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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 7-I, doc. 353
volume linkBern 1979
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#E2001B#1000/1503#175* | |
Dossier title | Vorarlberg. Anschlussbetrebungen Akten von 1-500; Inhalt siehe: Angaben auf den Aktenumschlägen. (1919–1919) | |
File reference archive | B.14.211.P.21.2 |
dodis.ch/44098
Le Département Politique a déjà, en date du 7 mars2, exposé au Conseil Fédéral, dans ses grandes lignes, la question du Vorarlberg. M. Calonder a également déjà communiqué au Conseil Fédéral, le 8 avril3, les conclusions auxquelles il était arrivé: il lui proposait «de faire savoir aux autorités du Vorarlberg qu’il examinerait avec bienveillance une démarche du Gouvernement de ce pays tendant à son admission dans la Confédération, si cette demande se basait sur la grande majorité du peuple du Vorarlberg et qu’il transmettrait, le cas échéant, ce vœu à la Conférence de Paris». La question fut discutée à diverses reprises et le Conseil Fédéral se borna à décider que «des délégués du Vorarlberg qui se présenteraient seraient reçus et écoutés, sans que des assurances leur fussent données de la part de la Confédération, et que la question de l’incorporation du Vorarlberg serait examinée aussitôt que la grande majorité de la population aurait exprimé par un vote, son désir de rattachement».
Pour répondre au voeu exprimé par M. le Conseiller fédéral Schulthess en date du 14 avril4, le Département Politique a l’honneur de préciser son point de vue comme suit:
Les raisons qui engagent le Département à préconiser l’incorporation du Vorarlberg sont les suivantes:
a) importance de conserver libres et si possible en mains neutres nos communications avec nos voisins de l’Est et avec l’Orient. Même l’Autriche-Hongrie, puissance pourtant peu menaçante, a pu, par sa possession des voies de communication, mettre des entraves à la conclusion de nos traités avec l’Orient; nous rappelons pour mémoire que Vienne avait la prétention d’être consultée lorsque nous traitions directement avec Belgrade et que, après la conclusion de notre traité de commerce avec la Serbie, les envois de porcs à destination de la Suisse arrivaient comme par hasard sous la forme de cadavres. Si, déjà sous le régime autrichien, des inconvénients de ce genre se produisaient, il est hors de doute que la présence d’une bande de territoire allemand entre nous et nos voisins de l’Est serait de nature à les augmenter considérablement. Les difficultés des communications entre nous et l’Orient ont été infinies pendant la guerre. Nous avons été tout à fait coupés de notre Légation à Bucarest et nous devons faire tout ce qui dépend de nous pour parer, dans la mesure du possible, à une aggravation de la situation sous ce rapport.
La position internationale de la Suisse comme pays de transit se trouverait tout à fait compromise si l’Allemagne se plaçait entre elle et l’Orient. En effet, il existe des Puissances qui n’accepteront pas de se servir de voies de communication qui traversent le territoire allemand. Déjà, on tend à l’Ouest à favoriser une ligne de communication exclusiment franco-italienne vers l’Orient. Nous devons faire les plus grands efforts pour attirer le trafic international sur la ligne Bâle-Buchs: si, au delà de Buchs, cette ligne appartient à l’Allemagne, ces efforts seront, à l’avance, voués à l’insuccès. Il est politiquement de toute importance que la Suisse puisse assurer à chacun de ses voisins le trafic qui leur convient et nous ne devons pas négliger de tenir compte de la mentalité et de la psychologie de nos voisins.
Dans cet ordre d’idées, ajoutons qu’il serait de la plus haute importance pour la Suisse et pour l’Europe en général que le Brenner restât en mains autrichiennes, sans quoi l’Italie sera en mesure d’exercer un contrôle sur le tronçon Brenner-Willach de la ligne de Suisse à Belgrade et d’entraver à son gré nos relations avec le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes.
b) Si notre voisine du Nord, l’Allemagne, acquiert aussi notre frontière orientale, cela constituera une modification radicale de notre situation internationale. Quels que soient nos bons rapports avec l’Allemagne, nous ne pouvons pas désirer nous voir encerclés par elle et nous devons redouter l’influence qu’une grande Puissance, installée tout le long du Rhin, acquerrait sur nos cantons-frontière. Ce fait est si évident qu’il n’a pas besoin d’être développé davantage. Et cette influence allemande ne manquerait pas d’exercer un contrecoup sur notre position en Europe et de rendre plus difficiles nos relations avec l’Entente. Si nous voulons rester un pays neutre, en dehors des combinaisons politiques de l’Europe, nous devons éviter soigneusement tout ce qui risque de compromettre notre situation de pays absolument indépendant et dégagé de toute influence, placé au centre de l’Europe, pour garder libres les passages des Alpes du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest. A partir du moment où le Vorarlberg a fait comprendre qu’il ne désirait pas se rattacher au Tyrol ni à l’Autriche, mais que, si la Suisse ne l’accueillait pas, il se tournerait vers le Wurtemberg, le Département Politique s’est vu obligé d’envisager résolument une politique d’incorporation.
