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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 21, doc. 132
volume linkZürich/Locarno/Genève 2007
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#800* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 355 | |
Dossier title | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 115 (1961–1961) |
dodis.ch/15136 Visite de M. Averell Harriman chez le Président de Gaulle
Mon premier collaborateur, M. de Keller, a eu l’occasion de s’entretenir, aujourd’hui, avec une personnalité bien informée (X.) de la visite de M. Harriman, Ambassadeur itinérant du Président Kennedy, chez le Président de
Gaulle à Paris, à la fin de la semaine dernière.
X. explique que la visite de M. Harriman à Paris, comme dans les autres capitales, avait pour but d’expliquer aux chefs de Gouvernements respectifs la philosophie de la nouvelle administration américaine, de faire un tour d’horizon de la politique mondiale, et d’assurer les partenaires de la plus étroite collaboration de Washington. Il s’agit sans doute de persuader les principaux alliés européens du dynamisme de l’administration Kennedy et de son désir de resserrer encore plus que sous l’administration Eisenhower les liens d’amitié et de collaboration. Après des visites préalables chez le Premier Ministre Debré et le Ministre des Affaires étrangères Couve de Murville, M. Harriman a eu un entretien entre quatre yeux (assisté de deux interprètes) avec le Président de Gaulle.
Il ressort de ces entrevues que le problème de l’Algérie figurait au premier plan. Le Président de Gaulle a confirmé sa volonté de négocier avec le GPRA2 directement et ceci sans poser aucune condition préalable. (Cette information doit être considérée en ce moment comme secrète. C’est une concession très importante du Président de Gaulle, qui devrait faciliter le dénouement du problème algérien.) Par son attitude sereine, le Président de Gaulle a donné l’impression que le problème algérien ne présente plus pour lui d’obstacles insurmontables, à condition que le FLN3 veuille ou puisse réellement négocier.
Mais cette dernière hypothèse laisse entrevoir que le GPRA, surtout son chef
Ferhat Abbas, n’est pas entièrement libre dans ses positions. Il est évident que
Moscou et Le Caire cherchent à s’ingérer dans les négociations entre le GPRA et la France, et il ne semble pas absolument clair si Khrouchtchev et Nasser sont intéressés à une solution du problème algérien, malgré les dispositions libérales du Général de Gaulle.
Le rôle du Président Bourguiba est apprécié et considéré comme utile, mais dont [sic] l’importance ne doit pas être exagérée. De Gaulle considère
Bourguiba comme un ami de l’Occident avec lequel la France et le monde libre ont tout intérêt à maintenir les meilleures relations.
Au sujet du Sahara, le Président de Gaulle est disposé à élaborer un accord permettant aux Arabes nord-africains et aux pays d’Afrique noire de participer à l’exploitation des richesses naturelles. La question de souveraineté, selon de Gaulle, ne se pose pas en l’absence d’une population autochtone.
A l’égard de l’ONU, de Gaulle a exprimé sa critique connue en l’accusant de s’immiscer dans les affaires intérieures des pays membres. Il constate que le rôle prédominant réservé aux Cinq Grands au Conseil de Sécurité est inopérant et que le monde libre se trouve placé en minorité par les pays afro-asiatiques.
Les événements au Congo ont donné l’occasion au Général de Gaulle de constater qu’en l’absence d’une politique commune et concertée des Trois
Grands – France, Grande-Bretagne, Etats-Unis – la situation là-bas est devenue chaotique. Sans revenir sur ses aspirations d’un directoire à Trois, de Gaulle, en citant des exemples concrets, a su insinuer la nécessité pour la défense des intérêts du monde libre d’établir un concert à Trois. Harriman a expliqué que la création d’un organisme à Trois n’était pas souhaitable, vu l’opposition qu’il rencontrerait auprès des autres membres de l’OTAN. Il a par contre confirmé le désir de l’administration Kennedy d’une plus étroite collaboration avec la
France sur le plan bilatéral.
Au sujet du Laos, l’attitude du Gouvernement de Washington a été enregistrée avec satisfaction. Le Général de Gaulle pense que le point de vue américain s’identifie à présent avec les vues de Paris qui cherche à neutraliser ce pays.
Le problème de Berlin ne semble pas préoccuper particulièrement de
Gaulle qui croit que les Russes, d’un côté, ne cherchent pas la guerre avec l’Occident, et de l’autre, essaient de créer des situations difficiles plutôt au
Moyen et en Extrême-Orient, comme en Amérique latine.
Le Président de Gaulle se félicite des relations avec l’Allemagnefédérale.
