Grundlagenpapier des EPD zur Neutralitätspolitik und der Ausfuhr von Kriegsmaterial.
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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 19, doc. 7
volume linkZürich/Locarno/Genève 2003
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001E#1969/121#4604* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(E)1969/121 161 | |
Dossier title | Allgemeines (1949–1954) | |
File reference archive | B.51.14.21.20 |
dodis.ch/9309
POLITIQUE DE NEUTRALITÉ ET EXPORTATION DE MATÉRIEL DE GUERRE
L’arrêté du Conseil fédéral du 28 mars 19492, qui réglemente actuellement la fabrication, le commerce et notamment l’exportation de matériel de guerre, est l’aboutissement d’une politique qui a passé par plusieurs phases sous l’influence des fluctuations de la conjoncture internationale. C’est en quelque sorte le résultat d’une synthèse des points de vue politique et militaire qui s’opposaient. On sait que l’art. 41 de la Constitution fédérale, modifié par votation fédérale en 19383, prescrit que l’importation et l’exportation d’armes et de munitions ne peuvent avoir lieu qu’avec l’autorisation de la Confédération. En 1944, le Conseil fédéral décréta une prohibition générale d’exportation de matériel de guerre4. Cet embargo, approuvé à l’époque par la majorité de l’opinion publique, fut rapporté en 19465. On en vint en 1949 au système actuel qui pose comme principe l’interdiction d’exportation des armes, munitions et explosifs tout en prévoyant que des exceptions ne peuvent être faites que si elles ne contreviennent pas à des accords internationaux, ni ne nuisent aux intérêts du pays. Seul le Conseil fédéral peut décider d’accorder ces exceptions. Des catégories d’armes, de caractère essentiellement défensif, y compris le matériel démodé de l’armée, peuvent en revanche être exportés au bénéfice d’autorisations délivrées par le Département militaire d’entente avec le Département politique.
A titre d’indication, relevons que nos exportations d’armes se sont élevées, au cours des trois dernières années,
en 1949 à Frs 31 millions en 1950 à Frs 25 millions en 1951 à Frs 75 millions
Par rapport à nos exportations totales, les chiffres de nos exportations d’armes ne sont pas élevés, mais si néanmoins ils peuvent impressionner quelques esprits, il ne faut pas oublier qu’il s’agit, dans la règle, de matériel fort coûteux dont le volume n’est pas considérable. Dans le programme d’armement que s’impose maintenant la plupart des Etats, les livraisons de la Suisse ne représentent qu’un apport infime.
Les exportations de certains produits du secteur civil (machines-outils, appareils de haute précision, etc.) sont souvent plus importantes pour la guerre que les armes proprement dites.
Nos exportations qui se sont, nous l’avons vu plus haut, maintenues dans des limites étroites ne sauraient jamais être considérées comme susceptibles d’augmenter sérieusement le potentiel de guerre des armées étrangères. On peut citer, à titre d’exemple, que toute l’exportation suisse de munitions de DCA de 20 mm en Allemagne pendant la dernière guerre ne dépassait pas les quantités de munitions employées pendant une journée de bombardement de Berlin. En outre, toutes les réserves de munition se trouvant en Suisse pendant cette période n’auraient suffi qu’à une seule journée de bombardement sur Cologne.
L’exportation de matériel de guerre présente, pour la Confédération, des aspects politique, militaire et économique.
a) Notre neutralité est une neutralité armée qui nécessite le maintien d’une armée forte et capable d’assurer notre défense nationale. Or, pour remplir cette tâche, l’armée, pour n’être pas tributaire de l’étranger, doit pouvoir être soutenue par une industrie d’armement apte à lui fournir l’équipement moderne indispensable. Mais il est impossible que cette industrie puisse atteindre le développement nécessaire et travailler dans des conditions rentables grâce aux seules commandes du marché intérieur. Elle doit pouvoir compter sur l’exportation qui, en lui donnant les marges de profit suffisantes, lui permet aussi de poursuivre ses recherches scientifiques.
