Bericht Zehnders über seinen Aufenthalt in Paris, wo er Versammlungen verschiedener UNO-Organe beigewohnt und sich mit mehreren politischen und diplomatischen Persönlichkeiten unterhalten hat. Betrachtungen zur sowjetischen und amerikanischen Politik, zum Ost-West-Konflikt, zum Berliner Problem und zum Marshallplan.
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 17, doc. 99
volume linkZürich/Locarno/Genève 1999
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2800#1967/60#56* | |
Old classification | CH-BAR E 2800(-)1967/60 17 | |
Dossier title | O.N.U. Assemblée générale (1946–1961) | |
File reference archive | 15 |
dodis.ch/2707 Le Chef de la Division des Affaires politiques, A. Zehnder, au Chef du Département politique, M. Petitpierre1
Lorsque, en 1946, vous aviez confié à M. Secrétan et à moi-même la tâche de suivre, en qualité d’observateurs suisses, les travaux de la première Assemblée générale des Nations Unies à Lake Success2, nous avons rencontré quelques difficultés à établir les contacts voulus avec les délégations officielles des pays membres de l’ONU. Aux séances de l’Assemblée générale même ou du Conseil de Sécurité, le fait que nous étions obligés d’occuper des places sur les bancs réservés au public nous empêchait de circuler parmi les délégués et de converser avec eux sans leur demander préalablement une audience. Les contacts étaient plus faciles lors des séances des commissions qui se réunissaient dans des salles plus petites et où les sièges réservés au public se trouvaient immédiatement derrière ceux occupés par les délégations officielles.
Bien que les séances de la troisième Assemblée générale aient débuté le 20 septembre déjà, je ne me suis rendu à Paris que le 6 octobre. D’une part, fort de l’expérience de 1946, j’ai préféré attendre le moment où les commissions seraient formées et se mettraient au travail afin de ne pas perdre trop de temps à établir les contacts. D’autre part, il m’a paru qu’il n’y avait pas de raison majeure d’écouter les grands discours des Ministres des Affaires étrangères dans les premières séances plénières de l’Assemblée générale, discours préparés à l’avance en vue d’atteindre l’opinion publique et que l’on pouvait lire in extenso le lendemain dans la presse du monde entier.
Je suis rentré à Berne le 16 octobre au soir. Il n’y a pas eu de raison spéciale d’interrompre mon séjour à Paris. Les travaux de l’Assemblée générale continuent et continueront, paraît-il, encore jusqu’à la fin novembre ou même jusqu’à Noël. Il fallait rentrer un jour ou l’autre car des travaux courants du Département, à l’heure actuelle plus importants que la tâche que vous m’aviez confiée à Paris, m’attendaient à Berne.
Du 6 au 16 octobre, j’ai assisté à toutes les séances de l’Assemblée générale, du Conseil de Sécurité et de la Commission politique. La présence d’observateurs suisses a été remarquée et a fait l’objet, selon le Ministre Desai, membre de la délégation indienne, de quelques commentaires. On s’est, paraîtil, notamment demandé si la composition de la délégation suisse ne permettait pas de conclure que la Suisse, bien que non membre de l’ONU, s’intéressait néanmoins à son œuvre politique et ne désirait pas s’y associer dans un avenir rapproché.
L’impression générale qui se dégage des débats tant dans les séances plénières que dans celles du Conseil de Sécurité ou des Commissions est le manque absolu de confiance mutuelle entre les pays du bloc occidental et ceux du bloc soviétique. Les débats tournaient en rond. Quel qu’ait été l’orateur, il suffisait qu’il appartienne à un des blocs pour que, dans un discours en général assez violent, il s’acharne à démolir la thèse de la partie adverse et à répéter les arguments de ses propres partisans. De cette façon, on n’arrivait à aucune solution constructive et les deux blocs restaient sur leurs positions respectives.
Les pays appelés neutres restaient dans l’expectative, se gardant bien d’entrer en scène prématurément et de se mêler au conflit entre les grandes puissances. Il est difficile de prévoir dès à présent le rôle qu’ils joueraient encore, peut-être, comme médiateurs à l’avenir. Un fait est cependant digne d’attention: une certaine collaboration entre les pays de l’Amérique latine entre eux et avec les Etats arabes. Bien que cette collaboration n’apparaît que sporadiquement et seulement dans quelques cas particuliers, il ne faut pas la perdre de vue puisque ce «bloc» pourrait disposer, le cas échéant, de 25 voix sur 58. C’est ainsi que, lors des élections au Conseil de Sécurité, lesdits pays, votant en bloc en faveur de l’Egypte, ont réussi à faire élire l’Egypte comme membre du Conseil de Sécurité contre la Turquie appuyée par les grandes puissances occidentales, y compris les Etats-Unis. C’est ainsi que, de même, dans le conflit politique qui existe entre l’URSS et les Etats-Unis, ces derniers risquent de voir le «bloc» de l’Amérique latine et des pays arabes refuser leur obéissance rien que par désir de démontrer leur indépendance.
