Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 22, doc. 125
volume linkZürich/Locarno/Genève 2009
more… |▼▶Repository
Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E1003#1994/26#3* | |
Old classification | CH-BAR E 1003(-)1994/26 2 | |
Dossier title | Protokolle der 1.-89. Sitzung des Bundesrates (1963–1963) | |
File reference archive | 4.3 |
dodis.ch/30308
CONSEIL FÉDÉRAL
Procès-verbal interne de la 4 e séance du 18 janvier 19631
Procès-verbal interne de la 4 e séance du 18 janvier 19631
Déclarations du général de Gaulle
M. Wahlen constate que la conférence de presse2 n’a, au fond, rien apporté qui doive surprendre. Si l’analyse des textes pouvait laisser quelques doutes quant aux intentions, la suite des événements a éclairci les choses. Les «cinq» se sont donnés beaucoup de peine dans la recherche d’une solution qui arrange les affaires. La Grande-Bretagne a également fait un effort. La France pendant ce temps est restée silencieuse. Couve de Murville a dit ensuite aux «cinq» sa déception de voir les pourparlers continuer nonobstant les déclarations du général de Gaulle. Il leur a reproché une atteinte à l’esprit communautaire et demandé une séance secrète des «six». Il aurait voulu voir les Anglais prononcer eux-mêmes le «fini», mais ceux-ci n’ont pas voulu causer de court-circuit. Heath s’est déclaré prêt à négocier encore. La séance secrète s’est terminée sans qu’il y ait eu entente entre les «Six». Spaak y a fait la proposition de nommer un comité pour établir le «bilan». Les «Cinq» ont accepté la proposition, mais Couve de Murville a voulu en référer à de Gaulle. Celui-ci cédera-t-il sous la pression de l’opinion publique de toute l’Europe occidentale? Il semble que non. Il y a des gens qui pensent, à Bruxelles, que le «non» de de Gaulle marquerait la fin de la CEE. Si Adenauer ne suit pas de Gaulle, la France sera isolée. S’il le suit, le profil politique France/Allemagne s’accentuera. Et puis il y a la crise dans le domaine nucléaire, qui ajoute à la crise de l’Europe occidentale.
Après la conférence de de Gaulle, le Conseil fédéral a été à peu près le seul pays à ne pas prendre position. Cela a été une bonne chose. Nous avons aussi bien fait de ne pas entreprendre, précédemment, des voyages dans les capitales, comme l’ont fait l’Autriche et la Suède. La presse voudra savoir si le Conseil fédéral a eu un échange de vues et tiré des conclusions. Il n’est pas facile de savoir ce qu’on doit lui dire. Je pense m’exprimer à peu près comme suit: «Le Conseil fédéral regrette l’évolution des événements mais ne porte pas de jugement sur l’attitude française. La Suisse devra s’entendre avec les ‹Six› d’une manière ou d’une autre. Elle désire fermement la création d’un grand marché européen sur une base multilatérale. L’AELE a été l’instrument forgé à cette fin, mais elle n’a pas donné les résultats attendus.» Je mentionnerai la demande anglaise d’adhésion à la CEE et la déclaration anglaise de solidarité avec les Etats de l’AELE. La Grande-Bretagne mérite un compliment pour sa loyauté. J’ajouterai que l’AELE subsiste et doit continuer son œuvre. Les USA sont maintenant placés devant des réalités qu’ils ont ignorées jusqu’ici. Si la CEE subsiste, elle sera forcée de pratiquer le protectionnisme agricole. Les USA s’en aperçoivent maintenant. Le sixième «round» du GATT aura lieu quand même. La lutte contre la surchauffe devient un problème de toute importance.
M. von Moosse demande si la non-adhésion de la Grande-Bretagne aura pour effet de modifier la physionomie de la CEE et s’il y aura une marche en arrière. Nos préparatifs internes en vue d’une intégration doivent-ils être maintenus? Reverdin et Dürrenmatt ont-ils rapporté des informations intéressantes de leur voyage en Grande-Bretagne? De Gaulle n’a-t-il pas fait une allusion aux trois neutres en termes favorables?
