Classement thématique série 1848–1945:
10. PRESSE ET CINÉMA
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 14, doc. 32
volume linkBern 1997
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001D#1000/1552#3524* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(D)1000/1552 135 | |
Dossier title | Zeitungspolemik Schweiz - Italien, 1941 (1941–1941) | |
File reference archive | B.51.13.70 • Additional component: Italien |
dodis.ch/47218
Le Chargé d’Affaires a. i. de Suisse à Rome, L. Micheli, au Chef du Département politique, M. Pilet-Golaz1
J’ai l’honneur de me référer au R. G. No 5 de M. le Ministre Ruegger ainsi qu’à nos lettres des 22 et 26 concernant la campagne2 qui s’est poursuivie depuis une quinzaine de jours dans la presse et parfois dans la radio en Italie à l’égard des journaux suisses, avec des allusions à l’attitude de notre opinion et à la position de notre pays.
J’ai noté ces jours les entrefilets divers ci-joints dans les journaux romains, que je m’abstiens d’énumérer dans le détail. La dernière manifestation d’hier et d’aujourd’hui est la reproduction par la presse italienne du communiqué du «DeutschesNachrichtenbüro» du 29 avril, ainsi que le compte-rendu, sous des titres divers, de l’article de M. Megerle dans la «Börsenzeitung»3.
La radio italienne du 29 au matin a également parlé du communiqué du D.N.B. Ce qui a particulièrement frappé l’opinion et alarmé les Suisses d’Italie, qui maintiennent cependant un calme très digne, mais préoccupé, c’est l’attaque acerbe et venimeuse prononcée d’un ton injurieux par le Conseiller national Ezio Maria Gray à la radio de Rome (E.I.A.R.) le dimanche 27 au soir, dans les commentaires des faits du jour4. Après avoir répondu à la conférence journalière de presse à une question concernant le commentaire à donner à cette apostrophe, que l’orateur n’avait point qualité officielle, l’Ambassadeur Rocco, Directeur général de la Presse étrangère, indiqua le lendemain à notre agent de presse5 qu’il ne fallait pas voir d’autres plans et intentions derrière la campagne visant les journaux suisses. Le collaborateur de M. Rocco s’occupant particulièrement des correspondants étrangers m’avait déjà donné une indication dans ce sens à la fin de la semaine dernière. Il est cependant difficile de ne pas donner le caractère d’une sorte de «Kraftprobe» politico-économique et de propagande aux manifestations qui se sont succédé depuis plus d’une décade.
Quant à Ezio Maria Gray, nous ne saurions oublier que, muni d’un passeport de service, il s’est rendu comme délégué de la Direction des Italiens à l’étranger, organe très officiel, pour prononcer le grand discours d’occasion à Zurich, le 23 mars, lors de la commémoration de la fondation des faisceaux de combat6. Est-ce là qu’il recueillit la documentation tendancieuse et déplaisante de ses vitupérations, qui viennent malheureusement d’être reproduites sinon dans leur texte littéral, du moins dans leur contenu d’ensemble par la «Gazzetta del Popolo» de Turin?
Les avis recueillis auprès de nombreuses personnes italiennes, suisses ou du monde diplomatique et de presse étrangère ces derniers jours laissent l’impression qu’il s’agit plutôt d’une manifestation d’intimidation et de mise au pas avec des visées futures que de l’annonce de projets agressifs immédiats. Cependant, constatant les analogies et antécédents, beaucoup se demandent ce qui se cache là-dessous et ne voient certes pas de bons présages dans ces manifestations, qui sentent la «préparation d’un dossier» et la manœuvre d’ensemble devant hâter les étapes sur des voies dangereuses pour notre pays.
J’ai pensé bien faire en demandant un entretien à un connaisseur éprouvé des choses suisses, lié avec diverses personnalités de chez nous, bien connu de la Légation, M. O. Koch, Ministre plénipotentiaire, qui dirige le Service de la propagande au Ministère de la Culture populaire et s’occupe des affaires culturelles italo-suisses. Cette entrevue m’a été fixée pour ce matin.
