Classement thématique série 1848–1945:
6. POLITIQUE ET ACTIVITÉS HUMANITAIRES
6.2. POLITIQUE FACE AUX RÉFUGIÉS ET AUX JUIFS
6.2.1. GÉNÉRALITÉS
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 14, doc. 153
volume linkBern 1997
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2001D#1000/1552#535* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2001(D)1000/1552 29 | |
Titre du dossier | Spezielle Berichte (1939–1943) | |
Référence archives | A.21.24 |
dodis.ch/47339
Le Chef de la Division des Affaires étrangères du Département politique, P. Bonna, aux Légations de Suisse à l’étranger1
INTERNEMENT ET HOSPITALISATION
Comme vous vous en souviendrez, c’est dans la seconde moitié de juin 1940 que le 45e Corps d’armée français, composé d’environ 42000 hommes de nationalités diverses (Français, Polonais, Belges), pénétra en Suisse et y fut interné2 conformément aux articles 11, 12 et 15 de la convention de La Haye concernant les droits et les devoirs des puissances et des personnes neutres en cas de guerre sur terre, du 18 octobre 19073. L’internement s’est étendu également à une centaine de militaires britanniques appartenant aux troupes de subsistance (boulangers), qui faisaient partie d’un corps d’armée anglais opérant dans la région de Metz et que les vicissitudes de la guerre avaient amenés à franchir notre frontière, en même temps que le 45e Corps.
Nous mentionnerons également, pour mémoire, l’hébergement, à la même époque, de plus de 7000 réfugiés civils venus de France, qui quittèrent notre pays dès que la tranquillité se fut rétablie à notre frontière de l’ouest. Les frais de cette hospitalisation, qui s’élevaient à plus de Fr. 400 000, furent remboursés en 1941 par le Gouvernement français4.
Conformément à un accord franco-allemand du 16 novembre 1940, les internés de nationalité française purent regagner leur patrie au début de 19415. En juin de la même année, les internés belges furent également rapatriés, après avoir exprimé, par une déclaration écrite, leur désir de retourner dans leur pays, nonobstant l’occupation de ce dernier par les forces armées allemandes6.
Il reste donc actuellement en Suisse 10926 internés polonais et 86 internés britanniques. Mentionnons en outre 5 Belges qui se sont refusés à regagner la Belgique.
La direction de l’internement fut confiée, dès le mois de juin 19407, à un commissaire fédéral dont la situation est actuellement réglée par un arrêté du Conseil fédéral, du 2 décembre 19408. L’actuel commissaire fédéral est le lieutenant-colonel Henry, préfet de Porrentruy. Ses attributions ayant été étendues à l’hospitalisation, dont il sera question plus loin, il porte, depuis le 24 mars 19419, le titre de commissaire fédéral à l’internement et à l’hospitalisation.
[...]10
Le commissaire fédéral qui, au point de vue militaire, est subordonné à l’adjudant général de l’Armée, dispose d’un état-major comprenant une vingtaine d’officiers, dont fait partie un collaborateur du Département politique, ainsi que des troupes nécessaires à la surveillance des internés. Ces troupes se composent actuellement d’un état-major de régiment, de 2 bataillons de fusiliers et de 2 compagnies de motocyclistes.
Les internés eux-mêmes sont répartis en 8 secteurs, à la tête de chacun desquels se trouve un officier suisse de grade variable (capitaine, major ou lieutenant-colonel). Ces secteurs, fort vastes et dispersés, ont leurs postes de commandement à Bellinzone, Coire, Wil, Baden, Küssnacht, Büren sur Aar et Aigle. Ils s’étendent sur le territoire de 20 cantons différents. Il existe, en outre, un «Groupement des camps universitaires», dont le poste de commandement est à Winterthour. On trouve des internés polonais dans tous les secteurs, tandis que les internés britanniques sont concentrés dans celui du Seeland, à Münchenbuchsee.