M. Chaudetpense que le Conseil fédéral devrait être prudent dans ses déclarations à la presse. Il ne devrait pas dire qu’il regrette les faits mais plutôt dire qu’il les suit. Il ne faudrait pas dire que la position prise par la France est un malheur pour l’Europe. Cela n’est pas certain. Les divergences causées par les déclarations du général de Gaulle inciteront peut-être les «Six» à assouplir leur politique. Le temps travaillera pour nous. L’attitude des USA dans la question nucléaire m’inquiète. Les USA veulent s’assurer le monopole nucléaire dans le camp occidental. Ils tendent à un «désengagement» en Europe et à considérer une guerre en Europe comme «marginale» pour eux. L’attitude de de Gaulle est peut-être dans l’intérêt du continent. Un fossé se creuse entre le peuple français et de Gaulle. La situation économique de la France est-elle vraiment brillante?3 On prétend que les quatre semaines de vacances prévues dans les usines Renault masquent un chômage. Nous avons intérêt à ce que de Gaulle poursuive sa politique4. Nous devons être prudents dans nos communiqués concernant la lutte contre la surchauffe économique. Le discours de M. Schaffner5 a été une chose excellente, mais ça devrait suffire pour le public. Ne pas laisser entrevoir un succès dont on n’est pas absolument sûr6. Les milieux bancaires commencent à manifester une certaine indiscipline à l’égard du Gentlemen agreement7.
M. Tschudiest d’avis que le Conseil fédéral a bien fait de rester jusqu’ici sur la réserve. Il n’est pas possible de tirer publiquement des conclusions8. Il faudrait éviter de dire «regretter», car ce serait une critique pour de Gaulle. Et puis, jusqu’à quel point des regrets seraient-ils sincères?
M. Bonvindéclare que l’essentiel est de rester nous-mêmes et de garder notre «force de bienveillance disponible et discrète», pour le bien de notre âme et la neutralité. Les rappels historiques de M. Wahlen montrent l’existence d’une volonté permanente de faire l’Europe. L’Angleterre, en porte-à-faux, deviendrat-elle européenne ou s’orientera-t-elle du côté des USA? Les Anglais de plus de 50 ans ne peuvent se faire à l’idée d’une intégration complète, telle que le veut la France. On comprend ainsi que la réponse donnée à la Grande-Bretagne soit: tout ou rien. La solidité de l’économie française s’est affirmée depuis deux ans, ce qui ressort de la situation du franc. Mais des problèmes sociaux et politiques peuvent l’ébranler rapidement. L’attitude de de Gaulle répond peut-être à une stratégie politique, derrière laquelle il y a la perspective de la bombe à hydrogène. On dit que de Gaulle serait très favorable à la Suisse, à cause de ses bons offices dans l’affaire algérienne. Nous devons continuer nos études en les axant sur les variantes possibles: association à la CEE, maintien de l’AELE, isolement. En tout état de cause, nous devons chercher à garder notre capacité de concurrence et par conséquent, la valeur du franc. Le Conseil fédéral doit aborder le patronat suisse, auquel on doit partiellement la surchauffe. Il faut que les entreprises s’orientent vers les investissements qui augmentent la productivité, et pas vers les autres. Le gentlemen agreement des banques a été respecté jusqu’à présent, mais il y a afflux d’argent étranger arrivant par des canaux privés et contre lequel on est démuni.
M. le Président de la Confédération9 relève que le discours de de Gaulle n’a pas constitué une surprise. Seule la brutalité a frappé. Que fallait-il entendre par une CEE des onze ou des dix-huit? Je ne crois pas encore à la possibilité d’une dissolution de la CEE à cause de l’absence de la Grande-Bretagne. Nous devons considérer les grandes perspectives. De Gaulle n’est pas éternel et il n’est pas non plus la France, dans les relations internationales. On peut en dire de même d’Adenauer. La marche vers l’intégration se poursuivra, malgré le grand trouble actuel. Il s’agit de savoir si nous voulons collaborer, librement ou contraints. Il y aura un peu des deux. Le silence que nous avons gardé jusqu’à présent était de bonne politique. Il convient de ne pas exprimer un jugement de valeur, des regrets. Nous devons dire que l’idée d’une intégration subsiste, pour la Suisse aussi, et que l’AELE poursuit son existence. M. Wahlen a raison de mentionner la loyauté de la Grande-Bretagne à l’égard des autres états de l’AELE. En ce qui concerne la lutte contre la surchauffe, il importe d’avoir une conception uniforme.
M. Bonvinfait remarquer que l’entrée de la Grande-Bretagne dans la CEE serait un avantage pour la Suisse, en ce sens que cela nous aiderait à charpenter l’Europe d’une manière fédéraliste.
