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Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 25, doc. 11
volume linkZürich/Locarno/Genève 2014
Dettagli… |▼▶Collocazione
Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
▼ ▶ Segnatura | CH-BAR#E2001E#1980/83#234* | |
Vecchia segnatura | CH-BAR E 2001(E)1980/83 63 | |
Titolo dossier | Absturz eines Coronado-Flugzeuges der Swissair bei Würenlingen am 21.2.1970 (1970–1970) | |
Riferimento archivio | B.11.40.2 |
dodis.ch/35442
Dès mon retour à Alger, je tiens à vous remercier vivement de l’entretien que vous avez bien voulu m’accorder le 6 mars, en dépit de votre horaire très chargé. Aussi fructueuse qu’ait été pour moi notre entrevue, elle n’a permis cependant que d’effleurer le vaste problème de nos rapports avec les pays arabes. Je voudrais essayer d’en dégager ici les grandes lignes telles qu’elles m’apparaissent vues d’Alger.
Ce que les pays arabes attendaient de la Suisse dans le procès de Winterthur2 et de l’enquête qui l’a précédé, qu’il s’agisse d’autorités communales ou cantonales, c’est que toute l’affaire soit jugée sans passion ni parti pris. Pas plus l’Israélien3 que les Palestiniens4 n’avaient le droit de violer notre territoire, d’y introduire ou d’y employer des armes. Les deux parties devaient être reconnues coupables mais évidemment condamnées à des peines différentes. En libérant l’Israélien, nous avons reconnu à son pays le droit d’exercer sa propre justice sur notre sol. Par ailleurs, les sentiments anti-arabes d’une partie de notre population ont entaché ce jugement d’une certaine partialité.
Dans la catastrophe de Würenlingen, en dépit des fortes présomptions qui planent sur de probables auteurs palestiniens, une fois de plus la réintroduction et le renforcement des visas5 vis-à-vis des pays arabes nous rangent aux côtés d’Israël. En effet, nous avions toujours pu constater que les gouvernements arabes cherchaient à se distancer des mouvements palestiniens. En les pénalisant, nous les avons rapprochés de ceux dont ils s’écartaient. Par ces mesures préventives, à mon avis presque inefficaces, nous avons porté préjudice à notre politique de neutralité. En nous laissant peu à peu entraîner dans l’engrenage d’une escalade dangereuse, nous sommes presque déjà parties au conflit israélo-arabe. Ceci fait peut-être le jeu d’Israël, mais n’est pas dans notre intérêt. Pas plus le système des visas que la sévérité du jugement de Winterthur ne fournissent les garanties nécessaires à la non-répétition de tels attentats.
Notre politique étrangère a toujours été basée sur l’universalité. Même si le bloc arabe est peu important pour nous dans le domaine économique, les mesures que l’on prend à son égard, aussi justifiées qu’elles soient sur le plan interne, peuvent avoir sur l’ensemble du tiers-monde de profondes répercussions. L’Arabe y joue un rôle important et il n’hésitera pas aujourd’hui à tout mettre en œuvre pour dénigrer notre neutralité. C’est sur ce point-là que j’ai été le plus vivement attaqué à Alger. Une politique de neutralité se devrait d’être dénuée de passion. Nos mesures préventives, au lieu de revêtir la forme du visa, auraient gagné à prendre celle d’un renforcement des contrôles de police aux frontières. Elle n’aurait ainsi pas indisposé des millions d’Arabes et leurs gouvernements. Pour certaines organisations palestiniennes, nous sommes devenus un ennemi et le système des visas ne saurait empêcher à l’avenir le sabotage d’un de nos avions sur n’importe quel aéroport européen. Pour prévenir de tels actes, nous devrions éviter de recourir à des mesures de rétorsion. Celles-ci ne peuvent qu’en entraîner d’autres et nous serons toujours perdants dans cette montée aux extrêmes puisque pour l’une des parties la vie humaine n’a pas de prix. Il ne s’agit pas pour nous de capituler devant la menace de terroristes, mais nous devrions plutôt chercher à obtenir l’appui des gouvernements arabes pour contrôler l’activité des Palestiniens, non pas pour la délivrance des visas, comme nous sommes en train de le faire maintenant, mais par l’établissement d’une collaboration beaucoup plus étroite et qui ferait pleine confiance à la parole donnée. Les Arabes sont sensibles à de tels gestes.
Cette collaboration ne nous donnerait évidemment pas toutes les garanties – que nous ne possédons d’ailleurs pas non plus aujourd’hui – d’un contrôle complet sur tous les Palestiniens. Elle aurait cependant l’avantage de diminuer fortement l’animosité que les gouvernements arabes nourrissent en ce moment envers nous6. En les associant à nos mesures de contrôle, nous engagerions leur responsabilité. Cette collaboration une fois assurée, nous pourrions revenir au régime des visas en vigueur avant Würenlingen. Si le retour au statu quo ante devait paraître insuffisant aux gouvernements arabes pour prêter leur appui, nous pourrions alors leur laisser entendre qu’en cas de non-répétition d’actes de terrorisme en Suisse ou contre des biens suisses, pendant un certain laps de temps, les autorités fédérales pourraient examiner la possibilité de grâcier les trois Palestiniens7 lorsqu’ils auront purgé une partie de leur peine.
