Das wichtigste aussenpolitische Prinzip ist die schweizerische Neutralität. Der Antagonismus zwischen den beiden Weltsystemen findet auch in den nationalen Politiken ihren Niederschlag.
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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 19, doc. 23
volume linkZürich/Locarno/Genève 2003
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Dossier title | Neutralité (discours et conférences) : volume VII (1952–1960) | |
File reference archive | 134 |
dodis.ch/9591
Exposé du Chef du Département politique, M. Petitpierre, lors de la Conférence annuelle des Ministres de Suisse à l’étranger12
CONFÉRENCE DES MINISTRES 19523
Dans notre opinion publique, il y a un courant en faveur d’une collaboration plus active avec les autres pays de l’Europe occidentale, la politique de neutralité ne répondant plus aux exigences de la situation actuelle. Le discours que le Professeur Beck, de l’Universitéde Zurich, devait tenir en cette ville le 1er août est symptomatique: il contenait une critique très vive de la neutralité et reprochait au Conseil fédéral, en somme, de ne rien comprendre aux temps actuels4.
A ce courant s’oppose l’opinion de ceux qui pensent que le Conseil fédéral est déjà allé trop loin et ne s’en tient pas à une conception assez stricte de la neutralité en collaborant au sein de l’OECE5 et de l’UEP6 avec des pays qui ont constitué entre eux une organisation politique, le Conseil de l’Europe7, et conclu entre eux et avec les Etats-Unis d’Amérique et le Canada une alliance militaire: le Pacte de l’Atlantique-Nord8.
Je ne suis indifférent aux critiques ni des uns ni des autres: les premières mettent en cause le principe même qui inspire notre politique extérieure, les secondes l’application de ce principe. A vrai dire, les premières me paraissent plus sérieuses et plus graves.
La neutralité n’étant pas une fin en soi, mais le moyen grâce auquel nous espérons, dans l’avenir comme dans le passé, sauvegarder notre indépendance, il s’agit de savoir si ce moyen est toujours efficace, ou s’il y en a un meilleur, qui serait celui d’une adhésion aux organisations politiques et militaires européennes, dont la Suisse ne fait pas partie.
Il ne faut d’ailleurs pas perdre de vue que ce qu’on appelle l’intégration de l’Europe tend à devenir une réalité et qu’un jour viendra peut-être où nous ne pourrons plus garder la réserve que nous avons observée jusqu’à présent, mais où nous devrons choisir.
La politique de neutralité se heurte à quelques faits brutaux qui s’imposent objectivement à l’esprit:
Le premier est qu’il y a actuellement deux mondes: le monde occidental ou libre, qui, en dehors de toute alliance, groupe l’ensemble disparate et désuni des pays non communistes, et le monde communiste9.
La Suisse n’est pas entre ces deux mondes; elle fait partie du premier, qu’elle le veuille ou non. Certains pays, comme l’Inde, peuvent chercher à rester en dehors, en pratiquant une politique d’équilibre. La Suisse ne le peut pas, ne fût-ce que pour des raisons géographiques. L’Europe occidentale tend à devenir une entité, comme l’Europe orientale. La Suisse en est un des éléments.
Le deuxième fait est que le monde communiste cherche à détruire l’autre, par tous les moyens. A cet égard, la Suisse est menacée autant que tout autre pays de l’Europe. Ce que veulent les Russes, c’est réaliser, avec l’aide des partis communistes nationaux, la révolution mondiale.
Le troisième fait est que l’indépendance, ou si l’on préfère l’existence, avec leurs institutions actuelles, des pays de l’Europe occidentale est aujourd’hui assurée presque exclusivement par les Etats-Unis d’Amérique et leur puissance économique et militaire. Ceci s’applique aussi à la Suisse.
Le quatrième fait est que la distinction que nous faisons – et que nous devons continuer à faire – entre la neutralité politique et la neutralité morale est en principe juste, mais en fait singulièrement précaire, étant donnée la nature idéologique du conflit qui divise le monde.
