Classement thématique série 1848–1945:
I. POLITIQUE GÉNÉRALE ET PRINCIPE DE LA NEUTRALITÉ
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 13, doc. 318
volume linkBern 1991
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2809#1000/723#58* | |
Old classification | CH-BAR E 2809(-)1000/723 4 | |
Dossier title | Radio-Ansprache von Pilet-Golaz vom 25. Juni 1940, darunter seine letzte Fassung (1940–1940) |
dodis.ch/47075
Confédérés,
Vous vous êtes demandé, sans doute, pourquoi pendant des semaines - sept bientôt - j’avais gardé le silence. Le Conseil fédéral n’avait-il donc rien à dire en présence des événements qui se déroulaient comme un film tragique sur l’écran du monde?
Le Conseil fédéral devait penser, prévoir, décider, agir, non pas discourir - on n’a que trop tendance à parler chez nous, ce qui ne fait pas dévier d’une ligne le cours des choses.
Si, de nouveau, il s’adresse au peuple suisse, aujourd’hui, c’est qu’un événement considérable, gros de conséquences, en partie imprévisibles, s’est produit:
La France vient de conclure une suspension d’armes avec l’Allemagne et l’Italie.
Quelle que soit la tristesse qu’éprouve tout chrétien devant les ruines et les deuils accumulés, c’est pour nous, Suisses, un profond soulagement de savoir que nos trois grands voisins s’acheminent vers la paix; ces voisins avec lesquels nous entretenons des relations intellectuelles et économiques si serrées, ces voisins qui se rejoignent en esprit au sommet de nos Alpes - près du ciel - et dont les civilisations nous ont séculairement enrichis, comme les fleuves descendus du Gothard ont fécondé leurs plaines.
Cet apaisement - n’est-ce pas le mot? - est naturel, humain, surtout chez de modestes neutres épargnés jusqu’ici à tous égards. Il ne doit pas nous leurrer, toutefois. Nous laisser aller à des illusions d’insouciant bonheur serait dangereux; le présent que nous venons de vivre est trop lourd d’avenir pour que nous retombions mollement dans le passé.
Qui dit armistice, ne dit pas encore paix et notre continent reste en état d’alerte.
Certes, puisque la guerre ne sévira plus à nos frontières, pourrons-nous envisager sans retard une démobilisation partielle et graduelle de notre armée. Mais cette démobilisation, elle-même, va poser des problèmes délicats à notre économie nationale profondément modifiée. La collaboration internationale, si nécessaire à la prospérité des peuples, est loin d’être rétablie. L’Empire britannique proclame sa résolution de poursuivre la lutte sur terre, sur mer et dans les airs. L’Europe doit trouver, avant de reprendre essor, son nouvel équilibre, très différent de l’ancien à n’en pas douter et qui se fondera sur d’autres bases que celles que, malgré ses vaines tentatives, la Ligue des nations ne réussit pas à jeter.
Partout, dans tous les domaines - spirituel et matériel, économique et politique - le redressement indispensable exigera de puissants efforts, qui s’exerceront, pour être efficaces, en dehors des formules périmées. Cela ne se fera pas sans douloureux renoncements et sans durs sacrifices.
Pensez à notre commerce, à notre industrie, à notre agriculture, pour prendre un exemple concret. Quelle adaptation difficile que la leur aux circonstances nouvelles! Il en faudra surmonter des obstacles, qu’on aurait tenus pour infranchissables il y a moins d’un an, si l’on veut assurer à chacun - et c’est un devoir primordial - le pain qui nourrit le corps, le travail qui réconforte l’âme.
Afin d’obtenir ce résultat - maigre peut-être aux yeux des blasés, mais capital pour le salut du pays - il en faudra des décisions majeures. Et non pas des décisions longuement débattues, discutées, soupesées. A quoi serviraient-elles devant le flot puissant et rapide des faits à endiguer? Des décisions, à la fois réfléchies et promptes, prises d’autorité.
