Die Entwicklung in der UdSSR und der Welt ist nach dem Tod Stalins ungewiss. Die Schweiz hat momentan keine ernsthaften Schwierigkeiten mit einzelnen Staaten.
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 19, doc. 69
volume linkZürich/Locarno/Genève 2003
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
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Old classification | CH-BAR E 2800(-)1967/61 65 | |
Dossier title | Conférences des Ministres 11/12 sept. (1953–1953) | |
File reference archive | 22 |
dodis.ch/9557 Exposé du Chef du Département politique, M. Petitpierre, lors de la Conférence annuelle des Ministres de Suisse à l’étranger1
Il est difficile de décrire la situation actuelle. Elle se présente sous l’aspect d’un tableau confus, avec peu de lignes très marquées, avec des couleurs indécises. Cette situation est très changeante, très mouvante, au moins en apparence. Il est malaisé de déterminer la signification réelle de certains faits, de certaines décisions.
Quoi qu’il en soit, ces derniers mois ont été très remplis d’événements dans le domaine politique et diplomatique. En particulier, deux faits n’ont pas encore développé toutes leurs conséquences: la mort de Staline le 5 mars 19532 et l’armistice signé en Corée le 27 juillet 19533.
La mort de Staline est importante, non seulement parce qu’elle signifiait la disparition d’un demi-dieu pour une partie de l’humanité et parce que la succession d’un dictateur crée nécessairement un élément d’incertitude, mais aussi et surtout parce qu’elle a eu des suites immédiates sur le plan de la politique internationale. Elle a marqué la fin d’une politique et le commencement de quelque chose d’autre: peut-être, quoi qu’on pense, d’une nouvelle politique.
Il est difficile de dire si le changement d’attitude de l’URSS a été arrêté avant la mort de Staline et d’accord avec lui, ou s’il est le fait de ses successeurs. Il est plus probable qu’il a été voulu délibérément par ces derniers (ou imposé à ces derniers) pour des motifs tirés de la politique intérieure et pour des raisons de politique étrangère.
Les motifs de politique intérieure peuvent être multiples. Nous en sommes réduits pour essayer de les déterminer, d’une part, à des suppositions, puisque, pas plus que Staline, ses successeurs ne renseignent personne sur leurs motifs d’agir ni sur leurs intentions; d’autre part, à quelques signes extérieurs, dont certains sont d’ailleurs des événements d’importance. Si l’on s’en tient aux signes extérieurs deux raisons paraissent dominer, l’une: les difficultés inhérentes à la succession d’un dictateur comme Staline, l’autre: la nécessité d’assouplir le régime de fer auquel les masses sont soumises depuis si longtemps, de le rendre plus acceptable. Cela est vrai pour l’URSS et pour les Etats satellites.
Les difficultés inhérentes à la succession de Staline, un événement les a soulignées: la destitution et la chute de Beria, c’est-à-dire l’élimination de la police comme élément autonome du pouvoir. Est-ce simplement une première brèche dans le système collégial, qui sera suivie plus tard d’autres brèches? La lutte se déroule-t-elle maintenant entre le parti et l’armée, entre les chefs civils et les chefs militaires, entre Malenkov et Joukov ou un autre? Cela n’est pas certain. La chute de Beria tend à consolider plutôt qu’à affaiblir le régime, étant donnés la rapidité avec laquelle elle est intervenue et le fait qu’une police est par essence impopulaire. En revanche, il est évident que Malenkov, même avec une situation renforcée, n’a pas pris la place de Staline. La succession du dictateur n’est pas encore réglée. Tous ceux qui sont intéressés au maintien du régime – même s’ils sont destinés à être demain des adversaires – doivent avoir le souci d’éviter des aventures à l’extérieur.
Sur l’amélioration du niveau de vie de la population, Malenkov, dans un discours du 8 août, a donné des précisions intéressantes. Il faut noter d’abord que ce discours a été enregistré et radiodiffusé. Jusqu’alors, de tels discours étaient lus par un speaker à la radio. Ici c’est la voix même de Malenkov qui a annoncé aux auditeurs que leur sort matériel serait amélioré dans un délai de deux ou trois ans. Cette voix donnait quelques précisions: La quantité des biens mis à la disposition des consommateurs serait, pour la période avrildécembre 1953, augmentée de 10% par rapport à l’an dernier. Avant 1955, la production des biens de consommation serait de 65% plus élevée qu’en 1950 et leur qualité améliorée. Malenkov enfin a fait une déclaration qui est peutêtre la plus importante de la partie de son discours consacrée à la politique intérieure. «Pour améliorer le standard de vie de la population, il est indispensable, a-t-il souligné, de vouer plus d’attention aux besoins de l’agriculture, laquelle fournit les denrées alimentaires et les matières premières nécessaires à l’industrie des biens de consommation. L’Etat paiera un meilleur prix pour les produits qu’il achète aux fermes collectives, cela pour inciter les paysans à produire davantage de viande, de légumes, de laine. En outre, le lopin de terre que les membres des kolkhozes sont autorisés à cultiver pour leur propre compte ne doit plus être considéré comme un reliquat des temps capitalistes.» Si l’on rapproche ces déclarations des concessions faites aux paysans au cours de ces dernières semaines en Tchécoslovaquie, en Hongrie, en Pologne, en Bulgarie et en Roumanie, on ne peut s’empêcher de penser que le régime a été contraint de modifier sa politique économique et sociale.
