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Documents Diplomatiques Suisses, vol. 10, doc. 286
volume linkBern 1982
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E7800-03#1000/1119#275* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 7800-03(-)1000/119 153b | |
Titre du dossier | Conférence monétaire et économique à Londres: Correspondence (1933–1933) | |
Référence archives | 14 |
dodis.ch/45828
Délégation suisse à la Conférence monétaire et économique de Londres Procès-verbal de la séance tenue à Londres (Grosvernor House), le 12 juin 19331
Sont présents2: MM. Stucki3, qui préside; Paravicini, Ministre de Suisse; Bachmann, Bindschedler, Jaberg, Laur, Rüfenacht4, Sarasin, Wetter. Secrétaires: MM. Rossy et Parodi.
M. Stuckisouhaite la bienvenue aux membres de la délégation, à M. le Ministre Paravicini et au Dr Rüfenacht. Il donne les raisons pour lesquelles le Conseil fédéral a jugé bon de ne pas adjoindre le Ministre de Suisse à la délégation. La délégation peut, en effet, être appelée à brusquer certains pourparlers pour des raisons de tactique, et il importe que la position de la Légation qui, elle, est un organe permanent, n’en soit pas affectée. A l’occasion d’autres conférences, le Conseil fédéral avait déjà adopté cette même ligne de conduite.
M. Paravicini5 déclare avoir compris les raisons qui militent en faveur de la nonparticipation d’un diplomate aux travaux officiels de la délégation.
M. Paravicini est invité à prendre part aux séances de la délégation suisse ou à y faire représenter la Légation. M.le Dr Rüfenacht est désigné à cet effet.
Attitude générale de la délégation suisse.
Les délégués suisses devront s’imposer une grande prudence dans leurs rapports avec les délégués étrangers.
Il va sans dire que vis-à-vis de l’étranger, les délégués suisses ne peuvent avoir qu’une opinion unique. Toute divergence d’opinion sur des problèmes de quelque importance doit être réglée au cours des séances de la délégation et chacun doit s’en tenir à la décision qui sera prise.
Attitude de la Suisse à l’égard de quelques pays.
M. Stuckiattire l’attention de la délégation sur la situation spéciale de la Suisse à l’égard de quelques grands pays.La France vient de dénoncer le traité de commerce franco-suisse6. Bien que ce traité ait valu à nos voisins une position absolument privilégiée, qui se traduit par un excédent favorable pour la France d’un ordre de grandeur de 900 millions de francs français, ce sont des principes purement doctrinaires (reprise de la liberté tarifaire) qui ont amené la France à prendre cette mesure.
La ligne de conduite à adopter dans les discussions avec les délégués français consiste à leur faire comprendre que la France ne trouvera une solution aux problèmes de sa politique commerciale qu’en recourant au système des contingentements (système suisse) et non à celui de l’élévation des tarifs douaniers (système français). La thèse française de la réciprocité de la hausse des positions tarifaires doit être rejetée. Notre arme principale dans les discussions avec la France est le contingentement et le refus de la clause de la nation la plus favorisée à l’égard de ce pays. Comme argument accessoire, on peut faire valoir que les pays à base monétaire or (France, Hollande, Suisse et, à un moindre degré, Belgique et Italie) ont un intérêt majeur à faire un front commun pour le retour à des conditions générales plus ordrées dans le monde entier.
M. Laurremarque que la dénonciation du traité de commerce par la France n’est pas seulement la conséquence d’une doctrine plus ou moins soutenable et qu’elle a été dictée par la situation économique générale de ce pays. Ce que M. Stuckia reconnu implicitement.