Il résulte de ces quelques faits élémentaires que la Suisse a un intérêt vital à ce que l’Europe occidentale s’organise, économiquement, politiquement et militairement, pour devenir plus forte; à ce que l’Europe occidentale continue à être soutenue par les Etats-Unis, non seulement financièrement et économiquement, mais sur le plan militaire.
On comprend donc ceux qui estiment que la neutralité est quelque chose de périmé, de dépassé par les événements actuels, et que la Suisse devrait s’engager résolument dans la voie de la collaboration européenne et occidentale. Ils ont pour eux la logique et, dans une certaine mesure, sur le plan moral, ce sentiment que, si on veut retirer les bénéfices d’une entreprise, il faut aussi participer à ses risques.
L’avenir pourrait leur donner raison, en cas de nouvelle guerre en Europe et si l’URSS gagnait cette guerre. Nous échapperions peut-être à une invasion, mais notre sort serait scellé d’une manière pire. Si la Suisse devait disparaître, il vaudrait mieux que ce fût en se battant que dans les conditions où les pays baltes ont été effacés de la carte du monde. En outre, nous aurions, par notre abstention, réduit les chances de résistance de l’Europe.
Toutefois, nous avons de bonnes raisons de rester fidèles à la neutralité.
Il n’est pas possible de prévoir si, en cas de guerre, elle nous permettra de rester à l’écart des hostilités. Malgré certains avis, je pense que ce n’est pas exclu, que c’est même très possible. Est-ce désirable? C’est une autre question. Si l’URSS l’emporte, elle installera des gouvernements communistes dans les pays qui nous entourent et, au lieu d’une invasion, nous subirons un étouffement politique et économique. Notre neutralité nous aura été temporairement utile. Mais en définitive, elle ne nous sauvera pas. Si les Etats-Unis l’emportent, la neutralité nous aura protégés, à condition que leur victoire ne se fasse pas trop attendre. Quelle serait la position de la Suisse dans un nouvel aprèsguerre? C’est une question qu’on peut laisser ouverte.
En cas de nouvelle guerre en Europe, il est en somme impossible de prévoir si nous pourrons sauvegarder ou non notre neutralité. Cette incertitude et la chance qu’elle nous laisse doivent déjà nous engager à la garder. C’est une spéculation.
Mais tout ce que je viens d’exposer se rapporte à des éventualités dont il est impossible de prévoir lesquelles se réaliseront. Il est possible que les événements prendront une autre tournure, imprévisible aujourd’hui. Et ce à quoi nous devons nous arrêter, c’est notre politique actuelle, celle que nous devons pratiquer dans la période incertaine où nous vivons – qui n’est ni une période de paix, ni une période de guerre militaire, mais de guerre politique et diplomatique. Et si cette période se prolonge, un problème fondamental se pose, celui de notre attitude à l’égard de l’intégration de l’Europe. La question de notre neutralité se poserait vraisemblablement, à plus ou moins longue échéance, non plus pour elle-même, mais en fonction de ce problème.
Le principe général que nous appliquons sur le plan de la collaboration internationale est connu: il n’y a pas lieu d’y revenir longuement: refus de collaborer aux organisations internationales – universelles ou européennes – qui poursuivent des fins militaires ou politiques. Collaboration sur tous les autres plans, en particulier économique, à condition que nos intérêts nationaux y trouvent un avantage, général et lointain, ou immédiat.
Nous n’avons pas de raison de modifier notre attitude à l’égard de l’ONU10. Le moment ne paraît pas venu de négocier notre adhésion en essayant de faire reconnaître notre neutralité, comme cela fut possible lorsque nous avons obtenu la Déclaration de Londres le 13 février 1920, à l’occasion de notre accession à la Société des Nations11. Notre absence de l’ONU affaiblit en rien notre position internationale. Toutefois, nous ne devons pas être trop absolus. Et si l’occasion nous était offerte d’adhérer aux Nations Unies en faisant reconnaître expressément notre statut de neutralité, nous ne devrions pas sans autre la laisser passer.
