Abgedruckt in
Diplomatische Dokumente der Schweiz, Bd. 20, Dok. 15
volume linkZürich/Locarno/Genève 2004
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Archiv | Schweizerisches Bundesarchiv, Bern | |
▼ ▶ Signatur | CH-BAR#E2300#1000/716#626* | |
Alte Signatur | CH-BAR E 2300(-)1000/716 301 | |
Dossiertitel | New Delhi, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte: Berichterstattung Minister Rezzonicos über die Lage der Schweizerfirmen in Indien, Band 8 (1955–1955) |
dodis.ch/11594
A la veille de mon départ pour l’Inde, vous m’aviez recommandé d’observer aussi l’activité déployée dans ce pays par l’Allemagne occidentale en matière économique. J’ai recueilli déjà quelques données; elles sont encore insuffisantes pour présenter un tableau complet de la situation. Je me propose, dès lors, de revenir à ce sujet plus tard.
Avec votre permission, je voudrais vous entretenir aujourd’hui d’un problème lié au précédent et si je me permets de donner à mon exposé la forme d’une lettre privée, c’est qu’elle m’autorise à étayer ma pensée d’indiscrétions auxquelles un rapport officiel barrerait le chemin.
Je rentre d’un voyage de service à Bombay. Comme c’était le cas pour Shanghaï, on sent dans cette ville battre le pouls des affaires. J’ai visité personnellement chaque maison suisse installée dans la métropole. Mes conversations avec quelques-uns de nos ressortissants m’ont révélé qu’un certain malaise s’est emparé d’eux qui trouve son explication dans ces quelques mots tombés des lèvres de M. Krishnamachari, Ministre du commerce et de l’industrie, et qui leur ont été rapportés: «O these Swiss traders…» («Oh! ces commerçants suisses…»). Quelques semaines plus tôt, mon ami, le Sardar Panikkar, dont le nom revenait souvent dans les rapports que j’avais l’honneur de vous adresser au cours des deux premières années de mon séjour à Pékin3 où il était Ambassadeur de l’Inde4, avait, lui aussi, fait une allusion au fait que les Indiens semblaient penser qu’ils avaient «été eus» dans les accords conclus avec la fabrique de machines d’Oerlikon (Bührle)5 concernant l’installation d’usines de machines-outils et d’armement en Inde. «Nous n’avions pas encore, à l’époque, l’expérience que nous avons acquise depuis dans la discussion de problèmes de ce genre», ajoutait mon interlocuteur. Il n’avait pourtant pas été en mesure de me fournir les précisions que j’aurais souhaité recevoir et j’ai dû me borner à rétorquer: «les Suisses, on le sait, sont pointilleux dans la négociation d’un contrat comme on sait également qu’ils mettent la même humeur dans l’exécution de l’accord une fois conclu.» J’ai appris à Bombay que l’application du contrat relatif aux machines-outils auquel se référait, notamment, le Sardar Panikkar, hâtivement mis sur pied, donne maintenant lieu à des différends dans l’interprétation de certaines clauses et que les intéressés se trouvent devant l’alternative d’en conclure un nouveau ou de soumettre l’affaire à l’arbitrage. Je continue à suivre cette question6.
La remarque de Panikkar et celle, plus vague encore, qui préoccupe un peu nos compatriotes de Bombay m’ont incité à m’entourer d’autres éléments susceptibles d’éclairer ma lanterne. M. Frank Moraes, rédacteur de l’important «Timesof India» est un ami à moi (il a saisi l’occasion de mon passage à Bombay pour publier sur mon compte des lignes par trop élogieuses). Il m’a invité à déjeuner en tête-à-tête; vers la fin d’une conversation des plus intéressantes, j’ai guidé notre entretien sur des questions économiques et j’ai fini par lui poser franchement la question que j’avais en tête: «Que pense-ton dans votre pays des industriels et hommes d’affaires suisses?» Il m’a répondu tout aussi franchement «en ami». «Ils ne sont pas en odeur de sainteté en haut lieu». Il semblerait que certains de nos compatriotes auraient dénigré les mesures prises par le gouvernement de l’Inde en vue de l’«indianisation»7 des entreprises étrangères fixées dans le pays (il s’agit de remplacer les employés étrangers par 70% d’indigènes à fin 1958, en procédant par étapes annuelles). Les propos indiscrets prêtés à nos ressortissants auraient été rapportés et seraient parvenus aux oreilles de certains membres du gouvernement. Moraes, qui tient son information de Krishnamachari en personne, a précisé que le Ministre s’est montré satisfait de l’attitude adoptée par la maison Sandoz et a cité, comme exemple du contraire, la maison Ciba.