M. le Dr Bachmannrelève l’étroite collaboration de la Banque de France avec les banques d’émission des pays à monnaie or et fait part de ce que les relations entre la Banque de France et le Ministère français des finances ne sont pas en tous points satisfaisantes.M. Stuckirelève que le grand problème qu’il faut résoudre avec ce pays est le problème du moratoire des transferts7. Le Conseil fédéral a fait savoir à Berlin que la Suisse resterait sur le terrain du droit et qu’elle demande d’entrer en relations immédiatement aux termes de l’art. 3 du traité de commerce8. Ces négociations doivent, aux termes des traités en vigueur, commencer dans les quatre semaines qui suivent la notification et au bout de quatre autres semaines de négociations, l’ancien traité devient caduc. Les négociations devront avoir lieu à Londres puisque les instances responsables de tous les pays se trouvent ici. La Suisse attend les propositions de son partenaire. Le Conseil fédéral a désigné M. Stucki et M. Bachmann pour mener ces négociations. On aura recours à d’autres membres de la délégation, notamment aux représentants des banques et à M. Wetter, dès qu’on entrera dans des questions de détail.
Le principe général qui devra dominer ces négociations est celui du paiement intégral par l’Allemagne au moyen de ses exportations de marchandises en Suisse.
M. Stucki fait remarquer encore que nous sommes liés par le traité de commerce pour une durée de deux fois quatre semaines, comme il vient de l’indiquer, mais que nous sommes entièrement libres sur la question de nos paiements.
Sur une question de MM. Laur et Wetter, M. Stuckiprécise bien que ce n’est pas le problème du traité de commerce qui se trouve au premier plan, mais que c’est bien celui des transferts et que nous pouvons simplement être appelés à dénoncer le traité de commerce comme mesure de tactique dans les négociations au sujet des transferts.
M. Jabergrelève le fait que pour le moment, les avoirs compris sous le «Stillhalte9» ont été exclus du moratoire des transferts. Les négociations concernant la prorogation des crédits «Stillhalte» s’ouvriront le 13 juin et porteront tout d’abord sur les crédits bancaires. Les représentants de la Suisse dans ces négociations n’ont pas à formuler de propositions. L’initiative appartient à l’Allemagne. Trois jours plus tard, commenceront les négociations relatives à la catégorie des créances à court terme sur les corps publics allemands et quelques jours plus tard celles relatives aux créances à long terme (emprunts, etc.).
M. Jaberg propose d’inviter les représentants de la Suisse aux séances de la délégation pour travailler en commun accord dans ce domaine.
M. Stuckiconsidère cette proposition comme allant de soi. Il pose la question d’un traitement différentiel en faveur notamment des emprunts Young et Dawes10.
M. Bachmannattire l’attention sur le fait que si les créances dérivant des accords de Stillhalte sont exclues du moratoire des transferts il faut l’attribuer uniquement à la circonstance que leur inclusion dans le moratoire rendrait caducs ces accords de prorogation. On peut se demander si les créances de Stillhalte de caractère commercial (crédit documentaire pur) n’auront pas un sort plus favorable que les autres. En tout état de cause, M. Schacht de la Reichsbank paraît ne plus être aussi intransigeant que c’était le cas tout au début11. Le premier indice de son évolution est déjà visible dans le fait que l’entrée en vigueur du moratoire a été renvoyée au premier juillet. Le problème du moratoire se complique du fait que tous les pays ne sont pas intéressés proportionnellement aux trois catégories atteintes par le moratoire. C’est ainsi que la France, par exemple, a la majeure partie de ses créances en Allemagne à long terme. Le gouverneur Moret fera tout pour assurer un traitement de faveur à ces catégories de créances. M. Schacht s’est déjà montré très réservé à l’égard des prétentions françaises.
Il s’est déjà constitué plusieurs comités de défense représentant les diverses catégories de créances.
M. Bachmanndéclare que M. Schwab de la Banque nationale ne pourra pas faire partie d’un de ces comités, la Banque nationale devant fonctionner comme office central de tous les groupes de créanciers suisses; et par conséquent la Banque nationale doit rester absolument neutre, ce qui ne serait plus le cas si un de ses fonctionnaires représentait un groupe d’intéressés.
M. Bindschedlerrelève que les divers pays ne tombent pas d’accord sur les catégories de créances auxquelles doit s’appliquer la préférence. Il pense dès lors qu’une entente générale ne sera guère réalisable et que la Suisse n’a aucun intérêt de s’associer à des négociations en vue d’un traitement de préférence en faveur de l’une ou de l’autre catégorie de créances. La position de la Suisse est forte du fait de nos fortes importations de marchandises allemandes.
