Classement thématique série 1848–1945:
XV. QUESTIONS DE DIPLOMATIE
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 12, doc. 415
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001D#1000/1551#535* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(D)1000/1551 20 | |
Dossier title | Zensur der offiziellen Korrespondenzen; Zensur der Chiffretelegramme und der Telephongespräche im Verkehr mit den schweizerischen Vertretungen (1937–1939) | |
File reference archive | A.22.20.3 |
dodis.ch/46675
Le Chef de la Division des Affaires étrangères du Département politique, P. Bonna, aux Légations et Consulats généraux de Suisse12
La question si importante du secret des communications entre notre Département et nos Légations à l’étranger, qui a été incidemment abordée à la Conférence des Ministres de 1937, n’a pas cessé de nous préoccuper. Nous nous proposions de reprendre plus à fond ce sujet à la Conférence du 2 septembre 1938, mais il a dû céder le pas à des questions plus urgentes. Aussi nous décidonsnous à vous communiquer ci-après les notes préparées à cet effet. Peut-être vous suggéreront-elles certaines précautions à prendre ou quelque utile conseil que nous serions heureux de recevoir.
A. Courrier postal
Il n’y a malheureusement aucun doute que les plis confiés à la poste n’ont plus, dans les conjonctures actuelles, de sécurité véritable et sont, dans un très grand nombre de pays, exposés aux manipulations de la police politique.
Un article très intéressant de M. d’Hauterive paru dans la «Revue des deux Mondes» du 1er juillet dernier apporte des indications fort suggestives sur l’organisation et le fonctionnement du cabinet noir à travers les siècles; il montre à quelles méthodes il recourait sous le Premier Empire, alors qu’il émargeait au budget français pour 800000 francs de l’époque. Le passage suivant mérite d’être cité:
«Ce qui était l’exception pour les particuliers devint la règle pour les légations étrangères: presque toutes les correspondances qui en partaient ou y venaient passaient par le cabinet noir...
Aussi les grandes Puissances n’adressaient-elles par la poste que les plis insignifiants et confiaient-elles à des courriers particuliers ceux qui présentaient une réelle importance. Mais c’était là une dépense considérable, devant laquelle reculaient souvent les pays de second ordre, qui se contentaient de chiffrer leurs dépêches. Ces dernières, mises à la poste à Paris ou ailleurs, passaient par le cabinet noir et suffisaient fréquemment pour renseigner l’Empereur sur des sujets que les ambassadeurs des grandes Puissances avaient confiés bien secrètement à leurs collègues et dont ceux-ci avisaient leurs gouvernements.»
Les raisons qui faisaient, au début du XIXe siècle, des rapports des agents des Puissances secondaires le gibier ordinaire du cabinet noir continuent sans doute à subsister.
Par ailleurs, les progrès de la technique ont certainement amené de notables perfectionnements dans les méthodes employées. La photographie permet d’enregistrer instantanément les documents qu’il fallait, autrefois, perdre un temps précieux à copier.
Aux moyens classiques d’ouvrir les plis sans qu’il en reste de traces trop apparentes (décollement à la vapeur d’eau, incision d’enveloppes, substitution d’enveloppes et de cachets, etc.) s’ajouterait, dit-on, un appareil de «perlustration» permettant de lire le contenu des plis sans les ouvrir. L’une de nos Légations a recueilli, à cet égard, des précisions assez troublantes et le Président du Conseil de l’Ecole polytechnique fédérale, que nous avons tenu à consulter, a déclaré qu’il n’était pas permis d’en affirmer a priori l’impossibilité absolue. Il semble, néanmoins, qu’un «appareil de perlustration» permettant de lire des plis sans les ouvrir aurait à surmonter deux difficultés considérables:
1) Le papier et l’encre de machine à écrire ordinaires ne sont pas substantiellement très différents. Ils opposent à la lumière d’une lampe Röntgen un écran peu différencié.
2) Un texte écrit sur plusieurs feuilles pliées l’une dans l’autre apparaît par transparence tellement enchevêtré qu’on n’imagine pas bien comment il pourrait être déchiffré.
Nous restons donc assez sceptiques sur la vraisemblance de cet appareil.
Quoi qu’il en soit à cet égard, il est certain que les moyens connus suffisent pleinement pour percer le secret des plis que nous confions à la poste sans qu’il soit possible d’établir nettement qu’ils ont été manipulés. Toutes les précautions qui peuvent être prises sont des moyens de défense assez précaires. Ces précautions sont innombrables et quelques-unes peuvent rendre à l’occasion des services. L’emploi de deux enveloppes collées l’une dans l’autre est l’une des plus simples. Celle, moins connue, consistant à coudre à la machine une lettre dans son enveloppe et à prendre les deux extrémités du fil dans des cachets de cire, qui était employée en 1918 par un couvent de bénédictins belges pour sa correspondance avec le Saint-Siège, est plus compliquée, mais plus efficace, encore qu’elle n’offre pas une sécurité absolue si le cabinet noir dispose d’enveloppes de rechange, ce qui n’a rien d’invraisemblable dans les Etats où le budget de la police politique est considérable.
