Classement thématique série 1848–1945:
2. RELATIONS BILATÈRALES
2.10. GRANDE BRETAGNE
2.10.1. NÉGOCIATIONS ÉCONOMIQUES ET FINANCIÈRES À LONDRES
Également: Le Ministre Sulzer avoue au Prof. Rappard son pessimisme sur l’issue des négociations de Londres. La tâche de la mission qu’il dirige est rendue encore plus difficile par la difficulté des communications avec Berne, mais l’obstacle principal est constitué par l’accord germano-suisse de juillet 1941. Opinion de Sulzer sur Pilet-Golaz et sur d’autres membres du Conseil fédéral. Annexe de 4.7.1942
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 14, doc. 204
volume linkBern 1997
Plus… |▼▶Emplacement
Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#J1.149#1977/135#200* | |
Ancienne cote | CH-BAR J 1.149(-)1977/135 118 | |
Titre du dossier | Mission à Londres (1942–1942) | |
Référence archives | 3 |
dodis.ch/47390
Voici quinze jours que je suis rentré au pays2, au cours desquels j’ai eu l’occasion, dans plusieurs milieux et notamment à Berne, de m’entretenir de notre mission. J’éprouve le besoin de vous rendre compte, à votre intention et à celle de notre collègue Keller, de quelques-unes des impressions que j’ai recueillies à ce propos.
En arrivant à Berne, le jour même de ma rentrée de France, je me suis rendu chez M. Hotz. Je l’ai trouvé beaucoup moins surpris qu’attristé par les informations qu’il avait reçues directement de vous et que je n’ai pu que confirmer. Le lendemain soir j’ai dîné à l’Hôtel Schweizerhof avec MM. Hotz et Hornberger. A 9 heures du soir est arrivé M. Stämpfli, qui venait d’une réception parlementaire à Schönenwerd et qui a prolongé l’entretien jusqu’à 1 heure du matin. Au cours des jours suivants, j’ai eu de longs entretiens avec MM. Pilet-Golaz, Wetter et Etter, et j’ai aussi eu l’occasion, pendant la session parlementaire, de quelques échanges de vues plus brefs avec M. de Steiger. J’ai aussi déjeuné, pendant mon séjour à Berne, tour à tour avec MM. Lomax, Paravicini et Leland Harrison.
Voici quelques points qui ressortent de ces divers entretiens et qui seront peut-être de nature à vous intéresser:
Tout d’abord, je n’ai recueilli nulle part l’expression ni du moindre étonnement au sujet des difficultés auxquelles nous nous sommes heurtés, ni surtout de la moindre ombre de réflexion critique sur notre activité à Londres. Bien entendu, sauf les remerciements convenus, il n’y a pas eu d’explosions de gratitude, qui eussent du reste été aussi peu conformes à mes goûts qu’aux habitudes fédérales. Mais nulle part je n’ai senti qu’on ait été tenté d’attribuer en quoi que ce soit la relative stérilité de nos efforts à quelque insuffisance qu’on leur eût attribuée.
Le seul de mes interlocuteurs qui se soit élevé contre la répudiation de la proposition de compensation était Lomax. «It’s not good enough», a-t-il répété à plusieurs reprises. Il est évident que ce n’est pas seulement la sollicitude pour notre pays qui lui inspirait ces propos révoltés, mais le sentiment fort justifié que l’influence britannique à Berne était d’autant plus réduite au profit de celle de ses adversaires que le commerce anglo-suisse était plus réduit. Il m’a assuré, avec une bonne foi évidente, qu’il s’employait de son mieux à faire ouvrir les écluses des exportations à notre profit. Mais il ne m’a pas dissimulé qu’il comptait aussi exercer ainsi une pression efficace sur nos autorités pour faire fermer celles de nos exportations outre-Rhin. Lorsque je me suis permis d’observer que peut-être le maniement des écluses britanniques était confié à des mains au moins aussi américaines qu’anglaises, il n’a pas protesté, mais cela ne paraissait pas être de nature à lui faire changer d’avis.
