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«Die Revolte der Jungen». Die Berichterstattung der Schweizer Diplomatie über die globale Protestbewegung um 1968, vol. 9,
volume linkBern 2018
Dettagli… |▼▶Collocazione
Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
▼ ▶ Segnatura | CH-BAR#E2300-01#1973/156#223* | |
Vecchia segnatura | CH-BAR E 2300-01(-)1973/156 25 | |
Titolo dossier | Lissabon (Briefe) (1968–1968) | |
Riferimento archivio | A.21.31 |
dodis.ch/50614L'Ambassadeur de Suisse à Lisbonne, René Naville, au Secrétaire général du Département politique, Pierre Micheli1
On pourrait s'étonner que les mouvements estudiantins qui se sont déclenchés dans plusieurs pays, jusqu'au Brésil2 et aux portes même du Portugal, en Espagne3, n'ont pas été suivis par des manifestations analogues dans les universités portugaises4. Celles-ci, en effet, semblent être restées en marge de ces troubles et aucun indice ne paraît révéler une effervescence particulière dans le monde estudiantin lusitanien.
Ceci est dû à plusieurs raisons. Comme vous le savez, en 1962 diverses manifestations de cet ordre avaient eu lieu au Portugal5. Des étudiants ont été arrêtés et certains sévèrement punis. Il est clair que les autorités ont profité de l'occasion pour établir un contrôle serré sur toute activité intérieure des universités, en repérant les éléments les plus frondeurs qui, depuis lors, ont été surveillés de près. Les étudiants regardent donc à deux fois avant de recourir à de tels mouvements, car ils craignent une répression qui est susceptible de les frapper durement, les délinquants étant soit emprisonnés, soit immédiatement enrôlés dans les troupes combattantes en Angola et au Mozambique6. Il ne faut pas oublier non plus que le nombre des étudiants au Portugal est relativement restreint et, de ce fait, ces derniers peuvent être d'autant mieux surveillés. On n'en compte, en effet, en tout et pour tout dans l'ensemble du pays pas plus de 29'000 (contre 892'600 et 323'283 élèves fréquentant respectivement les écoles primaires et secondaires) qui se répartissent, par voie d'importance, dans les facultés des lettres, des sciences et de médecine. C'est parmi les étudiants de l'Université de Lisbonne, qui en compte 15'832, que se trouvent les éléments les plus agités, surtout dans la faculté des lettres. Par contre, les étudiants faisant partie de l'Université de Coimbra, au nombre de 7000, et ceux de l'Université de Porto, à concurrence de 5000 sont de tendance plus conservatrice et n'ont jusqu'à présent pas suivi les mouvements de Lisbonne. À ces chiffres, il y a lieu d'ajouter les étudiants des instituts techniques et commerciaux, au nombre de 47'000 à Lisbonne, 6000 à Coimbra et 27'000 à Porto.
Il convient de remarquer que les étudiants étrangers, souvent fomenteurs de troubles, sont peu nombreux au Portugal. D'autre part, l'existence de la censure a pour effet de limiter considérablement la diffusion d'idées avancées dans les cercles estudiantins qui, au surplus, surtout à Coimbra, se trouvent influencés par un catholicisme plus conservateur que social. Enfin, il y a lieu de relever qu'il existe un profond fossé entre étudiants et professeurs, ces derniers gardant avec eux une certaine distance et se soustrayant à toute discussion, s'en tenant strictement à leur rôle professoral. À tel point que nombre d'étudiants de Porto émigrent actuellement vers la capitale où la collaboration entre élèves et professeurs est plus étroite.