Dans les appréciations portées sur la neutralité de la Suisse, il faut distinguer:
Il y a d’abord notre propre jugement, qui n’est décisif que pour nous;
il y a l’opinion des autres, qui pour nous n’est pas décisive, mais qui, en fait, est beaucoup plus importante parce que c’est, en partie au moins, de cette opinion que dépendra la valeur réelle de la garantie que représente encore la neutralité pour la Suisse.
Parmi les autres, il faut naturellement distinguer entre ceux de l’Ouest et ceux de l’Est.
Chez les gens de l’Ouest, il y a sans doute toute une gamme d’opinions. La Suisse est considérée par tous comme appartenant au monde occidental, c’està-dire en fait du côté des Etats-Unis et de ses alliés, et à cet égard étant au même titre que le reste de l’Europe occidentale menacée par l’impérialisme russe et communiste. Ceux qui savent faire la distinction entre la neutralité morale et la neutralité notion politique et juridique, admettent la réalité de notre neutralité. Les autres, ceux qui simplifient les problèmes, auront tendance à la considérer comme apparente et formelle. Elle ne les gêne pas, parce qu’elle s’appuie sur une armée dont la valeur n’est pas contestée. Elle sert même les intérêts militaires de l’Occident, ce qui explique les déclarations faites naguère par le Maréchal Montgomery12 et plus récemment par le Général Ridgway13, selon lequel la neutralité suisse n’est pas désavantageuse à l’Occident.
A ces déclarations on pourrait opposer celles du Général de chars blindés allemand Leo Freiherr Geyr von Schweppenburg, qui, dans une brochure qu’il a publiée sur «Verteidigung des Westens», s’en prend à la neutralité suisse, qu’il considère comme un anachronisme et qui constituerait pour l’Europe une illusion coûteuse. Selon lui, la neutralité de la Suisse favorise l’Est.
L’opinion des chefs militaires alliés explique que les Etats-Unis soient prêts à nous fournir du matériel de guerre, comme à des alliés éventuels14. Ce que nous gagnons du point de vue de la défense nationale en nous procurant du matériel de guerre aux Etats-Unis, nous le perdons peut-être du point de vue de la neutralité, puisque, du côté soviétique, la livraison de matériel de guerre par les Etats-Unis est interprétée – d’ailleurs à tort – comme signifiant une collaboration militaire entre les Etats-Unis et la Suisse15.
Quoi qu’il en soit, on peut admettre, qu’approuvée ou non, notre neutralité est, d’une manière générale, reconnue par les pays occidentaux et qu’elle sera respectée par eux.
Et maintenant, la neutralité suisse vue par l’Est, en particulier par l’URSS, qui seule compte pour nous. Voici, pour commencer, deux opinions, je ne dirai pas personnelles, mais exprimées personnellement par deux diplomates soviétiques, dans le courant du mois d’août dernier.
L’une à Toronto, par un délégué russe à la Conférence de la Croix-Rouge16 à notre Ministre au Canada17:
«Bei einer persönlichen Rücksprache mit dem russischen Delegierten nach der Plenarsitzung vom 5. August, an welcher ich mein Votum abgegeben habe, erklärte mir der russische Delegierte, dass Russland nie die Neutralität der Schweiz oder seiner Behörden in Frage gestellt habe. Unsere Neutralitätspolitik sei nach russischer Ansicht in jeder Beziehung anerkannt. Anders verhalte es sich in Bezug auf das Internationale Komitee vom Roten Kreuz, welches von der schweizerischen Regierung vollständig unabhängig sei. Dasselbe sei in russischen Augen eben keineswegs neutral und besitze, so wenig wie Herr PaulRuegger, das Vertrauen des kommunistischen Blocks.»
L’autre de ces opinions a été exprimée à Prague par l’Ambassadeur de l’URSS, Bogomolov, un homme fort intelligent et cultivé, à notre Chargé d’Affaires18:
«Botschafter Bogomolov zog hierauf eine interessante Parallele zwischen der Stellung des Internationalen Komitees vom Roten Kreuz und der schweizerischen Neutralität. Er meinte, eine internationale humanitäre Institution könnte heute ebensowenig von den bestehenden West-Ost-Spannungen und Differenzen verschont bleiben wie die einzelnen Staaten. Aus diesem Grunde sei seiner Ansicht nach auch die schweizerische Neutralität problematisch geworden.»
