Language: French
8.10.1935 (Tuesday)
No 1719. Le conflit italo-éthiopien et les sanctions
Minutes of the Federal Council (PVCF)
Le DPF propose de constater avec le Conseil de la SdN unanime la rupture du Pacte par l’Italie et de demander que les intérêts vitaux de la Suisse ne soient pas mis en danger par les sanctions.

Classement thématique série 1848–1945:
I. SOCIÉTÉ DES NATIONS
4. Conflit italo-éthiopien, sanctions; venue du Négus en Suisse; manifestation de journalistes italiens à la SdN; reconnaissance de l’Ethiopie italienne

Également: Déclaration de Motta à la SdN quant à la politique de la Suisse dans le conflit italo-éthiopien. Annexe de 10.10.1935
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Jean-Claude Favez et al. (ed.)

Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 11, doc. 154

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Bern 1989

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dodis.ch/46075
CONSEIL FÉDÉRAL
Procès-verbal de la séance du 8 octobre 19351

1719. Le conflit italo-éthiopien et les sanctions

I.

A. Le conflit italo-éthiopien est entré dans sa phase décisive. Les efforts de conciliation entrepris par la Société des Nations sur la base de l’article 15 du Pacte2 ont échoué. L’Italie a recouru à la force, comme il fallait s’y attendre, pour obtenir par les armes ce qu’elle ne pouvait obtenir par la persuasion ni auprès des grandes puissances ni surtout auprès de l’Ethiopie. Adoua a été bombardée et, selon les nouvelles de presse, elle est actuellement entre les mains de l’envahisseur. Le Conseil de la Société des Nations s’est réuni sans délai à Genève et, après un examen rapide de la situation, a chargé3 un comité de six membres (Grande-Bretagne, Chili, Danemark, France, Portugal et Roumanie) de lui soumettre des propositions précises pour sa séance d’aujourd’hui. Selon les renseignements reçus4, le rapport du «Comité des six» a conclu nettement à la violation du Pacte par l’Italie. Quant à la question des sanctions, le Comité n’a pas eu à s’en occuper, mais il paraît probable que toute la question sera renvoyée à l’Assemblée, qui est convoquée, comme on sait, pour le mercredi 9 octobre, à 17 heures.

Le rôle que jouera l’Assemblée dans le règlement du conflit n’est pas encore fixé de façon très précise. Il semble cependant qu’elle sera amenée, par la force même des choses, à constater, elle aussi, la violation du Pacte et à examiner notamment les sanctions à appliquer à l’Italie en vertu de l’article 16 du Pacte5.

Dans ces circonstances, il conviendrait que le Conseil fédéral donnât des instructions à tout le moins générales à sa délégation à l’Assemblée de la Société des Nations sur l’attitude qu’il conviendra pour la Suisse d’adopter à Genève.

B. Sur la question même de la violation du Pacte, aucun doute n’est possible. L’Italie a transgressé l’article 12 du Pacte6, puisqu’elle fait la guerre sans même attendre l’épuisement d’une des deux procédures de règlement prévues par cet article. Cette infraction au Pacte est si évidente qu’elle est, peut-on dire, universellement reconnue. La Suisse pourrait difficilement ne pas se prononcer à cet égard. L’immense majorité de notre peuple ne comprendrait pas que nous hésitions à désigner l’agresseur. Nous abstenir dans une question de principe aussi importante serait nous désolidariser de la cause de la Société des Nations et notre attitude pourrait être interprétée dans le monde entier comme un manquement à nos obligations internationales. La Suisse ne saurait encourir pareil reproche. Nous devons nous montrer respectueux de nos engagements et, en l’occurrence, notre premier devoir sera de constater avec la presque totalité de la communauté internationale, que l’Italie n’a pas respecté les siens.

C. La rupture du Pacte constatée, les conditions d’application de l’article 16 se trouvent remplies et, normalement, les sanctions devraient donc être appliquées. Il faut dire «normalement», car, en d’autres circonstances et bien que l’agression ait été régulièrement dénoncée, il n’a été recouru à aucune mesure de sanctions. Les grandes puissances – la Grande-Bretagne et la France, en particulier – sont seules responsables de cette impuissance de la Société des Nations à une heure critique de son histoire. Mais il ne sert à rien de récriminer sur le passé. Aujourd’hui, le Pacte joue grâce à l’attitude résolue de la Grande-Bretagne, et il y a tout lieu de penser que, dans sa résistance à l’Italie, ce pays trouvera le monde entier rangé autour de lui. Si – ce qui paraît pour le moment exclu – l’Italie ne rentre pas d’elle-même dans la légalité, elle sera donc l’objet de mesures cœrcitives qui, pour être au début, comme on l’entend dire, de nature relativement bénigne, finiront cependant à la longue par peser lourdement sur sa vie nationale. A Genève, en effet, l’Italie est seule. Son isolement est plus complet qu’on aurait pu l’imaginer il y a quelques mois. Elle ne peut compter sur aucun appui certain, ce qui rendra sa situation d’autant plus difficile, et elle sait que, loin de faiblir, la Grande-Bretagne est animée d’une froide détermination de ne pas s’incliner purement et simplement devant le fait accompli en Ethiopie. Selon toute vraisemblance, la Grande-Bretagne sera suivie par la France, encore que celle-ci se préoccupe de ne pas sacrifier sans nécessité son amitié récente avec l’Italie et qu’elle incline, par conséquent, à ne pas trop s’engager à fond dans la voie des sanctions7.