J’introduis, ici, une parenthèse. J’ai fait savoir à mon ami que j’étais inquiet de constater que ce qui ne peut être que des racontars ou des commentaires – même un peu imprudents, gonflés par des gens qui pourraient avoir un intérêt à le faire – puissent être susceptibles de jeter une ombre sur les bons rapports économiques suisso-indiens8. Je savais, ai-je précisé, par certaines conversations que je venais d’avoir avec plusieurs de mes compatriotes qu’ils sont au contraire soucieux d’apporter leur tribut à l’«indianisation» et que si les progrès sont un peu plus lents dans le cas de certains Suisses que chez les Britanniques (cités comme modèles), ce fait est dû à des circonstances indépendantes de la volonté des premiers. Dans l’entreprise Volkart, par exemple, le programme d’«indianisation» n’a pas encore pu être réalisé entièrement, en raison de complications créées par la fusion d’une partie de cette maison avec la compagnie Tata, mais le directeur Mueller m’avait assuré que le temps perdu est prêt d’être rattrapé. (J’ajoute aussitôt que Volkart jouit d’une excellente réputation en Inde et l’entreprise Voltas – Volkart plus Tata – constitue une expérience heureuse)9. Je reverrai M. Frank Moraes lorsqu’il viendra passer quelques jours à la Nouvelle Delhi et je reprendrai le fil de notre conversation car je tiens à me servir de lui pour dissiper ce nuage.
Lorsque j’ai fait ma visite de courtoisie au Ministre Krishnamachari, il y a quelques semaines, je m’étais entretenu avec lui de l’activité des maisons suisses en Inde et je l’avais assuré des excellentes dispositions de nos ressortissants à l’égard du développement économique de ce pays. J’ignorais, alors, tout de ce que je vous expose dans la présente lettre. Mon hôte, de son côté, n’y a fait aucune allusion ce qui permet, j’en suis sûr, d’envisager la situation avec calme. Je veille, naturellement, au grain.
J’ai mis notre Consul général à Bombay10 au courant de ce que je savais et je lui ai recommandé de saisir toute occasion propice pour recommander à nos ressortissants d’être prudents dans les jugements qu’ils portent en présence de leurs amis indiens et du personnel indigène employé dans leurs bureaux.
Je reviens à Ciba. Il y a quelques années, le directeur suisse de la succursale de Bombay11, dont le contrat a été résilié à la fin de cette année, avait cru «habile» d’accepter les services du fils du chef de la police de Bombay12 ainsi que d’un autre Indien, M. Seghal, gendre de Mme Pandit, Haut-Commissaire de l’Inde à Londres et, comme vous le savez, sœur du Premier Ministre13. Ce jeune homme, dont la seule qualification réelle semble être l’ambition, n’est pas satisfait de la situation qu’il a trouvée chez Ciba.
La maison bâloise vient d’obtenir l’approbation du gouvernement central pour l’installation d’une fabrique de produits pharmaceutiques. Le projet n’est pas encore en voie d’exécution en raison du fait, m’assure un des directeurs de Ciba à Bombay, que le gouvernement de la province soulève des difficultés. Le directeur de Ciba croit que l’attitude du gouvernement de la province s’explique par quelque intervention de la part de M. Seghal. L’affaire se complique du fait que le 40% du capital de la nouvelle usine indienne doit être souscrit par des ressortissants du pays. Bâle aimerait pouvoir choisir ses actionnaires, alors que M. Seghal est sur les rangs en son nom, au nom de Mme Pandit, en celui de la sœur14 de cette dernière et de son mari M. Huthee Singh. Si la famille pouvait souscrire une partie du nouveau capital, M. Seghal espérerait passer au conseil d’administration de l’entreprise! L’affaire en est là pour le moment. Je vous donne ces détails pour que vous ayez un aperçu aussi complet que possible de la situation.
Le lendemain de ma conversation avec M. Moraes, je faisais une visite de courtoisie à M. Moraji Desai, «Chief Minister» (en traduction libre: «Premier Ministre») de la province de Bombay. Cet homme énergique et intelligent est très puissant. Il m’a reçu fort aimablement. Ayant lu dans un journal local (autre que le «Timesof India») qui signalait ma présence dans sa ville que je m’intéresse à l’histoire, l’histoire de l’art et celle des civilisations, il s’est lancé dans un entretien sur les religions. Desai, en dépit de ce que je viens d’écrire, est un grand mystique. J’ai tout de même réussi à le faire descendre sur terre et je lui ai parlé des intérêts économiques suisses représentés à Bombay. Je lui ai répété à peu près ce que j’avais dit à Krishnamachari, à Panikkar et à Moraes. Il m’a affirmé que nos compatriotes ne lui causent «aucun mal de tête» et, en prenant congé de moi, il a remarqué: «Si vous deviez avoir besoin de mes services, n’hésitez pas à vous adresser à moi.» Une remarque de plus que je trouve tranquillisante.
