Unterhaltung mit Hammarskjöld, Erlander sowie Undén in Stockholm. Gegenseitige Informierung über: Ost-West-Handel, knappe Rohstoffe, OEEC, Deutsche Frage, Washingtoner-Abkommen, EZU, Korea.
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 18, doc. 86
volume linkZürich/Locarno/Genève 2001
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2802#1967/78#262* | |
Old classification | CH-BAR E 2802(-)1967/78 11 | |
Dossier title | Schweden (1946–1956) | |
File reference archive | E. |
Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2800#1967/60#86* | |
Old classification | CH-BAR E 2800(-)1967/60 20 | |
Dossier title | La Suède (1948–1951) | |
File reference archive | 24 |
Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E5001F#1000/1856#46* | |
Old classification | CH-BAR E 5001(F)1000/1856 4 | |
Dossier title | Bericht Minister Zehnder über Schweden (1951–1951) | |
File reference archive | 094.02 • Additional component: Schweden |
dodis.ch/8158 Le Chef de la Division des Affaires politiques du Département politique, A. Zehnder1 RAPPORT SUR MA VISITE À STOCKHOLM DES 5, 6 ET 7 MARS 1951
I. Protocole
Au début de février 1951, M. Dag Hammarskjöld, alors secrétaire général du Ministère des Affaires étrangères de Suède, a fait procéder à des sondages auprès de moi, par le Ministre de Suède à Berne2, afin de savoir si je ne pourrais pas lui rendre visite à Stockholm pour discuter de certaines questions intéressant les deux pays et ayant trait à la politique économique internationale. D’emblée il a été clair que la réponse ne pouvait être négative, M. Hammarskjöld nous ayant toujours renseignés sur les intentions suédoises, depuis qu’il avait pris en main la direction des affaires dont il s’agit. Il s’était notamment rendu à mon invitation les 30 septembre et 1er octobre 1950 à Zurich pour discuter les problèmes du commerce ouest-est et de l’avenir de l’OECE3. D’entente avec le Chef du Département politique, j’ai donc donné une réponse affirmative.
Quelques jours après ces sondages, M. Hammarskjöld a été nommé membre du Cabinet suédois et chargé, en tant que Ministre sans portefeuille, de la coordination politique des questions économiques internationales. En confirmation de ses sondages il m’adressa, en date du 14 février, l’invitation4, au nom du Gouvernement suédois, de venir pour quelques jours à Stockholm en me priant de fixer une date. Je répondis le 17 février5 et proposai les 5 et 6 mars, désireux que j’étais de connaître au préalable les résultats de la conférence du 28 février à Berne sur les mêmes questions avec les Ministres de Suisse aux Etats-Unis d’Amérique, en Grande-Bretagne et en France6.
J’arrivai à Stockholm le 4 mars à 21h30. M. Hammarskjöld avec un de ses collaborateurs m’attendait à l’aéroport. M. Vallotton, Ministre de Suisse, était également présent. Grâce à l’invitation de M. Vallotton à loger à la Légation, j’ai pu, sans brusquer les Suédois, refuser leur aimable offre de loger à leurs frais au Grand-Hôtel.
La première conférence en tête-à-tête avec M. Hammarskjöld a été fixée le 5 mars à 11h au Ministère des Affaires étrangères, et suivie d’un déjeuner entre quatre yeux dans un restaurant de la vieille ville. Une nouvelle réunion a eu lieu à 16h en présence du Ministre de Suisse et des collaborateurs de M. Hammarskjöld. Le soir, un dîner de 18 couverts a été offert par M. Hammarskjöld auquel assistaient entre autres M. Undén, Ministre des Affaires étrangères, M. Vallotton, M. Lundberg, Secrétaire général du Ministère des Affaires étrangères, M. Bohemans, Ambassadeur de Suède aux Etats-Unis, M. Böök, Président de la Banque nationale de Suède, etc.