En suivant les travaux à Paris, une autre impression se dégage: toute question traitée a maintenant son aspect politique à la suite du manque de confiance entre les grandes puissances et notamment de la méfiance russe. Vychinski et ses satellites traitent souvent dans les débats les propositions occidentales de «manœuvre» ou de «piège», et l’observateur impartial est amené à se demander si, en «politisant» de cette sorte toutes les questions discutées, il existe la moindre chance que cette troisième Assemblée générale parvienne à résoudre le moindre des problèmes politiques inscrits à l’ordre du jour, sans parler des problèmes importants comme le contrôle de la bombe atomique, le désarmement ou le conflit de Berlin. L’observateur se doit même d’examiner s’il n’y a pas danger que l’Union Soviétique et ses satellites quittent les Nations Unies au cas où les puissances occidentales, profitant de la majorité dont elles disposent, accentueraient leur pression sur l’URSS. Il est évident que la réponse à ces questions qui me paraissent intéresser la Suisse avant tout n’a pas pu être obtenue dans les séances publiques. Seuls les sondages dans les coulisses étaient susceptibles de donner les éclaircissements recherchés.
J’ai donc profité de mon séjour à Paris tant pour multiplier les contacts, en partie déjà établis à Lake Success en 1946, que pour faire fructifier les relations liées à Berne lors des visites d’hommes d’Etats étrangers. Enfin, le Ministre de Suisse à Paris m’a fourni l’occasion de parler à quelques personnalités importantes de la capitale française. C’est ainsi que j’ai eu des conversations politiques avec M. Schuman, Ministre des Affaires étrangères de France, M. Bonnefous, Président de la Commission des Affaires étrangères, M. Spaak, Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères de Belgique, M. Undén, Ministre des Affaires étrangères de Suède, M. McNeil, Sous-Secrétaire d’Etat au Foreign Office à Londres, M. Charles Bohlen, M. Costa du Rels, Ambassadeur et Délégué de Bolivie, etc.
Je retiens de toutes ces conversations ce qui me paraît être susceptible de vous intéresser en première ligne.
1. Politique russe. Les quelques remarques qui me paraissent intéressantes en vue de compléter nos informations sur la politique russe et qui suivent ci-après, m’ont été fournies par Charles Bohlen. J’y attache une assez grande importance parce que Bohlen a été à l’Ambassade des Etats-Unis à Moscou de 1936 à 1938 et ensuite dans l’entourage immédiat du Secrétaire d’Etat américain aux Affaires étrangères. Il a, en outre, accompagné le Président Roosevelt à toutes les conférences que celui-ci a eues avec Staline et Churchill. Spécialiste des questions russes et de la langue russe, il n’a manqué aucune des réunions, même très secrètes, de ces hommes d’Etat.
Le but de la politique soviétique est la révolution mondiale. La politique de l’Union Soviétique en tant que grande puissance est l’instrument de la doctrine communiste. Comme l’Union Soviétique est le seul Etat où l’expérience léniniste a réussi à se maintenir et comme la révolution mondiale n’est pratiquement réalisable que si elle est appuyée par un Etat fort, il faut absolument que le parti tienne compte de certaines limites auxquelles se heurtent l’Etat en servant de véhicule à la doctrine. Le Politburo est l’autorité suprême qui coordonne les exigences du parti avec les possibilités de l’Etat. Pour déterminer jusqu’à quelle limite l’Etat peut être mis à contribution par le parti aux fins de la révolution mondiale, le Politburo examine, de temps à autre, l’équilibre des forces entre le communisme et le capitalisme sur le plan mondial. Il se sert, à cet effet, de formules scientifiques abstraites dont les éléments sont multiples. M. Bohlen croit savoir que le nombre de soldats sous les armes, la perfection technique des armements, l’opinion publique mondiale, l’importance et l’obédience des partis communistes à l’étranger figurent parmi ces éléments. Le Politburo travaille comme dans une tour d’ivoire, sans le moindre contact avec la vie extérieure. Tout y est science, ce qui est compréhensible puisque ses membres n’attachent aucune importance aux valeurs spirituelles ou morales. Il est donc logique que la science la plus absolue et la plus abstraite est celle dans laquelle ils ont le plus de confiance. L’étude aboutit, en effet, à un chiffre-index final qui reproduit exactement l’équilibre des forces entre le communisme et ses adversaires. Tant que ce chiffre est supérieur à 100 (base de calcul pour les forces adverses), Moscou n’est pas disposé à prêter la main aux solutions de compromis. Il paraît que ce chiffre, à l’heure actuelle, est encore bien supérieur à 100.
