Classement thématique série 1848–1945:
IV. POLITIQUE HUMANITAIRE
IV.3. ATTITUDE DE LA SUISSE À l'ÉGARD DES JUIFS
Abgedruckt in
Diplomatische Dokumente der Schweiz, Bd. 15, Dok. 200
volume linkBern 1992
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Archiv | Schweizerisches Bundesarchiv, Bern | |
▼ ▶ Signatur | CH-BAR#E2001D#1968/74#343* | |
Alte Signatur | CH-BAR E 2001(D)1968/74 14 | |
Dossiertitel | Kriegsflüchtlinge in Ungarn (1944–1945) | |
Aktenzeichen Archiv | B.55.45.28 • Zusatzkomponente: Ungarn |
dodis.ch/47804
CONFÉRENCE DU CICR AVEC LE DPF ET LE DÉPARTEMENT DE JUSTICE ET POLICE
M. Bachmann, du CICR, m’ayant téléphoné pour me demander si je verrais la possibilité d’organiser une conférence avec des représentants de la DIE et du DAE aux fins d’orientation et éventuellement de coordination des actions en faveur des Juifs de Hongrie, je prends contact avec MM. de Saussure et Wagnière qui se déclarent d’accord. M. Rothmund, avec qui j’ai l’occasion de m’entretenir à propos du train de 600 Juifs de Hongrie annoncé comme devant arriver à Bâle cette semaine, exprima également le désir d’y prendre part, car il estime que des renseignements précis sur les actions entreprises de Suisse en Hongrie faciliteraient sa tâche en Suisse.
En conséquence, la réunion eut lieu le 16 août à la DIE. Etaient présents: M. Wagnière pour la DAE; M. de Saussure accompagné de MM. Bisang et van Muyden2 pour la DIE; le Dr Rothmund, MM. Fischli et Dübi pour le Département de Justice et Police; Mlle Ferrière, MM. de Schwarzenberg et Bachmann pour le CICR.
Mlle Ferrière et M. Bachmann exposent que la première question qui les préoccupe est de savoir exactement quels sont les Juifs et quel est le nombre qu’il est possible de faire sortir de Hongrie, question qui intéresse également la DIE.
MM. de Saussure et van Muyden exposent que la DIE a une liste de 8000 personnes qui augmente d’ailleurs et s’approche maintenant de 9000 auxquelles des certificats d’immigration palestiniens ont été accordés. En fait, il semble que plus de 40 000 certificats ont été délivrés, mais la DIE n’a reçu actuellement l’autorisation du Gouvernement britannique de n’intervenir que pour Immigration de 2000 individus pour la Palestine. C’est sur la liste des 8000 que ces 2000 personnes ont été choisies3, selon des critères surtout pratiques. M. Bachmann relève que le CICR a également une liste de 7000 personnes plus 1000 enfants et il lui paraîtrait utile de confronter les listes de la DIE et du CICR pour savoir s’il s’agit bien des mêmes individus.
On constate alors que les Hongrois ont déclaré qu’ils seraient prêts à laisser sortir de Hongrie les Juifs qui pourraient trouver accueil à l’étranger, mais que les Allemands et les Anglais s’opposent à une émigration massive en Palestine, les Allemands pour le motif qu’ils ont déjà avancé qu’ils ne voulaient pas compromettre leurs relations avec le Grand Mufti en inondant le Proche-Orient de Juifs. La question se pose donc de savoir s’il pourrait y avoir d’autres débouchés. On constate que la Suède serait disposée à prendre certains Juifs, selon le critère connu, mais le nombre total qu’elle serait disposée à accueillir ne dépasse pas quelques centaines.
Mlle Ferrière demande à M. de Saussure ce qu’il penserait d’une proposition d’émigration vers l’Ouest via la Palestine. M. de Saussure déclare que cette proposition n’a pas encore été faite, mais qu’elle pouvait être examinée.
Ayant constaté une certaine incertitude chez Mlle Ferrière quant aux fonctions de la DIE, je précise, pour qu’il n’y ait pas de malentendu, que la DIE n’intervient pas de sa propre initiative dans les questions juives, mais uniquement sur la demande du Gouvernement britannique4, agissant lui-même comme protecteur des ressortissants palestiniens et, par extension, des futurs Palestiniens.
Mlle Ferrière signale qu’elle a retiré de son récent séjour aux Etats-Unis l’impression nette que l’on s’y montrerait actuellement beaucoup mieux disposé à l’égard de l’immigration des Juifs. L’on y ferait preuve, semble-t-il, actuellement, de plus d’imagination dans la recherche des moyens d’utiliser les possibilités de la législation américaine sur l’immigration. Il lui semblait qu’il en serait de même en Angleterre et que le CICR devrait profiter de cet état d’esprit pour insister auprès des Alliés, mais que la position du CICR serait naturellement considérablement renforcée s’il pouvait en même temps faire état de dispositions libérales du Gouvernement suisse.
Elle demande au Département Politique et à la Division de Police quelle serait l’attitude des autorités suisses à cet égard. M. Wagnière répond qu’il semble que le Conseil fédéral serait disposé en effet à accueillir généreusement les Juifs de Hongrie.