Le lendemain, j’ai été reçu à 12h30 par le Président du Conseil, M. Erlander. A 13h, M. Vallotton rendait l’invitation de la veille par un déjeuner de 22 personnes auquel il avait aimablement convié, en dehors de M. Hammarskjöld, ses collaborateurs et les fonctionnaires diplomatiques de la Légation, quelques personnalités intéressantes de la vie spirituelle de la capitale, quelques membres de la colonie suisse, le chef du protocole7 et quelques amis du corps diplomatique.
Après le déjeuner, une dernière conférence eut lieu au Ministère des Affaires étrangères, et mes obligations officielles prirent ainsi fin dans la capitale suédoise.
Le 8 mars, de grand matin, je quittai Stockholm et retrouvai en avion M. Hammarskjöld en route pour Paris à la conférence du Conseil de l’OECE à l’échelon ministériel.
II. Conférences en relation directe avec ma visite à Stockholm
A. Généralités
Jetant un coup d’œil rétrospectif, je suis impressionné par la tendance empirique des Suédois de résoudre les problèmes de l’heure et rien que ceux-ci. Ni M. Hammarskjöld ni ses collaborateurs n’ont jamais exposé un problème dans son ensemble avec ses aspects particuliers ou connexes. Ils n’ont jamais esquissé une ligne de conduite générale, mais se sont toujours arrêtés à celui parmi les aspects particuliers qui demandait une solution immédiate. Il y a là une manière, toute différente de la nôtre, d’aborder un problème. En improvisant, ils sont plus rapides que nous, mais la ligne de leur politique est plus sinueuse que la nôtre8. Il y a inévitablement des contradictions, ce qui explique, en partie tout au moins, le mécontentement de la presse qui, n’étant pas renseignée sur l’ensemble d’un problème, ne sait pas à quoi s’en tenir dans le détail.
L’ambiance des conversations officielles a été des plus chaleureuses. On exposait franchement les difficultés et demandait conseil là où l’on ne savait que faire. De mon côté, je répondais par la franchise.
Il n’y a pas eu de négociations, et nous n’avons pas établi de ligne de conduite commune. J’ai limité mon mandat aux conversations.
Ce fut le thème principal de nos conversations9.
Quelle que soit la volonté de collaboration de la Suède avec les pays occidentaux, la réalité ne lui permet pas de céder à la pression américaine. L’industrie lourde – essentielle pour la Suède –, dépend des fournitures polonaises du charbon silésien. La Suède fournit dans les pays de l’est des roulements à billes, des produits semi-fabriqués de l’industrie de l’acier et des alliages de métaux, du papier et de la cellulose, des installations mécaniques pour la production desdits produits et enfin des installations complètes et en partie de l’industrie électrique à faible tension. Ses fournitures sont donc composées de produits de haute valeur stratégique. Même si elle ne consentait qu’à réduire l’exportation de l’un ou de l’autre des produits en question, elle risquerait de provoquer la réduction ou l’arrêt des importations de charbon polonais. Or, les réserves actuelles de la Suède en charbon polonais ne couvrent que les besoins de 15 jours! Dans ces conditions, il paraît impossible qu’elle puisse céder à la pression américaine. M. Hammarskjöld est embarrassé et essaiera de gagner du temps en négociant avec les Américains. C’est la raison de la présence à Stockholm de l’Ambassadeur de Suède aux Etats-Unis d’Amérique. Voici les instructions que ce dernier a reçues:
1) Commenter les chiffres de la balance commerciale suédoise avec les pays de l’est en
a) démontrant le peu d’importance que ce commerce représente relativement aux besoins des pays satellites et de l’Union soviétique,
b) insistant sur l’importance des matières premières soustraites à la production de guerre russe moyennant leur importation en Suède,
c) et prouvant ainsi que la balance stratégique est favorable à l’Ouest.
Il est possible qu’il soit plus facile à la Suède qu’à la Suisse de fournir cette preuve puisque la première reçoit, outre le charbon polonais, des quantités intéressantes de minerais russes.
2) Essayer d’obtenir des Américains que certaines catégories de roulements à billes soient rayées de la liste «embargo» et insérées dans la liste «courant normal».