Passablement oisifs au début de leur séjour en Suisse, les internés ont été affectés, toujours plus nombreux, à des travaux d’utilité générale, tout particulièrement à l’agriculture. Certains d’entre eux ont été occupés à la construction de routes et de chemins, à l’exploitation de mines de charbon et de fer, ainsi qu’à l’assainissement de régions marécageuses. D’où leur dispersion toujours plus grande et leur répartition fréquente en petits détachements.
Le travail des internés est rémunéré. Tout ou partie de cette rémunération leur est remise en mains propres, le surplus éventuel étant porté au crédit du compte de l’internement. D’autre part, tous les internés qui travaillent sont assurés contre les accidents professionnels.
Les internés reçoivent également une solde, conformément aux accords conclus avec les Gouvernements intéressés. Son montant journalier varie selon le grade, le minimum étant de Fr. 0.25. Il est interdit aux internés d’avoir sur eux plus de Fr. 30.-. Toute somme excédant ce montant doit être remise aux comptables, qui constituent, à l’intention des intéressés, des dépôts en banque portant intérêt.
Dès le mois d’octobre 1940, il a été créé plusieurs centres d’études pour étudiants internés11. Un certain nombre de professeurs ont été recrutés parmi les internés eux-mêmes. Actuellement, il existe des camps pour étudiants à Fribourg (théologie, droit, lettres), à Winterthour (sciences, en particulier sciences techniques), à Herisau (sciences économiques et commerciales) et à Wetzikon (préparation au baccalauréat). Ces camps, qui constituent ensemble un secteur autonome, réunissent un effectif de 860 internés (153 officiers et 707 sous-officiers et soldats). Ceux-ci jouissent d’une liberté plus étendue que leurs camarades répartis dans les rayons de travail, ayant d’ailleurs pris l’engagement, au préalable, de ne pas s’évader.
Le commissaire fédéral n’a pas négligé non plus les besoins religieux des militaires étrangers placés sous ses ordres. Outre les deux aumôniers, catholique et protestant, qui sont rattachés à son état-major, de nombreux prêtres polonais, catholiques ou orthodoxes, ainsi qu’un rabbin, exercent également leur ministère parmi leurs compatriotes.
La vie intellectuelle est entretenue dans les camps par le journal polonais «GoniecObozowy», qui est rédigé par une commission de rédaction composée d’internés et dont l’impression est assurée par le Commissariat fédéral. De leur côté, les internés britanniques possèdent une fort belle bibliothèque. Enfin, une troupe théâtrale formée d’internés polonais se prépare actuellement à faire des tournées dans les divers camps, tandis que le commissaire fédéral envisage la création, à Winterthour, d’une section spéciale d’artistes, qui serait ouverte aux sculpteurs, peintres et musiciens de talent.
Mentionnons encore l’activité exercée en faveur des internés par les Unions chrétiennes de jeunes gens. Le secrétaire général adjoint de cette institution, le capitaine Johannot, a organisé des cours où les hommes les plus qualifiés viennent acquérir de nombreuses notions sur notre pays et se préparent à diriger, comme moniteurs, les loisirs de leurs camarades.
La discipline des internés n’a pas laissé d’être un des soucis constants du commissaire fédéral. Très nombreuses en 1940 et en 1941, les évasions, dont se rendent surtout coupables des Polonais domiciliés en France, ont beaucoup diminué depuis quelques mois. Ce résultat est dû aux mesures très sévères qui ont été prises par les autorités militaires, tant à l’intérieur du pays qu’à nos frontières, ainsi qu’à l’intervention des tribunaux de l’Armée. Ceux-ci ne se considèrent pas comme liés par les dispositions de la convention du 27 juillet 192912 relative au traitement des prisonniers de guerre, qui interdisent de frapper l’évasion de sanctions judiciaires. En effet, la convention de 1929 ne régit pas le traitement des internés, dont le statut juridique est très différent.
Soumis au droit pénal militaire suisse, les internés sont également passibles de sanctions disciplinaires, pour l’exécution desquelles certains camps spéciaux ont été établis.
