Language: French
10.2.1945 (Saturday)
Le Chef du Département politique, M. Petitpierre, au Président de la Confédération et Chef du Département de Justice et Police, Ed. von Steiger
Letter (L)
Rapport sur l’attitude du Département politique face à l’arrivée de convois de Juifs libérés des camps de concentration.

Classement thématique série 1848–1945:
IV. POLITIQUE HUMANITAIRE
IV.3. ATTITUDE DE LA SUISSE À l'ÉGARD DES JUIFS
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Printed in

Philippe Marguerat, Louis-Edouard Roulet (ed.)

Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 15, doc. 361

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Bern 1992

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Cover of DDS, 15

Repository

dodis.ch/47965
Le Chef du Département politique, M. Petitpierre, au Président de la Confédération et Chef du Département de Justice et Police, Ed. von Steiger1

Revenant sur ma lettre du 7 février2, je tiens à vous remercier encore de m’avoir offert l’occasion de prendre connaissance des renseignements que vous aviez recueillis sur le convoi de Juifs arrivé en Suisse le 7 février et de vous faire part de ce que j’ai appris de mon côté.

Vérification faite, ni moi-même, ni la Division des Affaires étrangères, ni la Division des Intérêts étrangers, ni encore le Délégué aux œuvres d’entraide internationale n’ont été informés à un moment quelconque des démarches de M. Musy, pas plus par ce dernier que par la Légation des Etats-unis à Berne ou par une tierce personne.

La nouvelle de l’arrivée du train de Theresienstadt a été annoncée à M. de Haller le 6 février vers 18 h. par un coup de téléphone de M. Bisang, qui représentait à Kreuzlingen la Division des Intérêts étrangers pour les opérations d’échange de prisonniers, de personnel sanitaire et de civils entre le Reich et les Alliés. M. Bisang venait d’être interpellé par un Conseiller de Légation du nom de Feihl, arrivé peu avant de Berlin à Kreuzlingen. Après avoir pris contact avec le Dr. Jezier, M. de Haller s’est borné à faire savoir à M. Bisang que vos services avaient pris les dispositions nécessaires pour la réception des passagers de ce train.

Pour donner suite au désir que vous aviez exprimé, j’ai saisi l’occasion que m’offrait, le 7 février, la visite du Chargé d’Affaires des Etats-unis pour l’interroger sur les perspectives d’évacuation de ce convoi hors des frontières suisses. J’ai également demandé à Mr. Huddle si au cas où, comme le prévoit M. Musy, les autorités allemandes sont prêtes à poursuivre le transport de Juifs à travers la Suisse à raison de 1200 par semaine, les Etats-Unis ou les Alliés se chargeraient de nous en débarrasser. En revanche, je n’ai pas jugé devoir, au cours de cette prise de contact, parler du paiement des frais d’entretien de ces réfugiés pendant la durée de leur séjour en Suisse. J’ai en effet pensé qu’il fallait éviter de paraître attribuer à ce point manifestement secondaire la même importance qu’au problème de l’évacuation. Il me semble d’ailleurs que le financement de l’hospitalisation de ces réfugiés soulève une question délicate qui mériterait d’être préalablement débattue entre nous, avant qu’elle ne soit abordée avec des Gouvernements ou organisations étrangers, en tenant compte notamment de l’intérêt que nous avons de rester maîtres des décisions que nous prenons quant au traitement à accorder aux intéressés durant leur séjour en Suisse; je suis convaincu que mon avis sur ce point doit correspondre absolument au vôtre.

Mr. Huddle m’a déclaré qu’il n’était pas en mesure de fournir des réponses à mes questions sans se documenter au préalable auprès de ses collaborateurs.

Cela étant, j’ai prié M. de Haller d’interroger Mr. McClelland, attaché spécial auprès du Ministre des Etats-Unis pour les questions de réfugiés.

Mr. McClelland a confirmé à M. de Haller ce dont il avait déjà fait part à MM. Jezler et Schiirch le jour de l’arrivée du train, savoir le 7 février3. Bien que vous ayez sans doute reçu des rapports circonstanciés de vos collaborateurs, je m’empresse de vous communiquer brièvement la relation que le Délégué aux œuvres d’entraide internationale m’a faite de son entretien avec Mr. McClelland: celui-ci a déclaré que, depuis quelque temps, on lui parlait d’efforts déployés par M. Sternbuch, chef de la communauté israélite-orthodoxe, pour diriger sur la Suisse des Juifs d’Allemagne. Mr. McClelland avait accueilli ces propos avec scepticisme. Lorsque, le samedi 3 février il fut avisé par M. Sternbuch de l’arrivée probable d’un train dans le délai d’une semaine environ, Mr. McClelland en fit aussitôt part par téléphone au Chef de la Division de Police.

En ce qui concerne la poursuite hors de Suisse du voyage des Juifs arrivés avant-hier et des membres de convois ultérieurs éventuels, Mr. McClelland a déclaré que la Légation des Etats-Unis avait demandé à Washington qu’on le mette en mesure de nous rassurer. Si la Légation n’a pas pu, sans autre, donner une réponse affirmative, ni à vos collaborateurs, ni à M. de Haller, c’est que les différentes communications reçues par elle du Département d’Etat concernant les Juifs qu’accueillerait la Suisse ne visaient pas spécifiquement le cas qui vient de se produire. Néanmoins, compte tenu de l’impression qui se dégage des diverses notes échangées au cours des derniers mois avec la Légation des Etats-Unis, il serait très surprenant que le State Department ne répondît pas dans un sens favorable. Cela dit, il est probable que, dans certains cas, les autorités américaines seront obligées de consulter d’autres Gouvernements, notamment celui des Pays-Bas, lorsqu’il s’agira de Juifs se réclamant d’une nationalité déterminée, ce qui est apparemment le cas pour un certain nombre des membres du convoi hospitalisé à St-Gall.

Comme M. le Conseiller Fédéral Nobs, Chef du Département fédéral des Finances et des Douanes, ainsi que le Chef du Service territorial ont reçu copie des lettres que vous m’avez adressées les 6 et 7 février4, je leur communique les termes de la présente réponse.

1
Lettre: E 4001 (C) 1/265. Paraphe: AO.
2
E 2001 (D) 1968/74/14.
3
Cf. la notice de Schürch datée du 7 février 1945, E 4260 (C) 1974/34/108.
4
E 2001 (D) 3/175.Sur cette affaire, cf. aussi E 2803/1969/302/2, E 2001 (D) 11/9, E 2800/1967/59/18, E 4800 (A) 1967/111/110.