M. Rothmund confirme cette information sur la base d’une conversation avec M. le Ministre Bonna et déclare qu’il fallait naturellement commencer par insister auprès des Alliés, mais que, si véritablement il n’y avait plus aucune autre voie de salut, il croit qu’il est du devoir moral de la Suisse de se montrer extrêmement accueillante et que, si la Gestapo envoie des Juifs, on ne les refuserait pas. Bien entendu, la Suisse ne pouvait en aucune manière tremper dans les tractations parfaitement répugnantes qui semblent être en cours avec les autorités allemandes en vue d’échanger les Juifs contre des tracteurs, par exemple, ou de grosses sommes d’argent. Il précisa en passant que le chiffre de 700000 francs, qui a été mentionné, serait un prix encore bon marché si l’on pouvait sauver ainsi quelques milliers de vies humaines. Il précisa également que si le fameux train des 600 Juifs provenant du convoi de 1691 personnes dirigé de Hongrie sur Hanovre se présentait à Bâle, ainsi qu’on l’a annoncé cette semaine, il ferait le nécessaire pour recevoir les adultes; les enfants, s’il y en a dans le convoi, seraient confiés aux organismes privés, en particulier à la Croix-Rouge, Secours aux enfants. Cependant, si on devait avoir à faire face à des arrivages massifs de milliers de personnes, il y aurait naturellement des questions matérielles qui se poseraient, mais qu’elles n’étaient pas totalement insolubles. Si on pouvait, d’autre part, obtenir des garanties quant à Immigration ultérieure, cela faciliterait la tâche des autorités fédérales. Il ne cache pas néanmoins que Immigration future depuis la Suisse ne sera pas sans soulever la question assez délicate de l’accord des intéressés de quitter notre territoire. En ce qui concerne les enfants, il estime qu’il n’y a aucune difficulté quelconque à les accueillir en Suisse. Je précise alors ce que nous avons fait pour l’hospitalisation d’enfants de Budapest, que l’accord du Gouvernement hongrois paraît acquis, mais que cela ne dépend pas de lui seulement et qu’on attend toujours les autorisations allemandes. D’autre part, comme M. Rothmund me paraissait avoir donné un blanc-seing au CICR par sa déclaration, j’ai attiré son attention sur l’inconvénient qui pourrait éventuellement y avoir à inonder présentement la Suisse de personnes venant d’assez loin, alors que nous nous trouvons peut-être, dans des délais imprévisibles, dans la situation de devoir accepter des arrivées massives de réfugiés provenant de régions voisines de la Suisse5 pour lesquelles la sympathie de notre population sera certainement beaucoup plus vive. M. Rothmund répond que l’urgence qu’il y a actuellement de sauver des vies humaines doit faire passer outre à des préoccupations d’avenir.
Mlle Ferrière se déclare extrêmement satisfaite de ces informations.
Une autre question qui préoccupait le CICR était de rendre plus rapides les contacts entre celui-ci et les services fédéraux directement compétents tels la DIE, en ce qui concerne les questions d’émigration, de visas et autres, et le Département de Justice et Police, pour les questions de son ressort. Et M. Wagnière et M. de Saussure * soulignent que c’est précisément la fonction du Délégué du Conseil fédéral et qu’une modification de l’usage actuel ne pourrait que compliquer les choses. M. Bachmann vise en particulier les communiqués qui furent publiés en ce qui concerne les mesures d’adoucissement prises par le Gouvernement hongrois. Le texte officiel suisse du Département portant que les déportations seraient provisoirement suspendues, tandis que le texte du CICR ne contenait pas le terme «provisoirement», cela parut très regrettable au CICR6. Je n’ai pas jugé à propos de soulever dans ce cercle les efforts plus ou moins vains auxquels M. de Haller s’était heurté antérieurement dans les questions de communiqués de presse de la DIE et du CICR concernant les échanges et je me suis contenté de soulever que l’adverbe «provisoirement» ne me paraissait pas avoir une importance aussi considérable, cette notion étant déjà contenue dans le verbe suspendre. M. de Saussure ne se prononça d’ailleurs pas sur ce point. M. Bachmann me déclara ensuite à ce sujet que son intention n’avait nullement été de passer outre à l’intermédiaire de M. de Haller, mais qu’il s’agissait des questions purement pratiques et techniques et qu’il y aurait peut-être avantage à traiter directement avec les services compétents.
On discuta encore sur la possibilité de rapports plus étroits entre les représentants suisses à Budapest et la délégation du CICR en ce qui concerne en particulier les listes de certificats d’immigration palestiniens et on convint qu’en effet, cela était désirable.
Enfin, on précisa encore la manière de diriger les quémandeurs s’intéressant à des parents ou amis en Hongrie. Il fut précisé que, lorsqu’il s’agissait de question de visa pour l’entrée en Suisse, il fallait adresser les intéressés à la Police fédérale des étrangers ou aux Légations suisses à l’étranger. M. Dübi précisa que les visas d’entrée en Suisse n’étaient donnés que dans la prévision d’une arrivée effective en Suisse, donc après accord avec les cantons, la Police des étrangers ne donnant pas des visas à seule fin de protection. J’en profitai pour attirer l’attention sur le danger d’inflation qui accompagnait la délivrance de nombreux documents de complaisance. M. de Schwarzenberg précise cependant que de tels documents continuaient à avoir une certaine vertu au moins à l’égard des agents subalternes d’exécution.
