Vorgehen eines hohen Verantwortlichen des italienischen Aussenministeriums bei der Schweizer Gesandtschaft in Rom: im Hinblick auf einen Ost-West-Konflikt sollten Kontakte zwischen dem schweizerischen und dem italienischen Generalstab aufgenommen werden.
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 17, doc. 85
volume linkZürich/Locarno/Genève 1999
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#931* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 407 | |
Dossier title | Rom, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 55 (1948–1948) |
dodis.ch/4182 ÉTRANGE DÉMARCHE DE M. D’AJETA
Beaucoup de bons Italiens, je vous l’ai déjà signalé, considèrent comme un scandale le retour au palais Chigi de M. D’Ajeta, Ministre plénipotentiaire, ancien chef de cabinet de Ciano. Cet agent occupe au Ministère des Affaires étrangères un poste assez élevé dans le secteur économique: il n’a au-dessus de lui que le comte Sforza, le Sous-Secrétaire d’Etat Brusasca et M. Grazzi (je ne parle pas du Secrétaire général, dont l’influence ne s’exerce guère que dans les questions d’ordre politique et administratif).
On peut s’étonner qu’un haut fonctionnaire dont le rayon d’action devrait être strictement limité par la nature même du poste qu’il occupe prenne des initiatives dans un domaine étranger à ses attributions normales. C’est pourtant ce qui vient d’arriver à celui dont je parle.
Mon collaborateur M. Parodi, fréquemment appelé à traiter avec lui de problèmes relatifs aux relations commerciales entre la Suisse et l’Italie, l’avait invité à déjeuner. Après le repas, M. D’Ajeta le prit à part pour lui tenir les propos que je vais vous rapporter.
Il parla tout d’abord des conversations d’état-major qui se sont déroulées entre les puissances de l’Europe occidentale (Grande-Bretagne, France et Benelux) et déplora que l’Italie n’eût pas été conviée à y prendre part2. Cette exclusion le peinait, mais il s’en consolait, dit-il, à la pensée que son pays bénéficierait du plan Marshall dans une mesure beaucoup plus large que les nations concurrentes.
Comme vous le savez, M. Harriman vient de passer quelques jours à Rome. D’Ajeta prétend avoir reçu de lui l’assurance que les Etats-Unis d’Amérique vouent à l’Italie une particulière sollicitude et mettront tout en œuvre pour l’aider à relever non seulement son potentiel économique, mais sa force militaire.
D’après l’interlocuteur de M. Parodi, W. A. Harriman serait persuadé que la guerre entre l’Occident et l’URSS est inévitable et qu’elle éclatera dans un avenir assez proche. «Pour l’Italie, poursuivit M. D’Ajeta, cela signifierait l’occupation par l’ennemi de toute la plaine du Pô.» Il estime que l’appui américain permettrait de sauver de l’invasion le reste du territoire national. Mais la Suisse, observa-t-il, serait dangereusement isolée par la présence de l’armée rouge en Vénétie, en Lombardie et au Piémont, péril d’autant plus redoutable que, même si les généraux soviétiques s’abstenaient de franchir les frontières de la Confédération, leurs troupes pourraient occuper toutes les régions qui les avoisinent, à l’est, au nord et à l’ouest. Dans cette hypothèse, la Suisse ne pourrait être secourue que par des armées venant d’Italie. Il y aurait donc intérêt, pour les deux pays, à établir dès maintenant des contacts entre états-majors et à prévoir l’éventualité d’une défense commune.
M. Parodi ne manqua pas de relever, d’une part, qu’il ne se sentait guère qualifié pour donner suite à de telles suggestions et, de l’autre, que notre neutralité traditionnelle rendait difficile la réalisation du programme esquissé. M. D’Ajeta revint à la charge: il devait y avoir, malgré tout, des moyens de «causer» en prenant toutes les précautions possibles contre les indiscrets. Il conclut: «Réfléchissez, consultez votre gouvernement et, dans une dizaine de jours, dites-moi s’il y a quelque chose à faire.»
Tel est, fidèlement résumé, le récit de mon collaborateur.
Je crois devoir y ajouter les remarques suivantes:
1) La démarche de M. D’Ajeta me paraît fort étrange. J’ai tout lieu de penser qu’il l’a entreprise de son propre chef: dans la mesure où ils se sentaient bien en selle, les personnages importants du régime fasciste – et notre homme en était un – ne craignaient pas de prendre des initiatives hardies. D’autre part, si les vues qu’il a exprimées sont celles de son gouvernement, je m’étonne que ni le comte Sforza ni le nouveau Secrétaire général du palais Chigi, comte V. Zoppi, que j’ai vus tous deux à des dates récentes, ne m’en aient pas touché un mot.
2) Le passé politique de M. D’Ajeta n’est pas fait pour m’inspirer une confiance illimitée en la loyauté de son attitude.
3) En admettant même qu’il ait parlé en toute bonne foi et sans arrièrepensée, il convient de retenir que ses propos s’inspirent de déclarations attribuées par lui à M. Harriman. Or, ce dernier passe pour nettement «belliciste». A ce titre, sa venue en Italie a été très mal accueillie par toute la presse de gauche, qui ne lui a pas ménagé les remarques acerbes. Rien ne prouve que ses macabres prophéties correspondent au sentiment réel du cabinet de Washington.
