Il est à la fois porte-parole de Staline et répondant du parti communiste. On pense qu’en cas de disparition de Staline, il prendrait le pouvoir avec un autre dignitaire soviétique, Malenkov, Beria ou Molotov. C’est Jdanov qui a usé de moyens extrêmes contre les artistes, écrivains, cinéastes, poètes et musiciens accusés de déviation idéologique, d’apolitisme, d’émotionalisme ou de s’être montrés favorables aux influences occidentales. La crise n’affecte d’ailleurs pas seulement les littérateurs et les artistes. Elle sévit aussi parmi les paysans [des kolkhoses. Nombreuses sont les exploitations et fermes collectives où des fonctionnaires se seraient rendus coupables d’appropriations frauduleuses, opérées le plus souvent avec la complicité du soviet local. D’après des informations de source soviétique, il y a eu de multiples cas de pillage sur les terres collectivisées, d’accaparement de domaines entiers, d’exploitations individuelles. La crise est sérieuse. La presse dénonce ces coupables tentatives comme témoignant du désir des kolkhosiens de rétablir le principe de la propriété privée. Le plan de redressement vise à réduire par la contrainte l’indépendance du producteur. En somme, la lutte oppose le bureaucrate kolkhosien au paysan agriculteur.
Les mesures de coercition envers les populations non russes de l’Union ont été renforcées. Trois républiques allogènes ont été supprimées et leur population déportée. Il s’agit de
Le peuple tartare aurait virtuellement cessé d’exister.
On est évidemment mal renseigné sur ce qui se passe réellement en URSS. Il est donc malaisé d’apprécier la mesure en laquelle les difficultés d’ordre matériel et politique, auxquelles se heurte le régime soviétique, exercent une influence sur sa politique extérieure. Il serait erroné de donner trop d’importance à ces difficultés. Il est, en revanche, vraisemblable que, si puissante qu’elle soit, l’URSS a besoin d’une période de paix.
Il y a un autre élément qui me paraît avoir exercé une influence décisive dans le sens de la modération sur le dynamisme extérieur de l’URSS: c’est le raidissement de la politique américaine à son égard, la volonté marquée par le gouvernement des Etats-Unis de s’opposer à l’expansion soviétique. Contrairement à ce que l’on croit communément, ce raidissement s’est manifesté moins en Extrême-Orient qu’en Europe et dans le Proche-Orient. Il n’est pas douteux que les intérêts des USA sont beaucoup plus importants en Extrême-Orient, et en particulier en Chine, qu’en Europe, étant données toutes les possibilités que l’Asie ouvre à l’expansion économique américaine. Il est clair aussi que les Russes n’ont aucun intérêt à voir les Etats-Unis s’installer solidement en Asie orientale et centrale, dans des régions où ils aimeraient aussi exercer leur influence. Cependant l’idée d’une Chine divisée entre les régions soumises au Maréchal Chiang-Kai-Chek, appuyé sans réserve par les USA, et celles sous obédience communiste et par conséquent inféodées à Moscou, cette idée ne correspond pas à la réalité, beaucoup plus complexe. Les USA ont une politique assez flottante en Chine. Ils soutiennent Chiang-Kai-Chek, mais se sont efforcés de mettre fin à l’anarchie actuelle, préjudiciable à leurs intérêts économiques, en cherchant à rapprocher Chiang-Kai-Chek et les communistes. Ils n’y sont pas parvenus, mais ne fournissent pas pour autant au Maréchal les moyens nécessaires pour venir à bout des communistes par la force. Quant à l’URSS, elle n’a pas besoin d’intervenir pour prolonger un état d’anarchie qui n’est pas contraire à ses intérêts. L’opposition américaine et soviétique en Extrême-Orient est une réalité – elle peut avoir des répercussions très graves à longue échéance. Mais c’est plus près de nous que les Etats-Unis ont manifesté leur volonté de s’opposer aux desseins soviétiques. Cette volonté se manifeste partout et sur tous les plans. C’est en quelque sorte un système, qui s’explique par le fait que les USA sont aujourd’hui convaincus que la manière forte est la seule qui puisse être appliquée efficacement quand on a affaire aux Russes.