3) Si les Américains voulaient accepter la notion de la balance stratégique et apporter les allégements demandés à l’exportation des roulements à billes, les Suédois seraient, de leur côté, prêts à garantir que leurs exportations ne dépasseraient pas le courant normal ou, plus exactement, qu’elles se tiendraient dans les limites du commerce normal.
4) Les négociations en vue d’un arrangement final sur les bases esquissées devraient avoir lieu à Stockholm.
Les Suédois paraissent être plus avancés que nous dans leurs concessions tout en refusant, comme nous, d’appliquer les listes américaines. En effet, ils n’ont jamais supprimé le contrôle des exportations et peuvent donc fournir aux Américains le commentaire détaillé du commerce avec les pays de l’Est en ce qui concerne l’aspect particulier de l’application des listes. Ils savent donc qu’il leur suffit de régler la question de quelques articles d’exportation (roulements à billes, produits semi-fabriqués en acier et en alliages) de manière à pouvoir continuer les livraisons pour ménager la chèvre et le chou.
J’ai attiré l’attention de M. Hammarskjöld sur le danger de négocier, l’expérience du blocus prouvant qu’il est impossible de satisfaire le partenaire sans accepter la presque totalité des ses exigences. Les négociations à Stockholm risqueraient donc, à mon avis, d’aboutir à l’application des listes américaines par la Suède.
Les Suédois n’ont pas encore réfléchi à l’éventualité des listes noires. Comme nous, ils ont relevé une pression exercée par les Américains directement auprès des maisons suédoises d’exportation. Ils ont avoué que certaines maisons commencent à ne plus accepter de commandes des pays de l’Est. Un peu frivolement, ils pensent que l’attitude des maisons privées pourrait sortir le Gouvernement de l’embarras. La formule: «l’industrie ne livrerait plus, mais le Gouvernement n’empêcherait pas les livraisons» leur paraît viable au cas où les négociations avec les Américains n’aboutiraient pas.
Contrairement à ce que nous avons vu en Suisse, ni le transit ni le financement du transit par la Suède ne jouent un rôle important dans le commerce Ouest-Est. La Suède ne se trouve, par conséquent, pas dans l’obligation d’imiter la mesure du certificat à l’importation, mesure arrêtée par le Conseil fédéral le 30 janvier.
Toutes les exportations étant soumises depuis longtemps au contrôle, une mesure spéciale analogue à celle que le Conseil fédéral a arrêtée le 11 décembre 1950 pour empêcher la réexportation en l’état de matières premières rares, était superflue10. Les mesures en vue du contrôle de l’exportation du matériel de guerre proprement dit sont à quelques exceptions près identiques à l’arrêté du Conseil fédéral du 28 mars 194911. Le maniement pratique des autorisations à l’exportation est analogue au nôtre avec la différence que l’accent ne repose pas sur la notion du pays importateur foyer de guerre potentiel, mais sur celle du courant normal.
Aucune instruction ne sera donnée aux Ministres de Suède à Londres et à Paris, le Gouvernement suédois ayant constaté que la Grande-Bretagne et la France ne s’étaient ralliées à la démarche américaine que pour prouver la solidarité des puissances atlantiques.
Une nouvelle démarche conjointe a été annoncée à M. Hammarskjöld à mon départ de Stockholm, mais il ne la recevra qu’à son retour de Paris.
C. Matières premières rares
Les Suédois n’ont eu aucun scrupule d’accepter dans les 48 heures l’invitation du Gouvernement américain à participer aux travaux du Comité du molybdène et du tungstène. Ils considèrent, jusqu’à preuve du contraire, la nouvelle organisation pour la répartition de matières premières rares comme une organisation économique dont la création est due à des considérations essentiellement économiques. Par ailleurs, le fait que les comités ne pourront émettre que des recommandations permettra au Gouvernement suédois d’examiner, dans chaque cas particulier, le côté politique d’une recommandation et de répondre, le cas échéant, à celle-ci par une fin de non-recevoir.