Sans vouloir empiéter sur le domaine du Département de l’Economie Publique, nous ne voulons pas négliger de rappeler ici que le Vorarlberg travaille en grande partie pour les brodeurs de Saint-Gall, en particulier en ce qui concerne le trafic de perfectionnement. Il est bien peu probable que ces relations continuent si l’Allemagne prend possession de cette région, car elle aura tout intérêt à faire travailler les Vorarlbergeois pour ses industriels saxons.
c) La Suisse n’est pas un pays usé et incapable de se développer. Au moment où paraît se fonder la Société des Nations, il est bon que la Suisse montre au monde extérieur qu’elle exerce encore une force d’attraction et qu’elle est capable d’absorber de nouvelles régions et d’assimiler de nouvelles populations. Et au moment où, à l’intérieur, des influences désagrégeantes sont à l’œuvre, il est bon aussi de montrer à nos propres populations que ce n’est pas nous qui nous désagrégeons, mais que nous attirons au contraire à nous des pays qui nous recherchent. Le principe qui consiste à ne pas toucher à un édifice de peur de le détruire est pusillanime et indique un manque de confiance. En l’agrandissant, nous montrons à l’extérieur et à l’intérieur que nous n’avons pas peur de l’avenir et ne redoutons pas les conséquences d’un développement qui se produirait dans des conditions plus correctes que la plupart des extensions de territoire de la Confédération dans tout le cours de son passé.En exposant son point de vue, le Département Politique ne se dissimule pas les difficultés de la situation et ne cherche nullement à cacher les graves inconvénients que présenterait l’incorporation du Vorarlberg.
1ère objection: En annexant le Vorarlberg, nous ne parons pas au péril de l’encerclement allemand, si l’Autriche s’unit à l’Allemagne. Cela est évident; mais d’une part il est toujours plus probable que l’Entente empêchera la réunion de l’Autriche à l’Allemagne et d’autre part, même si l’Allemagne doit nous encercler, il est avantageux pour nous de reculer cet encerclement le plus loin possible de notre centre. Le nouveau canton suisse du Vorarlberg constituerait du moins un tampon entre le Tyrol devenu allemand et le canton de St. Gall. En outre, les montagnes de l’Arlberg forment une séparation géographique et morale plus efficace que le cours du Rhin et l’influence allemande serait en tous cas moins immédiate. Nous estimons d’ailleurs que nous devons continuer à agir par tous les moyens contre l’union de l’Autriche à l’Allemagne, quelle que soit la solution donnée à la question du Vorarlberg.
2me objection: En émettant, sans avoir combattu, des prétentions territoriales, nous nous embarquons dans une voie dangereuse, car nous permettons que nos frontières soient discutées et nous donnons ainsi le champ libre aux revendications dites de compensation. Cet argument touche surtout l’Italie. En effet, du côté français, il est peu probable que les idées du général Maîtrot sur l’Ajoie trouvent à Paris des défenseurs officiels et la question de la neutralité de la Savoie et des zones devra de toute manière être traitée. Tandis que la frontière des Alpes est généralement considérée comme figurant dans le programme italien. Mais nous sommes absolument convaincus que le Gouvernement italien ne songe pas à ouvrir, à l’heure actuelle, la question du Tessin et de la vallée de Poschiavo. Le Gouvernement italien aurait été, à un moment donné, disposé à entrer en conversation avec nous au sujet d’un échange du Tessin contre le Tyrol méridional de langue allemande; nous n’avons pas tenu compte des allusions qui nous furent faites. Mais le Vorarlberg n’est pas un article de compensation pour l’Italie. Jamais, dans les rêves les plus vastes du plus impérialiste des Italiens, le Vorarlberg n’est entré. Et c’est justement pour éviter de soulever la moindre question de compensation avec l’Italie que nous avons proposé de ne pas prendre en considération la demande d’incorporation de Täufers, commune qui peut être revendiquée par l’Italie. Le Vorarlberg est une portion d’un Etat qui n’existe plus. Nous sommes en présence d’une population sans maître légitime et en dehors des sphères d’influence contestées. Elle demande à se rattacher à la Confédération. Il ne s’agit là ni d’échange ni de compensation; c’est une question absolument indépendante de toutes les rectifications de frontière et il faut l’envisager sous cet aspect. Ni la Suisse ni aucune autre Puissance ne saurait voir là un marché, mais uniquement l’application du principe du droit d’un peuple, sans maître et sans appartenance, de disposer de lui-même, comme le font tous les autres peuples de l’ancien empire austro hongrois. C’est uniquement à ce point de vue expressément formulé que nous sommes disposés à aborder cette question.
