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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 24, doc. 186
volume linkZürich/Locarno/Genève 2012
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001E#1980/83#2281* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(E)1980/83 440 | |
Dossier title | Beziehungen zur Schweiz (1962–1970) | |
File reference archive | B.15.21 • Additional component: Frankreich |
dodis.ch/33247
Entrevue au Quai d’Orsay entre M. le Conseiller fédéral Spühler et M. Maurice Schumann, ministre des Affaires étrangères
M. Schumann, en compagnie de M. de Lipkowski, au ministère des Affaires étrangères, reçoit M. Spühler.
1. M. Spühler évoque la récente conférence au sommet de La Haye2 et exprime les très vifs remerciements des autorités fédérales pour l’appui si précieux que la France a apporté aux thèses suisses. Il souligne combien nous avons apprécié de voir le communiqué final3, en son point 14, tenir compte du cas des pays non candidats et par conséquent de celui de la Suisse. M. Schumann dit à son tour combien son pays a toujours eu en vue nos intérêts et s’est préoccupé de notre situation à l’égard du Marché commun. Il rappelle à cette occasion l’entretien que le soussigné4 avait eu avec lui en novembre dernier au cours duquel il avait lui-même esquissé dans ses grandes lignes la position qui fut finalement adoptée à La Haye.
Ayant interrogé le ministre sur l’interprétation qu’il fallait donner aux termes du communiqué (point 14), qui précisait que, dès que des négociations auront été ouvertes avec l’Angleterre5, la discussion pourra s’instaurer avec les pays tiers non candidats, M. Schumann précise qu’il s’agit bien, dans l’esprit de la France, d’une simultanéité entre les négociations d’une part, et la discussion d’autre part; simultanéité qui peut évidemment subir un léger décalage mais qui n’en reste pas moins une nécessité. Mais, ajoute M. Schumann, nos partenaires n’aiment pas beaucoup entendre parler de simultanéité et chaque fois que le sujet est évoqué ils tentent de l’interpréter. Ils ont, pour reprendre les termes de M. Schumann (à l’égard de la simultanéité) «le désir de l’entraver sournoisement». Mais la France continuera à défendre cette thèse.
D’une manière générale, la conférence de La Haye s’est bien déroulée et la procédure devrait suivre son chemin.
Interrogés sur la question de savoir s’il ne serait pas opportun, le cas échéant, que la Suisse marque son intérêt6 à l’égard du point 14 du communiqué, on peut déduire de la réponse des deux interlocuteurs français que ceux-ci n’estiment pas inutile que la Suisse envoie suffisamment tôt une lettre marquant d’une part sa satisfaction et, d’autre part, son désir de voir s’entamer la discussion.
2. Mais l’intérêt principal de M. Schumann semble résider dans la réunion du comité des ministres du Conseil de l’Europe, qui doit se tenir demain7. Il en vient donc immédiatement à ce sujet. Il fait part brièvement du récent entretien qu’il a eu avec M. Pipinellis et du fait que ce dernier lui aurait annoncé qu’il ferait une déclaration acceptant en substance les conclusions du rapport de la Commission des droits de l’homme8. Il est vrai que dans l’intervalle une déclaration retentissante en sens contraire est parvenue de Grèce. M. Schumann n’ayant pas revu M. Pipinellis ignore finalement quelle position il adoptera. La France est partagée à l’égard de la Grèce9 et, appelée à voter sur sa suspension, elle préférerait s’abstenir. Elle craint en effet qu’une décision de ce genre ne précipite ce pays dans une voie encore plus totalitaire. M. de Lipkowski lui passe alors le projet d’amendement suisse10 que M. Thalmann lui avait remis le même jour en fin de matinée. M. Schumann marque immédiatement son très vif intérêt pour ce texte. Il le trouve parfaitement acceptable, car il est, selon ses termes, démocratique, habile et utile. Il vise, certes, la suspension, mais en termes modérés, laissant ainsi à la Grèce une dernière possibilité d’introduire les réformes nécessaires. Certes, il ne croit pas que trois mois de plus ou de moins modifieront quoi que ce soit à la situation, mais il veut tout mettre en œuvre pour éviter que la Grèce, en se retirant du Conseil de l’Europe, ne s’engage définitivement plus avant dans la voie de la dictature et ne s’enferre dans ses erreurs. Il souhaiterait vivement que le texte suisse soit déposé sur le bureau du Président11 afin que, conformément à la procédure en vigueur au Conseil de l’Europe, les amendements – il s’agit en l’espèce d’un amendement au projet suédois12 – soient soumis au vote en même temps que le texte d’amendement allemand13 moins satisfaisant. En agissant ainsi, pour reprendre ses propres termes, «nous lui rendrions service». Il ajoute qu’il est prêt non seulement à voter le texte suisse, mais même à y apposer, en cas de besoin, sa signature. Il correspond parfaitement à ce qu’il a dit de la Suisse en Conseil des ministres, à savoir qu’il convenait de s’appuyer sur un pays exerçant un magistère moral. Il rappelle d’ailleurs les grandes dates de notre histoire à cette occasion. Il demande à M. Spühler si ce texte a recueilli également l’accord des Autrichiens14. M. Spühler lui répond affirmativement et lui explique les hésitations qu’il éprouve à déposer ce texte sur le bureau. Il voudrait en effet éviter à tout prix que la présence de deux textes qui ne recueilleraient pas la majorité désirée aboutisse finalement à ce qu’une décision ne puisse être prise ni dans un cas ni dans l’autre. Car, ajoute M. Spühler, nous craignons que notre proposition ne recueille pas le nombre de voix nécessaire, la proposition suédoise ou allemande semblant mieux convenir à la fois aux pays nordiques, à l’Angleterre et à d’autres pays. M. Schumann confirme que M. Thomson votera la suspension de la Grèce. Il le verra d’ailleurs immédiatement après la visite de M. Spühler. L’Allemagne, naturellement, défendra son texte. La Turquie peut-être choisira-t-elle la proposition suisse, ainsi que l’Irlande et Chypre? Mais cela n’est pas certain. La position de la Belgique, de même que celle de l’Italie, sont encore incertaines.
