dodis.ch/49983Discours du Président de la Confédération, W. Ritschard1

Discours à l'occasion de la visite en Suisse de Monsieur Raymond Barre2 Premier Ministre de la République française

C'est avec grand plaisir que, au nom de notre gouvernement et – je peux le dire en toute certitude – au nom du peuple suisse tout entier, je vous souhaite une chaleureuse bienvenue ici, en cette maison des réceptions du Conseil fédéral.

Nous sommes heureux de votre présence parmi nous. Je voudrais même affirmer qu'il s'agit d'un événement historique, car c'est la première fois qu'un Premier Ministre3 de France, notre grande voisine, nous rend visite. Nous retiendrons certainement ce fait dans nos livres d'histoire.

Il peut paraître insolite que cette visite soit la première. Normalement, de bons voisins se rencontrent souvent4. Mais entre votre grand pays et la Suisse, les rapports de bon voisinage et l'entente mutuelle sont si profonds qu'on peut se passer de fréquentes visites d'hommes d'État pour les entretenir. Nous sommes d'ailleurs plus que de simples voisins. Nous sommes des amis et notre amitié n'a que faire de formalités et de cérémonies: elle est profondément ancrée en nous-mêmes, dans l'âme de nos deux peuples. Nous ne connaissons aucun pays en Europe avec lequel nous avons autant de liens historiques, culturels5 et personnels qu'avec la France6. Leur énumération remplirait des volumes. Les liens économiques, eux aussi, sont étroits7. La France est, en effet, le deuxième fournisseur et le deuxième client de la Suisse. Nous en importons plus de 12 pourcent de nos importations et nous y exportons 8 pourcent de notre production.

Après ce repas, vous discuterez quelques questions bilatérales avec MM. Aubert et Chevallaz. Mais nous sommes à table et il est préférable de ne pas y parler de choses qui exigent trop de réflexion.

Au cours de l'histoire, nos peuples ne se sont pas rencontrés uniquement pour chanter des psaumes. Il se pose toujours quelques problèmes et il y a eu des tensions occasionnelles.

Mais les relations entre la France et la Suisse sont comparables à un bon mariage: il faut pouvoir s'y quereller de temps à autre. Dans le concert de la politique internationale, nous ne nous comparons certes pas à votre grand pays. Nous y jouons plutôt les instruments d'accompagnement et, dans notre partition, les pauses l'emportent sur les notes.

Vous connaissez notre devise: neutralité et solidarité.

Pour ce qui est de la solidarité, l'étranger peut parfois nourrir quelques doutes. On nous estime trop réservés dans le domaine de l'aide officielle au développement (l'aide privée, elle, est plus généreuse).

Or cette réserve ne procède pas d'avarice ou de lucre. Conformément à son esprit pragmatique, le Suisse préfère porter secours dans un cas concret et actuel. Le produit de collectes en faveur des victimes de catastrophes est toujours abondant. Et ce sont bien souvent les gens de condition modeste qui donnent le plus. En démocratie directe on fait toujours de la politique en relation avec le cas concret.

Vous connaissez notre système politique. Le corps électoral décide de tout. Même de l'introduction de l'heure d'été8. Bien sûr, cela présente des inconvénients. Mais aussi de gros avantages. En effet, nous pratiquons la démocratie en étroite liaison avec le peuple.

Notre système gouvernemental a la particularité qu'on n'élit pas un gouvernement, mais confère à des gens une charge gouvernementale. Les élus n'obtiennent aucun pouvoir. C'est le peuple qui le conserve, même celui de décider des plus infimes détails matériels. Autrement dit, c'est le peuple qui gouverne. Le gouvernement ne fait qu'exécuter. C'est là surtout que réside le secret de notre stabilité politique. Mais celle-ci n'a pas que ses bons côtés. Elle nous empêche souvent de nous ouvrir à la nouveauté. C'est ainsi que notre type de démocratie fait obstacle au succès d'opinions politiques sortant de l'ordinaire. Notre peuple ne fait pas de bonds, il marche à pas mesurés.

Je ne tiens cependant pas à donner ici une leçon de politique suisse. Je me contenterai, Monsieur le Premier Ministre, de me réjouir de votre présence parmi nous. Nous vous savons gré de votre visite, si brève soit-elle. Elle resserre les liens étroits d'amitié entre nos deux peuples et facilitera encore plus la solution de nos problèmes communs.