Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
II.1. ALLEMAGNE - RELATIONS POLITIQUES
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 15, doc. 134
volume linkBern 1992
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E4001C#1000/783#1845* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 4001(C)1000/783 287 | |
Titre du dossier | Angelegenheit Oberstbrigadier Masson, Chef Nachrichtendienst/Hans Eggen, Deutscher, wohnhaft in Berlin (1944–1948) | |
Référence archives | 0940 |
dodis.ch/47738 Procès-verbal de la Conférence du 12 mai 19441 ATTERRISSAGE D’UN AVION ALLEMAND MESSERSCHMITT 110, LE 27 AVRIL 1944 À DÜBENDORF
délibérations du 12 mai 1944, à Berne (Palais du Parlement)M. le conseiller fédéral de Steiger, en sa qualité de suppléant du chef du Département militaire, d’une part, et
MM. le général Guisan, commandant en chef de l’armée,
le col. div. Rhyner, chef d’arme des troupes d’aviation et de DCA,
le col. brig. Masson, chef du service des renseignements de l’armée,
le lt. col. Barbey, de l’état-major particulier du général,
le major Burckhardt, attaché militaire à Berlin, d’autre part.
Secrétaire: M. Edgar Mottier. La séance est ouverte à 16 heures 30.
Le général expose qu’il a sollicité cette conférence pour discuter d’une affaire urgente: Il y a quelque temps un avion allemand Messerschmitt 110 a atterri à Dübendorf. Les Allemands veulent rentrer en possession de cet appareil à tout prix. Ils nous ont d’abord proposé de nous vendre la licence de fabrication de l’avion en question, mais nous leur avons répondu que ce qui nous intéresse c’est non pas le Messerschmitt 110, mais bien le Messerschmitt 109. Le major Burckhardt est arrivé aujourd’hui de Berlin avec une nouvelle proposition émanant du maréchal Goering selon laquelle nous devrions rendre le Messerschmitt 110 et l’Allemagne nous vendrait alors 12 Messerschmitt 109. Cette affaire présente un double aspect, militaire et politique. Au point de vue militaire, ce serait une aubaine pour la Suisse d’obtenir, à un prix encore à fixer, 12 Messerschmitt 109 moyennant restitution du Messerschmitt 110. Nous avons jusqu’à dimanche soir pour donner une réponse. Les Allemands sont très inquiets; ils attendent l’invasion d’un jour à l’autre et ils craignent que leur Messerschmitt 110 ne soit vu par un tiers qui en livrerait les secrets à l’ennemi.
Col. brig. Masson: Les Allemands nous ont d’abord offert le Messerschmitt 110 dans l’idée que nous aurions alors intérêt à garder le secret. Mais ce modèle ne convient pas tout à fait à notre aviation. C’est le modèle 109 qui nous intéresse. Comment réaliser l’échange envisagé, eu égard à notre politique de neutralité? Il y a des précédents; en 1940 nous avons restitué à l’Allemagne six avions de guerre, mais dès lors plus rien n’a été rendu. Nous avons eu une entrevue avec le Rittmeister Eggen pour poser la question de principe. Comme le maréchal Goering lui-même est intéressé à cette affaire, nous avions proposé un certain plan à M. Eggen, sans nullement nous engager. M. Eggen est revenu hier en Suisse avec le major Burckhardt et il nous a fait la nouvelle proposition de nous vendre 12 Messerschmitt 109 dont 6 immédiatement et 6 dans dix jours, moyennant restitution du modèle 110. Nous devons tout mettre en œuvre pour faire aboutir cette affaire. Moyennant restitution d’un appareil qui ne nous sert à rien, nous pourrions renforcer notre aviation. Nous avions demandé à l’Allemagne de nous vendre 30 modèles 109, mais il est compréhensible qu’elle ne puisse nous en livrer autant actuellement.
Col. div. Rhyner: La Luftwaffe possède un grand nombre de Messerschmitt 109 qui est le meilleur avion de chasse; elle dispose en outre du Messerschmitt 110 et du Fokke-Wulff. Le Messerschmitt 109 offre pour nous plus d’intérêt que le Fokke-Wulff parce que nous en utilisons déjà. Le modèle 110 à 2 moteurs peut être employé comme bombardier ou comme chasseur de nuit; il comporte notamment des appareils de radio très perfectionnés qui permettent de repérer les avions ennemis la nuit. Les Allemands attachent la plus grande importance à rentrer en possession de l’avion qui s’est posé chez nous et qui n’a pas d’utilité pour nous. En revanche, nous aurions tout intérêt à ce que les Allemands nous vendent des modèles 109. En ce qui concerne le précédent dont a parlé le col. brig. Masson, il est exact que des avions internés ont été restitués à l’Allemagne en 1940. Cela ressort d’une lettre du chef de l’EMG du 12 août 1940 /E 27/14566/, dans laquelle il est dit notamment qu’il n’y a pas d’obstacle de principe à restituer le matériel interné puisque la Suisse a libéré les aviateurs allemands internés sitôt après l’armistice franco-allemand. En fait, nous avons rendu à l’Allemagne un avion intact par la voie aérienne et un certain nombre d’avions endommagés par chemin de fer. Tout renforcement de notre armée aérienne est précieux. Nous aurions préféré acheter une série de 30 Messerschmitt 109 parce que ce nombre nous permettrait d’équiper une nouvelle compagnie d’aviation, mais nous pourrions nous accommoder d’une livraison de 12 machines.