M. Jabergfait remarquer qu’à Berlin12 déjà les représentants de la Suisse se sont entretenus de cette question de préférence, mais qu’ils ont décidé de ne pas donner suite à cette idée. Il remarque que l’emprunt Dawes est mieux protégé que d’autres créances, vu les clauses qui devraient en assurer le paiement. La Suède appuiera fortement pour accorder un droit de préférence à l’emprunt Dawes, vu que d’autres créances suédoises (Kreuger) portent une clause analogue.
M. Stuckiest également d’avis que la Suisse ne peut s’engager dans des discussions ayant trait à des traitements préférentiels, car en vertu de sa position commerciale extrêmement forte vis-à-vis de l’Allemagne, elle doit exiger le paiement de toutes les créances sans distinction. Il fait encore remarquer que déduction faite de nos propres exportations en Allemagne et des sommes dépensées par l’Allemagne pour le tourisme en Suisse et des intérêts des créances suisses tombant sous le coup du moratoire, la Suisse a encore un solde passif important à régler.
M. Bindschedlerest également d’avis que la Suisse doit exiger le paiement intégral.
M. Wetterpense que la Suisse affaiblirait sa position si elle se prêtait à discuter la question d’un traitement préférentiel de certaines catégories de créances.
M. Stucki relève encore qu’il sera désirable d’attirer l’attention des Français et des Hollandais, par exemple, sur le fait que, pas plus que nous ils n’ont intérêt à faire cause commune avec les Etats-Unis qui, eux, ont une balance commerciale favorable vis-à-vis de l’Allemagne. M. Stucki a déjà pris contact avec des milieux hollandais et il n’a pas constaté une ligne de conduite très ferme dans ces milieux.M. Stuckidéclare qu’il sera bon de faire remarquer aux Anglais le dommage que la chute de la livre sterling a causé à notre balance des paiements et que la Suisse est l’un des pays qui a le plus souffert de l’abandon de l’ancienne parité monétaire par l’Angleterre13.M. Stuckifait remarquer que les Américains ont contribué à amorcer la crise par un protectionnisme exagéré14 et que par conséquent les propositions américaines d’une trêve douanière15 ne sauraient être acceptées puisque cette trêve aurait pour seul effet d’empêcher les autres pays d’élever leurs droits comme les Etats-Unis l’ont déjà fait. Au surplus, les Etats-Unis pratiquent encore un dumping de change.M. Stuckirapporte les plaintes de l’Italie au sujet de notre politique de contingentement16. Il convient de ne pas oublier que l’Italie a une organisation corporative qui lui permet d’atteindre en somme le même résultat et sans recourir au contingentement proprement dit. Elle recourt simplement à une autre tactique qui a le même effet que le contingentement. Notre balance commerciale avec l’Italie est passive, en sorte que notre position pour les négociations avec ce pays est favorable.M. Stucki: Notre balance commerciale avec les Pays-Bas, qui était active autrefois, est maintenant passive. Ce renversement de situation s’explique par la cherté relative de nos produits, car la Hollande se procure actuellement, dans des pays meilleur marché que le nôtre, quantité de marchandises qu’elle achetait précédemment chez nous. Il s’agira de faire connaître aux Hollandais qu’ils ont intérêt à passer des commandes à l’industrie suisse plutôt qu’à l’industrie allemande, puisque l’Allemagne ne fait plus face à ses engagements financiers envers la Hollande. On peut ainsi demander aux Hollandais une certaine préférence en faveur du commerce suisse et cela d’autant mieux que notre pays est un bon client de la Hollande.M. Stuckiremarque que ce qui vient d’être dit des Pays-Bas s’applique également à la Belgique. Notre balance commerciale avec ce pays a toujours été passive pour la Suisse, mais le solde s’est accru ces dernières années.