Les règles du droit des gens (Conférence de La Haye 1907) déterminent nettement les devoirs des neutres en temps de guerre relativement au commerce d’armes; elles restent muettes en ce qui concerne le temps de paix. Notre politique dans ce domaine doit s’adapter aux exigences de notre neutralité. La seule exigence que nous voyons, et qui pourrait être considérée comme règle immuable et absolue pour une politique de neutralité perpétuelle, est la règle de la non-discrimination qui découle elle-même des relations amicales de pays neutres avec tous les pays du monde. Cette règle devrait donc nous interdire de faire des discriminations entre les Etats désireux de recevoir des armes de fabrication suisse. Mais en pratique, l’interprétation donnée à l’arrêté du 28 mars 1949 crée des différences marquées de traitement dans la distribution des licences d’exportation. En effet, celles-ci ne sont accordées que selon certains critères qui tiennent compte des conjonctures politiques du moment. C’est ainsi que l’exportation est refusée à des pays se trouvant au carrefour de tension internationale ou qui sont susceptibles de devenir des foyers de guerre.
La situation internationale est actuellement dominée par l’antagonisme des deux blocs d’Etats communistes et non-communistes. La Suisse n’exporte des armes que vers le groupe des Etats non-communistes. Il est vrai que cette situation ne découle pas de l’attitude des autorités fédérales, car seuls les pays du groupe non-communiste ont passé des commandes à nos industries, les pays de l’Est s’étant abstenus jusqu’à présent. Il y a lieu de supposer d’ailleurs que la plupart des maisons suisses travaillant avec l’Ouest n’accepteraient pas de commandes venant de l’Est.
Une question qui du point de vue de notre neutralité poserait un problème particulier est celle de l’exportation d’armes à un groupe d’Etats qui, en application des dispositions de la Charte de San Francisco, se seraient ligués contre l’agresseur en rupture de pacte. Cette exportation aurait évidemment une portée politique plus grande que celle destinée à un seul Etat. Aussi, les licences d’exportation ne devraient-elles dans ce cas être octroyées qu’aussi longtemps que les Etats de l’Est et ceux de l’Ouest continueront à faire ensemble partie de l’Organisationdes Nations Unies.
Sur le plan interne, les principaux adversaires de l’exportation d’armes se rencontrent dans les milieux religieux, dans certains groupements socialistes, d’autres étant au contraire favorables à l’exportation de matériel de guerre vu les possibilités de travail qu’elle donne. On fait état notamment du fait que la Suisse ne peut se déclarer pacifique et être le siège de la Croix-Rouge internationale, participer aux œuvres d’entr’aide de reconstruction et en même temps laisser se développer sur son territoire une importante industrie d’armements travaillant pour la guerre. Au point de vue du droit des gens ou de la politique de neutralité, ces arguments ne peuvent être considérés comme décisifs. La Suisse elle-même achète des armes à l’étranger et elle ne peut contester aux autres ce qu’elle fait elle-même; et cependant la Suisse ne se prépare pas à la guerre, mais à la conservation de la paix.
En outre, les autorisations d’exportation ne sont données que si les autorités fédérales sont convaincues que les armes serviront en premier lieu à la défense de l’Etat en cause et non à des buts offensifs.
b) Du point de vue militaire, l’industrie de l’armement se justifie pleinement. Si en temps de paix la collaboration des industries avec les services techniques militaires est précieuse pour permettre l’exécution des programmes d’armement, en temps de crise internationale ou de guerre, notre armée ne peut plus compter que sur la seule production suisse.
Si les besoins de l’armée suisse ne sont pas d’une très grande importance, en revanche, ils sont très divers. Aussi nous paraît-il que l’on n’a pas attaché suffisamment d’importance à la diversité dans notre production d’armement au détriment de la spécialisation. C’est cette dernière, en effet, qui risque de donner à certaines de nos industries une expansion trop grande et provoquer des commandes étrangères trop importantes. Ainsi peuvent se créer en Suisse des usines dont l’ampleur ne cadre plus avec nos traditions industrielles. Du point de vue de notre neutralité ceci peut présenter évidemment de sérieux inconvénients.
c) Du point de vue économique, on peut d’abord relever le fait que l’industrie des armements, par les nombreuses commandes qu’elle passe à d’autres entreprises, contribue sensiblement à accroître l’activité industrielle du pays. Elle crée aussi des possibilités de travail dans de nombreuses couches de la population. En temps de guerre, son rôle est encore plus important, car elle est alors l’une des seules industries florissantes.