Major Burckhardt: Les négociations en vue de l’achat d’appareils 109 durent depuis des mois. On avait d’abord songé à opérer une compensation avec du matériel de guerre. Le Service technique militaire avait adressé une requête en ce sens au Département de l’économie publique, mais celui-ci l’a refusée. On avait ensuite espéré pouvoir réaliser l’achat d’avions par l’entremise d’un autre pays neutre, l’Espagne ou la Suède, mais cela est toujours plus difficile. La situation a entièrement changé depuis l’atterrissage du Messerschmitt 110. Si nous restituons cet appareil, il nous sera beaucoup plus facile d’acquérir des avions du modèle 109.
Col. div. Rhyner: L’attaché de l’air à la Légation d’Allemagne à Berne, col. Gripp, nous avait demandé un entretien. Il était inquiet de ce qu’un soidisant Allemand ait pu visiter le Messerschmitt 110 à Dübendorf. Je l’ai tranquillisé. Les Allemands, a-t-il dit, seraient capables d’opérer un coup de main pour rentrer de force en possession de cet appareil ou pour le détruire.
M. de Steiger constate que l’armée serait disposée à restituer le Messerschmitt 110 et qu’elle attache de l’importance à pouvoir acquérir des appareils 109. La question politique reste ouverte. Jusqu’à maintenant aucun avion de guerre n’a été restitué. L’échange de correspondance intervenu en 1940 est pour moi entièrement nouveau. Je ne puis pas trancher l’affaire sans prendre contact avec le Département politique et le président de la Confédération. Mais il n’est pas possible de donner une réponse définitive déjà pour dimanche soir, d’autant moins que MM. Kobelt et Celio sont absents et que dimanche a lieu le congrès du parti radical suisse à Lucerne. La prochaine séance du Conseil fédéral est fixée à mardi.
Général Guisan: Il ne faut pas prendre trop à la lettre la question du délai à dimanche soir. Je crois qu’il suffira de donner avant dimanche soir une réponse qui ne coupe pas les ponts. Puis on verra. Je ne pense pas qu’il faille répondre définitivement; il vaut mieux temporiser.
M. de Steiger: Même en temporisant, je crois qu’il est impossible, même dans une lettre provisoire, d’admettre le principe de l’échange. Dans quelles conditions l’appareil a-t-il atterri en Suisse?
Col. div. Rhyner: L’aviateur qui était engagé dans un combat aérien en Allemagne s’est égaré. Il se croyait au-dessus de Stuttgart et ce n’est qu’après avoir atterri qu’il a constaté qu’il était en Suisse. Il a voulu reprendre l’air immédiatement, mais nos troupes d’aviation l’en ont empêché.
Col. brig. Masson: Nous avons reçu un coup de téléphone mardi dernier de M. Eggen. Je ne savais pas de quoi il s’agissait et je n’ai donc pas pu renseigner le Département de justice et police. Nous avons fait entrer M. Eggen en Suisse. Il a fallu ensuite organiser une conférence entre Suisses avant de discuter avec M. Eggen. Celui-ci est alors reparti et il est revenu hier avec la proposition du maréchal Goering. Les Allemands aimeraient liquider cette affaire vite. M. Eggen a pleins pouvoirs du maréchal Goering, d’entente avec le chancelier Hitler. Je pensais qu’il serait possible de régler l’affaire à titre interne avec le Département militaire puisque c’est dans l’intérêt de la défense nationale.
M. de Steiger: Je sais que les Américains nous ont demandé de déposer à leur Légation les instruments de bord et installations techniques de leurs appareils internés. Le Conseil fédéral a refusé catégoriquement. C’est la ligne de conduite suivie jusqu’à maintenant. Je prends note de votre désir et ferai mon possible pour accélérer les choses, sans pouvoir vous promettre une date ou une heure. Le problème est beaucoup plus complexe que vous paraissez l’admettre.
Général Guisan: Je crois que la question de la neutralité est très importante. Nous ne pourrons pas faire cet achat ou cet échange sans aviser les Alliés. Je prie le Conseil fédéral d’examiner l’affaire le plus rapidement possible. En attendant, nous répondrons aux Allemands que le gouvernement suisse a été saisi de la question et qu’il l’examine.