Cependant, et ceci semble être très important à M. Bohlen, Staline personnellement est plutôt homme d’Etat que communiste doctrinaire. Selon les renseignements que le State Department possède, Staline, membre du Politburo, prend toujours la parole comme dernier. Lorsqu’il a parlé, la question est tranchée. Staline, tout en sauvegardant les apparences est et reste donc le dictateur à Moscou. Seule sa volonté compte dès qu’il s’agit de mettre à contribution l’Etat soviétique; quant à la doctrine du parti et la tactique du Kominform, Staline est plutôt passif.
Son principal conseiller pour la politique extérieure de l’Etat soviétique est Molotow. Mais il arrive que Staline passe outre les conseils de Molotow, et ceci toujours dans le sens d’un compromis. Staline sait apprécier le compromis à sa juste valeur, Molotow est, en revanche, intransigeant. Il paraît que l’intransigeance de Molotow s’est accentuée ces dernières années, parce que Staline le taquine régulièrement à toutes les réunions intimes des dignitaires soviétiques au sujet du seul compromis politique que Molotow aurait fait durant sa carrière: l’accord Molotow-Ribbentrop de 1939.
Lorsque, à la suite d’un appel pressant de Roosevelt, adressé de vive voix à Staline, de consentir à certaines dispositions déclamatoires du projet de la Charte de San Francisco auxquelles Molotow refusait de souscrire, Staline avait demandé la permission de se retirer dans un coin de la salle pour conférer avec Molotow, Bohlen entendit comment Staline a arrêté les explications de Molotow par un seul mot: «bêtises». Il revint et signa le projet de Charte. Mais le lendemain il présenta son consentement comme une grande concession et demanda à Roosevelt, avec la carte de l’Europe et un crayon rouge en mains de délimiter à nouveau les futures zones d’influence en Europe. Bohlen prétend que Roosevelt n’a jamais compris comment Staline ait pu lui proposer de négocier des déclarations morales contre des zones d’influence. Staline, de son côté, a été très déçu et aurait même ajouté qu’il croyait les Américains bons commerçants, mais qu’il s’était aperçu maintenant qu’il est plus facile de négocier avec Hitler qui s’intéressait davantage aux cartes et au crayon rouge qu’aux déclarations de principe.
Bohlen déduit de cet exemple et d’autres malentendus analogues que les apparences chez les Russes trompent. On a affaire à des gens doués d’une grande intelligence naturelle et très bons dialecticiens, mais qui au fond sont et restent des primitifs qui ne s’inclinent que devant la force.
Bohlen croit que, dans ces circonstances, les Russes ne céderont sur aucun point essentiel tant que les Occidentaux ne leur auront pas démontré, en toute évidence, qu’ils disposent de forces supérieures à celles des Russes.
2. Politique américaine. Vu les expériences que le gouvernement américain avait faites avec les Russes, il paraît logique qu’il tend aujourd’hui à rétablir l’équilibre des forces rompu à la suite de la démobilisation massive des pays occidentaux à la fin de la guerre et de la débâcle économique qui s’est produite en Europe à la suite de l’effort de guerre – d’où le plan Marshall, le réarmement américain et européen et l’intransigeance américaine sur le plan diplomatique. Sachant en outre que l’opinion publique mondiale et la cinquième colonne font partie des calculs politiques du Politburo, le gouvernement américain est décidé à mener la lutte sur ces deux plans également.
L’Assemblée générale des Nations Unies a, par conséquent, à jouer son rôle dans la conception politique américaine. C’est l’opinion publique mondiale que les Etats-Unis veulent atteindre par ce moyen. Qu’il s’agisse du désarmement ou de la bombe atomique ou de Berlin, il faut que l’opinion publique mondiale comprenne que les Russes refusent tout compromis et qu’ils doivent être condamnés comme agresseurs potentiels.
3. Conflit Ouest-Est. M. Schuman a confirmé que les Américains paraissaient vouloir condamner la Russie à une très forte majorité par l’Assemblée générale des Nations Unies. M. Spaak m’a dit la même chose, tout en ajoutant qu’il était fort douteux que, sans un veto russe au Conseil de Sécurité, on pût passer la question de Berlin en séance plénière de l’Assemblée. Il s’est même montré très sceptique quant à la majorité que les Américains pourraient obtenir dans l’Assemblée si, contre toute attente, celle-ci devait s’occuper de la question de Berlin.
