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Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 20, doc. 131
volume linkZürich/Locarno/Genève 2004
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Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
▼ ▶ Segnatura | CH-BAR#E2004B#1970/2#14* | |
Vecchia segnatura | CH-BAR E 2004(B)1970/2 7 | |
Titolo dossier | Ministerkonferenz (1957–1957) | |
Riferimento archivio | a.133.4 |
Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
▼ ▶ Segnatura | CH-BAR#E5560C#1975/46#1028* | |
Vecchia segnatura | CH-BAR E 5560(C)1975/46 129 | |
Titolo dossier | Schweiz. Gesandtschaften und Konsulate 1951 (1958–1958) | |
Riferimento archivio | 321.1 |
dodis.ch/12714 Exposé du Chef du Département politique, M. Petitpierre, lors de la Conférence annuelle des Ministres de Suisse à l’étranger1
L’année dernière a été abondante en événements qui n’avaient pas été prévus et n’étaient guère prévisibles, qui ont à certains égards modifié la situation politique, peut-être moins profondément qu’on aurait pu le penser étant donnée leur gravité, mais dont les conséquences sont encore difficiles à mesurer aujourd’hui.
Parmi ces événements, les plus importants sont sans doute les événements de Hongrie de l’automne dernier2, l’expédition militaire franco-britannique sur le canal de Suez3, l’évolution intérieure en Pologne4, les changements intervenus en URSS5 et enfin les difficultés de la France en Algérie6.
Je ne veux pas commenter longuement ces événements. Ils le seront dans les exposés ou les interventions que vous entendrez tout à l’heure. Je voudrais plutôt essayer de tirer quelques conclusions générales.
L’expédition militaire franco-britannique sur le canal de Suez est une des pages les plus tristes de l’histoire de l’après-guerre. C’est le type de l’opération erronée dans sa conception et manquée dans sa réalisation. Portant la marque du colonialisme, dont elle a appliqué les méthodes, elle a démontré que l’Europe, représentée par ses deux Etats apparemment les plus puissants, était encore plus faible qu’on ne pouvait le penser et surtout que des pays européens ne peuvent plus agir aujourd’hui individuellement sans l’appui ou l’approbation au moins tacite des Etats-Unis ou de l’Union soviétique. Cette expédition militaire a porté une nouvelle et grave atteinte au prestige du monde occidental et de l’Europe. Elle n’a même pas été profitable aux Etats-Unis, qui n’ont pas retiré les avantages qu’ils pouvaient espérer de l’attitude hostile qu’ils ont prise à l’égard de leurs alliés. L’expédition militaire franco-britannique a, d’un autre côté, permis à l’URSS de neutraliser aux yeux du monde asiatique et africain les effets des événements de Hongrie. Enfin, la Grande-Bretagne et la France se sont causé à elles-mêmes un dommage sans doute irréparable. Même en tenant compte de ce que le Colonel Nasser désire aujourd’hui rétablir des relations plus ou moins normales avec les deux pays, ceux-ci ne retrouveront pas les positions qu’ils occupaient encore – sur le plan économique et culturel – avant l’automne dernier.
Depuis quelque temps, l’attention s’est d’ailleurs détournée de l’Egypte pour se porter sur un autre pays arabe: la Syrie.
Ce qui s’y passe actuellement permet de faire une comparaison entre la politique américaine et la politique soviétique et de tirer certaines conclusions sur l’efficacité des méthodes appliquées par l’une et par l’autre.
L’URSS et les USA étaient d’accord contre l’expédition militaire francobritannique et y ont mis fin. A la fin de 1956, le prestige des USA dans le Proche-Orient était au plus haut. Celui de l’URSS avait subi une atteinte à la suite des massacres de Hongrie.