La présence du Chancelier Adenauer est une garantie pour le maintien de la
fidélité à l’Alliance occidentale.
M. Harriman a fait comprendre qu’il sera difficile pour les Etats Unis d’Amérique de défendre le Portugal à propos de ses colonies devant l’ONU.
De Gaulle conseille de ne pas exercer une pression sur le Portugal à ce sujet.
Selon lui, les événements se chargeront de pourvoir à ce que le Portugal adapte son attitude, dans cette question, à la façon libérale de traiter les problèmes coloniaux choisis par ses alliés.
Les deux interlocuteurs sont d’accord de continuer à s’opposer à l’entrée de la Chine rouge à l’ONU. Une possibilité est à étudier, celle de l’adhésion à l’ONU des deux Chines de Formose et Pékin. On s’attend que la Chine populaire refuse de siéger à l’ONU avec la Chine de Formose. Une telle attitude négative permettrait de gagner du temps dans cette question.
Le Président de Gaulle a souligné l’importance d’accroître l’aide aux pays sous-développés, sans quoi ces pays, surtout le continent africain, tomberont sous l’influence communiste. La France est disposée à prendre sa part dans cette grande œuvre et considère l’OECD4 comme un moyen efficace en vue de la réalisation d’un tel projet. De Gaulle a souligné l’aide économique, financière et technique que la France accorde déjà dans une large mesure aux pays africains d’expression française.
Le problème des Six et des Sept n’a été évoqué que dans ses généralités, les deux interlocuteurs se bornant à des déclarations favorables à une entente entre les deux groupes.
La force de frappe française et les essais nucléaires au Sahara n’ont pas été évoqués. M. Harriman semble se rendre compte que le Général est décidé à continuer son programme en toute indépendance. (X. ajoute que d’autres membres du Gouvernement ont fait comprendre que leurs récents progrès considérables dans le domaine nucléaire devaient permettre aux Américains de faire bénéficier la France de leurs expériences dans une beaucoup plus large mesure).
Le Président de Gaulle a exprimé l’opinion que les divergences idéologiques entre Moscou et Pékin ne doivent pas être exagérées et interprétées comme une faiblesse du potentiel communiste.
X. constate que le Général de Gaulle se trouve en excellente forme et a montré une attitude très cordiale à l’égard de son hôte. Il paraît que rien n’a été fixé au sujet d’une rencontre de Gaulle-Kennedy pour un proche avenir. La possibilité d’une rencontre des chefs d’Etat des pays membres de l’OTAN semble, par contre, ne pas être exclue. Cependant X. a laissé entendre qu’une telle réunion n’était pas prévue lors de la session à Oslo, en mai de cette année.
Rien de particulier à signaler au sujet des entrevues de Harriman avec le
Premier Ministre et M. Couve de Murville; sauf peut-être que M. Debré a repris avec insistance, comme toujours, l’idée d’un directoire à Trois. A l’appui de cette idée, M. Debré prétend que, faute d’un tel organisme, l’Occident sera toujours plus en perte de vitesse.
D’un collègue italien, mon collaborateur apprend que les paroles prononcées par M. Harriman à la dernière réunion des délégués permanents de l’OTAN à Paris peuvent être considérées comme un message de bonne volonté de l’administration Kennedy. M. Harriman cherche à rassurer les Alliés des
USA, inquiets par certains indices laissant supposer qu’à Washington on étudie la nécessité de renforcer, à l’avenir, les armes conventionnelles en Europe. Il paraît que différents membres de l’OTAN ont fait comprendre à M. Harriman qu’une telle tendance ne doit en aucun cas prévaloir au détriment des forces nucléaires protégeant l’Europe en cas de conflit avec Moscou. Toute cette question se trouve à l’étude. Le plan Norstad de doter l’OTAN d’une force nucléaire Polaris n’a pas été évoqué. Tous ces problèmes seront discutés à Oslo en mai de cette année.
P. S.: Interrogé par Harriman au sujet d’une éventuelle renaissance d’un pacte méditerranéen, le Général de Gaulle a évité de donner une réponse précise. Selon des rumeurs, le plan du Général de Gaulle consisterait à unir dans un pacte méditerranéen tous les pays situés dans cette région, à l’exception de la République Arabe Unie. L’Algérie, une fois son indépendance acquise, y participerait aux côtés de la Tunisie et du Maroc. Comme amorce, une aide économique importante serait offerte. Je m’efforcerai de vérifier le bien-fondé de ces rumeurs concernant ce pacte méditerranéen, dont le projet me semble plutôt utopique, vu la méfiance des pays arabes à l’égard de tout pacte avec l’Ouest.
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