Sprache: Französisch
22.11.1930 (Samstag)
CONSEIL FÉDÉRAL Procès-verbal de la séance du 22.11.1930
Geheimes Bundesratsprotokoll (PVCF-S)
Le Conseil fédéral examine avec ses experts les réponses à donner aux questions posées par la Cour internationale de la Haye au sujet des zones.

Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
11. France
11.5. Affaire des zones
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Jean-Claude Favez et al. (Hg.)

Diplomatische Dokumente der Schweiz, Bd. 10, Dok. 47

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Bern 1982

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dodis.ch/45589
CONSEIL FÉDÉRAL
Procès-verbal de la séance du 22 novembre 19301

Secret

[En présence des professeurs Logoz2et Burckhardt3, le Chef du Département politique, G. Motta, soumet à ses collègues les réponses que la délégation des affaires étrangères4suggère d’apporter aux questions posées par la Cour permanente de justice internationale sur l’interprétation à donner à l’article 2, alinéa 2, du compromis d’arbitrage de 19245.]

M. Motta ne peut se libérer complètement de la crainte que la Cour ne déclare, au vu de l’article 2, 2e alinéa, du compromis, ne pouvoir remplir sa tâche, et qu’elle se dessaisisse de l’affaire. Cette inquiétude est née des raisons avancées très prudemment par le greffier-adjoint6 de la Cour dans une conversation avec notre ministre, M. de Pury. Il nous faut tenir compte aussi du fait que la France est représentée à la Cour par un juge ad hoc7, dont la situation est un peu différente de celle d’un juge ordinaire, et il ne serait pas trop surprenant que le gouvernement français ne soit pas dans une ignorance complète des sentiments qui régnent à la Cour. Cette situation commande la plus grande vigilance.

Au nom de la délégation des affaires étrangères, M. Motta propose de répondre comme il suit aux questions posées:

1ère question: La Cour pourrait-elle ou devrait-elle obtenir l’assentiment des deux parties avant de rendre l’arrêt prévu à l’alinéa premier de l’article 2 du compromis? Réponse: Oui.

2e question: En cas de réponse négative à la première question, la Cour pourrait-elle admettre que l’une ou l’autre des parties pût rendre inopérant un arrêt déjà prononcé? Réponse: Non.

3e Question: Quel est le sens de l’article 2, alinéa 2? Quel qu’ait été le sentiment du Conseil fédéral lors de l’adoption de cette disposition, il doit déclarer aujourd’hui qu’à son avis elle ne touche que la question d’application. Les parties doivent prêter leur collaboration à la Cour pour lui aider à régler le différend, mais il doit être entendu qu’elles ne peuvent pas prendre une attitude qui l’empêche d’exécuter sa tâche. Il faut même aller plus loin et déclarer que si la Cour se trouve gênée par la disposition en question pour remplir sa mission, le Conseil fédéral fera abstraction de son assentiment pour le règlement des questions prévues au 2e alinéa de l’article 2.

4e question: Quelle est la valeur de l’article 13 de notre projet de règlement et de l’annexe no III?8 Cette question est issue de la crainte que l’approbation du parlement et même du peuple ne soit réservée pour le règlement définitif du problème. L’article premier, 2e alinéa, de l’arrêté fédéral du 26 mars 19259, portant approbation du compromis d’arbitrage, nous autorise à répondre que nos déclarations sont irrévocables et qu’aucun organe ne peut les infirmer.

M. Motta termine en déclarant que le dessaisissement de la Cour est l’hypothèse la plus fâcheuse qui se puisse envisager. On ne manquerait pas d’attribuer pareille décision à la crainte de la Cour de donner tort à un grand Etat contre un petit, et la cause de l’arbitrage en subirait une très sérieuse atteinte. A l’égard de nos relations avec la France, le dessaisissement de la Cour ne serait pas moins fâcheux. Ayant obtenu gain de cause sur le point de droit, nous ne pourrions plus obliger la France à retirer son cordon, et il en résulterait une tension permanente entre les deux pays.

Par ces motifs, M. Motta prie le conseil de donner à nos représentants l’autorisation de répondre aux questions de la Cour dans le sens indiqué.