Il faut donc partir de l’idée que le secret des correspondances postales n’est pas assuré et éviter de confier à la poste des lettres au sujet desquelles une indiscrétion pourrait avoir des inconvénients graves. Pour un Etat comme la Suisse dont la politique est extrêmement réservée, le nombre de ces lettres est plus restreint qu’il ne semblerait peut-être à première vue. La plupart de nos instructions, la plupart de nos rapports sur les affaires courantes peuvent être rédigés de telle sorte qu’ils puissent être lus par des agents des polices politiques étrangères sans que nos intérêts aient véritablement à en souffrir. Il suffit de tenir compte de cette éventualité en les écrivant.
Il y a, toutefois, bien des cas où il importe beaucoup que nous puissions échanger sous le sceau du secret des renseignements ou des indications. De telles informations ne sauraient plus sans risque être confiées à la poste. Il faut recourir, pour leur transmission, à des courriers spéciaux.
Le système des courriers de cabinet est trop coûteux pour que nous puissions songer à y recourir ordinairement. Tout au plus pourrions-nous songer, dans certains cas, à nous associer avec d’autres pays ayant des intérêts similaires aux nôtres pour organiser des services de courriers professionnels. Certains projets sont actuellement à l’étude, mais nous ne savons pas encore s’ils aboutiront.
Reste la ressource des courriers occasionnels. Il convient d’en user largement. Il devrait être de règle que tout agent diplomatique ou consulaire qui voyage entre son poste et la Suisse transporte un courrier à l’aller et au retour. Ces courriers-là sont ceux qui offrent la plus grande sécurité et le minimum d’inconvénients; il serait important de les mettre à profit au maximum. Nous examinons si certaines mesures d’organisation devraient être prises à cet égard et nous vous serons reconnaissants des suggestions que vous pourriez nous faire.
Quant aux courriers confiés à des particuliers, ils peuvent rendre de grands services, mais il importe d’être prudent et de ne recourir qu’à des personnes parfaitement connues comme incapables de profiter des égards que leur vaudra leur «lettre de courrier» pour essayer de frauder impunément le contrôle des devises ou celui de la douane. Des incidents extrêmement fâcheux se sont diverses fois produits et nous ont mis en fort mauvaise posture vis-à-vis des administrations suisses ou étrangères qui ont été trompées. Dans chacun de ces cas déplorables, les courriers bénévoles coupables de tels abus jouissaient d’une excellente réputation et semblaient être dans une situation personnelle qui les mettait au-dessus de toute espèce de soupçon. Dans chacun de ces cas, le risque du cabinet noir était beaucoup moins redoutable que les abus commis.
B. Téléphone
L’Administration suisse des téléphones dispose d’un appareil «Ediphon» permettant d’enregistrer automatiquement sur des plaques de cire n’importe quelle conversation téléphonique à l’insu complet des interlocuteurs. L’affaiblissement du courant est pratiquement nul. Aucun déclic, aucun bruit suspect n’est perceptible. Après contrôle, les plaques enregistrées peuvent être effacées et servir indéfiniment à nouveau. Les frais sont extrêmement faibles. Le coût de l’appareil lui-même n’est pas très élevé.
En Suisse, l’enregistrement des conversations téléphoniques n’a lieu que sur ordres spéciaux, mais, dans les pays où l’organisation de la police politique est plus développée, il est certainement de règle pour les conversations des agents diplomatiques étrangers. Comme il est également hors de doute que les polices bien montées disposent d’agents connaissant les langues étrangères, y compris le suisse-allemand, l’emploi du dialecte n’offre qu’une sécurité trompeuse.
Le suisse-allemand peut être utile au téléphone lorsqu’il s’agit de se prémunir, non pas contre une surveillance officielle, mais contre une indiscrétion du personnel technique. Ce personnel peut et doit même dans certains cas écouter les conversations pour constater que, du point de vue technique, tout se passe normalement et régler, en cas de besoin, l’action des amplificateurs de courant. L’impression que l’on a parfois d’être écouté au téléphone est donc, non seulement exacte, mais normale, mais c’est, en général, un écouteur complètement indifférent au sens de la conversation que celui qui laisse percevoir qu’il entend ce qui se dit.
Il faut, néanmoins, se rendre à l’évidence: Les communications téléphoniques sont à considérer, du point de vue du secret, exactement sur le même pied que les télégrammes en clair. Elles n’ont même plus la supériorité que semble leur assurer le vieil adage latin «Verba volant».