M. Schumann n’insiste pas auprès de M. Spühler mais il souligne combien il serait heureux que pour la seconde fois les intérêts suisses et français se rencontrent et il marque tout l’intérêt que présenterait pour son pays la proposition suisse qu’il pourrait voter sans difficulté. Le problème de la procédure est évoqué rapidement.
M. de Lipkowski, qui représentera la France demain, souligne que celle-ci reste en faveur de la majorité des ⅔. Il reconnaît qu’il n’y a pas convergence de vues sur ce point entre Berne et Paris, mais il n’insiste pas. On convient de maintenir le contact et de se tenir au courant de l’évolution de la situation. La délégation suisse, pour sa part, poursuivra son sondage.
3. L’audience touche à sa fin car M. Schumann attend encore d’autres visiteurs. M. Spühler et lui-même évoquent l’harmonie des relations francosuisses sur le plan bilatéral15. M. Spühler dit en passant qu’il y a encore certains dossiers, mais aucun ne soulève de problèmes spéciaux. Tout au plus peut-on évoquer le cas des Suisses victimes des événements d’Algérie16. M. Schumann se déclare tout prêt à se pencher sur cette question qui, pour l’instant, est en main de M. de Chambrun. Le soussigné remettra prochainement un aide-mémoire à ce sujet soit à M. de Beaumarchais, soit au Secrétaire Général, M. Alphand. M. Schumann déclare qu’il vouera toute son attention à ce problème.
Il n’a pas été possible d’évoquer encore le problème de la conférence sur la sécurité européenne17. Toutefois le Chef du Département a pu s’en entretenir au cours d’un dîner offert par le ministre des Affaires étrangères, tant avec le Secrétaire Général, M. Alphand, qu’avec M. de Lipkowski et M. Schumann personnellement. Ce fut l’occasion de préciser de part et d’autre la position respective des deux pays. On a rappelé l’attitude négative des Etats-Unis à l’égard de ce genre de conférence. En ce qui concerne la position française, elle est bien connue: la conférence doit être soigneusement préparée et il faut également prendre le plus grand soin d’éviter que, par le biais d’une telle ré union, on aboutisse à la reconstitution de blocs, à laquelle la politique française demeure toujours opposée. On a ainsi pu constater, en conclusion, que du côté français régnait le même scepticisme quant à la possibilité de réunir,
- 1
- Notice (copie): E2001E#1980/83#2281* (B.15.21). Rédigée par P. Dupont. Visée entre autres par W. Spühler et M. Gelzer. Annotation manuscrite dans la marge: interessant.↩
- 2
- Cf. DDS, vol. 24, doc. 180, dodis.ch/33243, note 3.↩
- 3
- Cf. doss. E2001E#1980/83#787* (C.41.775.03.1).↩
- 5
- Sur la demande d’adhésion de la Grande-Bretagne à la CEE, cf. DDS, vol. 24, doc. 33, dodis.ch/33238, note 3.↩
- 6
- Cf. le PVCF No 2200 du 22 décembre 1969, dodis.ch/33594.↩
- 7
- Sur la 45ème séance du Comité des ministres du Conseil de l’Europe du 12 décembre 1969, cf. le PVCF No 2095 du 8 décembre 1969, E1004.1#1000/9#753* et le PVCF de décision II du 8 décembre 1969, E1003#1994/26#12*. Sur le Conseil de l’Europe, cf. aussi doc. 69, dodis.ch/32480.↩
- 8
- Projet de Rapport Publication du rapport de la Commission Européenne des Droits de l’Homme sur la question grecque de la Commission des questions juridiques du Conseil de l’Europe du 6 août 1969, E2003A#1980/85#315* (o.121.360).↩
- 9
- Sur la position de la France à l’égard de la Grèce au sein du Conseil de l’Europe, cf. la notice de P. Micheli à W. Spühler du 1er décembre 1969, E2003A#1980/85#314* (o.121.360).↩
- 10
- Projet de Déclaration sur la Grèce et le Conseil de l’Europe, ibid. W. Spühler n’a pas pu intervenir, la Grèce ayant annoncé d’elle-même son retrait du Conseil de l’Europe. Cf. le télégramme No 62 du Département politique à l’Ambassade de Suisse à Athènes du 12 décembre 1969, ibid.↩
- 11
- L. Tončić-Sorinj.↩
- 12
- Projet de résolution scandinave. Suspension of Greece, Doss. comme note 9.↩
- 13
- Entschliessungsentwurf de la République fédérale d’Allemagne, ibid.↩
- 14
- Sur l’échange de vues entre W. Spühler et K. Waldheim sur la position de la Grèce au sein du Conseil de l’Europe, cf. la notice de E. Thalmann à W. Spühler du 24 octobre 1969, dodis.ch/33369.↩
- 15
- Sur les relations bilatérales entre la Suisse et la France, cf. DDS, vol. 24, doc. 110, dodis.ch/32370 et doc. 131, dodis.ch/32369.↩
- 16
- Cf. DDS, vol. 24, doc. 19, dodis.ch/32591 et doc. 164, dodis.ch/32244.↩
- 17
- Sur la Conférence européenne de sécurité, cf. DDS, vol. 24, doc. 154, dodis.ch/32403.↩
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European Union (EEC–EC–EU) Council of Europe