Aujourd ’ hui les USA sont – comme me l’a dit il y a quelques jours un notable Américain – l’ennemi numéro 1 pour le Gouvernement de Nasser, qui se détourne de l’Amérique pour se rapprocher de ses ennemis européens de l’automne dernier. La Syrie n’est pas moins hostile aux USA. C’est là sans doute une des conséquences de la doctrine Eisenhower7, qui d’ailleurs, il faut le reconnaître, a eu des effets positifs dans d’autres pays arabes: la Jordanie, l’Irak, l’Arabie saoudite. C’est peut-être aussi originairement et plus simplement la conséquence du refus des Etats occidentaux de fournir à la Syrie comme à d’autres pays arabes le matériel de guerre dont ils estiment avoir besoin.
Si l’on porte un jugement d’ensemble sur la politique américaine depuis la fin de la guerre, on constate qu’elle est juste dans ses principes, mais souvent erronée dans ses méthodes. Le but qu’elle poursuit est la défense du monde libre contre le communisme par l’aide militaire et économique. En Europe, cette politique a été couronnée de succès. Ailleurs, en particulier en Asie, elle a dans une large mesure échoué, parce que les USA ont méconnu que le problème du communisme ne se pose pas comme en Europe, qu’il n’est pas pour les peuples intéressés le problème essentiel et surtout qu’il n’appelle pas de solutions militaires. Les difficultés s’élèvent sur un autre plan: nationalisme, souci et affirmation de l’indépendance nationale sont les éléments qui inspirent l’action et souvent la démagogie des dirigeants et assurent leur crédit auprès des masses. Ces éléments sont dirigés contre l’Occident: d’abord contre les anciennes puissances coloniales, qui ont de la peine à se libérer de l’esprit colonial puis aujourd’hui contre les Américains, auxquels on prête l’intention de leur succéder. Les Occidentaux ont contre eux: leur passé colonial, leur présence dans les régions pétrolifères du Proche-Orient, leur position équivoque entre Israël et les pays arabes. La doctrine Eisenhower n’a rien corrigé; elle est juste en soi, elle aurait pu être appliquée, mais pas dû être proclamée et agitée comme un drapeau rouge, surtout qu’elle est incomplète et passe à côté du problème principal puisque les pays arabes sont moins menacés d’une attaque de l’extérieur que par les influences qui peuvent s’exercer sur leur évolution intérieure. Elle a peut-être sauvé la Jordanie, mais est-ce un succès qu’elle ait disloqué le monde arabe en alimentant la passion nationaliste?
De l’autre côté, il y a la politique soviétique. L’URSS évite de donner l’impression qu’elle cherche à s’imposer. Elle ne proclame pas ses buts, elle les dissimule. Elle prête son aide à ceux qui la sollicitent, sans conditions politiques. Elle flatte la passion nationaliste des masses. Sur le plan économique, elle offre des conditions avantageuses et laisse à ses partenaires l’impression qu’elle respecte leur souveraineté et le principe d’égalité.
Ainsi l’URSS a atteint son but. Elle est entrain de prendre solidement pied dans le Proche-Orient, dont les affaires ne pourront vraisemblablement plus se régler sans qu’elle ait son mot à dire.
La situation restera donc troublée dans le Proche-Orient, où le pétrole empêche une liquidation des vestiges du colonialisme qui subsistent encore. Mais une reprise des hostilités entre Israël et ses voisins arabes ou un conflit armé entre pays arabes, s’ils ne sont pas exclus, apparaissent comme improbables.