A Berlin, il y a un an, les Russes tenaient le haut du pavé. Aujourd’hui, ce sont les Américains.
Il y a des vaisseaux de guerre [des USA en Méditerranée orientale – en permanence. A l’heure actuelle, la Turquie – dans la question des Détroits – se sent plus sûrement soutenue par les USA que par l’Angleterre.
En Iran, on a été surpris récemment de la solution rapide et inattendue donnée par le Gouvernement de M. Ghavam à la question de l’Azerbaïdjan. Le parti Toudeh s’est volatilisé en un tournemain, sans que les Soviets soient intervenus. Des négociations entre Anglais et Américains ont abouti à la vente, pour une période de 20 ans, d’une partie importante de la production de l’Anglo-Iranian Oil Company à deux compagnies américaines. Un prêt de 250 millions de dollars serait accordé en principe par les Américains à l’Iran. Une coopération anglo-américaine s’institue dans cette région du Proche-Orient. L’accord intervenu, quoique commercial, ne peut pas manquer d’avoir des conséquences d’ordre économique et éventuellement militaire. On prétend d’ailleurs aussi que des engagements auraient été pris par le gouvernement iranien envers l’URSS, qui recevrait une concession sur les puits de pétrole de l’Azerbaïdjan.
On peut évidemment voir dans ces faits simplement des manifestations de l’impérialisme américain. Je crois qu’il y a cela, mais aussi davantage: la résolution d’opposer à une politique de force, telle que celle pratiquée par l’URSS depuis la conclusion du pacte germano-russe d’août 1939 – avec l’intermède de la guerre germano-russe – une politique de force aussi décidée. Cette volonté américaine s’est encore manifestée ailleurs, au cours de la conférence de New York entre les quatre Grands, et au Conseil de sécurité. Plus récemment, elle s’est exprimée par la bouche du Général Marshall, qui entend subordonner la réduction des armements à la solution des graves problèmes que posent les traités de paix avec l’Allemagne et le Japon.
Je ne crois pas qu’une dictature totalitaire, qui n’est soumise à aucun contrôle comme celui de l’opinion publique dans une démocratie, comprenne un autre langage que celui de la fermeté.
On peut avoir plus de sympathie pour le communisme en tant que doctrine que pour le capitalisme; on peut refuser de choisir entre les deux systèmes, en pensant que ni l’un ni l’autre n’est satisfaisant, et qu’il y en a un troisième qui vaut mieux. On ne saurait méconnaître qu’objectivement l’avenir de l’Europe serait encore plus sombre qu’il n’est, si à la force d’expansion soviétique la puissance américaine ne faisait contrepoids. Les chances de paix dépendent de cet équilibre, au moins pour un temps.
La détente de cet hiver signifie-t-elle qu’il y a un renversement de la politique soviétique ou, si l’on veut, que désormais l’URSS, au lieu de faire une politique étroitement et exclusivement inspirée de l’intérêt national, est décidée à collaborer largement avec les autres nations en vue d’une organisation pacifique du monde?
Je ne crois pas que l’URSS rêve d’une hégémonie mondiale, dans le même sens que l’Allemagne d’Hitler ou le Japon au temps de ses victoires. Mais elle poursuit opiniâtrement deux buts depuis 1939:
Augmenter sa puissance politique et économique en profitant des circonstances pour atteindre certains objectifs de la politique russe traditionnelle. Elle a déjà réalisé une partie de son programme par l’annexion des Etats baltes, d’une partie de la Pologne, de la Finlande et de la Roumanie. Elle a vassalisé les Balkans. Grâce à l’occupation militaire, elle tient sous sa coupe la Pologne, la Hongrie, ce qui reste de la Finlande, une partie de l’Autriche et de l’Allemagne. Si l’on se reporte aux discussions qui ont eu lieu à Berlin le 10 novembre 1940 entre de Ribbentrop et M. Molotov et aux sujets qui furent traités par eux, on constate que le programme envisagé du côté soviétique a été rempli au delà de ce qui était prévu, sauf sur deux points: l’installation de bases russes dans les Détroits et la revendication soviétique sur la région de Kars, d’une part, et l’établissement d’une zone d’influence russe en Iran, d’autre part.