Ces déclarations, qui ne sont pas concordantes, – et d’ailleurs pas décisives, – sont intéressantes et symptomatiques et contiennent l’une et l’autre une part de vérité. Elles permettent de penser que les Russes raisonnent ainsi:
La Suisse – pas plus que tout autre pays – ne peut rester à l’écart des tensions nées du conflit Est-Ouest. On ne peut être «au milieu», «entre», on est d’un côté ou de l’autre. La Suisse appartient au monde occidental – opposé au monde communiste: elle est engagée dans le conflit. Elle est donc contre nous. Mais puisqu’elle veut être neutre, qu’elle reste à l’écart du Pacte de l’Atlantique, pourquoi la contredire officiellement? Il y a tout bénéfice pour les ennemis de l’Europe occidentale à ce que celle-ci ne dispose pas d’une armée de plus. Officiellement, on paraît admettre notre neutralité; dans la presse et par la radio, on nous accuse d’y être infidèles, pour toutes sortes de raisons.
Je ne saurais passer sous silence les attaques violentes dirigées contre le Comité international de la Croix-Rouge soit à l’ONU par le délégué soviétique M. Malik, soit à la Conférence de la Croix-Rouge à Toronto, par les délégations des pays communistes, dans le but de justifier le refus de la Chine et de la Corée du Nord d’admettre une enquête impartiale sur la guerre bactériologique. Il ne peut échapper à personne que la neutralité suisse, qui couvre l’activité du Comité international de la Croix-Rouge, est atteinte, au moins indirectement, par ces attaques injustes.
Nous n’avons aucune illusion à nous faire. L’URSS ne nous considère pas comme Etat neutre. Et, dans une guerre, elle se comportera à notre égard selon les besoins immédiats de sa stratégie et de sa politique. Elle ne respectera notre neutralité qu’aussi longtemps que celle-ci servira ses intérêts.
Permanente et absolue, il faut constater que notre neutralité à cet égard est aussi précaire.
Nous avons actuellement à traiter une affaire très délicate du point de vue de la neutralité et qui nous causera sans doute encore des soucis. Il s’agit de la commission de surveillance des nations neutres pour l’armistice en Corée19. En décembre 1951, nous étions informés que le Général Ridgway, alors Commandant en chef des forces des Nations Unies en Corée, avait reçu pour instructions de proposer aux Sino-Coréens de faire contrôler l’armistice en Corée par des puissances impartiales20. Les Etats-Unis se proposaient de confier cette mission à la Suisse, à la Suède et à la Norvège. Il était précisé qu’une demande officielle ne serait adressée aux pays en question que lorsque les négociateurs de Panmunjom auraient conclu un accord de principe. Le Gouvernement américain désirait savoir quelle réponse nous donnerions à une telle demande. Le Conseil fédéral prit alors une décision de principe affirmative, comme d’ailleurs la Suède et la Norvège21.
En définitive, il fut décidé à Panmunjom qu’une commission de surveillance serait instituée et composée de représentants de quatre pays, d’une part la Suisse et la Suède, choisies par le Commandant des forces des Nations Unies en Corée, d’autre part la Pologne et la Tchécoslovaquie, désignées par le Commandant sino-nord-coréen.
Au mois d’avril 1952, nous reçûmes une invitation du Département d’Etat22, qui nous priait d’envoyer dans la capitale américaine un représentant de la commission prévue pour la Corée afin de prendre contact avec un porte-parole du Général Ridgway et de mettre au point les questions techniques. Le Département politique répondit qu’il considérait cette proposition comme prématurée, tant que la Suisse n’avait pas été saisie d’une invitation officiellement formulée et officiellement acceptée. Il déclarait néanmoins qu’il ne voyait pas d’objections à ce que l’attaché militaire suisse à Washington23 participât à ces conversations24. La réunion proposée par le Département d’Etat eut lieu à Washington en mai25. Elle n’eut qu’un caractère d’information et n’engagea aucun des pays qui avaient été l’objet d’un sondage.