On peut se demander si ce qui se passe actuellement en Algérie n’est pas – à longue échéance – encore plus grave pour la France et pour l’Europe que les affaires du Proche-Orient. Sans doute les dirigeants français se montrent optimistes. Ils estiment que la politique de force inaugurée par M. Lacoste porte ses fruits et que les rebelles sont aujourd’hui décimés. Le peuple algérien se détournerait du front de libération nationale et souhaite le retour à la paix. Il est naturellement difficile de se prononcer. Toutefois il semble que le projet de loi-cadre élaboré par le Gouvernement français et qui fait actuellement l’objet de négociations entre les chefs de parti ne permet pas d’envisager une solution réelle du problème algérien. Il y a trois jours, nous avons eu l’occasion de nous entretenir de cette question avec M. Habib Bourguiba, Président de la République de Tunisie. Celui-ci est convaincu qu’aucune solution du problème algérien n’est possible sans que le droit à l’indépendance de l’Algérie ait été expressément reconnu par le Gouvernement français. Pour le moment, la Tunisie et le Maroc se considèrent comme liés à l’Occident. Ils se distancent de l’Egypte et des autres pays arabes. Il va de soi qu’à la longue, si la question algérienne n’est pas résolue, c’est toute l’Afriquedu Nord qui se détournera de l’Europe. Le problème d’Algérie réglé, s’il l’est un jour, un autre surgirait vraisemblablement aussitôt; celui du Sahara et des richesses que son sous-sol contient et sur lesquelles les trois pays de l’Afriquedu Nord auront des prétentions à faire valoir. Il n’y a pas de doute qu’aussi longtemps que le problème d’Algérie sera posé, la France fera figure d’accusée aux Nations Unies et dans l’opinion publique internationale et constituera une hypothèque pesant sur le monde occidental.
En Europe orientale, les événements de cette dernière année auront peutêtre été d’une importance capitale pour l’avenir proche et lointain. Ils mettent en cause le régime intérieur en URSS et les relations de l’URSS avec ses pays satellites; bien plus, c’est l’avenir du communisme qui est mis en question. Nous assistons peut-être au début d’une décadence, ou plus exactement d’une désagrégation. La misère en Pologne, la révolte du peuple hongrois, la transformation économique – surtout industrielle – de l’URSS, ce qui s’est passé récemment en Chine sont autant de signes de l’échec du système communiste, de son impuissance à résoudre les problèmes économiques et sociaux. Cela ne signifie pas, bien entendu, qu’il soit condamné, mais plutôt qu’il ne pourra pas conserver sa rigidité primitive, qu’il devra évoluer sous la pression des réalités.
On assiste à ce phénomène singulier que le régime soviétique s’affaiblit dans son domaine intérieur, que ce soit en URSS même ou sur le terrain plus vaste du monde communiste (il y a aujourd’hui déjà plusieurs formes de communisme), alors qu’à l’extérieur il conquiert de nouvelles positions. Les événements de Hongrie ne l’ont pas discrédité durablement. Ils n’ont pas causé à l’URSS, en dehors de l’Occident, le préjudice subi par la France et la Grande-Bretagne à la suite de la guerre de Suez. Bien plus, l’information récente que l’URSS avait essayé avec succès la première fusée intercontinentale est un nouvel élément positif en faveur de l’URSS et de l’opinion qu’elle cherche à accréditer que sa puissance dépasse celle de n’importe quel autre pays.
Ces derniers mois, on a beaucoup parlé du désarmement8. Propositions et contre-propositions se sont succédées à Londres, à la sous-commission des Nations Unies, mais jusqu’à présent sans résultat concret. C’est une illusion que de vouloir se mettre d’accord sur le désarmement, alors que les problèmes politiques fondamentaux qui s’opposent au rétablissement de la paix et à la création d’un ordre international ne sont pas résolus. Même si un accord partiel est réalisé, il n’est qu’un trompe l’œil. Il y a trop peu de sincérité et trop d’arrière-pensées dans les négociations de Londres pour qu’on puisse les prendre très au sérieux et compter sur elles pour améliorer la situation internationale.