Une commission composée de compatriotes représentant une série de maisons suisses intéressées à un contrat de livraison d’automotrices pour les chemins de fer indiens a passé plusieurs semaines à Delhi. La négociation s’est montrée laborieuse. Alors que les concurrents avaient signé sans hésiter le contrat qui leur était présenté, nos agents ont dû se montrer plus difficiles dans la discussion. Les intéressés suisses faisaient certaines réserves, notamment dans la question du paiement. L’Inde veut payer en livres sterling, les Suisses préféreraient des versements en francs suisses. Après avoir cédé sur ce point, nos industriels exigeaient l’introduction dans le contrat d’une clause de change les couvrant jusqu’au moment où la garantie contre les risques à l’exportation leur serait octroyée. Le délai pour la signature du contrat expirait le 4 juin à midi. Les concurrents étaient derrière la porte, pour ainsi dire plume en main et prêts à signer le contrat qui était sur le point de nous échapper. Grâce à une intervention de la Légation, ce délai a été prolongé et un premier contrat signé. Un échange de lettres prévoit que certains points devront encore être discutés à l’occasion de la signature de l’accord définitif qui doit se faire à Londres. Là encore, pour des raisons que je comprends, l’industrie suisse s’est montrée «difficile». C’est précisément ce qu’on lui reproche ici. La concurrence étrangère est plus élastique. Les Indiens savent exploiter la situation, ils ont une tendance très marquée à assumer l’attitude «c’est à prendre ou à laisser». Dans l’évolution actuelle, non seulement en Inde mais dans tout le sud-est asiatique – la Birmanie commence une «birmanisation» du commerce et de l’industrie –15 se fait jour la tendance à négocier avec l’étranger aux conditions les plus favorables. Il entre dans cette attitude, peut-être subconsciemment, une certaine conception d’anti-occidentalisme et d’esprit de revanche pour l’«exploitation» passée. L’Asie est pressée de s’industrialiser et la Suisse ne semble pas toujours disposée à modifier ses méthodes, disons «conservatrices». L’avenir économique de notre pays dans cette partie du monde dépendra d’un effort de la part des industries suisses intéressées si elles ne veulent pas voir le marché leur échapper au profit de l’Allemagne, de la Belgique, de la France, du Japon et, en partie, de l’Italie.
Lorsque j’ai eu l’honneur de faire une visite à M. le Conseiller fédéral Streuli, avant de partir pour Delhi, je m’étais permis d’attirer son attention sur le fait que l’étiquette «made in Switzerland» et notre réputation de probité ne suffisaient plus à assurer notre place sur les marchés étrangers. Nos exportateurs devraient le comprendre et en tenir compte. En outre, le régime des économies ne doit pas être poussé jusqu’au point où il paralyse les efforts de nos représentations diplomatiques et consulaires dans le monde. J’avais relevé, en outre, que les difficultés rencontrées par les représentants de maisons suisses à l’étranger – tout particulièrement en Asie – vont en augmentant et que nous devrions être outillés pour faire face à la situation. Le long rapport, dont je m’excuse de vous imposer la lecture, prouve que je n’avais pas tort. Nous devons nous défendre contre la concurrence étrangère et, à l’instar des autres missions diplomatiques dont je suis l’activité, nous devons avoir recours à des moyens nouveaux comme celui des déplacements des chefs de postes et de leur attaché commercial. Ces prises de contacts sont indispensables. Mon récent voyage à Bombay m’en a fourni une première preuve. Le seul fait que je me trouvais dans cette ville m’a valu une invitation au thé chez le gouverneur16, une conversation avec le «Chief Minister»17, des prises de contacts avec les milieux industriels indiens et, enfin, une presse bien disposée à notre égard, a parlé pendant quelques jours de votre humble serviteur et de son pays. Pour me servir d’une expression anglaise dont je ne trouve pas l’équivalent en français, les voyages servent à «put Switzerland on the map».
- 1
- Lettre: E 2300(-)-/9001/301.↩
- 2
- Note manuscrite de M. Petitpierre en tête du document: En circulation auprès de MM. les Cons. féd. Streuli et Holenstein en les priant de considérer cette lettre comme confidentielle. 30. 6. M. P.↩
- 3
- Pour les rapports de C. Rezzonico depuis Pékin, cf. E 2300(-)-/9001/358.↩
- 4
- Cf. DDS, vol. 18, doc. 116, dodis.ch/7717 et DDS, vol. 19, doc. 16, dodis.ch/10159(dodis.ch/10159).↩
- 5
- Sur la question de l’accord avec Bührle, cf. la proposition du DFEP au Conseil fédéral du 3 juillet 1952, E 1004.1(-)-/1/543 (dodis.ch/8999).↩
- 6
- Sur les critiques formulées à l’égard de la fabrique de machines-outils d’Oerlikon en Inde, cf. E 2300(-)-/9001/301 et E 2200.64(-)1972/78/7.↩
- 7
- Sur la question de l’indianisation, cf. E 7110(-)1967/32/1112 et E 2200.64(-)1972/78/10.↩
- 8
- Sur les rapports économiques entre l’Inde et la Suisse, cf. DDS, vol. 19, doc. 34, dodis.ch/9618, (dodis.ch/9618).↩
- 9
- Sur la fondation de Voltas Ltd. en septembre 1954, cf. E 2200.64(-)1972/78/7.↩
- 10
- A. Sonderegger.↩
- 11
- O. M. Wenger.↩
- 12
- Non identifié.↩
- 14
- K. Huthee Singh.↩
- 15
- Annotation dans le texte original: je viens d’apprendre que le Ceylan s’apprête à en faire autant.↩
- 16
- Non identifié.↩
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