Afin de combattre les manquements à la discipline, le commissaire fédéral a eu recours à la collaboration des commandants des unités d’armée internées en Suisse, notamment à celle du général Prugar-Ketling, qui était à la tête de la division polonaise faisant partie du 45e corps. Cet officier, qui a reçu le titre de «général-délégué» et auquel un petit état-major a été adjoint, exerce une activité fort utile en relevant, par de fréquentes visites aux divers camps, le moral de ses subordonnés.
Il n’est pas encore possible, à l’heure actuelle, de savoir à combien s’élèveront les frais occasionnés par l’internement, frais qui, d’après l’article 12 de la convention de 1907, doivent être bonifiés par la ou les puissances dont dépendent les troupes internées.
Au 31 juillet 1941, les frais13 occasionnés par l’internement du 45e Corps d’armée français s’élevaient à Fr. 44427175,65, dont Fr. 4037 217,10 consacrés à la construction de baraquements. Le surplus, soit Fr. 40389958,55, se répartissait comme il suit:
Pour les internés français
Pour les internés polonais
Pour les internés belges
TotalFr. 22011092,14
Fr. 17 646993,99
Fr. 731 872,42
Fr. 40389958,55
Au printemps 1941, le Gouvernement français avait déjà remboursé 10 millions de francs.
Les frais occasionnés par l’internement des militaires britanniques, qui ne faisaient pas partie du 45e Corps d’armée, se sont élevés, jusqu’à fin août 1941, à Fr. 168 930,20, dont Fr. 43 190,50 pour l’entretien des troupes de garde. Le Gouvernement britannique a remboursé, jusqu’à présent, toutes les sommes que nous avions dépensées jusqu’à fin mai 1941.
Selon un accord conclu en août 1941 avec la France14, la Suisse a accepté de faire hospitaliser dans les sanatoria et cliniques de la région de Leysin, un millier, à la fois, d’anciens militaires français tuberculeux. Les premiers convois d’hospitalisés sont arrivés en Suisse à la fin de l’été et au début de l’automne 1941. L’effectif actuel est de 410 hospitalisés, dont 15 officiers.
Ces hospitalisés sont soumis au droit pénal militaire suisse, ainsi que le prévoit un arrêté du Conseil fédéral, du 6 août 1941. Celui-ci institue, en matière disciplinaire, certaines sanctions spéciales, par exemple le renvoi.
La question des frais occasionnés par l’hospitalisation a été précisée dans l’accord du mois d’août 1941. La France alloue à la Suisse, par homme et par jour, une somme de Fr. 11.-, 10.-, ou 9.-, selon que l’intéressé est officier, sous-officier ou soldat. Cette somme comprend Fr. 1.- d’argent de poche. Les frais dont il s’agit s’élevaient, à fin novembre 1941, à un montant de Fr. 225 531,15. Les sommes dépensées jusqu’à fin octobre, soit Fr. 125 510,15, ont été déjà remboursées par le Gouvernement français.
Il n’est pas exclu qu’à l’avenir la Suisse puisse hospitaliser d’anciens militaires blessés ou malades provenant d’autres Etats belligérants. Cette question sera d’ailleurs également étudiée par le nouveau délégué du Conseil fédéral aux œuvres internationales d’entraide15.