La question iranienne a été résolue provisoirement comme on sait. Quant aux Dardanelles, la pression soviétique sur la Turquie ne se relâche pas. L’armée turque – 700’000 hommes – est toujours sur pied, ce qui constitue une charge qui pèse lourdement sur la vie économique turque.
Une lutte d’influence est d’ailleurs engagée dans le Proche-Orient. L’idée du roi de Transjordanie Abdullah – peut-être poussé par les Anglais – de constituer une Grande Syrie, projet qui se heurte à l’opposition de la Syrie et du Liban, mais qui serait accueilli favorablement par la Turquie, a permis au gouvernement soviétique de soutenir la revendication syrienne sur le sandjak d’Alexandrette. A l’Assemblée générale des Nations Unies, cet automne, on a constaté une entraide constante entre le bloc slave et le bloc arabe.
Ces luttes d’influence entre grandes Puissances, dont les Etats faibles font les frais, n’ont rien de très alarmant – elles sont dans l’ordre des choses – et l’on ne saurait guère à cet égard faire grief aux Russes de méthodes auxquelles recourent ouvertement d’autres grandes puissances comme les USA ou la Grande-Bretagne.
Il me paraît donc vraisemblable que l’URSS n’a pas renoncé à réaliser certains buts, comme l’établissement de bases ou la mainmise sur les Détroits. Elle en a ajouté d’autres, comme l’établissement de bases au Spitzberg. En revanche, je ne crois pas que, dans les circonstances actuelles, un risque de guerre soit attaché à ces revendications soviétiques.
Mais la politique des Soviets poursuit un autre but, qui n’est pas nouveau non plus: celui d’affaiblir toutes les forces qui peuvent représenter une menace pour eux ou s’opposer à leurs desseins.
Il est difficile à cet égard de se rendre compte dans quelle mesure le développement du communisme dans le monde est un moyen qui doit permettre à l’URSS d’atteindre ses objectifs, ou une fin en soi. Je pense que le moyen et le but se confondent.
Le parti communiste de chaque pays étant un instrument, il permet aux chefs de l’URSS, qui sont en même temps les dirigeants du communisme, de chercher à vassaliser les Etats où la doctrine du parti s’est implantée, soit par les voies légales et régulières – ainsi en France, en Belgique, en Italie, en Tchécoslovaquie, dans certains Etats de l’Amérique du sud – soit en recourant aux procédés adéquats: ainsi dans les pays de l’Europe orientale libérés ou occupés par les armées russes: Pologne, Bulgarie et Roumanie, ou dans les pays où les élections libres ont été une catastrophe pour le parti communiste, comme la Hongrie et l’Autriche, en cherchant à détruire ou à affaiblir les partis majoritaires, ou encore par une aggravation des modalités de l’occupation.
Je renonce à développer ce thème. Il est connu. Il me paraît aussi inutile de rechercher si l’URSS se sent réellement menacée par le capitalisme américain ou par la démocratie politique et sociale telle qu’on la conçoit en Europe occidentale. Je me borne à relever que, si l’URSS semble avoir renoncé au recours à la guerre, elle intensifie l’action exercée dans les différents pays par les partis communistes, qui obéissent aux directives de Moscou. Cette lutte, reprise au moins secrètement, contre les Etats dits capitalistes du monde – conformément aux principes du léninisme et du stalinisme – n’implique pas un risque de guerre, mais elle est un obstacle à une reconstruction rapide du monde sur des bases démocratiques. C’est moins en tant que système que parce qu’il est lié au régime politique de la dictature, que le communisme, sur le plan international, me paraît dangereux. Je garde en mémoire cette phrase d’un discours prononcé l’automne dernier par M. Molotov: «Ne perdons pas de vue que les intérêts de l’URSS se confondent toujours avec ceux du communisme».