Il n’est pas excessif d’affirmer que, sur le plan intérieur, dans les démocraties populaires un changement est en train de se produire: l’élévation du niveau de vie devient une nécessité plus urgente qu’elle ne l’a été jusqu’à présent.
Quant aux raisons extérieures de la nouvelle attitude de l’URSS, elles peuvent se résumer en une seule: l’échec de la «guerre froide» menée par Staline contre l’Occident et de toutes les tentatives faites par lui d’atteindre certains buts en recourant à la violence en dehors des pays et des régions occupés par l’armée de l’URSS après la guerre: blocus de Berlin4, guerre civile en Grèce5, tentative d’intimidation vis-à-vis de la Turquie6, guerre de Corée7, fomentation de grèves en France et en Italie; autant d’échecs. Au contraire, les effets de la guerre froide ont été: le redressement économique de l’Europe grâce au plan Marshall8, le réarmement des USA, le Pacte de l’Atlantique-Nord et l’élaboration du traité sur la Communauté européenne de défense9, le redressement économique et politique de l’Allemagne10, la sécession de la Yougoslavie, l’isolement de l’URSS dans l’ONU. Cette politique stalinienne comportait en outre un risque de guerre et ne rapprochait pas du but: la révolution mondiale et la destruction du capitalisme, ou plus exactement des régimes non communistes.
Un changement était donc objectivement raisonnable: non pas dans l’intérêt de la paix générale, mais de l’URSS elle-même et des buts que poursuivent ses dirigeants.
Il y avait d’ailleurs pour les successeurs de Staline un autre problème que celui des rapports de l’URSS avec l’Occident, celui des relations de Moscou avec les Etats satellites.
Staline avait lui-même proclamé la coexistence possible entre régimes communiste et capitaliste, d’abord pour un temps limité, puis sans limitation dans le temps; mais il se comportait comme si cette coexistence était impossible ou comme s’il ne la désirait pas. Ses successeurs ont confirmé les déclarations de Staline sur la coexistence des régimes et ont cherché à les matérialiser. Ils ont fait une série de gestes: libération de prisonniers et d’internés, octroi de visas, invitation à des journalistes occidentaux à venir en Russie, facilités accordées aux diplomates accrédités à Moscou, déclaration sur l’abandon de revendications envers la Turquie, reprise des relations diplomatiques avec Israël, échange d’ambassadeurs avec la Yougoslavie et la Grèce, langage moins injurieux visà-vis des USA et de leurs alliés, attitude moins intransigeante à l’ONU, notamment lors de l’élection du nouveau secrétaire général, signature de l’armistice en Corée. On a souligné avec raison que ces concessions n’étaient pas très onéreuses pour leurs auteurs, qu’aucune ne constituait un acte décisif et probant. Sans doute, mais il fallait commencer. C’est tout de même une nouvelle tendance qui se manifestait.
Quelle que soit la valeur attachée à ces gestes, il faut reconnaître qu’ils ont eu des effets immédiats: Les résultats négatifs – du point de vue soviétique – de la politique intransigeante de Staline sont en voie d’être, au moins partiellement, annulés par l’attitude qu’ont prise ses successeurs. Ceux-ci ont fait un coup de maître, peut-être même sans imaginer que cela leur réussirait si bien, en éveillant dans une partie de l’opinion publique de leurs adversaires le sentiment, ou l’illusion, qu’à un changement de personnes correspondrait un changement de politique, qu’à une période de «guerre froide», qui paraissait ne jamais devoir se terminer, allait succéder une période de négociations diplomatiques qui pourrait aboutir à un règlement pacifique des problèmes en suspens.
De même que nous sommes mal renseignés sur la politique intérieure soviétique, nous manquons d’informations sûres sur la politique faite actuellement par l’URSS en Extrême-Orient. Il n’est pas exclu qu’il y ait des difficultés entre Chinois, Coréens du Nord et Russes, et qu’ainsi, comme avec ses satellites européens, l’URSS ait à résoudre des problèmes, mais d’une autre nature, avec ses alliés asiatiques. Il y aurait peut-être aussi là une raison pour qu’elle cherche à détendre la situation en Europe.
