Classement thématique série 1848–1945:
7. ATTITUDE DE LA SUISSE À L’ÉGARD DES JUIFS
7.2. ATTITUDE DE LA SUISSE FACE AUX PERSÉCUTIONS ANTISÉMITES
7.2.2. ROUMANIE
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 14, doc. 142
volume linkBern 1997
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001D#1000/1553#6007* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(D)1000/1553 281 | |
Dossier title | Ein- u. Durchreise von Ausländern nach dem BRB vom 5.9.1939 (1941–1945) | |
File reference archive | B.44.330 |
dodis.ch/47328
Depuis quelque temps déjà, j’observe que la Police fédérale des étrangers exige des Roumains qui désirent se rendre en Suisse un certificat d’origine «aryenne». D’autre part, de nombreuses autorités suisses délivrent couramment des attestations déclarant que M. X. ou Y. est «Aryen» (quelques scribes disent même «Arien», ce qui tendrait à faire croire que l’hérésie d’Arius est très répandue dans notre pays).
Je comprends fort bien que l’administration dirigée par M. Baechtold refuse d’ouvrir nos frontières à des Israélites étrangers dont le retour dans leur pays ou le passage sur le territoire d’un autre Etat n’est pas absolument assuré. Qu’elle demande aux intéressés, ressortissants de pays où fleurit l’antisémitisme, de prouver qu’ils ne sont pas considérés comme Juifs par les autorités de l’Etat auquel ils ont le malheur d’appartenir, rien de plus naturel. Ce qui choque, en l’espèce (et plus encore dans l’usage interne), c’est l’emploi du mot «aryen».
Inutile de rappeler que, du point de vue scientifique et malgré les parentés constatées par les philologues entre le zend ou le sanscrit et plusieurs langues européennes modernes, il est impossible de prouver une communauté de race entre un quelconque de nos contemporains et ses ancêtres présumés, les Aryas de l’Oxus.
En outre, le mot «aryen», employé (sans guillemets) par une administration suisse, donne à penser que cette expression est chez nous d’un usage courant et que nous acceptons comme une vérité acquise les théories racistes dont elle est désormais inséparable. Or, je me plais à espérer que ces doctrines, condamnées par les anthropologues les plus éminents, le sont aussi par la conscience de notre peuple.
Comme vous le savez, j’ai réussi à obtenir du gouvernement roumain qu’aucune des lois d’exception promulguées contre les Juifs de Roumanie ne soit appliquée à des citoyens suisses. A cet effet, j’ai usé des arguments suivants: 1°/ article 4 de la Constitution fédérale: «Tous les Suisses sont égaux devant la loi. Il n’y a en Suisse ni sujets, ni privilèges de lieux, de naissance, de personnes ou de familles»; 2°/ les droits que la Convention roumano-suisse d’établissement du 19 juillet 19332 accorde en Roumanie à nos compatriotes valent, sans restriction ni réserve, pour tous les Suisses.
J’ai fait comprendre au cabinet de Bucarest que la notion d’«origine ethnique», telle qu’elle est admise dans le royaume danubien, n’existe pas en Suisse. J’ai demandé que nos ressortissants ne soient astreints sous aucun prétexte à s’expliquer sur leur «origine ethnique» et l’on m’a donné gain de cause. Il importait d’éviter qu’un Suisse soit considéré, d’après la langue qu’il parle, comme uni par des liens politiques à tel ou tel Etat étranger (ce qui est le cas, en Roumanie, pour les minoritaires allemands et magyars).
Dans ces conditions, je ne saurais user, dans mes rapports avec les étrangers qui sollicitent des visas de passeports, de formules équivoques. Or, l’emploi du mot «aryen» peut engendrer des malentendus en donnant à entendre que les précautions prises à l’égard des Juifs par l’administration fédérale sont la conséquence d’un préjugé hostile, alors qu’elles nous sont imposées par l’attitude de certains pays qui cherchent à se débarrasser par tous les moyens de leurs ressortissants israélites.
Je vous serais donc reconnaissant de vouloir bien examiner, de concert peutêtre avec la Chancellerie Fédérale, s’il n’y aurait pas lieu d’adresser une circulaire à toutes les autorités compétentes aux fins d’obtenir: 1°/ qu’elles s’abstiennent d’établir des «certificats d’aryanisme» («arischer Abstammung»), mais se contentent de déclarer que ni la personne qui sollicite cette attestation ni ses ascendants n’appartiennent ou n’ont appartenu à une communauté Israélite; 2°/ qu’elles n’exigent pas des étrangers qui demandent des visas de passeport de prouver qu’ils sont «aryens», mais bien qu’ils «ne sont pas considérés comme Juifs par les autorités du pays auquel ils appartiennent» (peu importe quelle forme les administrations étrangères donneront à la réponse: ce qu’il convient d’éviter, c’est que la question soit posée par les autorités suisses d’une manière contraire à nos conceptions juridiques et à nos traditions morales).
PS. - Je trouve l’expression «arische Abstammung» dans une récente circulaire du Département Fédéral de Justice et Police, ce qui me paraît être un comble («Kreisschreiben des eidgenössischen Justiz- und Polizeidepartements an die kantonalen Aufsichtsbehörden für das Zivilstandswesen, vom 20. November 1941 »)3.
- 1
- Lettre: E 2001 (D) 3/281. Annotation marginale de P. Bonna: M. Feldscher. M. de Week n’a pas tout à fait tort et je serais aussi d’avis de chercher une autre formule. Qu’en pense M. Rothmund? 30.12.↩
- 2
- Cf. RO, 1934, vol. 50, pp. 638-642.↩
- 3
- Le 12 janvier 1942, P. Bonna répond au Ministre R. de Weck que nous vous remercions vivement des observations, très justes à notre avis, que vous présentez au sujet de l’emploi des termes «aryen» et «aryanisme» dans certaines circulaires et lettres de l’administration fédérale. Nous chercherons à faire triompher votre manière de voir, mais ces mots impropres sont malheureusement devenus d’usage courant dans presque tous les pays du continent. Il ne sera pas facile d’enrayer la contagion. Le 26 janvier, en répondant à son tour à P. Bonna, le Ministre R. de Week écrit: J’ai eu l’honneur de recevoir votre lettre du 12 de ce mois et je suis particulièrement heureux de savoir que vous approuvez mes remarques au sujet de l’emploi des termes «aryen» et «aryanisme». Pour enrayer la contagion dont vous parlez, le moyen le plus sûr est, à mon avis, l’envoi, par la Chancellerie Fédérale, à tous les services administratifs relevant de la Confédération, ainsi qu’aux Gouvernements des cantons, d’une circulaire qui les inviterait à prohiber l’emploi de ces expressions. Il serait utile de préciser que, si certaines Autorités administratives peuvent être appelées à certifier que tel ou tel citoyen suisse n’appartient pas à une communauté juive, elles ne doivent le faire que dans les cas où une attestation de cette nature est absolument indispensable pour défendre les intérêts d’un citoyen ou d’une famille suisses mis en péril par l’application de lois étrangères inspirées d’une doctrine raciste.↩
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