M. Logoz fait observer que si la Cour ordonne une expertise et à cette occasion, tranche la question fondamentale - le tracé de la ligne des douanes - il s’ouvrira une possibilité d’accord direct entre la Suisse et la France. Si cet accord s’établissait, tout le monde pourrait être satisfait, la Cour parce que l’article 2, alinéa 2, du compromis deviendrait sans objet, et les défenseurs de nos intérêts douaniers parce que la question des contingents aurait pu être réglée d’un commun accord.

M. le chef du département de l’économie publique doute que la Cour puisse donner au monde le spectacle d’un dessaisissement, après avoir accepté de juger le différend et laissé la procédure se dérouler pendant deux ans et demi. Il désire savoir comment cette crainte a pu venir à l’esprit de M. Logoz.

M. Logoz rappelle que la Cour a eu à statuer, dans la première phase du procès, sur une pure question de droit. Elle pouvait se dire, à ce moment-là, qu’il n’était pas nécessaire de se prononcer sur le 2e alinéa de l’article 2 du compromis. Mais déjà l’un des juges, M. Pessôa, faisait suivre l’ordonnance du 19 août 192910 d’observations où il déclarait que la Cour aurait dû se dessaisir de l’affaire. La deuxième phase du procès s’est ouverte en juin11. Et sans doute les juges, qui étaient censés avoir étudié le dossier de l’affaire lorsqu’ils ont entendu les parties en octobre, n’auraient-ils pas dû laisser les représentants des deux Etats quitter La Haye sans avoir éclairci le point qui nécessite aujourd’hui la convocation à La Haye. Mais, en l’état actuel, la situation doit être considérée comme sérieuse.

M. le chef du département de l’économie publique. Si la Cour maintient les petites zones12, l’article 2, alinéa 2, du compromis n’a aucune importance pour la France, puisqu’il doit constituer une protection pour l’Etat qui laisse entrer des marchandises en franchise ou à droits réduits à travers sa ligne douanière. Mais la Suisse, qui se trouvera dans ce cas, doit être protégée contre une sentence qui ouvrirait un «trou à l’ouest» dans notre barrière douanière. Les difficultés qui se sont présentées récemment à propos du ravitaillement de Genève en lait des zones à bas prix ont souligné ce danger, que nous avions entrevu, M. Laur13 et moi, en 1924.

Si la Cour maintient le cordon à la frontière politique et institue pour les deux Etats des contingents de marchandises en franchise ou à droits réduits, la clause de l’article 2, alinéa 2, joue pour tous les deux. Il paraît indiqué que, dans ce cas également, la Cour ne règle pas la question sans notre assentiment.

Reste la question juridique. Pouvons-nous renoncer à une clause qui a été approuvée par l’Assemblée fédérale et par le peuple?

M. Logoz répond sur ce dernier point que l’arrêté fédéral du 26 mars 1925 accorde au Conseil fédéral tous les pouvoirs nécessaires pour régler en particulier les questions prévues à l’article 2, alinéa 2, du compromis.

Au surplus, il ne s’agit pas d’une renonciation, qui ne servirait pas à grandchose, car la France, en maintenant son droit, en annulerait l’effet. C’est une question d’interprétation qui est en jeu. Notre thèse doit être que le règlement prévu à l’article 2, 2e alinéa, du compromis concerne l’application des principes généraux que l’arrêté pourra poser au sujet du régime douanier. [...]

M. Logoz voudrait donc dire à la Cour que, d’accord avec le gouvernement français, le Conseil fédéral estime qu’elle doit pouvoir régler elle-même l’affaire s’il en est besoin.

M. le chef du département des chemins de fer demande à M. Logoz: 1° quels sont les motifs véritables pour lesquels la Cour demande maintenant une interprétation de la disposition en cause; 2° s’il serait possible d’amener la Cour à nous permettre d’ajourner nos explications jusqu’à ce que les experts aient fonctionné; 3° si, en accordant à la Cour le droit de statuer elle-même au cas où les parties ne tomberaient pas d’accord, nous ne ferons pas un acte de renonciation et s’il ne suffirait pas de lui réserver ce droit en cas de refus abusif d’une des parties.