M. de Steiger: Mais sans affirmer qu’on admettrait en principe l’idée d’un échange2.
- 1
- E 4001 (C) 1/287.↩
- 2
- Le jour même à 17 h 45, le Conseiller fédéral Ed. von Steiger convoque le Chef de la Division des Affaires étrangères du Département politique, P. Bonna, lui résume la situation et lui demande son avis. Celui-ci répond: 1°) que nous avons restitué en effet à l’Allemagne un assez grand nombre d’avions d’école non armés, mais que nous nous sommes toujours opposés à la restitution d’appareils effectuant des vols de guerre; 2°) qu’en l’occurrence, on ne cache pas que l’avion de chasse interné le 27 avril venait d’être engagé dans un combat et qu’il est pourvu d’un équipement tout différent de celui d’un avion d’école; 3°) que la façon même dont on nous demande la restitution de l’avion dont il s’agit implique que nous manquerions à la neutralité en y consentant; 4°) qu’il me semble très difficile d’entrer en matière dans une négociation menée par un intermédiaire louche, alors qu’aucune démarche n’a été faite par la voie diplomatique régulière; 5°) que la question ne pourrait être tranchée dans un sens affirmatif que par une décision du Conseil fédéral. Je demande ce qui arrivera si aucune réponse n’est donnée dans le délai fixé par M. Eggen. M. de Steiger me répond qu’il n’arrivera probablement rien d’autre que des démarches de l’armée suisse pour obtenir la prolongation du délai et que c’est, à ses yeux, une raison suffisante pour lui faire désirer connaître l’avis du Chef du Département Politique dans la matinée du 13, afin de pouvoir les empêcher ou, au contraire, les orienter. (Notice du 13 mai 1944 de Bonna pour Pilet, E 2809/1/4). Dans une deuxième notice du 13 mai à 10 h 15, Bonna écrit: Après avoir rendu compte de ce qui précède au Chef du Département et conformément aux instructions reçues, je me suis rendu chez M. le Conseiller fédéral de Steiger pour lui dire: que M. le Conseiller fédéral Pilet-Golaz ne peut se prononcer que sur une documentation écrite, qu’il le fera en séance du Conseil fédéral et qu’il est prêt à rentrer à Berne pour participer à une séance cet après-midi ou demain si, d’entente avec le Président de la Confédération, le Chef du Département Militaire estime qu’une séance spéciale est indispensable. Il est prêt également à prendre contact avec le Ministre d’Allemagne. Sans se prononcer sur la nécessité d’une séance spéciale du Conseil fédéral, M. de Steiger me demande d’assister à sa conversation avec le chef du Service technique militaire qu’il a convoqué. Le Colonel de Wattenwyl est introduit et déclare qu’à la suite de la conversation qui a eu lieu avec le Commandant en chef de l’armée et avec M. le Conseiller fédéral de Steiger, une nouvelle conversation s’est engagée avec M. Eggen, auquel on a fait comprendre qu’il y avait peu de chances que l’appareil soit restitué. M. Eggen a alors modifié son point de vue et formulé une nouvelle proposition: Il serait prêt à assurer la livraison de 12 avions Messerschmitt contre le démontage et la destruction, avec le concours de l’Attaché de l’Air allemand ou d’un autre technicien allemand, des parties secrètes, assez volumineuses, de l’appareil interné. Le Colonel de Wattenwyl explique toutefois que le délai expirant dimanche soir ne peut être prolongé parce que les appareils que M. Eggen a promis de faire livrer à la Suisse ne seraient plus disponibles la semaine prochaine. M. de Steiger demande au Colonel de Wattenwyl de lui confirmer par écrit, à l’intention du Département Politique, ce qu’il vient de dire. Il me prie d’en informer immédiatement mon Chef et de lui faire savoir: 1°) que la documentation qu’il demande pourra lui être envoyée dans la matinée; 2°) que le Colonel de Wattenwyl est prêt à se rendre à Essertines ou à Lausanne pour recueillir son avis; 3°) que si le Département Politique déclare qu’il n’attache pas d’importance à ce que nous accordions à l’Allemagne la destruction des appareils secrets alors que les Américains ont dû se contenter d’un emmagasinage desdits appareils, il prendra sur lui d’aller de l’avant mais il ne peut se passer d’une déclaration de désintérêt sur cette question secondaire de la part du Chef du DP (E 2809/1/4). Sur cette affaire, cf. aussi E 27/10026, E 27/14656 et E 5795/433.Le 18 mai 1944, l’avion qui avait atterri à Dübendorf est détruit par l’Armée suisse, à la suite des demandes allemandes. Lors de sa séance du 20 mai 1944, le Conseil fédéral accorde un crédit de 6 millions de francs suisses pour acheter les 12 avions Messerschmitt Me 109G proposés par les Allemands en échange de devises libres. (Cf. PVCF No 892 du 20 mai 1944, E 1004.1 1/445). Cf. E 27/14795.↩
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