Au cas où l’idée d’inspections aériennes serait retenue, la question pourrait se poser pour notre pays s’il les admettrait sur son territoire. Il est prématuré de se prononcer actuellement et nous devons éviter de donner un avis si la question nous est posée. Un refus de notre part serait difficile à justifier. Nous devrions plutôt, le moment venu, chercher une solution en liant notre accord à une confirmation de la reconnaissance de notre statut de neutralité par les Nations Unies. Peut-être même, si entre temps l’Allemagne est devenue membre des Nations Unies, pourrions-nous lier cette question à celle de notre adhésion à l’ONU. Tout cela n’est pas très actuel.
Dans quelle mesure notre pays est-il touché par les récents événements et quelle doit être son attitude dans l’évolution actuelle?
Si les Suisses n’ont été que les spectateurs des événements, s’efforçant de rendre, soit en Hongrie, soit dans le Proche-Orient, les quelques services qui leur étaient demandés, ils ont réagi violemment à ce qui s’est passé en Hongrie. Ces réactions n’ont pas été momentanées, mais elles se font sentir encore aujourd’hui presque aussi vivement qu’il y a huit ou neuf mois, ce qui n’est pas sans exposer le Département à quelques difficultés. Il y a eu d’abord un mouvement assez fort pour la rupture des relations diplomatiques avec la Hongrie et même avec l’URSS. Il a été assez facile de justifier le maintien de relations diplomatiques. Il y a eu ensuite le retrait de la participation suisse aux Jeux olympiques de Melbourne9, et pas mal d’incidents. Aujourd’hui encore, l’opinion publique, surtout en Suisse allemande, est hostile à toute relation avec la Hongrie et l’URSS et même à de simples actes de courtoisie ou à l’accomplissement d’obligations protocolaires à l’égard des autorités soviétiques ou hongroises. Cette attitude absolue n’est pas sans mérite, si on la compare à la facilité avec laquelle la plupart des autres pays ont tendance à oublier ce qui s’est passé. Néanmoins, elle pose un problème: dans quelle mesure les autorités d’une démocratie comme la nôtre doivent-elles, dans leurs décisions et leur comportement, tenir compte du sentiment populaire? Peuvent-elles l’ignorer et s’en tenir aux règles strictes tracées par la politique de neutralité? Il y a là un dilemme qui ne peut pas toujours être résolu facilement. Dans une démocratie, on ne peut pas faire abstraction du sentiment populaire; en particulier dans les moments de crise, le gouvernement doit faire corps avec le peuple et s’efforcer d’être l’interprète du sentiment populaire. Mais en Suisse, le Gouvernement, dans ses actes, doit rester dans les limites tracées par la politique de neutralité, même au risque de demeurer en deçà de ce que l’opinion publique exige de lui. Il doit éviter de créer des précédents qui pourront un jour être invoqués contre lui. La situation peut être rendue plus difficile (parfois aussi plus facile) par l’existence d’autres pays neutres, ce qui permet des comparaisons ou des ententes. Il est désirable, par exemple, que, dans la mesure du possible, sur les questions protocolaires, il y ait une attitude commune des chefs de mission des pays neutres européens dans les capitales où ils sont représentés. On ne peut guère faire plus actuellement que le minimum indispensable à l’égard de l’URSS et de la Hongrie.
Sur le plan plus large des contacts avec l’URSS, l’opinion publique suisse, dans sa majorité, est hostile aux échanges de personnes. Il n’y a guère de Suisses – en dehors des communistes – qui auraient aujourd’hui le courage de se rendre en URSS. Nous ne pouvons donc pas encourager les échanges. Personnellement, je le regrette, parce que je crois que les contacts entre Soviétiques et Occidentaux sont plutôt à l’avantage de l’Occident. Nous devons avoir suffisamment confiance dans notre système, nos institutions, nos conceptions pour admettre qu’ils puissent soutenir avantageusement la comparaison avec le système et les institutions communistes. Ces contacts peuvent ainsi favoriser à longue échéance une évolution dans le sens d’un certain libéralisme.