Il y a un autre phénomène, dont il est difficile d’apprécier toutes les conséquences aujourd’hui: c’est la liquidation de la politique coloniale, à laquelle nous assistons en particulier en Asie. Les Indes, la Birmanie, l’Indochine, l’Indonésie, sans compter en Afrique l’Egypte et le Soudan, et peut-être bientôt – parce que les Français sont obligés de prélever des troupes en Afrique du Nord pour les envoyer en Indochine – l’Algérie, la Tunisie, le Maroc. Il est clair que l’URSS n’est pas inactive dans tous ces foyers d’agitation que sont devenues les colonies, et que sa tâche est facile à accomplir, qui consiste à soutenir les revendications, peut-être d’ailleurs légitimes, des peuples indigènes contre leurs maîtres blancs. Comme ces peuples sont souvent profondément divisés – qu’on songe aux Hindous – et incapables encore de se gouverner eux-mêmes, on peut mesurer les développements qui risquent de se produire.
Il n’y a pas de conclusions spéciales à tirer de l’importance des forces armées sur pied. Il faut relever cependant qu’au cours de l’automne – et ceci doit être considéré comme un signe favorable – l’URSS a procédé à des retraits de troupes appréciables. Il y a eu plus exactement un va et vient, des transports ayant lieu d’ouest en est, mais inversement de jeunes contingents ont été transportés de l’est à l’ouest. On admet généralement que les troupes nouvellement arrivées ne sont pas aussi nombreuses que celles qui ont été rapatriées. La diminution d’effectifs est estimée à 300’000 hommes. En revanche, les nouvelles troupes ont une force combative supérieure aux anciennes. Ainsi des divisions d’infanterie ont été transformées en divisions motorisées ou motomécanisées. C’est surtout en Allemagne, en Pologne et en Roumanie que les effectifs ont été réduits. En Bulgarie, il y a eu une augmentation des effectifs qui s’explique par la pression exercée, d’une part, sur la Grèce, d’autre part, sur la Thrace turque. On ignore si les hommes rapatriés d’Europe ont été démobilisés.
[…]3
Il ne faut pas trop se laisser impressionner par ces chiffres, qui s’expliquent par la situation encore précaire. Ils prouvent cependant que, si le monde se dirige vers la paix, la paix elle-même n’est pas encore en vue.
Ce serait une erreur toutefois d’être trop pessimiste et de sous-estimer les éléments positifs qui existent aujourd’hui. Les discussions qui vont se dérouler sur les traités de paix avec l’Allemagne et l’Autriche permettront de se rendre compte si la détente qui s’est produite couvre une réalité. Le fait même que la psychose de guerre est en régression et que les risques de guerre paraissent écartés pour un temps sont un signe favorable.
Enfin l’affermissement certain de l’ONU au cours de l’automne, la reprise d’une vie internationale qui se manifeste par des conférences (dont les Russes sont trop souvent absents) permettent d’espérer que la reconstruction du monde s’opère lentement.
La politique internationale est fondée aujourd’hui presque exclusivement sur des rapports de force, sur le principe de l’équilibre, non plus européen mais mondial. Nous sommes en plein régime féodal, alors que la Charte de San Francisco avait l’ambition de réaliser une organisation des peuples suivant des principes démocratiques et fédératifs en vue d’une gestion en commun des affaires internationales.
Le chemin à parcourir pour passer d’un régime à l’autre sera très long. Il est hérissé d’obstacles. Ce n’est pas une raison pour refuser de s’y engager.
En ce qui concerne la Suisse, le Conseil fédéral doit, me semble-t-il, persévérer dans la voie où il s’est engagé dès la fin des hostilités. Vous connaissez sa politique. Je peux la résumer en quelques mots.
Sur le plan des relations bilatérales avec les autres Etats, nous devons chercher à développer nos relations avec tous les Etats, en faisant abstraction de toute considération idéologique. Nous avons un intérêt politique – mais aussi économique, à plus longue échéance – à être présents partout, en tenant compte de nos possibilités budgétaires.
Nous devons, d’autre part, chercher à liquider aussi rapidement que les circonstances le permettront les problèmes nés de la guerre ou posés par les mesures prises par certains Etats après la guerre. Je pense en particulier:
à la révision des jugements rendus contre nos compatriotes en France pour collaboration4;
aux confiscations et mesures d’étatisation prises dans plusieurs pays: France, Pologne5, Yougoslavie6, Tchécoslovaquie7. Des négociations sont engagées avec les gouvernements de ces quatre pays. Nous sommes les premiers à avoir pu conclure un accord avec les Tchèques.