Pour la transmission d’un texte d’une certaine longueur élaboré à l’avance, le téléphone est meilleur marché que le télégraphe, car une conversation de 3 minutes permet théoriquement de dicter 260 mots et coûte fr. 5.10 pour Paris
» 5.40 » Rome
» 11.80 » Londres
» 17.20 » Ankara, tandis qu’un télégramme d’Etat de 260 mots coûte fr. 45.40 pour Paris
» 54.60 » Rome
» 78.– » Londres
» 158.50 » Ankara.
Cette comparaison ne joue, toutefois, que très mal en pratique, parce que - c’est à la fois leur avantage et leur inconvénient - les communications téléphoniques se prolongent presque inévitablement en des conversations qui finissent par être fort coûteuses. Il n’est cependant pas sans intérêt de constater qu’il y aurait des économies intéressantes à réaliser si l’on pouvait s’imposer la discipline de les réduire à l’essentiel.
C. Télégraphe
Discipliner les conversations téléphoniques apparaît si difficile que nous demeurons persuadés que, contrairement à ce qu’indique l’examen des tarifs, les communications télégraphiques sont pratiquement moins coûteuses. Elles ont, en outre, l’avantage de permettre l’emploi d’un chiffre qui offre, malgré tout, certaines garanties de discrétion.
Il est entendu que ces garanties n’ont rien d’absolu et qu’il est fort imprudent de se fier complètement à un chiffre, qui peut avoir été volé ou découvert.
Nous n’ignorons pas que de graves auteurs ont posé en principe qu’on ne peut concevoir un chiffre qui résiste à l’ingéniosité des déchiffreurs. Nous croyons pourtant que ce principe est entaché d’un peu d’exagération, car les mathématiciens démontrent que les ressources de l’alphabet mettent à la disposition du chiffreur se servant d’un système à clef variable un nombre de combinaisons différentes de l’ordre de 57 quintillons! De telles données entraînent l’impression qu’un chiffre bien conçu est plus aisé - quoi qu’on dise - à voler qu’à découvrir. Ce risque de vol est difficile à apprécier, mais il est sans doute plus grand qu’on ne se le représente. Un instant suffit à photographier les tabelles qui le composent et personne ne peut affirmer qu’il n’a jamais eu un instant de négligence qui a pu être mis à profit.
Le risque de vol et celui de découverte s’accroissent avec le temps. Un chiffre récent offre plus de sécurité qu’un chiffre ancien. Il est donc indispensable de changer assez fréquemment le chiffre, malgré les incommodités diverses qui en résultent. Peut-être, à cet égard, nous sommes-nous montrés un peu trop conservateurs et devrons-nous accélérer la mise hors d’usage de notre chiffre C, qui a dix ans d’âge et a, dans certains postes, beaucoup servi.
Notre chiffre ministériel, d’un emploi mal commode et coûteux, a été partout entouré de tant d’égards et a été si peu utilisé en pratique que nous pouvons, semble-t-il, lui garder encore notre confiance, mais nous donnons la préférence à nos codes C et D, basés sur les lettres de l’alphabet et leur nombre presque illimité de combinaisons possibles. Ces «codes» - ce sont en réalité des chiffres au sens technique du mot - sont bien étudiés, leur maniement est très simple et ils permettent, de plus, de bénéficier d’un tarif réduit d’environ 40% sur celui des télégrammes d’Etat en clair.
Dans nos relations avec l’Espagne, nous avons fait un grand usage du code C et il nous a rendu de précieux services par la facilité, notamment, avec laquelle il s’adapte à toutes les langues. Nous pensons que cette nouvelle méthode de chiffrage, qu’il sera possible de développer encore, est appelée à faciliter nos communications confidentielles et qu’on peut lui faire un certain crédit.
Il n’est pas inutile de répéter, en terminant, que la confiance dans le chiffre ne doit jamais être que relative et que les télégrammes comme les lettres confiées à la poste devraient toujours être rédigés de telle sorte que leur contenu puisse être lu par des indiscrets sans qu’il en puisse résulter des inconvénients graves. Les communications qu’il faut, à tout prix, tenir à l’abri de toute indiscrétion possible ne doivent être expédiées que par un messager connu comme parfaitement sûr.
- 1
- Ce document a été adressé aux Légations et Consulats généraux de Suisse à: Ankara, Berlin, Bruxelles, Bucarest, Budapest, La Haye, Londres, Barcelone, Paris, Prague, Rome, Stockholm, Varsovie, Tokio, Washington, Rio de Janeiro, Buenos-Aires, Athènes, Belgrade, Le Caire, Lisbonne, Sofia, Téhéran, Shanghaï, Montréal, Caracas, Dublin.↩
- 2
- (Copie): E 2001 (D) 1/20. Paraphe: OB. Circ.↩
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Means of transmission of the Administration
Political Department / Department for Foreign Affairs