Vu l’urgence et afin d’assister, dès le début des travaux, à toutes les réunions du Comité, les Suédois ont désigné un membre de leur Ambassade à Washington comme représentant de la Suède. Ils envisagent, cependant, de confier, par la suite, la représentation des intérêts suédois dans ce Comité, et si possible aussi dans les autres comités, à un personnage de marque de l’industrie lourde suédoise. La décision de principe et le choix du représentant dépendront de la tournure que prendront les travaux au sein des Comités.
Quant au Groupe central qui, à l’avis des Suédois, n’est qu’une espèce de for à l’intérieur duquel les trois Grands essaieront de concilier leurs intérêts et qui, par rapport aux comités spécialisés, ne jouera que le rôle d’un secrétariat de coordination, la Suède aimerait bien que l’OECE y fût représentée pour défendre les intérêts communs de l’Europe et notamment pour «dépolitiser» le Groupe, si une telle tendance devait s’y manifester. Ils ont donc été favorables au voyage de M. Stikker et de M. Marjolin à Washington et à l’insertion de la clause concernant l’OECE dans la réponse à l’invitation adressée aux puissances de prêter leur collaboration aux Comités spécialisés.
Comme chez nous, ce n’est pas le molybdène et le tungstène qui intéressent la Suède, mais tous les métaux non ferreux et ce n’est qu’avec l’espoir de pouvoir travailler dans les coulisses du Comité des métaux non ferreux que la Suède s’est contentée de n’être représentée qu’au Comité du molybdène et du tungstène.
D. Organisation Européenne de Coopération Economique
Au début de cette année, la Suède a présenté à l’Organisation Européenne de Coopération Economique (OECE) un mémorandum tendant à fusionner l’OECE et le Conseil de l’Europe12. Cette initiative téméraire à laquelle M. Hammarskjöld attache une très grande importance, risque de créer pour la Suisse une situation extrêmement pénible au sein de l’OECE. Avant mon départ, je caressais l’idée de demander à M. Hammarskjöld de retirer son projet, mais j’ai dû très vite me rendre à l’évidence que je subirais un échec. En effet, le premier thème que M. Hammarskjöld aborda fut celui de la fusion des deux organisations européennes. A l’appui du projet suédois, il invoqua l’argumentation suivante:
1) Les Britanniques sont en train de se retirer des affaires de l’Europe. Ils sont notamment opposés à tout élargissement des compétences de l’Assemblée consultative à Strasbourg. L’OECE les gêne moins, mais là encore ils ne sont pas disposés à laisser contrecarrer leur politique commerciale par des initiatives tendant trop à souligner le caractère supranational de l’OECE.
2) Il est dans l’intérêt évident de l’Europe que les Britanniques ne se désintéressent pas d’elle. Il faut donc tout faire pour ne pas décourager les Britanniques. A cette fin, il paraît indiqué de parer au pire en choisissant le moindre mal, c’est-à-dire de renoncer au Conseil de l’Europe en donnant plus de poids à l’OECE, seule organisation européenne qui a fait ses preuves.
3) Les hommes d’Etat qui représentent leur Gouvernement au sein du Conseil de l’Europe et du Conseil de l’OECE sont identiques. Ils traitent dans les deux organismes souvent les mêmes questions. C’est une perte de temps que l’on ne saurait justifier à l’époque actuelle. On rendrait service à tous les Etats en réduisant au minimum le nombre des conférences internationales faisant double emploi.
4) Ce qui vaut pour les hommes d’Etat s’applique également aux fonctionnaires. Quels abus de temps et de forces que de refaire au Conseil de l’Europe tout le travail fait déjà pour l’OECE! Une répartition à l’avance s’est avérée impossible, les deux organisations veillant jalousement à leur indépendance complète quant au choix des problèmes à traiter.
Les arguments que j’ai retenus plus haut sont pour ainsi dire les arguments officiels. Or il y a, à la base de la proposition suédoise, une pensée intime. La voici:
A l’avis suédois, la politique britannique connaît une hiérarchie des valeurs. Au sommet de celle-ci, les Suédois voient: l’alliance avec les Etats-Unis et les intérêts du Commonwealth britannique. Ils rangent dans la deuxième catégorie les événements mondiaux pouvant influer directement sur les intérêts britanniques indiqués ci-dessus, à savoir: ONU, conférences internationales à caractère politique, guerres locales, questions économiques mondiales etc. Les questions de l’Europe ne se trouvent, toujours à l’avis des Suédois, que dans le troisième compartiment, et enfin les relations bilatérales entre la Grande-Bretagne et chacun des pays européens s’insèrent encore plus bas.