J’ai été reçu d’une manière extrêmement aimable et amicale par le Directeur général, auquel j’ai indiqué que je ne venais pas faire une démarche officielle, dont je n’avais point été chargé, mais m’entretenir avec l’ami de la Suisse et le chef du ressort important de la propagande au Ministère de la Culture Populaire relativement à la campagne qui dure depuis près de deux semaines et qui a pris une tournure si déplaisante. M. le Ministre Koch, préparé sans doute à cette conversation, m’a immédiatement répondu que, comme ami de la Suisse, il ne pouvait que souhaiter le maintien de relations aussi cordiales que possible. «Comme fonctionnaire, a-t-il ajouté, je puis vous dire à peu près ceci, mais à titre plutôt amical et privé, exprimant mes vues personnelles: Lorsque des actions militaires intenses se poursuivent, comme cela a été le cas dans les Balkans, avec des problèmes et des situations qui ont pu nous causer des anxiétés, certaines questions d’ordre général, politique ou de rapport avec d’autres pays passent forcément au second plan. Maintenant que les questions de la campagne de Grèce, de la Macédoine, du sort de la Yougoslavie, de l’Adriatique, très importantes, sont plus ou moins réglées, l’attention se porte vers d’autres secteurs et problèmes, dans l’attente des nouvelles actions qui feront, à leur tour, passer de nouveau leur examen à l’arrière-plan, temporairement. Il est naturel que, vu l’augmentation de son expansion et forte de ses succès récents, l’Axe pose de nouveau la question des relations avec les pays qui, comme la Suisse, sont restés un peu à l’écart du mouvement et subsistent, en quelque sorte, comme une oasis de concepts et d’idées appartenant en partie à d’autres époques et situations. Ne voyez pas, dans la campagne actuelle, autre chose qu’un rappel à la Suisse que sa position vis-à-vis de l’Axe doit être examinée de nouveau dans le sens d’une adaptation un peu accélérée à la révolution européenne en cours. Nous savons que des efforts ont été faits dans ce sens, mais le mouvement gagnerait encore à être étendu et accéléré.»
A ce moment, j’ai fait observer à mon interlocuteur que le commerce de la Suisse se déroulait en bonne partie avec les puissances de l’Axe et que, dans de nombreux domaines, une adaptation aux circonstances nouvelles pouvait être constatée. A propos de certaines insinuations faites et de certaines critiques indiquant que la Suisse se ferait le champion de concepts démocratiques anciens et dépassés, j’ai rappelé que notre démocratie populaire, parfaitement au courant des problèmes sociaux de l’heure, basée d’ailleurs sur des fondements chrétiens et des principes d’autorité, n’avait jamais été à considérer comme une dépendance de la démocratie égalitaire laïque française, avec ses tendances spécifiques. M. Koch était d’ailleurs convaincu de cette vérité.
A propos de la collaboration, je n’ai pas eu de peine à démontrer au Ministre que la Suisse collaborait manifestement à tous les problèmes de l’heure et à toutes les œuvres internationales et que nous étions surpris que l’on puisse mettre cela en doute, comme cela a été fait dans certaines manifestations. Mon interlocuteur indiqua que, cependant, nous donnions évidemment l’impression, notamment à l’Allemagne, que nous voulions nous isoler dans des conceptions et un rôle particuliers qui, évidemment, seraient difficiles à maintenir à l’avenir en Europe, avec la prépondérance toujours plus grande de l’Axe dont lui, comme haut fonctionnaire, entrevoit naturellement la victoire. J’ai cru bien faire en rappelant au Ministre que la Suisse avait reçu des éloges unanimes, dans le monde entier, pour avoir su, après la dernière guerre, ne pas s’incorporer au «système de Versailles» des vainqueurs et en gardant une attitude indépendante, avec ses tâches fondamentales traditionnelles qui sont la préparation de la reprise des œuvres de paix et de collaboration internationale dans tous les domaines. M. Koch a bien voulu reconnaître la justesse de cet argument, qu’il m’a promis de tenir présent, mais, a-t-il ajouté, «la guerre actuelle présente des différences avec le conflit mondial de 1914 en ce sens qu’il s’agit avant tout d’une révolution sociale et d’un mouvement dynamique gagnant toute l’Europe». Il a d’ailleurs admis que la Suisse ne saurait certainement être rangée parmi les «Etats ploutocrates» contre lesquels les nations plus pauvres se sont élevées, que notre peuple - qu’il connaît bien - a accumulé un certain bienêtre uniquement par un labeur opiniâtre, une période de paix assurée par sa politique de neutralité, un esprit d’épargne et des vertus civiques.
Sortant de la poche quelques journaux de la Suisse romande, pris, comme je le lui ai dit, au hasard, je les ai montrés au Ministre Koch en lui demandant s’il voyait dans ces organes des dernières semaines de quoi justifier les violentes attaques dont nous avons été l’objet. M. Koch m’a répondu qu’il avait en effet suivi les journaux; sans se prononcer catégoriquement, il n’a point eu à avancer des critiques positives. Il a plutôt semblé vouloir indiquer que l’examen actuel de la position de la Suisse dans un sens critique s’était orienté, cette fois, dans des polémiques contre notre presse (même s’il n’y a pas eu ces derniers temps des articles ayant fait l’objet de reproches) comme une manifestation politicopsychologique d’ordre général. Il s’agirait en quelque sorte d’un déballage même de certains griefs plus anciens, qui se serait tourné cette fois-ci contre notre presse, pouvant se tourner une autre fois vers d’autres aspects de manifestations suisses.