L’examen de la convention d’armistice du 28 avril 1952 et en particulier les clauses fixant le statut et les conditions dans lesquelles la commission neutre doit exercer son activité ont donné lieu à un échange de vues entre nous et le Ministre des Affaires étrangères de Suède26. En réalité, la commission neutre ne constitue pas un tout homogène, mais elle comporte deux groupes de représentants, des représentants de la Suisse et de la Suède, qui sont en quelque sorte les neutres des Nations Unies, et des représentants de la Pologne et de la Tchécoslovaquie, qui sont les neutres des Chinois et des Coréens du Nord. En outre, les conditions dans lesquelles la commission pourra travailler sont extrêmement précaires. L’activité de la commission neutre risque d’être inefficace. La commission a été instituée plutôt à titre de symbole de la bonne volonté des parties à observer l’armistice.
Il est tout à fait clair que la position et l’attitude des représentants suisses et suédois seront très différentes de celles des représentants polonais et tchèques. Alors que les premiers seront impartiaux, les derniers se conformeront aux instructions qui leur seront données par leurs mandants. Dans les cas où il y aurait inobservation des conditions d’armistice par les Américains, les membres de la commission seront sans doute unanimes à la constater. Si des manquements ont été commis par les Sino-Coréens, seuls les Suisses et les Suédois les constateront. Nos représentants risquent donc de se trouver dans une situation difficile, puisque tous les membres de la commission ne rempliront pas les conditions d’impartialité nécessaires. En outre, nous serons en présence d’une conception nouvelle de la neutralité, à laquelle nous ne pouvons guère souscrire, si l’on nous considère comme les neutres d’un des deux belligérants. Il est vrai que notre désignation a été agréée également par l’autre belligérant. Il est vraisemblable que nous ferons une démarche commune avec la Suède pour chercher à obtenir certaines précisions et pour formuler différentes conditions. Pour le moment, nous ne sommes d’ailleurs pas engagés, puisque nous n’avons pas été l’objet d’une démarche officielle. Il serait cependant difficile pour la Suisse de se dérober, malgré les inconvénients qu’entraînerait l’exécution de cette mission, dont le but est de contribuer à l’établissement de la paix en Extrême-Orient.
Une autre affaire – à mon avis la plus désagréable – est la nécessité dans laquelle nous nous trouvons d’acheter du matériel de guerre aux Etats-Unis, en particulier des chars d’assaut27. En soi, du point de vue du droit de neutralité, rien ne s’y oppose: nous sommes obligés de nous adresser à l’étranger pour nous procurer les armes que nous ne fabriquons pas nous-mêmes. Les engagements que nous avons dû prendre de ne pas réexporter ce matériel de guerre, de respecter les secrets de fabrication, sont normaux. Mais tout cela est accompagné d’une large publicité: des officiers supérieurs américains et des fonctionnaires du Ministère de la défense viennent en Suisse, assistent à des exercices; une mission militaire suisse doit être envoyée aux Etats-Unis. Il semble – à tort d’ailleurs – qu’une véritable collaboration militaire s’est établie entre les deux pays, et cela d’autant que des personnalités et la presse américaines laissent clairement entendre que les Etats-Unis ont un intérêt à une défense nationale forte de la Suisse. Même des journaux bourgeois suisses d’ailleurs opposés en principe et pour des raisons militaires à l’achat de chars d’assaut (NationalZeitung, Basler Nachrichten) écrivent que cet achat aux Etats-Unis est contraire à la neutralité. Cet ensemble de circonstances, largement exploité par la presse communiste suisse et étrangère, est de nature à éveiller des doutes sur la réalité et la sincérité de notre politique de neutralité.
On est, hélas, obligé de constater que la pratique de la neutralité devient de plus en plus difficile et se heurte à des obstacles que nous aurons de plus en plus de peine à surmonter.