Le problème le plus immédiatement important qui se pose aujourd’hui pour notre pays est celui de notre attitude à l’égard des institutions européennes; ou plus exactement de l’intégration européenne. Nous sommes dans une position qui – il faut le reconnaître – n’est pas entièrement satisfaisante. C’est pourquoi des voix, dont certaines autorisées, se font entendre pour que nous modifiions notre ligne politique. Les uns vont jusqu’à souhaiter que nous abandonnions notre neutralité pour nous associer entièrement et sur tous les plans aux pays de l’Europe occidentale qui se sont unis pour leur défense commune, qu’ils identifient à celle de l’Europe même. Cela supposerait notre adhésion à l’OTAN, c’est-à-dire à la Communauté Atlantique. D’autres, moins absolus, craignent que la Suisse ne s’isole et sont en faveur de notre ralliement au Conseil de l’Europe comme d’ailleurs à l’ONU.
Il y a une certaine contradiction entre notre conviction – tout au moins pour ceux qui ont cette conviction, et il me paraît difficile de ne pas l’avoir – que le sort de notre pays est lié à celui de l’Europe et l’attitude passive ou négative que nous adoptons vis-à-vis de l’intégration européenne.
L’affirmation que «notre sort est lié à celui de l’Europe» correspond-elle à la réalité? Sans doute la Suisse a pu traverser, sans y être entraînée, les graves crises qui ont bouleversé l’Europe, en particulier les deux guerres mondiales de ce siècle. Mais l’Europe, au milieu de laquelle notre pays est situé, n’est plus celle d’avant la dernière guerre. L’expansion soviétique, celle des USA, la révolte des anciennes colonies obligent l’Europe à s’unir et à s’organiser, à trouver des voies nouvelles pour mettre fin à ses nationalismes hostiles les uns aux autres et à ses divisions. L’effort vers l’unité est nécessaire, si l’on veut enrayer la décadence et ne pas laisser se perdre les possibilités qui sont encore ouvertes à l’Europe. Quand les Européens se partageaient le monde et le dominaient, on pouvait être Anglais, Allemand, Français ou Suisse en oubliant qu’on était en même temps Européen. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Même les Anglais commencent à le reconnaître. Les Suisses ne peuvent pas rester les derniers insulaires de l’Europe.
Je me suis souvent demandé si nous ne devrions pas essayer d’élaborer une doctrine suisse sur le problème de l’Europe et rechercher par quels moyens l’unité européenne pourrait se réaliser, en sauvegardant dans la mesure du possible l’autonomie et la souveraineté des pays européens. Nous aurions nos idées et nos plans comme les partisans de l’intégration européenne ont les leurs. Mais je ne crois pas que l’élaboration d’une telle doctrine soit possible. Pour avoir des chances d’être admise par notre opinion publique, elle devrait être beaucoup trop prudente et rester bien en deçà de ce qu’elle devrait être pour avoir des chances d’être comprise et agréée par les autres pays européens.
La Suisse ne peut donc pas être en flèche dans la construction de l’Europe.
Mais en revanche, ce serait de notre part une erreur que de vouloir chercher à freiner des tendances qui sont inscrites dans les faits ou de demeurer à l’écart d’un mouvement qui nous entraînera un jour, que nous le voulions ou non. Nous devons donc nous efforcer d’être actifs et positifs dans les domaines où nous pouvons agir, c’est-à-dire lorsque des problèmes concrets se posent.