3me objection: En accueillant le Vorarlberg, nous nous faisons un ennemi de l’Allemagne. Cette appréhension, grave en apparence, ne nous paraît pas fondée. Pour éviter de froisser l’Allemagne et de paraître nous enrichir de son désastre, nous avons renoncé à préconiser l’annexion des régions entourant Schaffhouse, dont les habitants demandaient à se réunir à nous. Nous devons chercher, par tous les moyens, à montrer à l’Allemagne que nous ne désirons pas profiter de sa défaite; mais l’Allemagne n’a rien à voir au Vorarlberg. C’est au Vorarlberg seul à décider de son sort et ce serait une grande erreur de notre part de pousser à l’extrême l’esprit chevaleresque et de mettre une sensibilité déplacée au service de la cause du Dr. Ritter, du chapitre de Souabe, et du petit groupe de Pangermanistes qui placent l’incorporation du Vorarlberg (et de la Suisse de langue allemande!) dans leur programme. Les Allemands de cette tendance ne sont d’ailleurs pas l’Allemagne de l’avenir. Ce n’est pas dans la direction d’un impérialisme pangermaniste que la nouvelle Allemagne va marcher et nous n’avons aucune raison pour encourager et pour ménager précisément les éléments allemands les moins désirables. Seule l’Autriche allemande, si elle se reconstituait dans son ensemble, serait peut-être fondée à voir d’un mauvais œil le Vorarlberg la quitter. Mais rien jusqu’ici n’a indiqué que l’Autriche allemande prit ce point de vue. Cet Etat ne se formera d’ailleurs que par la volonté de l’Entente et sur les bases édictées par elle. Il ne s’agit plus là d’un peuple conscient et jaloux de ses droits. Ce sont des peuples divers qui tirent chacun de leur côté. Si l’un d’eux se rattache à nous, les autres le laisseront se diriger à son gré et des difficultés ne sont guère à prévoir de ce côté-là.
4me objection: A l’Intérieur de la Suisse, nous provoquerons, par une révision de la Constitution fédérale et par une consultation des Cantons et du peuple, toute une série d’incidents désagréables et de divergences d’opinion qui aggraveront encore les dissensions qui divisent les Suisses entre eux. Cette objection est la plus sérieuse - la seule vraiment sérieuse. - Nous avons déjà dit que nous croyons avantageux de montrer à notre population que l’organisme suisse est encore viable et exerce encore une force d’attraction. Nous voudrions ajouter que la presse suisse romande, bien qu’elle n’ait été en rien influencée par nous, se montre en général assez bien disposée en faveur de l’agrégation du Vorarlberg. La question de savoir d’où provient cette disposition favorable est absolument indifférente. Dans la Suisse allemande, la presse s’est exprimée d’une manière objective: elle conclut toutefois en général plutôt dans le sens d’une incorporation du Vorarlberg. La presse de la Suisse italienne seule s’est montrée généralement hostile; il est probable que, si M. le Conseiller fédéral Motta voulait bien faire intervenir son influence et lui exposer qu’il ne saurait jamais et en aucun cas être question de compensation, elle se montrerait moins intransigeante. Toutefois, nous envisageons la probabilité d’une campagne tessinoise contre le Vorarlberg, pour des raisons linguistiques; nous admettons aussi que la Thurgovie pourra se montrer mal disposée, que les éléments traditionalistes suisses seront hostiles, par principe, à tout changement et que la presse germanophile agira contre l’agrégation, comme aussi peut-être une partie de la presse de la Suisse romande. Malgré tous ces inconvénients, nous estimons que le peuple suisse et les Cantons - s’il est nécessaire de les consulter, comme cela nous paraît incontestable - montreront assez de sens politique pour se prononcer dans leur majorité en faveur d’une mesure que la situation internationale de la Suisse nous paraît exiger pour des raisons de haute politique indiscutables.
Le Département Politique estime qu’il est de son devoir d’insister très vivement sur les graves périls auxquels une non-incorporation du Vorarlberg exposerait la Suisse. Il n’attend pas de cette agrégation des avantages positifs, mais il considère que les inconvénients d’une attitude négative seraient d’une gravité infiniment plus redoutable que ceux d’une attitude favorable. Il croit devoir, devant l’histoire, repousser la responsabilité d’une politique qui exposerait la Suisse à se voir coupée de ses communications avec l’Orient et encerclée par un de ses voisins. Des objections d’ordre financier nous paraissent absolument exclues, car un intérêt politique de premier ordre ne saurait dépendre de considérations secondaires. Enfin nous recommandons au Conseil Fédéral de prendre sa décision luimême, sans attendre qu’une pression de l’Etranger vienne dénaturer la question.5
- 1
- E 2001 (B) 3/9. Incorporation du Vorarlberg.↩
- 2
- Cf. no 296 note 2.↩
- 3
- Cf. no 311.↩
- 4
- Cf. no 329.↩
- 5
- Cette proposition du Département politique était accompagnée des annexes suivantes non-publiées: 1. Rapport de l'Etat-major général du 3 avril auquel le Département militaire déclare n’avoir rien à ajouter pour le moment. 2. Rapport du Département de Justice et Police du 23 avril. 3. Rapport du Département des Finances du 24 avril. 4. Rapport du Département de l’Intérieur du 25 avril avec trois annexes.↩