Selon M. McNeil, la Grande-Bretagne, opposée tout d’abord à la politique de force des Etats-Unis, aurait maintenant cédé et serait disposée à la suivre. Tant les interventions de M. McNeil que celles de son collègue M. Shawcross dans les débats de la commission politique confirment ces affirmations. La France hésite. M. Schuman, tout en relevant qu’à son avis également une collaboration avec l’Est ne paraissait guère possible tant que les Russes n’auraient pas modifié leur politique d’expansion, a cependant fait comprendre qu’il considérait la politique américaine comme dangereuse et susceptible d’aboutir à une guerre. Les interventions du délégué français, M. Parodi, reflètent fidèlement les vues de son chef. Il y a toujours une nuance de conciliation, en dépit de la fidélité au front commun des pays occidentaux.
La France est, en effet, le point faible dans la stratégie des puissances anglo-américaines. Sa tendance au compromis n’est que l’expression de sa faiblesse intérieure.
4. Le problème de Berlin. Tous mes interlocuteurs m’ont confirmé que, dans les coulisses, M. Bramuglia négociait avec M. Vychinski et que celui-ci exigeait l’assurance formelle du Président du Conseil de Sécurité que la question de Berlin fût rayée de l’ordre du jour du Conseil au cas où Moscou se déciderait d’accepter la médiation de M. Bramuglia. Il est évident que M. Bramuglia n’a pu donner d’autre promesse que celle de renoncer à s’en occuper le jour où une entente entre les deux parties serait réalisée. Las d’attendre les nouvelles instructions de Moscou promises par M. Vychinski, les Américains ont insisté pour que le Conseil de Sécurité soit convoqué à nouveau afin de continuer la discussion de ce problème délicat. C’est ainsi qu’avant la fin de la médiation, la question de Berlin a été reprise au Conseil de Sécurité.
Mes interlocuteurs ont été unanimes de déclarer qu’ils ne voyaient pas comment la question de Berlin pourrait être résolue si les Russes continuaient le blocus. Aucune des grandes puissances occidentales, même la France, n’étaient disposées à négocier avant que le blocus ne fût levé. Une thèse m’a paru cependant digne d’attention, celle de M. Undén. Selon le résultat de ses sondages, il y aurait une petite chance d’arriver à une entente à condition que l’on élargisse l’ordre du jour de la discussion entre l’ouest et l’est. Il se pourrait qu’une seule question concernant l’ensemble de l’Allemagne ajoutée au problème de Berlin permettrait à Moscou de reprendre l’affaire. Je m’arrête à l’opinion de M. Undén car elle confirme singulièrement notre propre thèse sur les raisons de l’échec des négociations au sujet de Berlin. Nous avons, dès le début, été d’avis que les Russes n’ont pas créé le fait accompli de Berlin sans arrière-pensée. Cette dernière pouvait être d’amener les alliés à quitter Berlin profitant de la faiblesse actuelle du gouvernement américain ou alors de négocier le fait accompli de Berlin contre une ou plusieurs questions relatives à l’ensemble de l’Allemagne ou même de l’Extrême-Orient. M. Bohlen m’a dit que selon les rapports des négociateurs américains à Moscou, Staline, ayant pris connaissance du règlement intervenu entre Molotow et les négociateurs occidentaux, aurait dit à Molotow: «Maintenant cette affaire ne m’intéresse plus.» En effet, l’arrangement du 27 août ne traitait plus que de la seule question de Berlin.
5. Plan Marshall et aide militaire des Etats-Unis. Mes conversations avec M. Spaak et M. Charles Bohlen m’ont permis de préciser le statut particulier de la Suisse dans le cadre de l’Organisation européenne de collaboration économique. M. Bohlen croyait savoir que les négociations concernant un accord bilatéral entre la Suisse et les Etats-Unis étaient en bonne voie3.
Les informations de presse aux termes desquelles le gouvernement américain s’apprêterait à utiliser l’Organisation européenne à Paris pour réaliser un plan d’aide militaire à l’Europe occidentale, ont fait l’objet d’un échange de vues tant avec M. Bohlen qu’avec M. Spaak.