M. Logoz répond: à la première question:

La seule explication plausible, c’est que les juges n’avaient pas étudié leur dossier lors des plaidoiries et que la question a surgi au cours des délibérations du tribunal;

à la 2e question: Ce n’est pas possible. Il faut éviter avant tout que la Cour ne se dessaisisse. Or, pour cela, il nous faut donner une réponse claire et immédiate;

à la 3e question: Pour ce qui est de la renonciation, c’est affaire d’appréciation. Mais si nous voulons sauver notre cause, nous devons faire un geste complet. Réserver le refus abusif d’une partie ne modifierait pas la situation, puisque c’est la Cour qui déciderait si le refus est abusif. En outre, il ne s’agit pas seulement d’un abus de droit éventuel, mais de la compatibilité de l’article 2, alinéa 2, du compromis avec le statut de la Cour et le sentiment que la Cour a de sa mission et de ses pouvoirs.

M. le chef du département de l’intérieur n’est pas entièrement satisfait par la réponse à la 3e question. Peut-il arriver qu’à un certain moment la Suisse donne à la Cour pleins pouvoirs pour régler l’importation des marchandises en franchise ou à droits réduits? Si c’est le cas, nous aurons renoncé au droit que nous confère l’article 2, alinéa 2, du compromis.

M. le chef du département de l’économie publique demande à M. Logoz de ne pas soulever devant la Cour la question de savoir si l’article 2, alinéa 2, du compromis est compatible avec son statut. Si nous le faisons, c’est une véritable invite à la Cour à proclamer cette incompatibilité.

Quant à la thèse d’après laquelle la disposition précitée vise les modalités d’application, elle est difficilement soutenable, car l’admission de marchandises en franchise ou à droits réduits est une question essentielle.

M. Logoz répond au chef du département de l’intérieur qu’il faut savoir faire confiance au juge et admettre qu’il ne rendra pas une décision injuste.

Répondant aux deux observations du chef du département de l’économie publique, M. Logoz déclare:

1° La question de la compatibilité de la disposition en question avec le statut de la Cour a été soulevée dans le télégramme du greffier lui-même, où il est dit: «L’interprétation de la stipulation dont il s’agit et la compatibilité de celle-ci avec les dispositions du statut, ainsi qu’avec le fonctionnement d’une cour de justice, semblent toutefois présenter une importance considérable au point de vue de la tâche que le compromis attribue à la Cour.» Si celle-ci estime que la stipulation en question ne cadre pas avec la conception qu’elle se fait de sa mission, nous ne devons pas insister pour nous en réclamer.

2° Quant au second point, on doit distinguer entre certains principes que la Cour est appelée à poser et l’application de ces principes. En ce qui concerne les importations en franchise, le principe est fixé dans notre projet de règlement14

. Mais la détermination des quantités, figurant à l’annexe, est une question d’application.

M. le chef du département de l’économie publique voudrait que M. Logoz plaide la compatibilité de la disposition en question du compromis avec le statut de la Cour, et M. le chef du département de justice et police se demande si M. Logoz ne risque pas, en faisant une concession sur la question de compatibilité, d’affaiblir son argumentation sur le chef des modalités d’application.

M. le chef du département politique. Ce qui est essentiel, c’est de ne pas laisser percer de la méfiance à l’égard de la Cour. Nous n’avons pas lieu de nous plaindre jusqu’ici de cette dernière. Or, si elle nous dit: «Au cas où vous ne renonceriez pas à la clause en question, je ne pourrai pas juger», lequel de nous se refusera-t-il à abandonner cette clause?

M. le chef du département militaire appuie cette considération. Si nous ne témoignons pas de confiance à la Cour, il est à craindre qu’elle ne se dessaisisse. Alors, c’est la France qui en aura le bénéfice, et nous en porterons la responsabilité.

M. Logoz. En dernière analyse, c’est bien une question de confiance qui se pose à l’égard de la Cour. La France a sans doute intérêt à soulever des difficultés, mais c’est pourquoi nous ne devons pas en faire de notre côté.

En ce qui concerne la question de compatibilité, je suis d’accord de n’en pas parler dans ma réponse, mais sous réserve du résultat de l’entretien que j’aurai demain, avec le président de la Cour15, auquel je poserai la question.

