Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 22, doc. 52
volume linkZürich/Locarno/Genève 2009
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2804#1971/2#593* | |
Old classification | CH-BAR E 2804(-)1971/2 111 | |
Dossier title | Integration 1962, Januar bis April (u.a. Korrespondenz mit der Schweizer. Mission bei den Europäischen Gemeinschaften, Brüssel; mit der schweizer. Delegation bei der Efta; mit dem Integrationsbüro usw. ) (1962–1962) | |
File reference archive | 060.4 |
dodis.ch/30183
Entretien avec M. Spaak
Le Ministre Spaak m’avait fait dire, la semaine dernière, par l’un de ses amis et ancien collaborateur, M. Radoux, député socialiste à la Chambre des Représentants, avec qui je m’étais entretenu quelques jours plus tôt des problèmes de l’intégration, qu’il désirait m’en parler également. Il m’a reçu ce matin et voici comment s’est déroulé cet entretien:
«II paraît qu’on est très fâché contre moi en Suisse» m’a déclaré d’entrée de jeu M. Spaak. J’ai répondu qu’on était surtout surpris de constater qu’il reprochait aux pays neutres de ne rechercher que les avantages de l’intégration sans vouloir en accepter les obligations. «La Suisse désire sincèrement», ai-je souligné, «collaborer à la construction économique de l’Europe, en acceptant d’en payer le prix, et ceci dans tous les domaines où sa politique de neutralité ne risque pas d’être compromise. Cette volonté a été exprimée officiellement à diverses reprises, aucun doute ne devrait subsister à cet égard».
Mon interlocuteur s’est alors expliqué sur le sens qu’il convenait de donner à ses récents discours3. «Il serait faux de croire», a-t-il dit, «que je me sois fait une doctrine au sujet de l’association des pays neutres, doctrine qui serait contraire à cette association, mais je ne puis m’empêcher de me poser et de poser à mon entourage des questions, car je suis très préoccupé par les conséquences que pourrait avoir pour le développement futur de la CEE l’association de pays tiers qui n’accepteraient pas les clauses du Traité de Rome. Ne serait-ce pas là un affaiblissement pour la Communauté?»
J’ai développé alors le thème de l’importance que revêt pour une Europe même communautaire l’existence de pays neutres, économiquement développés, pouvant assurer, comme c’est le cas pour la Suisse, leur propre défense militaire, partageant les aspirations occidentales et capables de rendre sur le plan international des services appréciables, précisément grâce à leur statut de neutralité. J’ai insisté également une fois encore sur notre volonté de collaboration économique aussi large que possible.
M. Spaak a poursuivi en exprimant l’avis qu’on n’avait peut-être pas bien compris en Suisse que le Traité de Rome ne constitue que la première étape de l’intégration européenne et que cette première étape a un caractère strictement économique. Ce n’est que dans une phase ultérieure, dont le processus commence à peine à être esquissé, que l’intégration de l’Europe pourra prendre un caractère politique, si l’on parvient, ce qui, pour le moment, ne semble pas être facile, à se mettre d’accord entre partenaires sur une formule commune. En d’autres termes, si le Traité de Rome laisse entrevoir comme but lointain une finalité politique, il ne contient cependant que des clauses de caractère purement économique. Dès lors, si la Suisse désire vraiment collaborer à l’intégration économique pas seulement en matière tarifaire mais également dans les autres domaines, pourquoi ne pourrait-elle pas, sous réserve de certaines dérogations, entrer de plain-pied dans le Marché commun en devenant membre adhérent? – «Je ne vois pas», a ajouté M. Spaak, «en quoi la neutralité politique de votre pays pourrait en être compromise». – J’ai répondu qu’il paraît difficile d’établir des limites strictes entre les obligations de nature politique, et que, d’autre part, notre neutralité était incompatible avec la nécessité où nous serions comme membres adhérents d’accepter des décisions prises sur le plan supranational.