Je considère donc que nous ne devons ni prendre au tragique les paroles du diplomate italien ni entrer sans plus ample informé dans la voie qu’il voudrait nous voir suivre.
Cependant, l’hypothèse stratégique à laquelle il se réfère ne peut pas être tenue pour négligeable. D’autre part, ce qu’il a dit me semble être un indice, sinon d’une renaissance de la puissance militaire italienne, du moins du fait que l’Italie s’efforce de regagner dans ce domaine le terrain qu’elle avait perdu. Les parades auxquelles nous avons assisté avant les élections du 18 avril3 étaient destinées surtout, me semble-t-il, à prévenir d’éventuels perturbateurs des dangers qu’ils eussent courus en voulant se mesurer avec la force policière de l’Etat. Mais, depuis cette date, les manifestations du même genre se sont poursuivies, prenant un caractère de plus en plus militaire. Des manœuvres ont lieu en diverses régions et les représentants officiels des armées britannique et française, que j’ai rencontrés hier encore, m’assurent qu’il y en aura d’autres, d’une assez grande envergure, durant les prochains mois. Incontestablement, les nations étrangères témoignent aujourd’hui au réarmement de l’Italie un intérêt de plus en plus attentif.
Sans parler du fait que des propositions analogues à celles de M. D’Ajeta pourraient nous être répétées par des bouches plus autorisées et qu’il ne serait pas mauvais d’avoir à Rome une oreille qualifiée pour les entendre et une plume apte à les commenter, l’importance croissante que l’étranger attribue à l’effort militaire de la jeune république pose pour nous la question de savoir si le moment n’est pas venu de rétablir le poste occupé naguère par le colonel Ch. de Watteville4. L’Italie ne possède-t-elle pas à Berne un Attaché militaire5 ayant rang de général?
Post-scriptum: 16 juin 1948. [… Les ambitions militaires de l’Italie sont confirmées par le projet de budget que M. Pella, Ministre du Trésor, vient de déposer sur le bureau de la Chambre. Les dépenses y sont estimées à plus de mille milliards de lires. Le déficit prévu est de 382 milliards de lires. Les sommes allouées au Ministère de la Défense (armée, marine et aviation) représentent un total de plus de 256 milliards de lires, soit un quart des dépenses totales. L’«Unità» communiste ne manque pas de relever que, pendant ce temps, les chômeurs meurent de faim.
- 3
- Sur ces élections, cf. notamment le rapport politique de R. de Weck du 27 février 1948: Les événements de Prague apportent la preuve que le résultat des élections italiennes, fixées au 18 avril, présente une importance européenne et peut-être mondiale. […], E 2300Rom/55 (dodis.ch/6740). Dans son rapport politique du 22 avril, R. de Weck analyse le résultat des élections qui ont vu le triomphe de la Démocratie chrétienne sur le bloc communiste et socialiste: à lui seul, le parti de A. De Gasperi a obtenu la majorité absolue à la Chambre et au Sénat, ibid.↩
- 4
- Le 30 juin, après avoir reçu copie du rapport de R. de Weck du 15 juin, le chef de l’Etatmajor général, L. de Montmollin, écrit à K. Kobelt pour proposer l’accréditation d’un Attaché militaire suisse à Rome, E 27/12743.Cette proposition est d’abord écartée pour des raisons financières. Le 1er novembre 1948, le colonel R. Frick adresse la notice suivante au chef de l’EMG, pour appuyer une nouvelle fois la nomination d’un Attaché militaire à Rome: Il est évident […]que l’Armée italienne se réorganise et tout ce que nous sommes arrivés à savoir nous prouve que, en Europe, elle est la force militaire qui apporte le plus de célérité à sa reconstruction. Comme il ne fait nul doute que les Américains participent activement à cette réorganisation, tant par les experts que par les envois de matériel, il est certain que nous aurions grand intérêt à suivre de près ce redressement. Il est nécessaire, par ailleurs, que j’insiste sur le fait que dans le cadre de la situation générale le problème de notre frontière sud présente un intérêt particulier. Je sais que les Américains ont étudié une ligne de défense de l’Europe jalonnée par la Grande Bretagne, les Pyrénées, le Nord-Africain, les Apennins, la Grèce et la Turquie. J’ai appris, également, que des conversations ont eu lieu entre l’EM français et l’EM italien pour l’étude d’une défense en commun des Alpes. Quelle que soit la solution envisagée, l’Italie du Nord – notre frontière sud – pourrait être appelée à jouer un rôle de première importance dans un conflit futur. Cf. E 27/ 9778 (dodis.ch/6741). Après un échange de correspondance entre le Chef du DMF et le Chef du DPF, le DMF décide le 25 mars 1949 d’accréditer un nouvel Attaché militaire et de l’air à Rome, en la personne du colonel E. Steinrisser. Celui-ci entrera en fonction le 20 avril suivant. Cf. ibid.↩
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