Quoi qu’il en soit, la nouvelle politique soviétique a suscité des réactions assez différentes dans le monde occidental: elle a même provoqué une rupture du front commun des Alliés occidentaux.
L’attitude des USA a été immédiatement négative. Les Américains n’ont pas confiance; ils ne pensent pas que la nouvelle attitude soviétique soit sincère. Ils ne croiront à un changement que lorsque des actes auront succédé aux gestes.
La Grande-Bretagne et la France ne croient peut-être pas davantage à la sincérité des Russes, mais ont pensé qu’il y avait dans leur nouvelle attitude une occasion à saisir pour chercher à se rendre compte de ce que veut réellement l’URSS, si elle est disposée à faire des concessions de fond, de la mettre au pied du mur et d’éprouver sa sincérité. D’où l’initiative de M. Churchill en vue de la réunion d’une conférence des quatre chefs de Gouvernement des grandes puissances11.
On sait comment les choses ont tourné. L’initiative de M. Churchill a créé une divergence profonde entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. On s’est mis d’accord sur une conférence préliminaire qui devait se tenir aux Bermudes entre les chefs de Gouvernement français, britannique et américain. La conférence a été renvoyée, puis annulée. En définitive, les alliés ont proposé à l’URSS une conférence des ministres des affaires étrangères avec un ordre du jour limité.
Il faut, me semble-t-il, regretter que l’initiative de M. Churchill ait échoué, malgré son caractère un peu aventureux. Elle n’avait guère de chance de succès, mais elle donnait à l’Occident l’occasion de reprendre la direction des opérations diplomatiques et surtout de faire la démonstration qu’il ne négligeait aucune possibilité de chercher à réaliser une entente. Il n’est pas exclu que les alliés occidentaux, en hésitant, en tergiversant, aient laissé passer une occasion.
Dans l’affaire de Corée, les débats qui ont eu lieu au sein de la Commission politique des Nations Unies ont fait apparaître des divergences plus profondes encore et plus graves entre les Occidentaux sur la politique à suivre en Extrême-Orient et sur les méthodes à appliquer pour chercher à régler le problème de la Corée. Ces divergences se sont cristallisées sur un point particulier: la participation de l’Inde à la conférence politique prévue par la convention d’armistice12.
En définitive, la question s’est réglée suivant le désir des Etats-Unis puisque l’Inde a renoncé à prendre part à cette conférence. C’est sans doute à l’instigation du Gouvernement de la Corée du Sud et de son président Syngman Rhee que les Etats-Unis se sont montrés si intransigeants dans cette question. On a tendance en Europe à être injuste vis-à-vis de Rhee, qui fut l’âme de la résistance en Corée, d’abord contre le Japon, puis contre le communisme. Par ailleurs, l’attitude de l’Inde dans le conflit de Corée a été assez équivoque. Elle a pris parti plutôt contre la Corée du Sud et, sinon pour la Corée du Nord, en tout cas pour la Chine communiste. Mais même si l’attitude américaine est explicable, elle a eu comme conséquence d’isoler les Etats-Unis dans les Nations Unies; elle a suscité des doutes sur leur désir que la Conférence politique ait lieu ou, si elle a lieu, qu’elle aboutisse à des résultats positifs. Les Etats-Unis donnent l’impression qu’au lieu de fonder leur politique sur les Nations Unies – comme ils affirment le faire – ils se servent des Nations Unies comme d’un instrument de leur politique.
Il n’y a guère de doute qu’il n’y a plus actuellement une seule politique occidentale à l’égard de l’URSS et de son alliée la Chine, mais deux politiques: l’une est celle des Anglais et aussi des Français; elle cherche à voir ce qu’il y a derrière la nouvelle attitude adoptée par l’URSS, à tirer partie de cette nouvelle attitude, si c’est possible, à engager pour cela la discussion, que ce soit en Europe ou en Asie. On ne saurait contester que la Grande-Bretagne, malgré ses difficultés et son affaiblissement, reste une puissance mondiale et n’a pas renoncé à faire une politique indépendante, mais elle risque ainsi d’être de plus en plus en opposition avec les USA.
En effet, l’intransigeance de la politique américaine prend un caractère inexorable. Cette politique paraît opposée à toute espèce de compromis. Elle cherche en Asie ses appuis et ses alliés chez les adversaires les plus résolus du communisme: la Corée du Sud, la Chine de Formose13, les Philippines, le Siam14, le Japon, sans se préoccuper de leur force réelle. Elle n’hésite pas, s’il y a lieu, à couper les ponts; c’est elle qui a inspiré la décision selon laquelle les USA se retireraient des Nations Unies si la Chine de Mao Tsé Tung y était admise. Cette politique aura vraisemblablement de moins en moins d’égards aux tendances et aux vues de la Grande-Bretagne et de la France. Il semble qu’elle ait de la peine à s’adapter à des circonstances qui changent. Son objectif exclusif est la lutte contre le communisme et les pays qui l’incarnent: l’URSS et la Chine. Or une politique étrangère qui refuse de tenir compte des contingences est toujours dangereuse.