Oui, je le dis bien, prises d’autorité. Oh, ne nous y trompons pas, les temps que nous vivons nous arracheront à nombre d’habitudes anciennes, confortables, indolentes - je n’ose employer l’expression «pépères», qui répondrait exactement à ma pensée. Qu’importe! N’allons pas confondre routine, ornière desséchée, avec tradition, sève vivifiante qui monte du tréfonds de l’histoire. La tradition, au contraire, exige des renouvellements parce qu’elle n’entend pas piétiner sur place mais marcher intelligemment du passé vers l’avenir. Le moment n’est pas de regarder mélancoliquement en arrière mais avec résolution en avant, pour contribuer de toutes nos forces, modestes et utiles à la fois, à la restauration du monde disloqué.
Le Conseil fédéral vous a promis la vérité. Il vous la dira, sans la farder et sans trembler.
Le temps est venu de la renaissance intérieure. Chacun de nous doit dépouiller le vieil homme.
Cela signifie: Ne pas palabrer, concevoir;
ne pas disserter, œuvrer;
ne pas jouir, produire;
ne pas demander, donner.
Certes, cela n’ira pas sans déchirements, psychologiques autant que matériels.
Ne nous le dissimulons pas: nous devrons nous restreindre. Il faudra, avant de penser à soi, à soi seulement, penser aux autres - au-dehors et au-dedans - aux déshérités, aux faibles, aux misérables. Il ne s’agira pas de faire l’aumône d’une parcelle de son superflu; nous serons appelés certainement à partager ce que nous avons cru jusqu’à maintenant être notre nécessaire. Ce ne sera plus l’obole du riche, mais la pite de la veuve. L’Evangile ressaisit toujours les créatures dans l’adversité.
Nous abandonnerons - nul doute - de multiples convenances ou commodités, auxquelles nous tenons parce qu’elles sont une manifestation inconsciente de notre égoïsme. Loin de nous appauvrir, cela nous enrichira.
Nous reprendrons l’habitude salutaire de peiner beaucoup pour un modeste résultat, alors que nous nous étions bercés de l’espoir d’obtenir un gros résultat sans grand’peine. Comme si l’effort seul n’était pas générateur de joie! Demandez-le aux sportifs: il y a longtemps qu’ils le savent!
Plutôt que de penser à nous et à nos aises, nous penserons aux autres et à leurs besoins élémentaires. C’est ça la vraie solidarité, celle des actes, non des paroles et des cortèges, celle qui bétonne la communauté nationale dans la confiance et l’union, par le travail et par l’ordre, ces deux grandes forces créatrices.
Le travail, le Conseil fédéral en fournira au peuple suisse, coûte que coûte.
L’ordre, il est inné chez nous et je suis persuadé qu’il sera maintenu sans difficulté avec l’appui de tous les bons citoyens.
Ceux-ci comprendront que le gouvernement doit agir. Conscient de ses responsabilités, il les assumera pleinement; en dehors, au-dessus des partis, au service de tous les Suisses, fils de la même terre, épis du même champ. A vous, Confédérés, de le suivre, comme un guide sûr et dévoué, qui ne pourra pas toujours expliquer, commenter, justifier ses décisions. Les événements marchent vite: il faut adopter leur rythme. C’est ainsi, ainsi seulement que nous sauvegarderons l’avenir.
Les divergences particulières, régionales ou partisanes, vont se fondre dans le creuset de l’intérêt national, loi suprême.
Serrez les rangs derrière le Conseil fédéral. Restez calmes, comme il est calme. Demeurez fermes, comme il est ferme. Ayez confiance, comme il a confiance. Le Ciel nous maintiendra sa protection, si nous savons la mériter.
Courage et résolution, esprit de sacrifice, don de soi, voilà les vertus salvatrices. Par elles, notre Patrie libre, humaine, compréhensive, accueillante, poursuivra sa mission fraternelle, qu’inspirent les grandes civilisations européennes.
Suisses, mes frères, dignes du passé, en avant hardiment vers l’avenir.
Que Dieu veille sur nous.
- 1
- E 2809 1/4. Ce texte a été lu à la radio par Pilet-Golaz en français, alors que des adaptations allemande et italienne furent lues par Etter et Celio sur les ondes correspondantes (Cf. E 2001 (D) 3/1 et E 1/27/ Le 23 juin 1940, le Président de la Confédération avait rédigé une première version de son discours (non reproduite).↩
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