Quoi qu’il en soit, les sanctions – le fait paraît certain – joueront contre Rome. Que fera la Suisse? Quelle attitude devra-t-elle adopter à l’Assemblée? Si elle s’associe, comme elle doit le faire, à toute déclaration dénonçant l’agression, pourra-telle, en revanche, exciper de sa politique générale de neutralité pour ne pas se prononcer nettement dans la question même des sanctions?

La Suisse est entrée dans la Société des Nations avec le bénéfice de la Déclaration de Londres8. Cette déclaration a confirmé notre neutralité militaire, mais elle a établi expressément, en revanche, «les devoirs de solidarité» qui découlent pour la Suisse «du fait qu’elle sera membre de la Société des Nations, y compris le devoir de participer aux mesures commerciales et financières demandées par la Société des Nations contre un Etat en rupture de Pacte». Sans doute, dans le système du Pacte, il appartient à chaque Etat de se prononcer souverainement sur la question de savoir s’il y a effectivement rupture ou non, mais, dès l’instant où il reconnaît la rupture – et c’est ce que nous ferions en l’espèce – chaque Etat doit en tirer la conséquence et être prêt à participer aux mesures collectives de coercition contre l’agresseur. Comme il est impossible que nous demandions, au moment du péril, un changement du statut de la Suisse dans la Société des Nations, la question qui se pose pour nous est la suivante: Pourrions-nous ne pas nous associer, sans faillir à nos traditions de probité et de droiture, à l’action collective que l’on se propose d’exercer contre l’Italie, étant bien entendu que nous nous en tiendrions jalousement, en toutes circonstances, aux devoirs découlant de notre neutralité militaire?

En principe, il serait difficile de ne pas répondre par la négative à la question posée. Mais en fait, la réponse devrait quand même être accompagnée de certaines réserves. Car il a paru d’emblée impossible, dès le principe, d’imposer à tous les Etats, en matière de sanctions, des obligations identiques, sans tenir compte de leur situation particulière par rapport à l’Etat en rupture de Pacte. Si un Etat est fort, il pourra agir avec une certaine aisance; s’il est faible, force lui sera de se montrer beaucoup plus prudent. Et si sa faiblesse est encore accentuée par le fait du voisinage géographique – comme c’est notre cas en l’espèce – il serait parfaitement fondé à appeler la sérieuse attention des Etats membres de la Société des Nations sur les risques graves que pourrait lui faire courir l’application de sanctions économiques et financières. Le principe de solidarité est à la base de la Société des Nations, mais, si essentiel soit-il, il ne saurait être poussé au point d’exiger de certains Etats le sacrifice de leur existence au service de la cause commune. Entre aider et se sacrifier, il y a une différence qu’en politique, on ne peut pas perdre de vue. Ce fait d’une extrême importance n’avait pas échappé à la Commission du blocus9 qui avait été chargée, en 1921, d’examiner la mise en œuvre de l’article 16. «Les auteurs du Pacte, déclaraitelle dans son rapport du 28 août 1921, ont envisagé la Société des Nations comme un organisme embrassant tous les Etats ou leur presque totalité et capable d’agir rapidement en cas de rupture du Pacte. Mais il a semblé à la Commission que l’application de l’article 16, même si la Société était universelle, pourrait avoir des conséquences formidables, soit pour la Société des Nations en général, soit pour certains de ses membres. Tant que de grands pays exportateurs se trouvent en dehors de la Société, l’application intégrale de l’article 16 ne se heurterait pas seulement à de très grands obstacles, mais pourrait mettre les Etats membres de la Société dans des situations fort difficiles». C’est pour ces raisons que les Etats scandinaves avaient proposé de libérer certains Etats, dans un conflit donné, de toute participation aux sanctions. On n’avait pas cru pouvoir accepter intégralement une proposition aussi radicale pour des raisons tirées du souci de ne pas affaiblir ou aggraver l’article 16 et les engagements qui en découlent pour les membres de la Société des Nations. Mais l’idée avait été retenue. La Commission du blocus déclarait nettement dans son rapport qu’elle était arrivée à la conclusion «qu’il sera nécessaire, en pratique, de faire certaines exceptions». «On peut, exposait-elle, imaginer des cas où l’application intégrale, par un Etat quelconque, des mesures d’ordre financier et commercial provoquerait des souffrances ou des dangers presque intolérables.» La Commission notait «qu’il est de la plus haute importance de bien spécifier que ce que l’on envisage n’est pas un système général d’exemptions, mais seulement une exemption pour un cas spécifique et dans des circonstances particulières qui la justifient». C’est dans cet esprit qu’elle proposait le principe d’un amendement à l’article 1510 ayant la teneur suivante:

«Toutefois, sur la demande d’un membre qui justifiera que les facilités qu’il demande sont nécessaires à sa sécurité aussi bien économique que politique, le Conseil a qualité pour accorder telle dérogation qu’il jugera ne pas aller à l’encontre du but poursuivi par l’article 16.»

La proposition de la Commission n’a pas été retenue telle quelle par l’Assemblée. Mais on en retrouve l’idée fondamentale dans le résolution interprétative no 9 adoptée par la deuxième Assemblée11 et ainsi conçue:

«a) Il peut être nécessaire de recommander l’exécution de mesures particulières par certains Etats.

b) S’il est reconnu opportun d’ajourner, pour certains Etats, en tout ou en partie, la mise en action effective des sanctions économiques prévues à l’article 16, cet ajournement ne pourra être admis que dans la mesure désirable en vue d’assurer le succès du plan d’action concerté en commun, ou de réduire au minimum, pour certains membres de la Société, les pertes et les inconvénients qui peuvent résulter de la mise en œuvre des sanctions.»

La Suisse pourrait fort bien tenter d’obtenir, pour sa part, eu égard à sa situation très particulière par rapport à l’Italie, un ajournement dans l’application des sanctions. Peut-être, selon le développement que prendront les événements, cet ajournement ne serait-il qu’un ajournement stricto sensu, soit une dispense toute temporaire de participer à un blocus. Mais nous n’aurions pas moins obtenu des délais avant de rien entreprendre qui pût nous entraîner dans une aventure extrêmement périlleuse.

Un tel ajournement n’aurait en soi rien d’illégitime. Un Etat peut raisonnablement s’élever, en effet, contre l’exécution d’un traité dont le jeu, à un moment donné, aurait pour effet de mettre en danger son existence. La règle «pacta sunt servanda» est absolue, mais pas jusqu’au point de condamner un pays à la ruine et à la mort. S’il est permis d’exiger beaucoup d’un Etat qui a promis un concours sans réserve en vue de faire respecter la foi jurée, on ne saurait toutefois lui imposer un suicide. A l’impossible, dit un vieil adage juridique, nul n’est tenu. On objectera qu’un blocus économique déclenché contre l’Italie risque d’entraîner des conséquences malheureuses pour n’importe quel membre de la Société des Nations. Il n’est pas douteux, en effet, que des pays comme la Grande-Bretagne ou la France pourraient avoir grandement à souffrir d’une intervention contre l’Italie. Il est possible qu’une action initiale à caractère strictement économique finisse bien vite par dégénérer en conflit armé. Mais ces conséquences, si désastreuses fussent-elles, n’iraient quand même jamais jusqu’à la destruction des grandes souverainetés rivales. On ne détruit pas la Grande-Bretagne; on ne supprime pas la France. Pour la Suisse, pays limitrophe, petit pays exposé plus que d’autres aux coups d’un voisin puissant, le danger serait autrement redoutable. Le sort de la Confédération pourrait se trouver à la merci des circonstances.

Sans doute, nous ne participerions qu’à un blocus, mais rien ne nous dit qu’à nos mesures économiques et financières, l’Italie ne répondrait pas délibérément par des mesures qui mettraient en danger le statut de notre neutralité militaire. Dans un état de tension comme celui que pourrait créer notre participation à un blocus dirigé contre notre voisin du Sud, il suffirait peut-être d’un simple incident de frontière pour mettre le feu aux poudres. Tout Suisse qui n’a pas perdu le sens des réalités se cabrerait à l’idée de jouer peut-être l’existence du pays pour obtenir de l’Italie le respect du Pacte à l’égard de peuplades africaines. Entre le mal que nous voudrions aider à réparer et le mal que nous subirions, il y aurait une disproportion si éclatante que personne ne pourrait raisonnablement nous demander, sur la base du Pacte, un pareil sacrifice. Notre pays souffrirait plus des sanctions auxquelles il participerait que l’Etat dont on voudrait le châtiment. Ce serait profondément injuste. Serait-ce conforme à l’esprit du Pacte?