Les personnes qui se préoccupent de questions de certificats palestiniens doivent être renvoyées à la Légation britannique.
Enfin, s’il s’agit de personnes qui voudraient savoir comment on peut faire sortir des Juifs de Hongrie, il fallait s’adresser au CICR. Le Département de Justice et Police donnera des instructions aux Légations pour que de tels cas soient de même dirigés sur la délégation du CICR en Hongrie7. La Légation prendra également contact avec la délégation lorsqu’il s’agira de retrouver des personnes auxquelles des visas d’entrée étaient accordés.
En résumé, on peut dire que cette réunion, si elle n’amena pas discussion sensationnelle, fut néanmoins utile en tout cas pour l’orientation du CICR et du Département de Justice et Police.
M. Wagnière a fait de son côté une note pour le Chef du DPF dont il m’a promis copie8.
- 1
- E 2001 (D) 1968/74/14. Rédigée par H. Walther, cette notice datée du 17 août a été lue et annotée par Ed. de Haller le 22 août.↩
- 3
- Annotation de Ed. de Haller dans la marge: par qui? Réponse de Walther: Selon M. v. Muyden (DIE) le choix se ferait par l’office palestinien à Budapest, M. Krauss et la Légation, mais on suivrait l’ordre d’ancienneté d’inscription. 23.8.44.↩
- 6
- Annotation de Ed. de Haller dans la marge: Je souhaiterais connaître l’histoire de ce communiqué du DPF.↩
- 7
- Annotation de Walther dans la marge: Le CICR a fait tenir des instructions à sa délégation à Budapest et j’ai engagé M. Wagnière en lui demandant de transmettre le télégramme et de donner également des instructions à la Légation (voir au dossier) 23.8.44.↩
- 8
- Notice du 17 août 1944, E2001 (D) 3/172.De plus, le 18 août, la Division des Intérêts étrangers adresse au Chef du DPF un autre procès-verbal de cette séance du 16 août. Selon ce document, le Chef de la Division de Police du DJP, H. Rothmund, a notamment déclaré: Il ne faut pas oublier que les Etats-Unis ne pourront prendre à leur charge qu’un certain nombre de Juifs, mais la Suisse, à ce moment, ne se fera pas faute de parler haut avec les puissances anglosaxonnes [Pilet-Golaz a souligné ce paragraphe dans la marge et écrit: Qui vivra verra...][...] Il ne faut pas se laisser retenir par trop de considérations pratiques, mais ne pas hésiter à servir avant tout un but humanitaire. D’ailleurs, la Suisse n’a jamais hésité à accueillir les réfugiés qui lui arrivaient des pays voisins, si bien qu’elle en héberge à l’heure actuelle environ 80000, et alors même qu’ils lui arrivaient, comme on peut le supposer, avec la complicité de la Gestapo. Il y a deux ans, le problème juif ne se posait pas comme il se pose aujourd’hui, car alors, les Juifs de Hollande et de Belgique nous arrivaient peut-être avec la complicité des Autorités allemandes, qui espéraient ainsi nous mettre en mauvaise posture - (par ex. en nous réclamant plus tard l’extradition de ces réfugiés) [Pilet-Golaz a souligné cette phrase dans la marge et ajouté trois points d’interrogation]. Il s’agit maintenant de sauver des masses entières de la mort. On ne saurait se refuser à cette tâche. [...] Le Gouvernement a toujours fait acte de prudence à cet égard, mais il se trouve maintenant devant une situation de fait. La situation des Juifs hongrois n’est pas comparable à celle des autres réfugiés qui pourraient réclamer notre aide. Il s’agit de vie ou de mort. Tant pis pour le manque de place, même si, plus tard, nous n’avions plus la possibilité d’accueillir chez nous d’autres populations. [...] Les protestations du Gouvernement suisse contre les mesures antisémites en Hongrie doivent s’appuyer sur des actes. Il faut être assez courageux pour tout oser [Pilet-Golaz a souligné cette phrase dans la marge et a ajouté deux points d’exclamation]. D’ailleurs, l’organisation des transports réclamerait du temps et la Suisse ne serait pas submergée du jour au lendemain par des convois d’Israélites. Mais, pour entreprendre une action efficace, il est nécessaire d’être au courant de tout ce qui se passe, et c’est un des buts d’une séance comme celle d’aujourd’hui. [...]L’attitude de la Suisse à cet égard est nette: pas de marchandages. La réponse suisse à toute tentative d’intimidation du Gouvernement allemand en cette affaire, serait le refus de visas suisses aux Allemands désireux de venir dans notre pays [Pilet-Golaz a inscrit un point d’exclamation dans la marge et y a écrit: Ne nous échauffons pas.]. [...] (E 2001 (D) 3/172).↩
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