Si j’ai repris une fois de plus devant vous le thème de la neutralité, si j’ai essayé d’analyser les avantages et les faiblesses de la politique de neutralité dans les temps actuels, ce n’est pas pour jeter dans votre esprit le doute sur la légitimité et la nécessité de cette politique. Je suis personnellement convaincu qu’il n’y en a pas d’autre possible pour la Suisse, mais que nous devons renoncer à certaines illusions et à certaines raisons que nous donnions et que nous nous donnions à nous-mêmes pour justifier la neutralité.
Ainsi, après les expériences faites pendant la dernière guerre, – et plus récemment dans la guerre de Corée, par le Comité international de la CroixRouge, – il est certain que l’activité humanitaire que permet la neutralité en cas de guerre ne présente pas d’intérêt pour les régimes communistes, qu’il s’agisse de l’aide aux prisonniers de guerre ou de la représentation d’intérêts étrangers. Est-ce qu’un jour même un pays comme l’URSS verra un avantage à ce qu’il y ait un pays neutre dont on pourrait solliciter les services dans un conflit? Cela paraît peu probable aujourd’hui, mais n’est pas exclu.
Affirmer dans l’état actuel de l’Europe, comme en 1815 et en 1920, que la neutralité suisse est dans l’intérêt de l’Europe ou dans l’intérêt de la paix me semblerait quelque peu présomptueux. Une telle affirmation supposait l’équilibre européen et le risque de conflits qui auraient opposé nos voisins. De même la Suisse gardienne des cols n’aurait plus la même valeur stratégique que dans une guerre purement européenne.
Le fondement juridique conventionnel de la neutralité: reconnaissance et garantie données par les Puissances signataires du Traité de Paris en 1815 et celles liées par la Déclaration de Londres de 1920 peut toujours être invoqué par nous. Mais il est fragile, et cela d’autant plus que ni l’URSS, qui a répudié les engagements assumés par l’ancien régime, ni les Etats-Unis ne sont liés par ces accords.
Ainsi, en définitive, notre neutralité doit s’appuyer essentiellement sur notre volonté séculaire, sur notre histoire et sur le désir que nous avons de sauvegarder notre indépendance.
En cas de guerre générale en Europe, il n’est pas possible de dire ce qu’il adviendra de notre neutralité, si elle sera respectée ou non.
Mais elle nous a rarement été aussi utile qu’aujourd’hui, dans une période de paix, ou plus exactement dans une période qui n’est pas une période de guerre. Elle nous permet de pratiquer une politique indépendante, de prévenir des pressions ou de résister à des pressions dont nous serions sans doute l’objet si nous n’avions la neutralité pour justifier notre attitude et, dans certains cas, notre abstention. A ce point de vue, elle garde toute sa valeur. Mais, et je reprends ici la formule tirée du message du Conseil fédéral de 1919 sur l’accession de la Suisse à la Société des Nations28, elle ne doit nous condamner ni à une politique d’indifférence ni à une attitude timorée. Elle ne nous autorise pas à fermer les yeux sur les dangers qui pèsent sur l’Europe et sur l’intérêt que nous avons à ce que les pays de l’Europe occidentale surmontent leurs difficultés et leurs faiblesses actuelles, à ce que l’Europe encore libre soit en mesure de résister à la menace russe et communiste. Et nous devons contribuer, dans la mesure où notre neutralité le permet, aux efforts qui s’accomplissent pour opérer ce redressement, – en particulier sur le plan économique et social, – un redressement dont il n’y a pas de doute que dépend notre propre avenir. Je vais jusqu’à dire que, quand nos intérêts nationaux immédiats paraissent en opposition avec ceux de l’Europe, nous devons chercher le compromis qui tienne compte des uns et des autres. Ainsi, dans le cas du plan Schuman, je pense qu’il présente pour nous des inconvénients, mais que nous devons néanmoins souhaiter son succès plutôt que son échec, parce que son succès peut être d’un grand prix pour l’Europe.