L’expérience négative du Conseil de l’Europe et l’échec de la Communauté européenne de défense ont démontré que l’intégration politique de l’Europe n’est pas encore possible. Aussi est-ce par la voie économique que les partisans de l’unité européenne cherchent à atteindre leurs buts. La création du Marché commun10 a eu pour effet que les autres pays européens membres de l’OECE ont été amenés à envisager l’institution d’une zone de libre échange. Une occasion nous est offerte de nous montrer Européens et de collaborer en vue d’un meilleur aménagement des possibilités économiques de l’Europe. Dans les négociations qui se poursuivent sur le plan multilatéral (ce qui leur donne un tout autre caractère que celui de négociations bilatérales), nous sommes placés devant cette alternative: ou nous borner à défendre nos intérêts, en considérant que cette nouvelle institution est une nécessité dont nous devons nous résigner à nous accommoder (c’est l’attitude que nous avons tendance à prendre à l’égard des institutions nouvelles) ou admettre que, si l’Europe veut sauver ce quelle peut encore sauver de ses positions dans le monde actuel, elle doit faire un effort d’imagination et de volonté pour trouver la meilleure voie à suivre pour atteindre des objectifs que certains pays et certains gouvernements européens sont décidés à atteindre. Et participer à cet effort, sans négliger bien entendu la défense de nos intérêts légitimes, mais en ne limitant pas notre action à cette défense.
Il faut reconnaître, à notre décharge, que nous sommes mal préparés psychologiquement à une action que nous ne considérons pas comme nécessaire de notre point de vue, puisque nous sommes satisfaits de la situation actuelle. On peut par exemple se demander si l’institution d’un marché commun était nécessaire, s’il ne risque pas de créer du désordre dans la vie économique de l’Europe, s’il n’eût pas été plus sage et plus simple de poursuivre cette intégration dans les voies connues et éprouvées de l’OECE. Mais nous n’avons pas le choix puisque d’autres pays européens s’engagent dans des chemins nouveaux. Même si nous ne pouvons pas les suivre entièrement, nous ne pouvons pas non plus nous écarter d’eux complètement: notre prospérité économique est dans une large mesure solidaire de la leur.
J’arrive ainsi à ces conclusions, qui ne sont pas nouvelles:
Le moment n’est pas encore venu pour la Suisse d’adhérer à des organisations politiques, qu’elles soient quasi universelles comme les Nations Unies ou européennes comme le Conseil de l’Europe. Cette abstention n’affaiblit pas notre position; je serais tenté de dire: au contraire. Elle présente un inconvénient qui est de nature essentiellement psychologique: nous sommes «en dehors du circuit», à l’écart des responsabilités, ce qui risque d’accentuer encore la mentalité isolationniste du peuple suisse et sa tendance à rester étranger aux problèmes généraux qui se posent à notre génération, à considérer que ces problèmes ne le concernent pas, pour autant qu’ils ne touchent pas à ses intérêts immédiats. C’est l’aspect négatif de notre politique.
Mais nous pouvons le corriger dans une certaine mesure par une collaboration active dans les domaines où notre réserve politique ne nous empêche pas de nous associer à d’autres pays en vue de résoudre des problèmes concrets dans l’intérêt général européen ou universel. Pour le moment, les possibilités d’action sont limitées, mais elles peuvent s’accroître. Et si nous faisons le compte des actions internationales auxquelles nous avons participé depuis la fin de la guerre, des tâches particulières que nous avons acceptées, je ne crois pas que nous arrivions à un total inférieur à celui des services que nous avons rendus pendant le quart de siècle où notre pays a été membre de la Société des Nations et où il a participé en cette qualité à la politique internationale.
C’est avec un peu de regret que je formule ces conclusions. Il serait plus intéressant pour le Conseil fédéral et pour le Département de pouvoir faire une politique plus active, de pouvoir, comme après la Première Guerre mondiale, faire participer notre pays à l’organisation internationale chargée de la lourde et belle mission d’assurer la paix dans le monde, de négocier en vue de cette participation, de chercher à entraîner le peuple suisse sur des chemins nouveaux pour lui.
Malheureusement, les problèmes ne se posent plus aujourd’hui dans la lumière –hélas d’ailleurs trompeuse – dont les éclairait l’espoir qu’avait suscité l’armistice du 11 novembre 1918. Il faut péniblement chercher à avancer vers les terres inconnues de l’avenir sur un terrain marécageux. C’est la prudence plus que l’enthousiasme qui doit guider nos pas. Cela ne signifie pas qu’un jour nous n’aurons pas la possibilité de nous associer étroitement à un effort commun des pays et des peuples, accompli en vue de créer réellement un ordre pacifique solide et durable.