On ne peut donc s’empêcher de faire des réserves, non seulement sur le principe de cette politique, mais encore sur la manière dont elle est menée par le Gouvernement républicain. Alors que le Président Eisenhower paraît toujours vouloir se réserver, son Secrétaire d’Etat prend des initiatives discutables, notamment en multipliant des déclarations publiques ou en improvisant des voyages qui souvent n’aboutissent à aucun résultat concret. Tout cela fait un peu peur.
Les divergences entre Américains et Européens sur l’attitude à prendre vis-à-vis de l’URSS et dans l’affaire de Corée risquent de détourner les USA de l’Europe. Alors que le programme de sécurité prévoyait pour 1953 73% des prestations en faveur de l’Europe, pour 1954 la part de celle-ci est réduite à 50%, tandis que la part de l’Asie est portée de 15% en 1953 à 37% en 1954.
Vis-à-vis de l’Europe, la politique des USA n’a en principe pas changé; elle est la même que celle de M. Truman. Mais le cœur n’y est plus. La politique européenne des USA est devenue administrative.
Il faut reconnaître d’ailleurs que les USA ont des raisons de ne pas être satisfaits de l’Europe et des Européens. Ils ont supporté pendant ces dernières années le poids de la «guerre froide» menée par Staline; c’est à eux presque exclusivement que sont dus ses échecs, en Europe et en Asie. Après avoir assuré le relèvement économique du continent, ils ont organisé sa défense militaire; ils ont inspiré son intégration. Tout cela reste aujourd’hui en suspens: l’Europe ne suit pas, ou suit de mauvais gré. Le traité sur la Communauté européenne de défense n’est pas ratifié15. Le sentiment antiaméricain se développe en Europe, où l’on ne croit plus à un danger soviétique immédiat, au moins sous une forme militaire. Les Européens apparaissent de plus en plus aux USA comme des quémandeurs qui n’ont pas la volonté de faire euxmêmes l’effort nécessaire pour leur propre défense. La France donne une impression de faiblesse; le neutralisme s’y développe. L’Italie avait un homme d’Etat fermement attaché à l’idée européenne16; les électeurs le font tomber. La Grande-Bretagne se met constamment en travers des initiatives des USA, invoquant ses relations avec le Commonwealth pour se soustraire à des responsabilités vis-à-vis du continent. En définitive, la République fédérale allemande d’Adenauer est considérée comme l’alliée la plus sûre, celle sur qui on peut compter. A cet égard, l’Allemagne rendra peut-être service au continent en y retenant les USA. Il est assez symptomatique qu’il y a quelques jours, le chef du groupe des sénateurs démocrates, M. Johnson, se soit exprimé ainsi: «Le peuple américain n’est ni désireux ni capable d’aider indéfiniment ceux qui ne sont pas aptes à se soutenir eux-mêmes. Un gouvernement italien ami des Etats-Unis est tombé et le peuple italien semble incapable de former un nouveau gouvernement qui soit mené d’une main ferme. Les Français se noient dans une mer de grèves et peuvent sombrer sous une vague de fond communiste. Les autorités officielles semblent incapables d’intervenir. La clé de l’Europe est l’Allemagne, a ajouté M. Johnson, le peuple allemand se tient au milieu de l’Europe comme la seule force unifiée autour de laquelle puisse se concentrer la défense du continent. Sans lui il est impossible de mettre sur pied un système de défense capable de résister aux assauts communistes.»
Pas de doute, il y a désaffection des USA vis-à-vis de l’Europe. Mais cela ne signifie pas qu’ils vont se retirer ou se désintéresser complètement de l’Europe. L’OTAN fonctionne de manière satisfaisante. Les USA y ont engagé de gros capitaux, construit de nombreuses installations. Tout cela subsiste et continuera. Mais, en dehors du domaine militaire, l’Europe devra de plus en plus ne compter que sur elle-même, ce qui n’est pas nécessairement un mal et ce qui lui permettra peut-être de retrouver un peu de l’indépendance qu’elle avait perdue au cours de ces dernières années.