- 1
- Il s’agit d’une version abrégée pour le texte intégral cf. E 2800(-)1967/61/65.↩
- 2
- (Copie): E 2800(-)1990/106/8.↩
- 3
- L’exposé de M. Petitpierre est suivi de deux exposés sur le problème de l’Allemagne d’A. Huber et d’A. Zehnder ainsi que d’exposés de J. Hotz sur la politique économique et de Ch. Daniel sur la situation militaire.↩
- 4
- Cf. la correspondance entre M. Petitpierre et M. Beck, E 2800(-)1967/59/39.↩
- 5
- Cf. DDS, vol. 18 et présent volume, table méthodique: La Suisse et l’Organisation européenne de coopération économique.↩
- 6
- Cf. DDS, vol. 18 et présent volume, table méthodique: La Suisse et l’Unioneuropéenne des paiements.↩
- 8
- Le Traité de l’Atlantique Nord a été signé le 4 avril 1949 à Washington, cf. DDS, vol. 18 et présent volume, table méthodique: La Suisse et l’OTAN.↩
- 9
- Cf. DDS, vol. 19, doc. 69.↩
- 11
- Cf. DDS, vol. 7,2, doc. 247, dodis.ch/44458.↩
- 12
- Cf. DDS, vol. 18, doc. 30, dodis.ch/7236 et 35 (dodis.ch/7235).↩
- 13
- La presse suisse, notamment le Journal de Genève du 12 août 1952, rapporte la conférence de presse du général Ridgway: On a lui a demandé tout d’abord si la neutralité suisse était un désavantage dans l’organisation de la défense de l’Occident. Le général a répondu par un «non». La seconde question consistait à savoir si l’armée suisse, lors d’une attaque éventuelle contre l’Europe occidentale, serait un avantage ou un obstacle à cette défense. Le général a répondu ce qui suit: «tout peuple qui, comme le peuple suisse, a prouvé sa volonté de défendre ses libertés, constitue un avantage pour la défense de l’Europe.» E 2800(-)1967/59/5.↩
- 14
- Dès le 9 janvier 1952, la Suisse est considérée comme pays ayant droit aux exportations de matériel de guerre américain selon le Mutual Defense Assistance Act, cf. la note de la Légation des Etats-Unis à Berne au Département politique du 5 février 1952, E 2001(E)1969/ 121/2 (dodis.ch/10699).↩
- 15
- Cf. DDS, vol. 19, doc. 24.↩
- 16
- Cf. DDS, vol. 19, doc. 16.↩
- 18
- E. A. Thalmann.↩
- 19
- Cf. table méthodique du présent volume: Bons offices.↩
- 20
- Cf. le télégramme No 251 de la Légation de Suisse à Washington au Département politique du 13 décembre 1951, E 2001(E)1988/16/662/5 (dodis.ch/7581).↩
- 21
- Cf. DDS, vol. 18, doc. 127, dodis.ch/7580(dodis.ch/75807).↩
- 22
- C’est le 28 avril que la Suisse reçut l’invitation. Cf. la lettre de K. Bruggmann à A. Zehnder du 29 avril 1952. Cf. aussi la lettre d’A. Zehnder à Ph. Etter du 30 avril 1952, E 2001 (E)1988/16/662/5 (dodis.ch/7623).↩
- 23
- L. de Bremond.↩
- 24
- Cf. le télégramme No 58 du Département politique à la Légation de Suisse à Washington, E 2001(E)1988/16/662/5.↩
- 25
- Du 16 au 29 mai 1952. Cf. le Rapport sur la réunion au sujet de la Commission de surveillance des Nations Neutres pour l’Armistice en Corée (NeutralNations Supervisory Commission (NNSC) de L. de Bremond du 5 juin 1952, E 2001(E)1988/16/662/5 (dodis.ch/7624).↩
- 27
- Cf. DDS, vol. 19, doc. 24.↩
- 28
- Cf. DDS, vol. 7,1, doc. 25, dodis.ch/43770, note 9.↩
Relations to other documents
http://dodis.ch/9592 | see also | http://dodis.ch/9591 |
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