En terminant, je voudrais encore dire quelques mots de trois questions qui vous intéressent directement.
C’est la première fois qu’assistent à cette réunion des chefs de mission qui portent le titre d’ambassadeur11. Je me suis demandé, au moment où les convocations étaient préparées, s’il y avait lieu de modifier l’appellation traditionnelle de cette conférence. A la réflexion, il m’a paru indiqué de conserver le nom de «Journée des Ministres». Vous savez que le Conseil fédéral et les Chambres, en admettant l’introduction du titre d’ambassadeur, n’ont pas entendu créer une nouvelle classe de diplomates. Comme le relève le message du Conseil fédéral du 5 décembre 195512, le titre d’ambassadeur est conféré pour la durée d’une mission à la tête d’une ambassade et peut être échangé à nouveau sans déchéance contre celui de ministre lorsque la direction d’une légation est confiée à celui qui le portait. Sur le plan suisse, il n’y a donc rien de changé, un ministre est l’équivalent d’un ambassadeur. La préséance continue à être déterminée par l’ancienneté. C’est ainsi bien une «Journée des Ministres» qui s’est ouverte aujourd’hui, une Journée des Ministres à laquelle je suis d’ailleurs heureux de pouvoir saluer aussi des Ambassadeurs.
Une seconde question est celle du personnel de vos ambassades et légations.
En novembre dernier, lors des événements d’Egypte, le Département a attiré l’attention de tous les chefs de poste sur le fait que la représentation des intérêts britanniques et français dans certains pays du Moyen-Orient13 nous avait obligés à prélever sur l’effectif déjà réduit du Département un nombre considérable d’agents. Je vous avertissais que certains de vos collaborateurs vous seraient enlevés sans remplacement et vous demandais de faire face à la situation grâce à un effort supplémentaire, de réduire la correspondance au minimum et de mettre au besoin certaines activités secondaires en veilleuse.
Depuis lors, la situation internationale s’est quelque peu détendue. Il n’en reste pas moins que 24 agents des cadres réguliers du Département continuent à être occupés entièrement par la sauvegarde d’intérêts étrangers. A la centrale, de nouvelles tâches incombent au Département: énergie nucléaire14, répartition de l’aide extraordinaire prévue pour les Suisses à l’étranger15, etc. Faute de personnel, nous devons renoncer temporairement à créer des postes que des raisons politiques demanderaient pourtant d’ouvrir: Arabie Saoudite, Soudan, Malaisie, et d’autres.
Je suis reconnaissant à ceux d’entre vous – et je pense aussi aux absents – qui ont compris nos difficultés et consenti des sacrifices. Je sais qu’il en résulte pour eux et leurs collaborateurs un surcroît de travail. Force m’est cependant de vous demander encore un peu de patience. Vous pouvez être assurés que les renforts indispensables vous seront envoyés aussitôt que cela sera matériellement possible. Grâce au recrutement commencé il y a deux ans, la situation s’améliorera progressivement.
La dernière question est celle de l’information. Cette question importante a été soulevée par M. de Torrenté, qui a fait des suggestions intéressantes. Je ne veux pas me prononcer sur cette question maintenant, mais je pense qu’elle pourrait faire l’objet d’une discussion, soit à la fin de la matinée si nous en avons le temps, soit cet après-midi. La question sera introduite par le Secrétaire général16 du Département.
