dodis.ch/47615 Le Chef du Département politique,
M. Pilet-Golaz, au Ministre de Suisse à
Berlin, H. Frölicher
1
Vous avez bien voulu nous demander, par une voie rapide, de vous orienter sur l’attitude que prendra le Conseil fédéral à l’égard du Gouvernement républicain fasciste que M. Mussolini a formé autour de lui et de vous donner des instructions sur votre conduite à l’égard du nouvel Ambassadeur que ce Gouvernement envoie à Berlin.
Ainsi que vous le savez, le Conseil fédéral s’est imposé dès le début de la guerre de ne reconnaître en droit aucune modification à l’état des rapports diplomatiques qu’il entretenait à fin août 1939 avec des gouvernements étrangers. Les Légations des Etats dont le sol a été envahi et dont le Gouvernement a quitté le territoire national continuent à jouir à Berne des immunités et privilèges qu’elles avaient avant la guerre. Nous n’avons reconnu de jure aucun des gouvernements qui se sont formés en raison des événements, que ce soit dans les Balkans ou en Afrique du Nord. Notre politique, qui s’inspire avant tout du souci de maintenir une scrupuleuse neutralité et d’appliquer la même maxime à nos rapports avec tous les Etats, ne saurait varier. L’attitude du Conseil fédéral à l’égard du Gouvernement républicain fasciste ne saurait s’inspirer que de ces principes, et nul ne s’attend à le voir s’en écarter.
Si la reconnaissance de jure du Gouvernement républicain fasciste par le Conseil fédéral est donc à exclure, il n’en va pas nécessairement de même des relations de fait. Pour le moment, nous ne constatons pas que le Gouvernement républicain fasciste exerce effectivement le pouvoir dans les territoires italiens limitrophes de la Suisse; il semble plutôt que l’autorité est entièrement concentrée dans les mains des troupes allemandes d’occupation. Mais la situation pourrait se modifier. La protection des importants intérêts suisses en Italie du Nord et les relations de voisinage qu’il est désirable de maintenir entre les populations limitrophes pourraient nous amener, notamment dans le domaine économique, à régler des questions de fait avec le Gouvernement présidé par M. Mussolini. En le faisant, nous ne nous écarterons pas de la pratique que nous avons suivie vis-à-vis d’autres gouvernements de fait. Ce qu’il y aura lieu d’entreprendre à cet égard dépendra des circonstances et de la suite des événements, ainsi que du degré de compréhension dont le Gouvernement républicain fasciste fera preuve lui-même en face de l’impossibilité où nous sommes d’entretenir avec lui avant la fin de la guerre des relations diplomatiques normales. Les sentiments amicaux que M. Mussolini a toujours témoignés pour la Suisse et la claire intelligence qu’il a toujours eue des devoirs que nous impose notre neutralité nous permettent d’espérer qu’il montrera à cet égard autant de compréhension que nous en avons trouvé auprès du Gouvernement croate.
Des considérations susexposées découle tout naturellement votre attitude à l’égard du nouvel Ambassadeur du Gouvernement républicain fasciste italien. Il ne convient pas, à notre avis, que vous preniez l’initiative d’entrer en rapport avec lui, mais il ne convient pas non plus que, si vous le rencontrez chez des tiers, vous lui fassiez grise mine. S’il prenait lui-même l’initiative d’une première visite, nous ne verrions pas d’objection à ce que vous la lui rendissiez, en soulignant pourtant qu’il s’agit de relations personnelles.