Il y a encore le problème des dommages de guerre, qui est à l’étude, et auquel il sera difficile de donner une solution satisfaisante.
Sur le plan multilatéral, vous connaissez aussi notre politique, et vous l’avez approuvée à différentes reprises.
L’an dernier, les Chambres ont décidé d’adhérer à l’Organisation mondiale de la santé8 et à l’Organisation internationale pour l’alimentation et l’agriculture9. Elles seront prochainement saisies d’un message sur notre adhésion à la Cour internationale de Justice10. L’Assemblée générale des Nations Unies s’est prononcée unanimement en faveur de notre adhésion.
Plus tard, les Chambres auront à se prononcer sur notre adhésion à l’UNESCO11.
On aimerait beaucoup nous voir adhérer aux deux institutions de Bretton Woods: Le Fond monétaire international et la Banque internationale de reconstruction et de développement économique. Nous avons examiné à fond la question et le Conseil fédéral est arrivé à la conclusion que, pour le moment, il devait adopter une attitude très réservée12.
En revanche, dans un proche avenir, il est possible – même probable – que nous soyons appelés à adhérer à l’Organisation internationale des réfugiés. Ce sera une affaire assez coûteuse. Le Conseil fédéral n’a pas eu encore à s’en occuper. Mon opinion est qu’il sera peut-être difficile de nous tenir à l’écart de cette organisation, qui poursuit un but humanitaire et qui nous intéresse aussi directement.
Quant à nos relations avec les Nations Unies, je ne pense pas que cette année sera marquée par des événements sensationnels. Comme vous le savez, l’accord au sujet de Genève a été ratifié par l’Assemblée générale. Une délégation technique va venir en Suisse pour mettre au point la question de la station de radio. Des conférences importantes se tiendront à Genève déjà cette année. Il est possible que certaines organisations y établissent leur siège13.
L’accueil fait aux observateurs officieux que nous avons envoyés à New York pour suivre l’Assemblée générale a été très amical. Personne ne s’est étonné de leur présence ou ne l’a critiquée, ou n’en a profité pour exercer une pression quelconque. Je voudrais vous donner un extrait du rapport14 que m’ont remis nos représentants:
«Plusieurs délégués exprimèrent le regret de ne pas voir la Suisse parmi les membres des Nations Unies, en ajoutant en général qu’ils comprenaient la difficulté qu’il y avait de concéder à la Suisse un statut spécial conforme à sa politique de neutralité. Pour essayer de se rendre compte des dispositions des délégations à l’égard d’une candidature éventuelle de la Suisse, nous avons provoqué, dans des conversations inofficielles, des prises de position. Nous avons pu en tirer la conclusion que la Charte des Nations Unies – compromis de collaboration entre les grandes puissances – était intangible et que, partant, une exception en faveur de la Suisse ne pouvait être faite à l’heure actuelle. Une demande suisse d’adhésion sous réserve de la neutralité se heurterait donc aujourd’hui à l’opposition des grandes puissances, soucieuses de ne pas compromettre l’entente si difficilement édifiée entre elles. D’autre part, un groupe de pays – Australie, Nouvelle-Zélande, Canada, Afrique du Sud – ne veut pas entendre parler de neutralité. Ayant, à leur avis, aidé à libérer l’Europe du joug nazi et versé le sang de leurs fils sur les champs de bataille pour une cause qui regardait en premier lieu les pays européens, ils ne comprennent pas qu’un pays européen puisse se tenir à l’écart. Enfin, un groupe d’Etatseuropéens, parmi lesquels la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark, la Norvège, la Suède et peut-être même la France, ont «la nostalgie de la neutralité», pour reprendre les paroles mêmes de M. Spaak. Ces pays également sont opposés à une exception en faveur de la Suisse tant qu’ils ne pourront pas profiter de la même faveur. Il faut ajouter à ce groupe les nations dites neutres qui ne font pas encore partie des Nations Unies et qui invoqueraient le précédent suisse pour demander une adhésion conditionnelle. Bref, les délégations regrettent l’absence de la Suisse, «la nation pacifique par excellence», mais ne sont pas disposées à céder, pour le moment, sur la question de la neutralité. La réserve du temps se trouvant dans les réponses de presque toutes les délégations, on peut en déduire que la porte d’entrée de la Suisse neutre dans les Nations Unies n’est pas définitivement fermée, mais que les conditions suivantes devraient être remplies afin que la candidature suisse ait une chance de succès:
1) que les grandes puissances consentent à apporter une modification, quelle que soit sa nature, à la Charte des Nations Unies;
2) que les pays «pacifiques» encore en dehors des Nations Unies aient adhéré inconditionnellement à l’ONU;
3) que la situation internationale se soit clarifiée à tel point que les chances d’une paix stable prévalent sur celles d’une conflagration armée plus ou moins imminente;
4) que les traités de paix aient été signés – une conséquence de notre politique de neutralité.