Il serait donc peu conforme à l’intérêt de l’Europe de remplacer la collaboration britannique multilatérale par une collaboration bilatérale. L’importance de l’Europe baisserait ainsi d’un étage tandis qu’elle augmenterait d’intérêt si l’on réussissait à donner à la collaboration multilatérale politique en Europe un accent de collaboration économique mondiale dans le cadre régional de l’Europe.
Les informations que les Suédois possèdent confirment les nôtres, à savoir que les Britanniques considèrent le Conseil de l’Europe et l’OECE un peu comme des «cadavres»; d’où l’initiative suédoise tendant à faire revivre l’intérêt britannique pour les affaires européennes.
A bord de l’avion par lequel je rentrais à Berne, M. Hammarskjöld me dit qu’en présence de l’attitude négative de la Suisse à l’égard de son mémorandum, il proposerait à Paris l’institution d’un comité d’études. La portée exacte du mandat pourrait être discutée encore, mais il espérait que la Suisse n’hésiterait pas à faire partie de ce comité. J’ai réservé l’étude préalable du mandat.
En général, la Suède est favorable à une certaine activité spectaculaire de l’OECE.M. Hammarskjöld se rend compte que l’on est en train d’y aborder l’étude de problèmes qui, à l’heure actuelle, ne sauraient être résolus par l’OECE. Il est notamment d’avis que l’on n’arrivera pas à harmoniser la politique des prix ou la politique à l’exportation de produits recherchés d’origine européenne ou la politique commerciale en général. Il est d’avis également qu’il est temps de consolider la libération de 60% et d’ajourner toute nouvelle initiative allant au-delà de ce pourcentage. Il a été très heureux de voir l’opposition suisse au sujet de la non-discrimination dans le secteur des produits non libérés, mais contrairement à notre avis, il considère que le système de contingents globaux serait une solution judicieuse. Avec nous il trouve inadmissible la résolution prise par le Comité de direction de l’EPU invitant l’Allemagne à déclarer hors vigueur les accords commerciaux bilatéraux. La Suède, comme nous d’ailleurs, s’opposera à la tendance de ce comité de direction de s’ériger en instance supranationale donnant des ordres à des gouvernements.
III. Autres questions traitées
A. Allemagne
M. Undén m’a parlé de la question allemande. Il est de l’avis que le réarmement de l’Allemagne serait, à l’heure actuelle, une faute politique du point de vue européen. Si les Occidentaux veulent négocier la renonciation au réarmement de l’Allemagne occidentale, tant mieux pour eux, mais il y aurait, à son avis, deux catégories de risques: l’échec des négociations à quatre – ce qui obligerait alors les Alliés de procéder, même contre leur gré, au réarmement de l’Allemagne pour être logiques et ne pas perdre la face et, secundo, les conditions auxquelles la République fédérale subordonnerait son consentement au réarmement.
Mais le problème particulier auquel il était désireux d’apporter une solution immédiate était celui de l’établissement des relations diplomatiques avec le Gouvernement allemand de Bonn. Il a chargé M. Hammarskjöld d’approfondir avec moi ce problème lors d’une des conférences au Ministère des Affaires étrangères en présence des juristes du Ministère. Cette conférence a eu lieu à la fin de la dernière journée.