- 1
- E 2004(B)1970/2/7–8.↩
- 2
- Cf. DDS, vol. 20, doc. 91 et doc. 93. Cf. aussi la proposition du DFJP du 6 novembre 1956, E 1004.1(-)-/1/595 (dodis.ch/12321), la notice de M. Petitpierre du 8 novembre 1956, E 2800(-)1990/106/20 (dodis.ch/13215), l’exposé de M. Petitpierre du 12 janvier 1957, E 2800 (-)1990/106/13 (dodis.ch/12254) et le compte rendu de J. de Rham du 5 février 1957, E 2300 (-)-/9001/94 (dodis.ch/12324).↩
- 3
- Cf. DDS, vol. 20, doc. 80, doc. 83, doc. 88 et doc. 90 et l’exposé de M. Petitpierre du 12 janvier 1957, E 2800(-)1990/106/13 (dodis.ch/12254).↩
- 4
- Cf. DDS, vol. 20, doc. 67 et le rapport de M. Petitpierre du 25 mai 1956, E 1004.1 (-)-/1/590 (dodis.ch/11041).↩
- 5
- Cf. DDS, vol. 20, doc. 59 et doc. 67, la notice de A. Zehnder à M. Petitpierre du 7 avril 1955, E 2801(-)1967/78/10 (dodis.ch/12215) et la lettre de E. de Haller à A. Zehnder du 6 julliet 1956, E 2001(E)1970/217/153 (dodis.ch/12177).↩
- 6
- Cf. DDS, vol. 20, doc. 94 et le rapport politique de P. von Salis à M. Petitpierre du 7 mai 1956, E 2300(-)-/9001/352 (dodis.ch/11516), le rapport de A. Natural à M. Petitpierre du 25 octobre 1956, E 2800(-)1967/59/6 (dodis.ch/12594) et la lettre de H. Voirier à R. Kohli du 6 juillet 1957, E 2001(E)1970/217/299 (dodis.ch/12496).↩
- 7
- Sur la question de la doctrine Eisenhower, cf. l’exposé de H. de Torrenté du 6 septembre 1957, E 2004(B)1970/2/7 –8 (dodis.ch/11356).↩
- 8
- Sur la question du désarmement, cf. l’exposé de H. de Torrenté du 6 septembre 1957, E 2004(B)1970/2/7 –8 (dodis.ch/11356).↩
- 9
- Cf. la lettre de R. Hunziker au Consul général à Sydney, H. Hedinger, du 11 décembre 1956, E 2001(E)1970/217/ (dodis.ch/11713). Cf. aussi E 2200.183(-)1971/63/7.↩
- 10
- Sur la question du Marché commun, cf. DDS, vol. 20, doc. 1, doc. 20, doc. 135 et doc. 136.↩
- 11
- Sur la transformation de certaines légations en ambassades, cf. DDS, vol. 20, doc. 97 et doc. 107.↩
- 12
- Il s’agit du Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale concernant la transformation de légations en ambassades du 5 décembre 1955, FF, 1955, vol. 2, pp. 1381–1392.↩
- 13
- Cf. DDS, vol. 20, doc. 89.↩
- 14
- Sur la question de l’énergie nucléaire, cf. DDS, vol. 19, doc. 88, dodis.ch/9343, doc. 126, dodis.ch/9340, doc. 145, dodis.ch/9196(dodis.ch/8938, 9340 et 9196) et les DDS, vol. 20, doc. 23 et doc. 74. Cf. aussi le réponse du Conseil des Etats à l’interpellation de W. Spühler du 14 juin 1956, E 2003(A)1970/115/97 (dodis.ch/10914).↩
- 15
- Sur la question de l’aide aux Suisses à l’étranger, cf. l’Arrêté fédéral concernant une aide extraordinaire aux Suisses à l’étranger et rapatriés victimes de la guerre de 1939 à 1945, du 13 juin 1957, RO, 1957, pp. 981–984 (dodis.ch/8833).↩
Collegamenti ad altri documenti
http://dodis.ch/30996 | vedere anche | http://dodis.ch/12714 |
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Conferenze degli ambasciatori Crisi di Suez (1956)