Beaucoup de professeurs, d'ailleurs, (à part quelques honorables exceptions), notamment à Coimbra et Porto, n'ont que des connaissances élémentaires et laissent à désirer en ce qui concerne leur formation professionnelle. La plupart d'entre eux sont inféodés au régime, ce qui incite les étudiants à garder avec eux une certaine réserve par crainte de subir ultérieurement des vexations, d'avoir de mauvaises notes ou d'être accusés d'entretenir des idées subversives. Cette attitude professorale n'est pas un des moindres maux qui affectent les universités. Quoi qu'il en soit, les étudiants n'en sont pas moins conscients des profondes réformes que devrait subir l'enseignement, afin d'en élever le niveau, de dépolitiser les universités, de les ouvrir aux courants modernes et d'améliorer ses conditions sociales. «Quoi qu'on fasse donc, comme me disait un Portugais, l'idée est là et ne demande qu'à s'exprimer.»
Bien que la presse ait donné une large publicité aux mouvements estudiantins qui sont apparus aussi bien en Europe qu'aux États-Unis7 et en Amérique du Sud, il ne semble pas que ces nouvelles aient donc eu le don d'émouvoir particulièrement, du moins en apparence, les milieux estudiantins portugais.
En ce qui concerne les événements qui se sont déroulés en France8, je relève un article paru dans le «Diário de Notícias» du 24 de ce mois, qui donne son appréciation à ce sujet:
«Le premier enseignement que l'on peut tirer de ces événements est que cette crise a démontré qu'actuellement il n'y a pas dans le monde, comme auparavant, des événements qui soient exclusivement nationaux. Ils révèlent tous inévitablement des aspects internationaux. L'infiltration étrangère s'est développée, dirigée par des éléments incontrôlables. La différence qui existe entre la crise présente et la crise française de 1936, appelée Front Populaire, découle de ce fait9. Les premiers incidents qui se sont déclenchés à la Sorbonne, quand l'agitation se limitait aux secteurs académiques, subissaient l'influence communiste surtout pro-chinoise. On a vu, en effet, les murs de l'Université couverts de portraits de Mao10, aux côtés de ceux de Fidel Castro11 et de Trotsky12. Les communistes français d'affiliation pro-russe furent les premiers à s'en alarmer. C'est ainsi que le chef communiste Aragon13, qui prétendit s'immiscer dans ce mouvement et parut à la Sorbonne, fut hué. Les communistes pro-russes qui ne se manifestèrent pas au début furent appelés à s'engager dans ces événements pour tenter de les dominer. De son côté, la CGT14 condamna publiquement toute forme de violence et conseilla la modération dans un mouvement estudiantin qui échappait à sa direction. On vit notamment, en face de l'Opéra, des éléments estudiantins de la gauche et de la droite en venir aux mains.
Gouverner n'est pas seulement résoudre les problèmes, mais également les prévoir. Or, le Général de Gaulle15, absorbé par son rêve de grandeur et d'hégémonie diplomatique, vit son action affaiblie dans la vie intérieure du pays. En revenant à Paris, il jugea aussitôt la situation et, tout en condamnant toute violence, décida d'exploiter à fond les divisions surgies parmi ses ennemis, qu'ils soient pro-chinois ou pro-russes. Contrairement à ce que prétendait le front politique en exigeant la démission du Gouvernement, les dirigeants ouvriers, selon les suggestions de Moscou, se déclarèrent prêts à traiter avec le Chef du Gouvernement.
Les réformes sociales que vont entraîner ces incidents seront certes coûteuses pour l'économie française et le monde, mais il est nécessaire que le vieux capitalisme comprenne que c'est dans la nécessité de son adaptation que résident les conditions de sa survivance. Dans le monde, la lutte des classes a évolué. Les classes ouvrières ont tendance à s'embourgeoiser dans la conjoncture actuelle, alors que le capitalisme s'est prolétarisé dans la même mesure. Une juste conception du monde actuel ne peut que faciliter un rapprochement.