Les Suédois rencontrent les mêmes difficultés que nous, difficultés dues à leur politique de neutralité13. En effet, pour eux la division de l’Allemagne n’est qu’une expression du conflit Ouest-Est. La reconnaissance de l’un ou de l’autre des deux gouvernements ne peut être considérée comme un acte en dehors de ce conflit. C’est une prise de position. La volonté politique en Suède tend à ne reconnaître que le Gouvernement de Bonn dans les limites du pouvoir effectif qu’il exerce sur une partie du territoire de l’ancien Reich. Or, les juristes sont embarrassés puisque l’acte constitutif de l’indépendance de la République fédérale sur le plan de la politique extérieure, tel qu’il ressort de la convention conclue entre les Alliés et Bonn, constate que le Gouvernement de M. Adenauer «est le seul Gouvernement légal représentant le peuple allemand». La prétention de l’Allemagne occidentale d’étendre son pouvoir au-delà du territoire sur lequel il exerce son autorité y est donc expressément stipulée. Le Gouvernement de Bonn, lui-même, va encore plus loin. Il s’identifie, en effet, avec l’ancien Reich allemand.
Devant ces difficultés d’ordre juridique, les Suédois voulaient se baser sur la construction juridique suivante:
L’Allemagne occidentale est un pays occupé. La souveraineté y est exercée par la Commission interalliée. Pour des raisons pratiques, celle-ci a délégué et continue à déléguer certains pouvoirs au Gouvernement allemand. Elle vient de déléguer, entre autres, au Gouvernement de M. Adenauer le droit de légation actif et passif et la politique extérieure, en général, mais elle continuera à avoir un droit de regard, et, le cas échéant, le droit de veto. On ne peut donc pas dire qu’en établissant des relations diplomatiques, la Suède reconnaîtrait implicitement la souveraineté entière au Gouvernement de Bonn ou sa prétention d’être le seul successeur de l’ancien Reich. Le fait d’accréditer à Bonn un ambassadeur ou un ministre ne changerait donc, à l’avis suédois, rien à la situation telle qu’elle a existé jusqu’ici. Ce n’est qu’un pas dans la direction de la normalisation des relations avec l’Allemagne de l’Ouest sous le régime d’occupation interalliée.
J’ai expliqué les raisons pour lesquelles cette construction juridique n’était pas défendable et j’ai avancé notre construction de deux gouvernements «en guerre» sur le territoire de l’ancien Reich. En présence d’une telle situation de fait, assez fréquente dans la doctrine, on n’a jamais reconnu les deux gouvernements à la fois. Pour choisir, il est admis de se baser sur l’intérêt du pays qui reconnaît. Le Conseil fédéral n’a jamais reconnu et n’a pas l’intention de reconnaître la division de l’Allemagne. S’il l’avait fait, il rendrait un mauvais service aux Allemands eux-mêmes qui tiennent, et les deux gouvernements ne cessent de l’affirmer, à l’unité de l’Allemagne. Pour parer au reproche de s’ingérer dans les affaires intérieures de l’Allemagne, le Conseil fédéral n’exclut pas la possibilité d’entretenir avec le gouvernement sur le territoire duquel les intérêts suisses sont moindres, des relations de fait. La solution est analogue à celle que nous avons adoptée à l’époque lors de la guerre civile d’Espagne.
Quelle que soit la construction juridique que les Suédois adopteront finalement, ils sont résolus, d’ores et déjà, de recevoir à Stockholm un agent diplomatique allemand et d’envoyer à Bonn un agent diplomatique suédois. Quant à son rang, les Suédois attendaient la conférence des pays nordiques, à la fin de la semaine passée, pour le fixer. Vu l’importance de l’Allemagne occidentale pour la Suède, ils proposeront un ambassadeur, mais se tiendront à la décision prise par la conférence nordique.
B. Accords de Washington
M. Undén s’est intéressé aux négociations à Berne qui ont débuté lors de mon séjour à Stockholm14. Nous avons constaté qu’il n’y a pas de comparaison possible entre la situation de la Suisse et celle de la Suède. Les Suédois ayant renoncé au principe sacré pour nous «pas d’expropriation sans indemnisation effective», les problèmes difficiles à résoudre pour nous ne se posent pas pour eux. C’est ainsi que les Suédois sont d’avis que la promesse des Alliés de faire accepter par l’Allemagne, dans le traité de paix à conclure, l’expropriation des avoirs allemands en Suède a été suffisante pour procéder à l’exécution. L’indemnisation des Allemands en Allemagne serait par conséquent une affaire à régler entre le Gouvernement allemand et les intéressés avec l’aide des Alliés ou même sans celle-ci.