M. le président. M. Logoz demande l’autorisation de faire abstraction de l’article 2, alinéa 2, du compromis pour le cas où la Cour y verrait une incompatibilité avec son statut. Il s’agit de savoir si cette renonciation nous fait courir un danger. Je ne le crois pas. Ce qui est important, c’est que la Cour dise où doit être placé le cordon douanier. Pour le reste, nous sommes dans une situation solide, puisque les zoniens ont plus besoin du marché de Genève que Genève des produits de la zone. (MM Logoz et Burckhardt se retirent.) M.le président met en discussion la proposition du département politique, soit d’autoriser les représentants du Conseil fédéral à déclarer que l’article 2, alinéa 2, du compromis signifie l’engagement des deux parties de collaborer au règlement du différend, mais qu’à défaut d’accord entre elles, la Cour procède elle-même à ce règlement.

M. le chef du département de justice et police estime que le conseil doit accepter cette proposition. Incontestablement, la thèse de M. Logoz n’est pas celle qui a été admise jusqu’ici par le Conseil fédéral. Mais celui-ci peut abandonner le terrain sur lequel il s’était placé. Aujourd’hui, en effet, il connaît le projet français et il a le droit de penser que la Cour n’ira pas au delà dans les concessions qu’elle pourra faire à la thèse française. Or si douloureuse que serait une sentence conforme à ce projet, elle ne pourrait pas être taxée de déraisonnable. En laissant pleine liberté à la Cour, nous ne faisons donc pas un saut dans l’inconnu. De plus, nous devons songer à l’idée de l’arbitrage et ne pas entraver la Cour dans l’accomplissement de sa tâche par une attitude qui ne manquerait pas d’être qualifiée d’entêtement. Mais il doit être entendu que l’opinion devra être tenue dans l’ignorance de notre évolution; nous devrons lui donner la conviction que la nouvelle thèse est celle qui a été admise dès le début par le Conseil fédéral.

M. le chef du département de l’économie publique déclare que les déclarations de M. Logoz n’ont pas dissipé ses appréhensions, mais il ne fait pas de contreproposition.

M. le chef du département militaire juge nécessaire de faire la concession demandée.

M .le chef du département des chemins defer comprend les craintes qu’éprouve le chef du département de l’économie publique à abandonner la clause protectrice que le Conseil fédéral avait fait insérer au compromis. Mais le Conseil fédéral peut y renoncer. Non pas que le dessaisissement de la Cour soit à craindre, car une décision pareille serait un arrêt de mort pour cette institution. Mais ce qui est à redouter, c’est qu’en mettant la Cour dans l’embarras nous l’indisposions contre nous. Ce que nous risquons, c’est, au pire, qu’elle adopte le projet français. Or, ce projet est supportable, et mieux vaut courir ce risque que celui de mécontenter la Cour. En ce qui concerne l’incompatibilité de l’article 2, alinéa 2, du compromis avec le statut de la Cour, nous aurions pu l’admettre si nous avions maintenu notre interprétation primitive dudit alinéa. Mais maintenant que nous l’avons vidé de sa substance en le réduisant à une simple clause d’application, il ne paraît pas indiqué de céder sur la question de compatibilité. Toutefois il faut laisser à cet égard toute liberté à nos représentants et se garder de leur donner des directions impératives.

M. le chef du département de l’intérieur rappelle que l’ordonnance de 192916 a été considérée dans l’opinion comme une victoire du point de vue suisse. Il faut donc veiller à ne pas compromettre cet avantage. Déjà on nous reproche en France, bien à tort, d’avoir rendu un arrangement impossible. Ne fournissons pas un argument à nos adversaires et faisons confiance à la Cour.

M. le président constate que le Conseil est unanime à approuver les propositions du département politique.

1
E 1005 2/3.
2
Agent de la Confédération dans l’affaire des zones.
3
Expert juridique de la Confédération dans l’affaire des zones.
4
G. Motta, J. M. Musy et H. Haeberlin.
5
Cf. no 38, n. 7.
6
L.J. H. Jorstad.
7
H. Fromageot.
8
Non reproduit. Cf. no 27, n. 6.
9
Le Conseil fédéral est chargé de l’exécution du présent arrêté. En particulier, il reçoit les pouvoirs nécessaires pour régler, s’il y a lieu, les questions prévues à l’article 2, alinéa 2, du compromis (FF, 1925,1, p. 880).
10
9.Cf. DDS vol.9, no 498, A, dodis.ch/45515.
11
1930.
12
11.De 1815-1816.
13
Directeur de l’Union suisse des paysans.
14
Cf. no 27, n.l.
15
M. Adatci.
16
Cf. DDS vol.9, no 498, A, dodis.ch/45515.