Le redressement allemand, sous la direction du Chancelier Adenauer, éveille de nouveau, surtout en France, la crainte du danger allemand. Une Allemagne forte peut faire renaître la nostalgie de l’alliance franco-russe et faire revenir l’Europe à une situation très différente de celle de l’après-guerre. Depuis 1945, – le danger allemand disparu, – il y avait le danger communiste, qui s’identifiait au danger russe. Aujourd’hui, le danger russe s’atténue, cesse d’être visible, alors que le danger communiste subsiste intégralement. Je serais tenté de dire que pour l’Europe le danger communiste subsiste intégralement. Je serais tenté de dire que pour l’Europe le danger communiste grandit et s’accroît à mesure que le danger russe diminue et s’efface. Une URSS apparemment pacifique est plus dangereuse qu’une URSS militairement menaçante.
Le conflit entre l’Occident et l’Est tend à prendre deux formes:
l’une, politique, celle d’une lutte entre les USA, d’une part, la Chine en Asie, l’URSS en Europe, d’autre part. L’enjeu pour ces deux derniers pays est la conservation de leurs conquêtes, c’est-à-dire le maintien de régimes communistes à leur dévotion là où ils ont pu en établir par la force: Etats satellites de l’Europe orientale, Corée du Nord. Ils n’ont pas besoin d’une guerre pour cela. Quant aux Etats-Unis, ils ont le désir d’élargir les frontières du monde libre. Iront-ils jusqu’à la guerre pour déloger le communisme là où il a été imposé à des peuples qui, libres de leurs décisions, le rejetteraient? C’est peu probable; l’autre forme du conflit Est-Ouest est idéologique. Ici le conflit est, me semble-t-il, ramené dans les limites de chaque Etat: il se déroulera sur le plan intérieur, sur le terrain économique et social. Après les échecs subis par le régime communiste dans les Etats de l’Europe orientale depuis la mort de Staline et l’effacement que lui font subir ses successeurs, l’élément dynamique qu’il tirait de l’extérieur sera sans doute moins virulent. Il ne peut, en définitive, remporter la victoire que par l’incapacité des gouvernements et des classes dirigeantes de donner une solution satisfaisante aux problèmes sociaux. Il y a là, pour des pays comme la France et l’Italie, un problème beaucoup plus important que celui de l’unité européenne.
La question se présente de manière analogue en Asie et en Afrique, où – comme en Europe – la lutte contre le communisme s’identifie à la lutte contre la misère. C’est pourquoi nous devons attacher une si grande importance à l’aide en faveur des pays sous-développés17.
En Europe même, le problème de l’Allemagne reste entièrement ouvert: aucune solution pacifique n’est en vue. Après les événements de Berlin de juin dernier18, on peut affirmer qu’il n’y a en réalité pas deux Allemagnes, mais une seule, dont le territoire est partiellement occupé par les troupes soviétiques19. Est-ce que cette situation peut se perpétuer? N’y a-t-il pas là le germe de guerres futures?
L’Allemagne, indépendamment du problème qu’elle est en soi, – après la victoire du Chancelier Adenauer, va redevenir aussi un problème pour l’Europe. La question va se poser d’une manière plus aiguë et plus urgente de son intégration dans la communauté occidentale. Il n’est pas exclu que la crainte de voir les USA réarmer militairement l’Allemagne n’engage la France à ratifier en définitive et de mauvais gré le traité sur la Communauté européenne de défense. Le Chancelier Adenauer aurait, semble-t-il, un plan pour régler la question de la Sarre, qui irait assez loin dans les concessions faites à la France et qu’il aurait l’intention de présenter à M. Bidault. La crainte de la puissance renaissante de l’Allemagne peut avoir deux effets: ou d’éloigner d’elle des pays comme la France, ou au contraire de redonner vie à l’idée de l’unité européenne.
On arrive ainsi à la conclusion qu’aujourd’hui, on se trouve dans une période d’incertitude et d’attente. La guerre a pris fin en Corée, mais on n’a fait aucun pas dans la direction de la paix.
Les chances de succès des deux conférences qui sont en vue – sans qu’on sache encore si elles se tiendront – sont très minces20. Si elles échouent, les éclaircies ouvertes par la nouvelle attitude soviétique et l’armistice de Corée auront été de courte durée et l’on retombera, ou plus exactement on restera, peut-être pour longtemps, dans l’ornière de la «guerre froide».
Et la Suisse? La position internationale de notre pays n’est pas affectée par les développements récents, par la nouvelle attitude de l’URSS. Nous subissons passivement l’évolution actuelle, nous n’avons aucune prise sur elle. Avec aucun Etat, qu’il soit à l’est ou à l’ouest, nous n’avons de difficultés sérieuses, tout au plus quelques problèmes litigieux, sans caractère politique. Avec le règlement des créances publiques et privées de la Confédération contre l’ancien Reich21, nous avons terminé la liquidation des principaux problèmes nés de la guerre ou en relation avec elle.
Je ne crois pas qu’actuellement la Suisse ait à prendre des initiatives, soit pour intervenir dans la politique internationale22, soit en vue de son adhésion à une organisation politique mondiale ou européenne23.