C. Union Européenne de Paiements
M. Hammarskjöld désirait savoir comment nous avions résolu le problème de deux pays non liés par aucun accord de paiements, mais faisant partie tous deux de l’Union européenne de paiements. Il a fait allusion à la Belgique. Je lui ai expliqué que nous nous basions sur les chiffres belges indiquant les soldes de la balance des paiements à la fin d’un mois. Et le contrôle par nous? J’ai dû avouer qu’il n’existait pas. Alors M. Hammarskjöld m’a dit qu’il croyait savoir que les chiffres belges étaient exagérés et qu’il fallait prendre garde, car les Belges profiteraient de ce manque de contrôle.
D. Politique de stockage
Le Président du Conseil, M. Erlander, en présence d’une pression assez forte de milieux économiques et militaires, pression tendant à mettre à contribution des fonds d’Etat en vue de constituer des stocks de vivres et de matières premières en Suède pour le cas d’un conflit armé en Europe, hésite à s’avancer dans cette voie. Il m’a demandé si nous partagions sa manière de voir que cet automne déjà une chute de prix pourrait se produire aux Etats-Unis du fait que ceux-ci auront accompli ou même dépassé les plans de stockage. Je n’ai pas caché qu’il m’était presque impossible de répondre, mais que nous avions entendu les mêmes réflexions chez nous. Ma première impression est, cependant, que le stockage en Suède est insuffisant (charbon 15 jours!). M. Erlander a répondu qu’il avait d’autres difficultés que la Suisse: il ne disposait ni de devises libres ni d’or pour procéder à des achats massifs à l’étranger, et la Suède était débitrice à l’égard de beaucoup de pays. Dans ces conditions, il ne pouvait faire que le strict minimum. Le danger de guerre en Europe s’éloignant et une chute des prix aux Etats-Unis étant possible, il devait agir, vu la situation déficitaire de la balance des paiements suédoise, avec beaucoup de prudence.
E. Indochine
Avant mon départ, mes collaborateurs m’avaient prévenu que les autorités locales en Indochine demandaient le renouvellement de l’exequatur accordé à l’époque à notre consul à Saigon15 par le Gouvernement français. J’ai donc demandé à M. Undén s’il y avait des raisons pour la Suède de revenir sur l’ancienne décision de ne pas reconnaître le Vietnam, Laos et Cambodge. La Suède n’ayant ni intérêts dans ces pays ni consul, la question ne se pose même pas pour eux. M. Undén n’a pas l’intention de changer d’avis considérant que l’élément d’instabilité qu’il avait relevé dans sa réponse à l’Ambassadeur de France continuait à persister en Indochine.
IV. Tour d’horizon politique
Je retiens de la conversation avec M. Undén quelques conclusions, sans entrer dans les considérations qui sont, ce qui est compréhensible, d’ordres différents: logique, intuitif et émotionnel.
1) Il n’y a pas de danger immédiat de guerre pour l’Europe. Selon les renseignements suédois, les Russes n’ont pas l’intention de prendre les devants et de courir, en ouvrant les hostilités en Europe, un risque imprévisible.
2) Il faut compter, à l’avenir, avec une activité accrue sur le plan du Kominform. L’épuration se fait dans tous les pays européens en vue de renforcer les troupes de choc communistes. Cette cinquième colonne communiste profitera de toutes les occasions favorables pour semer la discorde et, le cas échéant, pour passer à des actions de sabotage.
3) Les Russes paraissent avoir peur du réarmement de l’Allemagne qu’ils considèrent comme seul adversaire capable de leur créer de graves difficultés en Europe. Leur désir de régler avec les Occidentaux ce problème qui les préoccupe, paraît être sincère. Méfiants à l’égard des Américains, les Russes ne paraissent pas croire que les Américains voudront renoncer à ce plan.