Le choix de la Suisse par les Palestiniens pour y porter le terrorisme n’est pas dû au hasard. Notre opinion publique8, depuis la guerre des Six Jours9, est en majorité pro-israélienne. Malheureusement, l’Arabe ne comprend pas que notre neutralité s’arrête au niveau gouvernemental. De plus, les récentes découvertes d’armes dans les avions El Al10 ont confirmé la thèse palestinienne que ces appareils sont utilisés à des fins militaires. Enfin, l’affaire Frauenknecht11 n’est pas venue arranger les choses, d’autant plus que le silence le plus complet règne sur l’enquête en cours. On a l’impression à Alger que la Suisse veut noyer le poisson. À mon avis, il serait prudent de marquer maintenant un coup d’arrêt. Un nouvel attentat en Suisse12 nous entraînerait cette fois à appliquer les mesures préconisées par la Police fédérale des étrangers au lendemain de Würenlingen.
Elles ne feraient qu’accroître les ressentiments des Arabes qui, empêchés de se rendre sur notre sol, pourraient s’en prendre à nos avions n’importe où. Dans la solution que je suggère, il ne s’agit pas, je le répète, d’une capitulation mais d’une négociation où les deux parties trouveraient un intérêt puisqu’à la longue les actes de terrorisme jettent le discrédit sur la résistance palestinienne elle-même. Il est urgent de nous dégager de l’engrenage et de la querelle des autres. C’est par le retour à une stricte neutralité que nous assurerons le mieux notre sécurité.
Je crois qu’en Suisse on ne s’est jamais posé la question de savoir pourquoi les Palestiniens avaient choisi Kloten13. C’est le droit de notre peuple d’avoir ses préférences puisque la neutralité d’opinion n’existe pas, mais qu’il ne s’étonne pas s’il en subit un jour les contrecoups. On ne peut à la fois prétendre à une libre prise de position et à l’impunité.
Je m’excuse de la longueur de cette lettre, mais j’ai cependant estimé de mon devoir de vous exposer en détail ma manière de voir, au risque de heurter les opinions qui prévalent en ce moment en Suisse. Je trouve que c’est là précisément un des aspects du rôle d’un chef de poste à l’étranger.
- 1
- Lettre: CH-BAR#E2001E#1980/83#234* (B.11.40.2). Visée par M. Gelzer. Annotation manuscrite de M. Gelzer à J. Rüedi: Bitte für Unterschrift Dep [artements]Chef kurze Pe [rsönliche]A [ntwort]und Dank. Darin wäre zum Ausdruck zu bringen, dass wir uns über die Schwierigkeiten, denen die Botschafter in arabischen Staaten ausgesetzt sind, Rechenschaft geben, dass wir gleichzeitig darauf zählen, dass sie (die Botschafter) den Behörden ihres Gastlandes unseren Standpunkt erläutern, wobei sie sich auf die Argumente stützen können, wie sie in der Antwort auf Interpellation Chevallaz enthalten sind. Pour la réponse, cf. la lettre de P. Graber à J.- D. Grandjean du 6 avril 1970, ibid.↩
- 2
- Sur l’attentat du Front populaire de libération de la Palestine contre un avion d’ElAl à Kloten le 18 février 1969, cf. DDS, vol. 24, doc. 130, dodis.ch/33710; doc. 173, dodis.ch/33275; doc. 177, dodis.ch/33291 et la notice de J.-P. Vettovaglia du 28 janvier 1970, dodis.ch/36295.↩
- 5
- Cf. DDS, vol. 25, doc. 8, dodis.ch/35440, note 5.↩
- 6
- Cf. DDS, vol. 25, doc. 12, dodis.ch/35468, notes 4 et 13.↩
- 7
- Sur la question d’une libération préventive, cf. DDS, vol. 25, doc. 37, dodis.ch/35415, note 8.↩
- 8
- Cf. DDS, vol. 24, doc. 28, dodis.ch/33280.↩
- 9
- Cf. la compilation thématique dodis.ch/T901.↩
- 10
- Cf. doss. CH-BAR#E2001E#1980/83#499* (B.51.14.21.30).↩
- 11
- Sur l’affaire d’espionnage Frauenknecht, cf. DDS, vol. 24, doc. 173, dodis.ch/33275, et la notice de H.-P. Erismann du 28 mai 1971, dodis.ch/36435.↩
- 12
- Sur le détournement d’un avion Swissair en Jordanie par le Front populaire de libération de la Palestine en septembre 1970, cf. DDS, vol. 25, doc. 37, dodis.ch/35415; doc 39, dodis.ch/35419 et doc. 45, dodis.ch/35434.↩
- 13
- Cf. note 2.↩
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Vicino e Medio Oriente Algeria (Generale) Attentato di Würenlingen 1970 Attentato di Kloten 1969