M. Wahlen relève que la disparition de la CEE provoquerait une fêlure profonde en Europe. La ligne Paris/Bonn inquiétera les autres pays. Les Pays-Bas, m’a dit Mansholt 10, reverront leur conception, si la Grande-Bretagne n’entre pas dans la CEE. Si Adenauer ne suit pas de Gaulle, la France sera si isolée que de Gaulle devra revoir la situation. Les groupes de travail dans l’administration doivent subsister, mais on verra plus tard ce qu’il faut faire. Il est difficile de travailler sur des hypothèses fragiles. Heath a montré beaucoup d’optimisme, mais c’était un optimisme de commande. Dürrenmatt10 m’a fait rapport sur son voyage mais ne m’a rien appris de neuf. Sa seule conversation importante a été celle avec Thomas11. De Gaulle n’a pas parlé des neutres dans sa déclaration. La possession de la bombe à hydrogène par la France ne résoudrait pas encore le problème pour ce pays. Il ne saurait comment la transporter. Les «regrets» dont j’ai parlé risquent d’être interprétés comme un jugement de valeur. Je n’en parlerai pas. Dois-je vraiment me rendre dans la salle de la presse? Ne suffit-il pas d’y envoyer le chancelier dire qu’il y a eu échange de vues et c’est tout? La Grande-Bretagne a accepté tout le traité de Rome. La divergence porte sur une question de calendrier. Avec de la bonne volonté, on aurait pu s’entendre. De Gaulle est très favorable à la Suisse. C’est une raison de plus pour ne pas exprimer de critiques. Le Conseil constate qu’il convient que M. Wahlen se rende auprès des journalistes à l’issue de la séance12.
[…]13
- 1
- E 1003(-)1994/26/2. Absent: H. Schaffner, présidence: W. Spühler, procès-verbal: Ch. Oser et F. Weber, ouverture: 9 heures, clôture: 11 heures.↩
- 2
- Il s’agit de la Conférence de presse tenue par le Général de Gaulle le 14 janvier 1963, dans laquelle le chef de l’Etat français déclare son opposition à l’adhésion de la Grande-Bretagne au Marché commun, cf. DDS, vol. 22, doc. 123, en particulier note 2.↩
- 3
- Une première version corrigée ensuite à la main indique: n’est pas si brillante que ça. Les [quatre semaines].↩
- 4
- Biffé: même s’il va trop loin.↩
- 5
- Il s’agit du discours de H. Schaffner en réponse à l’interpellation BächtoldLutte contre l’inflation, cf. Bull. Sten. CN, 1962, pp. 827–832. Ce discours est reproduit dans un tiré-à-part de la Feuille officielle suisse du commerce du 7 janvier 1963, cf. E 7110(-)1974/31/10.↩
- 6
- Une première version corrigée à la main indique: qui ne viendra peut-être pas.↩
- 7
- Il s’agit du Gentlemen’s Agreement conclu le 1er avril 1962 entre la BNS et les banques qui prévoit de limiter les crédits bancaires. Pour une copie de cet accord, cf. E 7110(-)1974/31/9.↩
- 8
- Biffé: Tant pis si le besoin d’information de la presse n’est pas satisfait.↩
- 9
- W. Spühler.↩
- 10
- Sur les relations entre F. T. Wahlen et P. Dürrenmatt, cf. E 2804(-)1971/2/38.↩
- 11
- Ce personnage n’a pas pu être identifié.↩
- 12
- A propos de cette conférence de presse, cf. le communiqué d’agence der Bundesrat zur Krise in Brüssels rédigé le 18 janvier 1963, E 2001(E)1976/17/242.Sur la position du Département politique suite à l’ajournement des négociations de la CEE avec la Grande-Bretagne, cf. le télégramme circulaire aux Ambassades suisses dans les pays de la CEE du 21/22 janvier 1963, E 2001(E)/1976/17/208.↩
- 13
- Objets suivants: Pro Juventute, Intérêts allemands à Cuba, Séance des commissions hors de Berne, Révision de la LAMA, 50ème anniversaire de l’Office fédéral des assurances sociales, Club alpin suisse, Votation sur la seconde initiative atomique, Association pour le suffrage féminin, Déclarations de de Gaulle. Sous ce dernier point, communication suivante: M. Wahlen donne connaissance d’un télégramme de l’ambassadeur Soldati qui renseigne sur l’état d’esprit existant dans les milieux officiels français. On voit que la France prend son parti des «remous» causés par les déclarations. Le télégramme en question est probablement le télégramme No 10 du 17 janvier 1963, E 2804(-)1971/2/107.Cf. aussi le télégramme No 12 d’A. Soldati à F. T. Wahlen du 18 janvier 1963 (dodis.ch/30309) et le télégramme No 14 de Soldati à Wahlen du 22 janvier 1963 (dodis.ch/30311).↩
Tags
Europe's Organisations European Free Trade Association (EFTA) Swiss financial market United Kingdom (Politics) European Union (EEC–EC–EU) Economic relations