A ce propos, il y a lieu de noter que le Danemark a provoqué, au cours de la session, une résolution aux termes de laquelle l’Assemblée recommande que l’on exige des Etats candidats à l’Organisationdes Nations Unies l’institution chez eux du suffrage universel des hommes et des femmes. Si l’Organisation des Nations Unies rend cette condition obligatoire, la candidature de la Suisse n’en sera que plus difficile.»
Il ne faut donc pas envisager que nous puissions, au cours de cette année, poser notre candidature à l’ONU, les chances de faire reconnaître notre statut de neutralité étant insuffisantes. Mais nous ne devons pas pour autant rester inactifs. Nous continuerons à faire des sondages, à faire connaître notre point de vue. Nous publierons probablement l’ouvrage en préparation sur notre neutralité active, dont la plupart des chapitres sont déjà écrits15.
- 1
- E 2800/1967/60/4. Une annotation manuscrite en tête du document indique que M. Petitpierre a prononcé le même exposé à Sierre, lors de la séance du 26 février 1947 de la Commission des Affaires étrangères du Conseil des Etats.↩
- 2
- Une ligne blanche figure sur le document.↩
- 3
- La pagination du document indique que M. Petitpierre a inséré à ce passage une page, probablement une notice, non retrouvée, sur les effectifs militaires.↩
- 4
- Cf. les lettres de Petitpierre des 10, 17 et 21 février 1947, E 2200 Paris 36/ B/13.↩
- 5
- Cf. dodis.ch/1820 et 1870↩
- 6
- Cf. dodis.ch/1756, 1761 et 1904↩
- 7
- Cf. dodis.ch/1832↩
- 8
- Cf. FF, 1946, III, pp. 675 ss, dodis.ch/2061.↩
- 9
- Cf. PVCF No 2157 du 23 août 1946, dodis.ch/1450.↩
- 10
- Cf. PVCF No 2603 du 18 octobre 1946, dodis.ch/246.↩
- 11
- Cf. FF, 1948, II, pp. 1158 ss, dodis.ch/2116.↩
- 12
- Cf. les notes manuscrites de Petitpierre pour cette séance E 2800/1967/59/3.Sur cette question, cf. aussi le compte rendu de Ch. Müller du 14 juin 1947, dodis.ch/125.↩
- 13
- Cf. PVCF No 496 du 28 février 1947, dodis.ch/179.↩
- 14
- Cf. le rapport d’A. Zehnder du 13 janvier 1947, E 2001 (E) 5/18 a, dodis.ch/2319.↩
- 15
- Une copie de ce document montre que M. Petitpierre y a ajouté l’annotation manuscrite suivante: Les Conférences qui se tiendront à Genève, pendant l’année, nous permettront peut-être aussi de prendre des contacts. La patience nous est imposée par les circonstances, mais je ne crois pas qu’il faille trop le regretter puisque notre absence des Nations Unies ne nous enlève pour le moment aucune possibilité de collaboration sur tous les plans autres que politique et militaire, et que grâce à l’accord intervenu à Genève, nous pouvons offrir, sur notre territoire, les conditions matérielles de collaboration aux autres pays. Voilà les quelques considérations que j’avais à vous soumettre. Cf. E 2800/1990/106/1.↩
Tags
Foreign Affairs Committee of the National Council
German Realm (General) United States of America (USA) (Politics) Russia (Politics) Colonization and Decolonization Parliament