La crise française marque une phase dans l'évolution et l'autorité de l'État. Elle prouve qu'aujourd'hui rien n'est exclusivement national et rien exclusivement politique. Le mérite du Général de Gaulle, en compensation de ses erreurs, est de l'avoir reconnu toutefois peut-être un peu tard, car il n'a rien prévu. Le problème est de savoir quel sera le prix à payer. La France ne sera sans doute pas seule à régler ce compte, car actuellement toute réalité ou pénitence, vraie ou fausse, est devenue implacablement supranationale. Il n'y a pas de politique internationale valable sans unité et consistance nationales.»
- 1
- Lettre politique No 6 de l'Ambassadeur de Suisse à Lisbonne, René Naville, dodis.ch/P133, au Secrétaire général du Département politique, Pierre Micheli, dodis.ch/P86: CH-BAR#E2300-01#1973/156#223*(A.21.31). Visée par Albert Natural, dodis.ch/P2696.↩
- 2
- Cf. doc. 7, dodis.ch/50617.↩
- 3
- Cf. doc. 2, dodis.ch/50613.↩
- 4
- Pour plus de précisions sur la suite des événements, cf. la lettre politique No 16 de René Naville à Pierre Micheli du 18 décembre 1968, dodis.ch/50689.↩
- 5
- Le point culminant fut une grande manifesation à Lisbonne le 24 novembre 1962 qui fit face à une forte répression. Après cela, les étudiants commencèrent une grève qui souligna également leur résistance contre le régime en place.↩
- 6
- La guerre d'indépendance de l'Angola eu lieu de 1961 à 1975 et celle du Mozambique de 1964 à 1974, cf. DDS, vol. 25, doc. 86, dodis.ch/35680 et DDS, vol. 26, doc. 166, dodis.ch/38886. Sur le début de la guerre en Angola, cf. DDS, vol. 21, doc. 135, dodis.ch/15226 et doc. 146, dodis.ch/15227. ↩
- 7
- Cf. doc. 16, dodis.ch/33421.↩
- 8
- Cf. doc. 13, dodis.ch/50606.↩
- 9
- Pour plus de précisions sur le Front populaire et son analyse par la diplomatie suisse, cf. DDS, vol. 11, doc. 226, dodis.ch/46147; doc. 251, dodis.ch/46172 et doc. 267, dodis.ch/46188 et vol. 12, doc. 92, dodis.ch/46352.↩
- 10
- Mao Zedong (1893–1976), dodis.ch/P12354, révolutionnaire, militaire et homme d'État chinois, président du Parti communiste chinois de 1943 à 1976. Dans beaucoup de pays, les mouvements de protestation furent partiellement inspirés par la révolution culturelle de la République populaire de Chine et du maoïsme. Cf. doc. 4, dodis.ch/50612; doc. 5, dodis.ch/50607; doc. 10, dodis.ch/50609; doc. 14, dodis.ch/50611; doc. 22, dodis.ch/50622; doc. 23, dodis.ch/50605 et la lettre politque No 4 de Jean-Pierre Ritter, dodis.ch/P17429, du 17 juin 1968, dodis.ch/50840.↩
- 11
- Dans beaucoup de pays, les mouvements furent partiellement orientés par les idées révolutionniares de Fidel Castro (1926–2016), dodis.ch/P14631, chef de gouvernement et du Parti communiste de Cuba. Cf. doc. 5, dodis.ch/50607; doc. 10, dodis.ch/50609; doc. 18, dodis.ch/32164 et doc. 23, dodis.ch/50605.↩
- 12
- Léon Trotski (1879–1940), dodis.ch/P1012, révolutionnaire communiste et homme politique russe. Sur les mouvements trotskistes, cf. aussi doc. 10, dodis.ch/50609.↩
- 13
- Louis Aragon (1897–1982), dodis.ch/P23902, écrivain français et activiste communiste.↩
- 14
- La Confédération générale du travail (CGT) est un syndicat français de salariés.↩
- 15
- Charles de Gaulle (1890–1970), dodis.ch/P460, militaire et homme d'État français, président de la République française de 1959 à 1969.↩
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