M. Spaak a maintenu l’opinion selon laquelle pour un pays tiers désireux de participer à l’intégration économique européenne, il n’y avait que deux possibilités, ou bien jouer un rôle actif comportant le droit de vote et permettant de prendre part aux décisions, ou bien se contenter d’un rôle passif et ne devenir plus alors qu’une sorte de satellite européen. Par conséquent, si la Suisse, ou d’autres pays neutres, désirent prendre une part active dans la construction communautaire, il faut qu’ils aient voix au chapitre; ne feraient-ils dès lors pas mieux de devenir membres adhérents, plutôt que des associés dont on ne voit pas encore clairement comment ils pourront faire valoir leurs vues?
Spaak ne parvient pas en effet, a-t-il prétendu, à se représenter que la CEE puisse entretenir des liens d’association avec un nombre élevé de pays tiers constituant chacun un cas particulier et nécessitant que les décisions prises par la Communauté soient rediscutées pour chacun d’eux avec un conseil d’association avant de leur être appliquées. «N’aboutirait-on pas ainsi à un système terriblement compliqué et lourd qui risquerait de retarder le processus général d’intégration et par conséquent de l’affaiblir»? Si au contraire les pays neutres peuvent devenir sur le plan économique seulement des membres de plein droit, ayant dans les décisions prises leur part de responsabilité, le problème en serait grandement simplifié.
En réponse à ces diverses considérations, je n’ai pu que répéter qu’une telle solution reviendrait à imposer aux neutres des décisions supranationales prises à la majorité et qu’un tel état de choses, même limité aux questions économiques, serait contraire au maintien de la souveraineté, c’est-à-dire de l’indépendance.
M. Spaak a encore ajouté: «Je ne suis pas un technicien, je me rends compte qu’il peut exister des points sur lesquels, dans le domaine tarifaire notamment, mais également social, anti-cartel, agricole, etc. des dérogations peuvent être consenties, mais je reste convaincu que l’Europe de demain ne pourra se construire que si ses membres acceptent les sacrifices nécessaires, c’est-à-dire renoncent à leurs avantages particuliers au profit de l’intérêt général communautaire.»
M. Spaak m’a encore demandé ce que ferait la Suisse si les négociations avec le Royaume-Uni venaient à échouer. J’ai répondu que les membres de l’EFTA étaient liés entre eux par des engagements réciproques et que les neutres n’entreraient sans doute pas en pourparlers avec la Communauté avant que les négociations britanniques soient en bonne voie.
On peut, me semble-t-il, tirer de cette conversation deux conclusions:
La première, c’est que M. Spaak n’avait pas compris – ou avait feint de ne pas comprendre – la volonté réelle de la Suisse de participer d’une manière positive à la construction de l’intégration économique européenne en acceptant de prendre des engagements pouvant aller au-delà de simples concessions tarifaires et s’étendre à d’autres secteurs de cette intégration.
La seconde, plus importante, est que le Ministre belge des Affaires étrangères paraît admettre, contrairement à ce qu’il avait laissé entendre précédemment, qu’un pays neutre puisse participer à l’intégration économique sans accepter de se soumettre aux conséquences d’une intégration politique. En revanche l’idée d’une association dont il ne voit pas bien le mécanisme paraît lui être contraire. D’ailleurs, ainsi qu’il l’a dit lui-même, M. Spaak ne s’est pas encore formé une doctrine à ce sujet.
Il convient en outre de considérer les déclarations faites par M. Spaak au cours de cet entretien comme ne reflétant (il a insisté là-dessus) que ses idées personnelles et non pas celles de ses collègues du Gouvernement qui, d’ailleurs, a-t-il ajouté, ne se sont pour le moment guère penchés sur le problème.
- 1
- Lettre: E 2804/1971/2/105.↩
- 2
- H. Schaffner, P. Micheli, E. Stopper et P. R. Jolies ont reçu une copie de ce document.↩
- 3
- Cf. DDS, vol. 22, doc. 42.↩
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