Enfin, l’exportation d’armes peut être utile au ravitaillement du pays. La Suisse a déjà pratiqué cette méthode en exigeant des Etats acheteurs des contreparties en matières premières et produits rares. Si les Etats communistes devaient un jour modifier leur attitude, le Conseil fédéral pourrait subordonner les autorisations d’exportation à la fourniture de matières premières rares. Cette manière de faire ne serait pas contraire au «Gentlemen’s Agreement» passé en 1951 avec les Etats-Unis d’Amérique6, puisque celui-ci prévoit la compensation de produits de valeur stratégique égale. Il convient aussi de souligner que vu la rareté de la devise suisse, seuls les Etats qui sont poussés par la nécessité font appel à l’industrie suisse d’armement. Ces achats s’effectuent donc sur une assez petite échelle et leur règlement se fait toujours en dehors du trafic lié de paiements, soit en dollars libres. Ils ne posent donc pas de problèmes de transfert.
La réglementation actuelle offre une base légale suffisante pour permettre au Conseil fédéral d’adopter toute politique qu’il estimerait devoir suivre dans ce domaine et notamment pour la maintenir dans la ligne qu’impose notre neutralité.
L’interdiction d’exportation est prescrite par cette réglementation. On peut faire ou ne pas faire les exceptions qu’elle permet. Toute la question est donc de savoir si seule l’interprétation qui a été donnée à l’arrêté est compatible avec notre politique de neutralité. Il y a lieu de relever qu’elle n’a provoqué aucune critique quelconque à l’étranger. Aux yeux des autorités américaines, l’arrêté de 1949 a été considéré comme offrant toutes les garanties qu’elles demandaient à certains pays dans le cadre du problème Ouest-Est.
Il n’apparaît donc nullement nécessaire de modifier, du point de vue de l’opportunité, l’arrêté du 28 mars 1949, et dans les circonstances actuelles, il ne serait guère indiqué de soulever un débat sur cette délicate question. Il convient de rappeler que c’est à la demande qu’a adressée le Chef du Département militaire en 19507 que le Département politique avait assoupli cette interprétation, de manière à permettre à nos industries, menacées de chômage, d’exporter des armes vers des pays nouveaux. Il s’agissait notamment des pays arabes, d’Israël, des Indes et des pays d’Extrême-Orient, car à l’époque des contrats de vente d’armes n’avaient été conclus qu’avec certains pays de l’Amériquedu Sud.
En conclusion nous arrivons à la ligne de conduite suivante plus conforme aux règles de la politique de neutralité et aux intérêts vitaux de la Suisse. Il n’y a qu’une règle de neutralité absolue: celle de la non-discrimination, mais sur le plan interne, il est dans l’intérêt de la neutralité armée suisse que la production soit aussi diverse que possible.
La Confédération accordera donc l’autorisation d’exportation en direction de tous les pays du monde, mais veillera à ce qu’il n’y ait pas d’exportation massive d’une seule espèce d’armements; elle contingentera donc l’exportation.
En conséquence, le Département politique a l’honneur de proposer
1. que les permis d’exportation de matériel de guerre soient dorénavant délivrés pour tous les pays sans discrimination, toutefois dans des limites qui excluent l’exportation massive d’une seule catégorie d’armements;
2. que les dispositions nécessaires soient prises, d’entente avec les départements intéressés, pour contingenter l’exportation de matériel de guerre8.
- 1
- Propositon (Copie): E 2001(E)1969/121/161. Paraphe: RP. Il n’y a pas de décision du Conseil fédéral sur cette affaire.↩
- 2
- Sur l’adoption de cet arrêté, cf. DDS, vol. 17, doc. 123, dodis.ch/4180(dodis.ch/4180).↩
- 3
- Cf. DDS, vol. 12, doc. 426, dodis.ch/46686.↩
- 4
- Cf. DDS, vol. 15, doc. 432, dodis.ch/48036.↩
- 5
- Cf. DDS, vol. 16, doc. 101, dodis.ch/158 et note 13.↩
- 6
- Sur cet accord, cf. DDS, vol. 18, doc. 105, dodis.ch/8820 et 106 (dodis.ch/7230).↩
- 7
- Cf. DDS, vol. 18, doc. 37, dodis.ch/8683(dodis.ch/8683).↩
- 8
- Lors de sa séance du 27 juin 1952, le Conseil fédéral délibère dans le sens des propositions du Département politique, cf. E 1003(-)1970/343/ R 3105.↩
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Neutrality policy Military policy Import of munition UNO – General East-West-Trade (1945–1990)