Quant au Ministre des Etats-Unis en Suisse3, il paraissait aussi intéressé par ce que j’ai pu lui raconter sur nos négociations qu’il avait manifestement été peu tenu au courant à ce sujet par Londres ou par Washington.
A ma surprise j’ai trouvé l’idée qu’il serait conforme à nos intérêts que nos exportations outre-Rhin fussent freinées dans la mesure du possible partagée par tous mes interlocuteurs. Très généralement on semblait disposé à ne pas intervenir à ce propos d’une façon intempestive dans l’activité des agents consulaires britanniques. Le principal inconvénient que l’on paraissait redouter à ce sujet était la réaction escomptée de Berlin, où l’on craignait la menace d’un traitement différentiel dans les livraisons de charbon au profit des industriels suisses fournisseurs des Alliés. A cet égard, cependant, je n’ai retrouvé, à mon retour, chez aucun de mes interlocuteurs, l’accent indigné et quelque peu impérieux qui avait caractérisé les interventions de M. Kohli à ce sujet au cours de nos entretiens dans le cabinet de M. Hotz avant notre départ.
Le lendemain de notre entretien au Schweizerhof, M. Hotz partait pour Rome4. Je ne sais pas s’il est rentré et je n’ai en tout cas pas eu de nouvelles de lui de là-bas. Tout ce que je sais, c’est qu’il se promettait d’écouter plus que de parler au cours de ce premier séjour dans la capitale italienne.
Bien que cela ne me fût pas agréable, je n’ai pas manqué d’éclairer les membres de notre gouvernement, et particulièrement M. Pilet-Golaz, sur les appréciations défavorables que nous avions recueillies çà et là au sujet de la gestion de nos Affaires étrangères. En toute bonne foi, j’ai pu assurer les membres de notre gouvernement de la sympathie très générale dont bénéficiait notre pays outre-Manche, ainsi que de la compréhension qui s’était manifestée de toutes parts au sujet de nos difficultés économiques. Mais je ne leur ai pas dissimulé, d’autre part, le vœu fortement marqué au M.E.W.5 de voir nos exportations d’engins de guerre réduites à destination de l’Allemagne. La copie de votre lettre à Mr. Dingle Foot6 à ce sujet a été fort appréciée à Berne.
Tout en insistant sur la répercussion très favorable que nous avions pu noter du discours de M. de Steiger7, je n’ai pas caché à mes interlocuteurs, et très particulièrement au principal intéressé, que de divers côtés on m’avait fait comprendre qu’on préférait nettement ce langage à l’attitude qu’on attribuait à notre Ministre des Affaires étrangères. Je n’ai même pas tu à ce dernier que de différents côtés, non pas officiels mais cependant influents, on n’avait pas craint, en ma présence, de prononcer à ce sujet le nom propre norvégien8 que disait ignorer votre interlocuteur berlinois. En passant à Lisbonne, à mon retour, notre Ministre au Portugal9 m’a spontanément dit que lui aussi avait eu à protester énergiquement contre l’exagération et l’injustice d’une telle assimilation. M. Pilet-Golaz m’a paru plus ému à ce sujet que son scepticisme naturel ne me l’avait fait prévoir. Nous avons passé en revue à ce propos tous les incidents et tous ses propos qui avaient pu faire naître les appréciations injurieuses contre lesquelles j’avais eu à plusieurs reprises l’occasion de m’élever en Angleterre. D’une part il se croyait entièrement protégé contre des critiques de cet ordre par les bons sentiments à son égard qu’il attribuait à l’ancien Ministre britannique à Berne10. D’autre part il tendait à penser que l’actuel Ministre des Affaires étrangères britanniques11 était moins bien disposé envers lui que son prédécesseur12, actuellement à Washington. A ce propos je lui ai dit que je n’avais aucune opinion à ce sujet, parce que ce n’était naturellement pas au Foreign Office que j’avais