Politischer Bericht Gorgés über seinen Besuch bei Aussenminister Molotow.
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 19, doc. 55
volume linkZürich/Locarno/Genève 2003
Plus… |▼▶Emplacement
Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2300#1000/716#597* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2300(-)1000/716 287 | |
Titre du dossier | Moskau, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 14 (1953–1953) |
dodis.ch/9020 VISITE À M. MOLOTOV
Comme mes collèges, j’ai demandé une audience à M. Molotov, le nouveau Ministre des Affaires étrangères de l’URSS. Il m’a reçu hier, à 17 heures, dans un vaste bureau clair sis au septième étage du gratte-ciel où sont logées depuis quelque temps les Affaires étrangères. Il était assisté d’un interprète en uniforme, le même d’ailleurs qui avait déjà traduit mes propos en russe lors de la remise de mes lettres de créance et lors de ma visite à M. Vychinski.
On connaît M. Molotov. Qui ne le connaît pas? Il ne rappelle en rien le bolchevik à mine patibulaire, couteau entre les dents; il est impeccablement vêtu, comme le plus bourgeois des bourgeois, et il en a quelque mérite, lui qui a joué, des années, au révolutionnaire sous un Lénine en casquette et qui a travaillé, des lustres, aux côtés d’un chef affublé d’une pauvre petite vareuse. On le sait froid et secret, peu communicatif, encore moins expansif, peu sensible aux sentiments, porté aux refus et capable de n’importe quoi, mensonge ou mauvaise action, s’il estime que c’est dans l’intérêt de la cause qu’il défend. On lui dénie toute qualité de cœur. Il aurait une pierre dans la poitrine. En revanche, il peut être fort poli, moins sans doute que M. Vychinski, mais plus qu’un Gromyko ou un Malik, à condition, bien entendu, qu’on ne lui fournisse pas l’occasion d’une réponse cinglante ou d’un propos agressif.
Ma visite n’est que de courtoisie, mais il faudra bien que je l’entretienne de nos affaires, moyen commode et tout naturel d’ailleurs de remplir les quinze ou vingt minutes qui me seront rituellement accordées. Aussi, sachant ce que je sais, ne puis-je me défendre de lire sur la porte que m’ouvre un des secrétaires du Protocole: «Vous qui entrez, laissez toute espérance.»
M. Molotov m’a serré assez cordialement la main et m’a désigné une chaise au bout d’une longue table où il s’assied lui-même, dos à la lumière. Je commence par lui exprimer encore ma sympathie personnelle pour la mort du chef qu’il a perdu et dont il a été un des plus intimes collaborateurs. Mon interlocuteur n’a pas l’air d’être tout à fait indifférent à mon propos et il me remercie gravement. Cela fait, j’aborde la question des relations entre nos deux pays2. Je lui dis qu’elles ne sont pas mauvaises, ce dont il prend acte avec une satisfaction qui me paraît à peu près égale à la mienne. Mais j’ajoute aussitôt qu’il n’y a pas moins – ce qui n’a rien d’extraordinaire – un certain nombre de questions en suspens que nous serions heureux de voir aboutir à une solution. La plus importante est celle des dommages de guerre subis par nos compatriotes. J’ en expose les grandes lignes en insistant plus particulièrement – pour que mon interlocuteur comprenne mieux – sur les pertes injustement causées à des citoyens suisses établis dans les territoires où progressaient les armées soviétiques3. l’interprète a traduit et j’attends la réaction de M. Molotov. Elle ne vient pas ou plutôt elle vient sous la forme d’un petit geste évasif qui m’a l’air de signifier qu’il n’est pas au courant ou que de telles choses peuvent se produire. Je conclus en disant que, bien entendu, nous aurons encore des échanges de vues à ce sujet avec les services compétents de son Ministère, ce à quoi il me paraît acquiescer bien volontiers.
J’en viens ensuite à parler du cas d’un certain nombre de compatriotes qui ont fait, depuis des années, l’objet de multiples démarches de ma Légation, démarches restées malheureusement infructueuses. Il s’agit ou de Suisses dont nous désirons avoir des nouvelles ou de Suisses qui demandent leur rapatriement. Je laisse entendre que nous nous sommes heurtées jusqu’ici à l’intransigeance des Autorités compétentes, autorités locales sans doute; aussi me suis-je demandé, ajouté-je, si, vu l’amnistie décrétée récemment en faveur de certaines catégories de condamnés, mes compatriotes ne pourraient pas bénéficier, à leur tour, d’une mesure d’indulgence de la part des Autorités soviétiques. Je n’entre pas dans les détails, car M. Molotov me fait tout de suite observer qu’il n’a aucune idée des affaires dont je l’entretiens. Je précise que mon but était simplement de l’informer, mais que je me réserve de reprendre la discussion à ce propos avec le service des Affaires étrangères qui traite plus spécialement des affaires suisses, ce qu’approuve pleinement mon éminent interlocuteur. Je ne suis pas mécontent de cet acquiescement exprès, car j’y vois une arme de plus pour les conversations que j’aurai à cet égard la semaine prochaine avec le bureau compétent.