On constate qu’aujourd’hui, – comme ce fut d’ailleurs presque toujours le cas, – la politique internationale est l’affaire des grandes puissances et que les petits pays ne sont presque jamais appelés à y jouer un rôle important. Tout au plus certains de leurs hommes d’Etat peuvent-ils se faire remarquer et apprécier dans des réunions internationales. Ce sont rarement eux qui inspirent les décisions importantes. Je pense que notre réserve traditionnelle continue à se justifier.
La question de notre adhésion aux Nations Unies n’est pas devenue actuelle24. Elle ne le sera, à mon avis, qu’au moment où nous pourrions, comme en 1920, faire confirmer par un nouvel acte international notre statut de neutralité perpétuelle. Aussi longtemps que la situation reste confuse, que des pays comme l’Allemagne et l’Italie sont tenus à l’écart des Nations Unies, il n’y a aucun inconvénient à ce que nous demeurions en dehors. Et cela d’autant moins que nous avons des liens assez étroits avec les Nations Unies, grâce à la présence à Genève de leur siège européen.
Sur le plan de l’Europe aussi, je ne pense pas que nous ayons à modifier notre attitude25. Celle-ci est assez nuancée et peut-être, du point de vue de l’esprit, pas entièrement satisfaisante. Nous sommes réticents à l’égard de l’intégration européenne, qu’elle soit politique ou économique. Nous ne pouvons cependant guère contester qu’il y a dans l’idée de donner une forme matérielle à la solidarité européenne, inscrite dans les faits, quelque chose de juste, en raison de la faiblesse de chaque Etat européen et aussi pour mettre fin à des antagonismes qui ont mené l’Europe où elle se trouve aujourd’hui. Ce serait, à mon avis, une erreur de prendre une attitude négative devant les efforts qui s’accomplissent en vue de la création d’une unité européenne. Je pense même qu’il est utile que notre opinion publique s’intéresse à ce problème. Actuellement, la menace soviétique s’étant atténuée, les USA s’étant découragés de prêcher l’unification de l’Europe, l’idée européenne paraît reculer. Il n’est pas exclu que la renaissance allemande et les craintes qu’elle peut inspirer lui redonnent de l’actualité. Mais les problèmes les plus graves et les plus importants pour l’Europe sont d’un autre ordre: ce sont des problèmes qui concernent des pays déterminés: le règlement de la question allemande avec l’URSS, la situation intérieure en France et en Italie, les relations de la France avec ses Etats associés, la question de Trieste. L’unification de l’Europe ne permettrait de résoudre aucun d’eux.
Si nous nous tenons à l’écart de la politique mondiale et de la politique européenne, ce n’est pas que nous nous désintéressions des événements qui se déroulent autour de nous et que nous nous dérobions devant toute espèce de responsabilité. Au contraire, le Conseil fédéral est d’avis que nous devons participer à des tâches internationales qui s’accomplissent en faveur de la paix et qui ne sont pas incompatibles avec notre neutralité.
C’est ainsi que dans l’affaire de Corée, nous avons accepté de jouer un rôle actif26.
Il est inutile de refaire ici l’historique de notre participation aux deux commissions d’Etats neutres chargées, l’une de contrôler l’armistice, l’autre du rapatriement des prisonniers de guerre. Les missions qui nous étaient proposées avaient un caractère entièrement nouveau: elles étaient, sauf erreur, sans précédent dans notre histoire. Elles n’étaient et ne sont encore pas exemptes de certains risques. Ce ne sont, en effet, pas des tâches strictement humanitaires que nous avons assumées, bien qu’elles soient – et que nous les ayons comprises – comme une contribution au rétablissement de la paix en Extrême-Orient. Il y a un aspect particulier de cette affaire qu’il convient de souligner et qui doit nous donner à réfléchir. La Suisse n’a pas été seule chargée de ces mandats. Dans les deux commissions, elle est associée à d’autres Etats, aussi considérés comme neutres, mais dont la neutralité est très différente de la sienne. La Tchécoslovaquie et la Pologne ne sont pas des Etats neutres. Ils ne sont pas indépendants. Ils sont liés par des alliances militaires avec l’URSS, qui elle-même a conclu une alliance avec la Chine communiste, partie au conflit de Corée. En réalité, la Pologne et la Tchécoslovaquie se comporteront vraisemblablement, dans ces deux commissions, non comme des membres neutres et, par conséquent, objectifs et impartiaux, mais comme des mandataires aux ordres d’un des belligérants.