4) Il y a quelque chance que la conférence préliminaire réussisse à établir l’ordre du jour de la Conférence à quatre. Il faudrait, pour cela, que le problème du réarmement allemand figurât comme point premier de l’ordre du jour. Les Russes ne voudront ouvrir les discussions sur aucun autre point de l’ordre du jour sans être rassurés au préalable qu’ils auront gain de cause sur le premier.
5) La guerre de Corée se prolongera, sans doute. Le Comité de l’ONU qui s’occupe de cette question et dont un diplomate suédois est membre, attend le moment où l’équilibre des forces sera rétabli. On pense à une zone démilitarisée le long du 38 me parallèle. L’attitude de M. MacArthur qui ne s’est pas et ne veut pas se prononcer au sujet d’un dépassement nouveau du 38 me parallèle, décidera du sort de ce plan. Il y a des signes de lassitude chez les Chinois.
6) Pour la Suède, le centre de préoccupations paraît être l’Iran. Il faut compter avec la possibilité d’une révolution. Dans cette éventualité, l’Iran courrait le danger d’une ingérence des Grandes Puissances, ce qui déclencherait la guerre générale, puisque ni les Russes, ni les Américains, ni les Anglais ne pourront agir par représentation.
7) La politique de neutralité, telle que nous la concevons, n’est pas possible pour la Suède. Il y a la solidarité nordique a laquelle la Suède est très attachée. Il y a aussi la Finlande qui demande de la Suède beaucoup de considération à l’égard des Russes.
M. Undén s’est plaint de l’incompréhension de l’opinion publique suédoise pour sa politique. Celle-ci avance toujours comme exemple la Suisse, or la Suisse n’est ni membre des Nations Unies ni liée à d’autres pays par des liens analogues à ceux des pays nordiques entre eux. Enfin, la Suède n’a pas renoncé à une politique active dans l’intérêt de la paix, ce qui la met, à l’heure qu’il est, souvent dans des situations extrêmement délicates.
8) Comme indication générale, il suffit de partir de l’idée que la Suède consulte volontiers la Grande-Bretagne, tout en se réservant naturellement l’entière liberté de décision.
9) M. Undén serait heureux de voir continuer les contacts personnels avec les hommes d’Etat suisses qu’il a inaugurés par sa visite à Berne16. Il serait particulièrement heureux de pouvoir inviter Monsieur le Conseiller fédéral Petitpierre à venir à Stockholm et d’apprendre qu’il accepterait son invitation, en dépit des difficultés, qu’il connaît, pour nos conseillers fédéraux de se rendre à l’étranger.
- 1
- E 2800(-)1967/60/20. Paraphe: MX. Une copie de ce rapport fut remise à tous les Conseillers fédéraux, à J. Hotz, H. Homberger, P.- H.Thévenaz, aux Ministres de Suisse à Stockholm, Londres, Rome, Washington et Paris, respectivement H. Vallotton, H. de Torrenté, E. Celio, K. Bruggmann, P. A von Salis. Le rapport circula également chez J. Decroux, E. von Graffenried, W. Bossi et Ch. Daniel.↩
- 3
- Non retrouvé.↩
- 4
- Non reproduite.↩
- 5
- Non reproduit.↩
- 6
- Cf. DDS, vol. 18, doc. 84.↩
- 7
- Le baron Ramel.↩
- 8
- Cf. table méthodique du présent volume: Doctrine officielle de la neutralité.↩
- 10
- Cf. RO, 1950, pp. 1372–1377.↩
- 11
- Cf. RO, 1949, pp. 315–322, et DDS, vol. 17, doc. 123, dodis.ch/4180(dodis.ch/4180).↩
- 12
- Cf. table méthodique du présent volume: La Suisse et l’Organisation européenne de Coopération économique.↩
- 13
- Cf. PVCF No 566 du 16 mars 1951, E 1004.1(-)-/1/527 (dodis.ch/8077).↩
- 14
- Cf. PVCF No 258 du 2 février 1951, E 1004.1(-)-/1/526.↩
- 15
- Sur la situation des Suisses en Indochine, cf. la lettre de J. Studer à A. Zehnder du 20 août 1952, E 2001(E)1972/33/78 (dodis.ch/7043).↩
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