Au cours d’un tour d’horizon comme celui-là, je m’en serais voulu de ne pas revenir brièvement sur l’attitude du Gouvernement soviétique envers le Comité international de la Croix-Rouge. Je ne cachai pas qu’en Suisse, nous avions regretté les attaques injustes dont il avait été l’objet4. Quoi qu’on dise à Moscou, le Comité est neutre et il le restera. On lui a contesté, d’autre part, son caractère international. Sans doute, il est de composition exclusivement suisse, mais est-ce un empêchement à l’exercice d’une activité purement internationale? On s’étonne, au demeurant, qu’en URSS, il lui soit fait grief de sa composition suisse. Si le Comité n’était pas composé seulement de citoyens suisses, comment pourrait-il jamais fonctionner en temps de guerre générale? Or l’institution, créée sur le territoire et par des ressortissants d’un petit pays neutre, aurait précisément, du fait même de sa composition, des chances de survivre et de pouvoir exercer sa mission bienfaisante si, par malheur, une nouvelle conflagration venait désoler l’humanité. J’exprime le vœu, vu le caractère universel que doit revêtir l’œuvre de la Croix-Rouge, que le Gouvernement soviétique pourra revenir un jour à des sentiments plus équitables envers l’organisation dont le siège est à Genève.
Je brûle de connaître l’opinion de M. Molotov; je suis vite refroidi. Il ne se dérobe nullement en excipant de son ignorance. Il répond hargneusement, au contraire, que «le prétendu Comité international» (sic) ne s’est pas comporté convenablement envers l’URSS au cours de la dernière guerre. Le ministre a pris une attitude hostile; je le vois buté, boutonné dans son parti pris, condamnant sans même vouloir entendre. Je ne reprends pas moins la défense du Comité en faisant valoir, entre autres, qu’en se montrant intransigeant dans ses exigences envers le gouvernement hitlérien, il aurait fini par compromettre toute l’activité qu’il pouvait encore exercer en Allemagne en faveur des prisonniers. Eût-ce été dans l’intérêt de ces derniers? Je me permets de citer à cet égard ma propre expérience au Japon5. Que de fois auraisje pu tout gâter, dans mes multiples négociations avec le gouvernement japonais, en frappant du poing sur la table! Il fallait savoir parfois se contenter de peu pour être à même de faire encore quelque chose. M. Molotov reste toutefois obstinément fermé à mon argumentation et s’en tient malheureusement à sa condamnation toute sommaire du CICR, sans circonstances atténuantes.
Vous qui entrez, laissez toute espérance…
L’audience, qui dépassait le quart d’heure prévu, touchait à sa fin. M. Molotov, radouci, me dit encore, sur un ton tout protocolaire, qu’il était heureux de l’état satisfaisant des relations entre les deux pays et qu’il faisait des vœux pour qu’elles soient toujours meilleures. A ce propos, je glissai qu’une amélioration serait sans doute souhaitable, en particulier, dans nos relations économiques, sur quoi M. Molotov déclara qu’on serait certainement désireux, dans son pays également, de voir se développer les échanges commerciaux entre l’Union soviétique et la Suisse. Déclaration qui ne l’engageait guère.
Si j’en avais eu le temps, j’aurais pu poser une ou deux questions à mon interlocuteur sur la situation internationale. Je suis persuadé toutefois que je n’y ai rien perdu et que tout ce que j’aurais recueilli de l’homme prudent qu’est le nouveau Ministre soviétique des Affaires étrangères eût consisté en quelques lieux communs sur la politique invariable de paix poursuivie sans défaillance par le généralissime Staline et ses premiers commis.
- 1
- E 2300(-)-/9001/287.↩
- 2
- Cf. table méthodique du présent volume: Union soviétique – relations politiques.↩
- 3
- Cf. la lettre de M. Petitpierre à C. Gorgé du 21 novembre 1952, E 2001(E)1969/121/122 (dodis.ch/9026) et la notice de S. Stiner à A. Zehnder du 12 novembre 1954, ibid. (dodis.ch/9034).↩
- 4
- Cf. DDS, vol. 18, doc. 141, dodis.ch/8026(dodis.ch/8026).↩