La neutralité de la Suède27 et celle de l’Inde, bien qu’elles s’apparentent à la nôtre, sont cependant différentes. Ces deux pays ne cherchent pas à se tenir à l’écart de la politique internationale. Pourtant la neutralité est le principe fondamental de leur politique extérieure. Ce n’est pas seulement une neutralité occasionnelle, mais elle n’a pas la rigidité de la nôtre. Celle de la Suède est plus opportuniste; elle s’adapte plus facilement à des nécessités passagères; elle est disposée aux concessions. La position de l’Inde est plus particulière. Alors que la Suisse et la Suède appartiennent au monde occidental anticommuniste, opposé au monde communiste, l’Inde, puissance asiatique, entend rester en dehors. Elle cherche à garder ses distances à l’égard du monde occidental, où se recrutent les Etats coloniaux, comme à l’égard du monde communiste: elle essaie même de se rapprocher de ce dernier – avec un succès très relatif – et bien qu’elle soit menacée par lui. Sur le plan idéologique, dans la mesure où elle est moins impliquée que la Suisse dans le conflit Ouest-Est, l’Inde serait ainsi plus neutre que notre pays. En revanche, sur le plan politique, elle n’observe pas notre réserve: elle n’hésite pas à prendre parti, officiellement, notamment dans toutes les affaires qui mettent aux prises les puissances coloniales de l’Occident et les pays qui leur sont assujettis. Il n’est pas sans intérêt de relever que le gouvernement de la Corée du Sud met en doute la neutralité de l’Inde, comme celle de la Pologne et de la Tchécoslovaquie, et que les Etats-Unis ne sont pas loin d’en faire presque autant.
On peut toutefois admettre que, dans les commissions d’Etats neutres en Corée, la Suisse, la Suède et l’Inde se comporteront réellement comme des Etats neutres, c’est-à-dire objectivement, ce qui ne sera probablement le cas ni de la Pologne ni de la Tchécoslovaquie.
Une autre particularité – et une nouveauté – de ces commissions neutres, c’est que, à l’exception de l’Inde, les autres Etats ont été choisis, deux par un des belligérants, deux par l’autre. Chacun des belligérants a ainsi ses propres neutres, comme il aurait ses propres mandataires. Cette conception de la neutralité n’est évidemment pas conforme aux idées que nous avons sur le caractère de notre neutralité permanente. C’est pourquoi nous avons précisé, notamment dans un aide-mémoire remis au Gouvernement américain le 14 avril28, que nous considérions le mandat que nous étions prêts à accepter comme à nous confié par les deux parties belligérantes et devant être exécuté pour le compte des deux.
Quelques soucis nous ont été donnés ensuite, d’un côté par la manière dont toute cette affaire s’est déroulée avant la signature de l’armistice, de l’autre côté par l’opposition faite à l’armistice, à un certain moment, par le Gouvernement de la Corée du Sud et le Président Syngman Rhee. En définitive, toutes les difficultés ont été surmontées. Il n’est pas exclu – il est même probable – qu’il s’en présentera de nouvelles, surtout pour la commission chargée du rapatriement des prisonniers de guerre noncommunistes. Il pourrait y avoir au sein de la commission de sérieuses divergences entre les délégations communistes et non-communistes.
Quoi qu’il en soit, je suis convaincu que le Conseil fédéral devait accepter ces deux mandats. Dès l’instant où la neutralité était la condition fondamentale posée pour le choix des Etats chargés de ces mandats, on n’eût pas compris que l’Etat neutre par excellence se dérobât, et cela d’autant moins que ces mandats étaient liés au rétablissement de la paix et que les deux parties avaient un intérêt égal à ce que qu’ils fussent acceptés. En outre, la note que nous avons remise aux Gouvernements américain et chinois le 9 juin et dans laquelle nous indiquions les conditions de notre acceptation nous a valu du Département d’Etat une réponse qui n’était pas sans intérêt29. C’est la première fois, à ma connaissance, que le Gouvernement américain s’exprimait d’une manière aussi positive sur notre neutralité.
Enfin, je vois aussi un avantage – qui pourrait évidemment se transformer en inconvénient, suivant les circonstances – à ce que, dans une affaire internationale, nous ayons l’occasion de collaborer avec des pays à régime communiste et à faire la démonstration de notre objectivité. Je ne surestime pas ce côté positif de notre mandat: on peut, en effet, douter de ce que, du côté communiste, on soit très sensible à l’objectivité.
Je pensais que l’opinion publique en Suisse pourrait se diviser à propos de la participation de notre pays aux deux commissions neutres. Quelques voix se sont élevées contre: on s’est intéressé dans certains milieux plus aux frais que cela nous imposerait qu’au principe même de notre participation. Cette attitude généralement positive de notre opinion publique me paraît démontrer qu’elle comprend aussi que nous défendons mieux notre neutralité en participant à des actions internationales pacifiques, même présentant des risques et un caractère aléatoire, qu’en restant absolument à l’écart des événements, lorsque ceux-ci ne nous touchent pas directement.