Considérations d’ensemble.M. Bachmann: Les divers pays encore attachés à l’ancienne parité or paraissent vouloir s’entendre pour faire un front contre l’Allemagne et les Etats-Unis, et la France a déclaré vouloir prendre la direction de ce front. Il y a actuellement à Londres 300 millions de livres sterling de «bad monney» [sic] et une entente sera sans doute nécessaire entre la France, les Etats-Unis, l’Amérique, si l’on veut éviter que ces fonds vagabonds ne compromettent la situation monétaire de la Grande-Bretagne lorsque la £ sera stabilisée. MM. les gouverneurs Trip, Franck et M. le président Bachmann se sont déjà entretenus de ces questions17.
M. Laurdemande quelle est l’importance des avoirs suisses en Italie.
MM. Jaberg& Bindschedlerdéclarent que ces avoirs ne sont pas importants. Par contre, la Suisse a des créances à long terme d’un certain montant contre l’Italie.
M. Bindschedlerfournira des chiffres relatifs à l’importance des placements suisses en Italie.
- 1
- E 7800 3/153b.↩
- 2
- Sur la composition de la délégation suisse cf. no 281.↩
- 3
- Le 16 juin suivant, le Conseil fédéral attribuait à Stucki le titre de Ministre. Cf. le procès-verbal de la séance: M. le chef du département politique communique que M. le président l’a consulté sur la question de savoir s’il ne serait pas indiqué d’accorder à M. Stucki, directeur du commerce, le titre de ministre. Après examen, il est arrivé à une conclusion nettement affirmative. Depuis quelques années, les fonctions de M. Stucki se sont élargies et ont dépassé le cadre de l’activité régulière d’un directeur du commerce. Les capacités dont il a fait preuve dans les missions qui lui ont été confiées l’ont placé sur un plan international où son action est d’ordre non plus seulement économique, mais éminemment diplomatique. En lui attribuant le titre de ministre, le Conseil fédéral lui assurera un rang égal à celui de nombreuses personnalités avec lesquelles il doit traiter, notamment comme chef de la délégation à la conférence économique de Londres; il lui facilitera ainsi, dans l’intérêt du pays, l’accomplissement de sa tâche. Après discussion, le conseil décide, conformément à la proposition du chef du département politique, d’accorder à M. Stucki, à titre exceptionnel et en raison de son activité personnelle, le titre de ministre (E 1004 1/340).↩
- 4
- W. Rüfenacht, secrétaire à la Légation de Londres.↩
- 5
- Voir son rapport politique du 2 juin (A la veille de la Conférence), no 279. Ses autres rapports du 15 juin (Conférence mondiale) et du 31 juillet (L’ajournement de la Conférence) n’ontpas été reproduits. Cf. E 2300London, Archiv-Nr. 27.↩
- 6
- Par note du 2 juin. Cf. no 280.↩
- 7
- La loi du 9 juin 1933 sur les règlements à effectuer à l’étranger (entrée en vigueur le 1er juillet), oblige les débiteurs allemands à se libérer en marks auprès de la caisse de conversion de toutes prestations périodiques échues à titre d’intérêts, de participations aux bénéfices, d’amortissement, de loyers, etc., qui sont acquises à des étrangers (RG, 1933, pp. 120-122).↩
- 8
- Du 5 novembre 1932, entré provisoirement en vigueur le 17 novembre suivant (RO, 1934, vol. 50, pp. 1331-1343). Cf. no 207.↩
- 9
- Le «Stillhalteabkommen» (cf. aussi no 94, n. 2) avait été conclu le 19 août 1931 entre les créanciers étrangers de l’Allemagne et les banques et firmes allemandes.↩
- 10
- Emprunts émis par le gouvernement allemand à la suite des Plans Dawes (1924) et Young (1929) pour le règlement des réparations de guerre allemandes. Sur l’émission de ces emprunts en Suisse cf. no 354.↩
- 12
- Cf. no 283.↩
- 13
- Cf. no 102 etno 103.↩
- 14
- Sur la mise en vigueur du nouveau tarif américain en juin 1930 cf. no 16.↩
- 15
- Cf. no 281, n. 5.↩
- 16
- Cf. no 220.↩
- 17
- Cf. no 262, n. 5.↩
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Conférence économique et monétaire de Londres (1933)