- 1
- Lettre: E 2001 (D) 2/29. Paraphe: DS.↩
- 2
- Cf. DDS, vol. 13, table méthodique: VII. 3: affaires sociales et humanitaires; Internés et prisonniers de guerre.↩
- 3
- RO, 1910, vol. 26, pp. 376 ss.↩
- 4
- Cf. DDS, vol. 13, doc. 311, dodis.ch/47068.↩
- 5
- Cf. No 3 et annexes.↩
- 6
- Cf. à ce propos la lettre du Colonel M. Hold, de l’Etat-Major Général, au DPF, du 1er avril 1941: En me référant à ma communication du 17 mars 1941, qui vous avait donné les résultats provisoires de l’enquête faite, sur votre demande, parmi les internés belges, j’ai l’honneur de vous indiquer ci-dessous les résultats définitifs de cette consultation: (E 2001 (D) 3/315).↩
- 7
- Cf. PVCF No 1060, du 18 juin 1940 (E 1004.1 1/398). Le premier Commissaire fédéral pour l’Internement était le Colonel divisionnaire J. von Murait.↩
- 8
- PVCF No 1945, du même jour (E 1004.1 1/404)↩
- 9
- PVCF No 447, daté du même jour (E 1004.1 1/407). Sur l’organisation et l’activité du Commissariat fédéral à l’Internement et à l’Hospitalisation, cf. E 5791.1.↩
- 10
- Für die Tabelle vgl. dodis.ch/47339. Pour le tableau, cf. dodis.ch/47339. For the table, cf. dodis.ch/47339. Per la tabella, cf. dodis.ch/47339.↩
- 11
- Cf. E 5791.1, Nr. 18 (Inspektor für Internierten-Hochschul- und Gymnasiallager).↩
- 12
- Convention de Genève, approuvée par l’Assemblée fédérale le 16 décembre 1930 (RO, 1931, vol. 47, pp. 15 ss).↩
- 13
- Sur cette question, cf. aussi annexe I au No 3, note 11.↩
- 14
- Cf. PVCF No 1209 du 6 août 1941 (E 1004.1 1/412). Cf. aussi E 2001 (D) 2/193.↩
- 15
- E. de Haller, nommé à ce poste le 19 janvier. Cf. PVCF No 117 du même jour, E 1004.1 1/417: Depuis septembre 1939, l’activité des institutions privées et des organismes officiels qui s’occupent, en Suisse, d’entr’aide internationale n’a fait que croître. L’œuvre du comité international de la Croix-Rouge s’étend maintenant au monde entier, et le comité entretient des représentants dans une trentaine de pays. La présidence de la ligue des sociétés nationales de Croix-Rouge, dont le secrétariat général s’est déjà replié de France sur la Suisse, peut échoir d’un jour à l’autre au président de la Croix-Rouge suisse. Notre société nationale de Croix-Rouge elle-même a vu son statut modifié le 9 janvier par le Conseil fédéral afin de lui assurer la liberté de mouvement et d’initiative nécessaire. Sans attendre ce nouveau statut, la Croix-Rouge suisse avait déjà patronné l’envoi d’une mission médicale sur le front oriental, mis à l’étude les modalités d’envoi d’une mission réduite en Grèce et mis au point un plan pour l’hospitalisation de 10000 enfants étrangers en Suisse environ. Au point de vue gouvernemental, la Suisse a signé avec la France, au mois d’août 1941, un premier accord sur l’hospitalisation d’anciens soldats tuberculeux; des conventions analogues peuvent intervenir avec d’autres pays. Certaines institutions internationales ayant siège à Genève, le bureau international d’éducation par exemple ou les associations chrétiennes de jeunes gens, font de louables efforts pour venir en aide, de Suisse, aux prisonniers de guerre dans les divers pays. Enfin, le fait que la Suisse a été désignée par une vingtaine d’Etats en qualité de puissance protectrice lui impose des droits et des devoirs auxquels il faut faire face. Pour assurer la coordination entre ces diverses actions, ainsi que la liaison nécessaire avec le gouvernement, il paraît opportun de créer une délégation du Conseil fédéral aux œuvres d’entr’aide internationale. Grâce à l’obligeance du comité international de la Croix-Rouge, qui a bien voulu décharger un de ses membres d’une partie de son travail, il peut être fait appel à M. Edouard de Haller. Le nouveau service comprendrait un délégué désigné dans la personne de M. de Haller, un adjoint et un modeste personnel, deux ou trois personnes qui pourraient être prêtées par la division des affaires étrangères, qui serait, en même temps, chargée des questions administratives et comptables de ce service. Le projet de contrat à conclure entre le département politique d’une part et M. Edouard de Haller d’autre part est soumis au Conseil pour approbation. Dans ces circonstances, il est décidé: M. Edouard de Haller est nommé délégué du Conseil fédéral aux oeuvres d’entr’aide internationale, et son acte d’engagement est approuvé.↩
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Attitudes face aux persécutions