La conversation est tout naturellement tombée sur la violente polémique oratoire d’EzioMaria Gray, du 27 avril, et j’ai eu soin d’indiquer au Directeur général de la Propagande combien cette manifestation haineuse et, on peut le dire, grossière avait impressionné défavorablement nos compatriotes en Italie et provoqué leur inquiétude. J’ai demandé comment il voyait la chose. Le Ministre Koch répondit qu’il ne s’agissait pas de déclarations officielles, mais de commentaires des faits du jour. Je lui ai répliqué que ces commentaires ne pouvaient certainement pas être faits dans ce sens sans autorisation et approbation du Ministère. M. Koch dit qu’il s’agissait bien, comme on l’indiquait d’ailleurs, d’une chronique de M. Gray et que même si on lui avait dit de traiter le problème suisse dans un sens plutôt critique, la couleur donnée à la causerie et les termes qu’il employait étaient uniquement de lui et qu’il ne fallait pas voir dans cette manifestation une portée autre que celle de certaines critiques dans le cadre de l’examen de la position suisse.
Revenant sur cette question de la portée de la campagne, j’ai demandé au Ministre Koch son impression à cet égard. Il avoua de suite que le ton était donné par Berlin et que l’Italie, dans ces questions de l’organisation de l’Europe, ne pourrait pas opérer sur des plans et mouvements différents que ceux envisagés d’un commun accord avec l’Allemagne. Mais il a répété qu’il ne voyait pas dans les manifestations récentes une menace d’action directe, mais plutôt une préparation et un rappel à la Suisse, après une nouvelle série de victoires de l’Axe, de considérer à nouveau sa position et son adaptation.
En terminant, M. Koch m’a dit que comme avis concret, il pouvait encore ajouter ce qui suit: «La radio de Sottens, me semble-t-il, accueille et met trop en relief tous les communiqués de l’agence Reuter. Hier soir, par exemple, il n’y avait presque que des communiqués Reuter. Cela est un point dit en passant. La question sensible pour l’Italie est et demeurera le Tessinet j’ai déjà exprimé divers avis à ce sujet à M. le Conseiller fédéral Celio. Il subsiste dans les sphères dirigeantes des éléments connus de longue date pour leur hostilité de tous temps à l’égard de l’Italie et du régime, tandis que certains éléments, qui sont plus favorables, sont tenus à l’écart. Evitez tout ce qui peut donner lieu à des frictions ou conflits à la suite de ces deux facteurs, tâchant que les éléments hostiles à la collaboration avec l’Italie passent davantage dans l’ombre, tandis que les facteurs pouvant créer de bonnes relations soient plus mis en lumière.» Je n’ai point commenté ces indications.
Pour conclure, j’ai prié le Directeur général de faire valoir auprès du Ministre Pavolini, revenu hier, les divers points et observations que, dans notre conversation personnelle et amicale, je lui avais exposés de mon propre chef à la suite des remarques faites ces dernières semaines; il m’a donné l’assurance qu’il donnerait suite à cette requête. J’ai naturellement exprimé l’espoir que ces attaques regrettables prendraient maintenant fin et que les critiques de presse, si elles devaient être faites, le seraient sur un ton plus amical et modéré.
- 1
- E 2001 (D) 2/135. Pilet-Golaz a reçu ce rapport le 1er mai, l’a lu au Conseil fédéral lors de la séance du 2 mai 1941, puis l’a transmis à P. Bonna qui l’a communiqué à P. Feldscher. Au cours de cette même séance du Conseil fédéral du 2 mai, Pilet-Golaz a aussi lu le télégramme suivant expédié par la Légation de Suisse à Berlin le 29 avril 1941: Gegen Haltung Schweizerpresse wurde in gestriger und heutiger Pressekonferenz mit zunehmender Heftigkeit Stellung genommen. Besonders scharfe Kritik wegen Duldung der Anwürfe gegen Journalisten die an Deutschlandreise teilnahmen und wegen Vortrag Oberst Frey (E 2001 (D) 2/130).↩
- 2
- A ce sujet, cf. E 2200 Rom 24/7 et 10. Cf. aussi ci-dessus No 29.↩
- 3
- A ce sujet, cf. E 2001 (D) 3/328.↩
- 4
- Cf. E 2001 (D) 3/3 et 278 (pour une transcription de l’exposé). Selon une lettre du 1er mai 1941 du Commandement de l’Armée, la déclaration est la suivante: [...] «L’oratore disse ehe il Ticino é il covo dello spionaggio inglese. Questo avviene specialmente ad Ascona da dove gli Inglesi effettuano lo spionaggio. Ciô avveniva mentre P Italia mandava i viveri alla Svizzera ed in Isvizzera si faceva carnevale portando come maschere le teste di personalità dell’Asse Roma- Berlino. Aggiunse ehe in Italia sono già giunte 160000 denunce di maltrattamenti ed angherie a cittadini italiani che lavorano in Isvizzera. Metteva poi in dubbio l’opera della Croce Rossa Svizzera. Terminava chiedendo sin quando si contava di tollerare un simile stato di cose.» (E 2001 (D) 3/52).↩
- 6
- Cf. FF, 1946, II, pp. 166-171 et 188-200.↩
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