M. Bohlen m’a dit que le gouvernement américain attachait une grande importance à l’idée de l’Europe occidentale idéologiquement opposée à l’Europe orientale. C’est à ce titre seulement que l’actuel ou le futur Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères pourrait empêcher le Congrès de se désintéresser des affaires de l’Europe. L’OECE est, à l’heure actuelle, la seule expression pratique des intérêts communs de l’Europe occidentale. A Washington, on tient beaucoup à ce que les nations occidentales continuent la coopération économique si heureusement inaugurée. Ni M. Marshall, ni M. Vandenberg, ni M. Dulles ne veulent assigner à l’OECE des tâches nouvelles qui risqueraient de provoquer la désagrégation de l’Organisation. Or, on sait que le jour où l’OECE serait «militarisée», la Suisse et la Suède dénonceraient la Convention de Paris. M. Bohlen a ajouté qu’il était en mesure d’affirmer que, si une aide militaire était décidée, les Américains trouveraient une nouvelle formule pour la loi «prêt et bail», mais qu’ils ne passeraient pas par l’OECE. Par ailleurs, a-t-il ajouté, l’aide militaire à l’Europe n’est que discutée, aucun plan n’existe encore. Tant que les forces armées européennes ne sont pas suffisantes pour défendre l’Europe occidentale pendant un délai raisonnable, il sera très difficile d’obtenir des armements américains modernes en faveur de l’Europe. Dépourvue d’armées efficaces, l’Europe risque que tout son armement moderne, au cas où il serait livré prématurément par les Etats-Unis, tombe entre les mains des Russes. La France, étant le point faible dans le système stratégique des Américains, il faut avant tout que la France réussisse à se relever et à reformer son armée. Il faudrait ensuite que les pays scandinaves comme les pays méditerranéens fussent incorporés dans le système défensif. Or la Suède n’en veut rien savoir et l’Angleterre est opposée à l’entrée de l’Espagne franquiste dans le système européen. A mon objection que l’on pourrait envisager trois systèmes régionaux différents, M. Bohlen a dit: cela vous arrangerait, mais nous tenons à ce qu’il n’y ait pas de points faibles dans le système. L’essentiel est de ne rien brusquer et de continuer à travailler avec patience afin que, le jour où la guerre aura éclaté, il n’y ait aucun pays parmi ceux de l’Europe occidentale disposé à ouvrir ses frontières aux Russes ou à composer avec eux. Le système des alliances en soi est sans importance, c’est la certitude que Washington recherche.
M. Spaak, consulté sur le même problème, m’a dit que la question de la «militarisation» éventuelle de l’OECE a fait l’objet d’un échange de vues entre MM. Bevin, Schuman et lui-même. Ensuite on l’a examinée avec M. Marshall. M. Spaak a affirmé très catégoriquement que les nouvelles de presse étaient sans fondement et qu’il n’est pas question que le gouvernement actuel ou futur des Etats-Unis pense confier à l’OECE des tâches autres que celles prévues par la Convention du 16 avril 19484. Même si, contre toute attente, les généraux américains faisaient la tentative de «militariser» l’OECE, les grandes puissances européennes s’y opposeraient.
6. Autres questions. M. Bonnefous, Député et Président de la Commission des Affaires étrangères, m’a dit, en parlant de la neutralité suisse, que nous serions amenés à renoncer à la neutralité le jour où les communistes s’installeraient à notre frontière orientale. A son avis, cet événement pourrait se produire très prochainement. Les alliés occidentaux ayant décidé d’accélérer la conclusion d’un traité avec l’Autriche et de l’évacuer ensuite, l’Autriche seule ne pourrait pas lutter contre la cinquième colonne communiste à l’intérieur du pays et succomberait très vite. M. Schuman, auprès de qui j’ai vérifié cette révélation qui m’a paru, à première vue, inexacte, a confirmé ce que nous savions déjà: l’Autriche ne désire pas que les alliés occidentaux précipitent la conclusion du traité et que la France tiendra compte de ce désir autrichien.
Sous réserve de votre accord, je pense repartir pour Paris le 27 octobre et rentrer le 6 novembre. J’aimerais bien récolter les fruits des premiers contacts et en établir quelques nouveaux. Invité à déjeuner par MM. Spaak, Undén et quelques autres délégués, j’ai répondu que je devais rentrer mais que je serais de nouveau à Paris à la fin du mois et que je m’annoncerais.
- 1
- Lettre: E 2800(-)1967/60/17. Paraphe: MD.↩
- 2
- Pour les rapports de la délégation d’observateurs suisses à la première Assemblée générale des Nations Unies, cf. E 2800(-)1967/60/17 et DDS, vol. 16, table méthodique: La Suisse et l’ONU.↩
- 3
- Sur les négociations américano-suisses en vue d’une convention bilatérale relative à la mise en œuvre du Plan Marshall et son rejet par la Suisse, cf. E 2001(E)-/1/305.Cf. aussi DDS, vol. 17, doc. 77 et doc. 101.↩
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