Je devrais terminer cet exposé par quelques conclusions. Or, j’ai de la peine à en formuler. La guerre froide était quelque chose de précis, de défini: il y avait des positions prises, établies. On ne voit pas clair dans ce qui se passe actuellement. On a le sentiment qu’à part peut-être celui de l’Allemagne, qui a un programme et qui l’exécute, les gouvernements – je pense à ceux des grands pays – ne savent ni ce qu’ils veulent ni où ils veulent aller. On a l’impression que tout est possible et que peut-être rien de décisif ne se passera. C’est comme si nous étions entrés dans une de ces périodes incertaines, où il semble que le monde soit mené par le hasard plus que par des volontés humaines, individuelles ou collectives.
Cela n’est d’ailleurs pas une raison pour que la Suisse – en toute modestie – ne cherche pas à faire exception. Elle demeure dans une situation privilégiée. Elle doit faire son possible pour s’y maintenir. Sur le plan international, je suis convaincu qu’elle doit, pour cela, rester fidèle à la politique qui jusqu’à présent lui a permis de sauvegarder son indépendance30.
- 1
- E 2800(-)1967/61/65. L’exposé de M. Petitpierre est suivi de l’exposé de J. Hotz sur la politique économique et de l’exposé de L. de Montmollin sur la situation militaire.↩
- 2
- Cf. DDS, vol. 19, doc. 53. Cf. aussi le rapport politique de C. Gorgé à M. Petitpierre du 10 mars 1953, E 2300(-)-/-/287 (dodis.ch/9028).↩
- 3
- Cf. table méthodique dans le présent volume: Bons offices.↩
- 4
- Cf. DDS, vol. 17, doc. 88, dodis.ch/4362 et 115 (dodis.ch/4429).↩
- 5
- Cf. DDS, vol. 17, doc. 75, dodis.ch/4040 et 116 (dodis.ch/4080).↩
- 6
- Cf. DDS, vol. 17, doc. 103, dodis.ch/4560(dodis.ch/4560).↩
- 7
- Cf. table méthodique dans le présent volume: Bons offices.↩
- 9
- Cf. DDS, vol. 19, doc. 20.↩
- 11
- Il s’agit de l’initiative prise par W. Churchill lors d’une séance du Parlement britannique, le 11 mai 1953.↩
- 12
- La décision d’organiser une conférence asiatique sur les questions de la Corée et de l’Indochine est prise lors de la conférence de Berlin du 18 janvier au 15 février 1954. Sur la conférence qui se tient à Genève du 26 avril au 21 juillet 1954, cf. DDS, vol. 19, doc. 93.↩
- 15
- Sur ce projet de traité, cf. Nos 2 et 3 du présent volume.↩
- 16
- Alcide De Gasperi.↩
- 17
- Cf. DDS, vol. 19, doc. 119.↩
- 18
- Il s’agit du soulèvement des travailleurs de Berlin- Est et des villes industrielles de l’Allemagne de l’Est autour du 17 juin 1953. Cf. la notice de M. Petitpierre pour la séance du Conseil fédéral du 19 juin, E 2800(-)1990/106/1, le rapport politique No 17 d’A. Huber à M. Petitpierre du 22 juin 1953, E 2300(-)-/9001/193 (dodis.ch/10331) et la communication politique de F. Schnyder à A. Zehnder du 23 juin 1953, E 2300(-)-/9001/71 (dodis.ch/9045).↩
- 19
- Sur la politique suisse à l’égard des deux Allemagnes, cf. DDS, vol. 18, doc. 88, dodis.ch/7927(dodis.ch/7927).↩
- 20
- Cf. note 12.↩
- 21
- Cf. DDS, vol. 19, doc. 26, note 9.↩
- 22
- Cf. la réponse négative du Conseil fédéral au Mouvement suisse de la paix du 30 juin 1953, E 2001(E)1969/121/221.↩
- 23
- Cf. DDS, vol. 19, doc. 31 et doc. 43.↩
- 25
- Cf. DDS, vol. 19, doc. 43.↩
- 26
- Cf. table méthodique dans le présent volume: Bons offices et DDS, vol. 18, table méthodique: Corée.↩
- 27
- Cf. table méthodique dans le présent volume: Suède – Relations politiques.↩
- 28
- Cf. l’aide-mémoire remis au Gouvernement américain le 14 avril, E 2800(-)1988/16/662/ 5 (dodis.ch/9638).↩
- 29
- Cf. DDS, vol. 19, doc. 63.↩
- 30
- Cf. DDS, vol. 19, doc. 23.↩
Relations to other documents
http://dodis.ch/9557 | see also | http://dodis.ch/32102 |
http://dodis.ch/9557 | is the supplement to | http://dodis.ch/37722 |
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