recueilli les propos dont je lui rendais compte. Enfin, et cela me paraissait témoigner du désarroi inattendu que j’ai cru pouvoir constater chez lui, il m’a déclaré qu’il s’était sacrifié pour la Suisse et qu’il croyait à deux reprises tout au moins nous avoir protégés contre une invasion par les complaisances qu’il avait eues envers Berlin. Il a ajouté qu’il serait du reste tout disposé à quitter le gouvernement si, aux approches de la paix, sa présence à la tête de nos Affaires étrangères pouvait affaiblir la position de notre pays. A cela je me suis récrié que cela ne me paraissait ni nécessaire ni même opportun. Tout au plus, ajoutai-je, un changement de portefeuille, peut-être avec son collègue bernois13, serait-il sans doute suffisant pour parer aux dangers qu’il entrevoyait. Même cela pourrait peut-être être évité s’il saisissait quelque occasion pour tenir publiquement un langage aussi nettement favorable à notre indépendance que celui dont nous avions recueilli à Londres les échos provoqués par le discours de M. de Steiger. M. Pilet-Golaz m’a dit à ce propos que s’il quittait les Affaires étrangères, ce serait pour quitter le gouvernement, qu’il était las du reste, qu’il n’avait aucune envie de suivre l’exemple de M. Musy14 qui était parti trop tard pour se refaire une autre carrière et cependant trop tôt pour prendre une retraite complète.
Ma conversation avec M. Pilet-Golaz, qu’il a tenu à prolonger jusqu’à ce que, après 1 heure lU, je m’y suis arraché, n’a cessé d’être d’une parfaite courtoisie, de son côté, et d’une entière franchise du mien. J’ose espérer que cette ingrate franchise n’aura pas été dépensée tout à fait en vain. M. Wetter, que j’avais vu avant cet entretien et que j’ai revu à Zurich à l’occasion d’une commission d’experts financiers après, m’a dit spontanément qu’il avait cru, à une séance du Conseil fédéral, constater chez son collègue vaudois un certain changement d’attitude à la suite de notre entretien.
De tous mes interlocuteurs gouvernementaux, du reste, c’est chez M. Wetter que j’ai trouvé la compréhension la plus parfaite de toutes nos vues communes au sujet de nos Affaires étrangères et de l’organisation de notre Département politique. Il jugeait tout à fait comme nous la composition actuelle de ce Département, le malencontreux traitement de l’affaire de notre ancien Ministre à Rome15, l’attitude à l’égard de notre représentant au Portugal et le défaut de compréhension pour les choses anglo-saxonnes qu’il avait, comme nous, constaté à plusieurs reprises à nos Affaires étrangères.
A ce dernier propos, M. Pilet-Golaz avait pris note avec intérêt du nom de M. Kessler, que je me suis permis de lui suggérer comme celui d’un collaborateur qu’il serait peut-être utile d’attirer à Berne pour l’éclairer sur le milieu politique londonien.
Pour le mentionner en passant, j’ai trouvé que les représentations du Vorort au sujet de notre Légation de Lisbonne16 avaient été fort appréciées par MM. Stämpfli et Wetter et qu’ils les avaient appuyées. Pour ma part, je n’ai pas cru opportun de mentionner ce point à M. Pilet-Golaz. Je craignais, en effet, qu’au terme de ma longue et assez délicate conversation avec lui, je n’aurais peut-être pas à ses yeux toutes les séductions qui eussent fait de moi un avocat persuasif de la cause de mon concitoyen portugais. [...]
- 1
- Lettre (Copie): JI. 149/118/200.↩
- 2
- Cf. No 200.↩
- 3
- L. Harrison.↩
- 4
- Cf. No 211.↩
- 5
- Ministry of Economic Warfare.↩
- 6
- Du 20 mai 1941 (E 7800/1/22).↩
- 7
- Cf. No 200, note 3.↩
- 8
- I. Quisling.↩
- 14
- Sur les démissions du Conseiller fédéral Musy, cf. DDS, vol. 11, doc. 20, dodis.ch/45941.↩
- 15
- Cf. Nos 155 et 172.↩
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