Avant de demander, le cas échéant, un ajournement au sens de la résolution interprétative no 9 de 1921, il conviendrait d’être éclairé sur nombre de facteurs que nous ne connaîtrons bien que sur place (nature et degré des sanctions envisagées, attitude des grandes puissances, etc.). Nous ne pourrions guère réclamer sans autre le bénéfice de cette faveur. Pareille démarche risquerait de provoquer des malentendus ou d’engendrer des suspicions. On nous accuserait peut-être de chercher à nous dérober, sans mettre pleinement en valeur les motifs d’abstention que pourrait avoir un petit pays comme le nôtre coincé entre un grand pays en guerre exacerbé par la résistance de la Société des Nations à ses desseins nationaux et un pays plus grand encore qui est sorti, en fait, de la Société et dont la politique future reste un point d’interrogation. En tout état de cause, nous ne ferions rien qui ne soit entièrement correct. Nous demanderions l’application d’une procédure prévue en 1921 et, partant, des plus régulières. Certes, nous solliciterions une faveur, mais le Conseil, ou tout autre organe appelé à intervenir à sa place, aurait précisément à examiner si cette faveur ne serait pas pleinement justifiée par les circonstances.

L’ajournement serait manifestement pour nous la solution la meilleure. La Suisse pourrait rester l’arme au pied militairement et économiquement. Cela vaudrait infiniment mieux pour nos relations futures avec notre grand et impétueux voisin du Sud. Si, toutefois, la demande d’ajournement se présentait dans des conditions peu favorables, peut-être vaudrait-il mieux ne pas courir le risque d’un échec, et nous soumettre, bon gré mal gré, à la loi commune. En pareil cas, la Suisse participerait à l’application des mesures économiques et financières contre l’Italie. Mais, pour les raisons susmentionnées, cette participation ne saurait avoir lieu sans réserves ni restrictions.

Il est impossible, en effet, que l’on nous demande de prendre contre l’Italie des mesures qui pourraient avoir pour résultat de nous faire abandonner notre situation d’Etat militairement neutre envers l’Italie comme envers qui que ce fût. Nous ne pouvons que rester inébranlablement fidèles à une maxime politique séculaire dont dépend l’existence même de la Confédération. Dans l’hypothèse envisagée, nous pourrions marquer notre solidarité avec la cause de la Société en nous associant à certaines mesures de cœrcition, mais il nous serait impossible d’aller, dans la voie des sanctions, aussi loin que pourraient aller, selon les circonstances, des Etats puissamment armés comme la Grande-Bretagne ou la France ou des Etats plus faibles, mais assez éloignés géographiquement de l’Italie pour que leur action à l’égard de ce pays n’ait pas pour eux des conséquences fatales. La Société des Nations serait fondée à exiger, en s’appuyant sur les engagements découlant pour nous de la Déclaration de Londres, que notre attitude ne rende pas inopérantes les mesures économiques et financières prises contre l’Etat en rupture de Pacte, mais il est une limite au delà de laquelle on ne saurait raisonnablement nous pousser. Force nous est pour le moment de nous borner, à cet égard, à une réserve d’ordre tout général, car, dans l’espèce, les sanctions comme telles n’ont pas encore été officiellement examinées ni précisées. Ce n’est que lorsque nous serons clairement fixés sur ce point qu’il sera possible au Conseil fédéral de se faire une opinion sur le caractère et la mesure de notre participation.

En ce qui concerne les sanctions, le Conseil fédéral n’aurait d’ailleurs pas le pouvoir de prendre aucune décision définitive. Selon notre droit constitutionnel, c’est l’Assemblée fédérale qui aurait le dernier mot. Notre position à cet égard a été arrêtée publiquement dès 1921. Lorsqu’il s’est agi pour les Etats de faire connaître ce qu’ils se proposaient de faire pour assurer, le cas échéant, l’application de l’article 16, la Suisse a expliqué clairement sa manière de voir. Dans la lettre qu’au nom du Conseil fédéral, il adressait le 3 mai 1921 à la Société des Nations12 – lettre qui a reçu la plus large publicité et qui n’a jamais appelé la moindre réserve à Genève – le Département politique exposait qu’il apparaît indiqué «de soumettre toute décision à prendre contre un Etat en rupture de Pacte à l’appréciation de l’Assemblée fédérale qui, aux termes de l’article 85, chiffre 6, de la Constitution fédérale, est investie, non seulement du droit de déclarer la guerre et de faire la paix, mais encore de la compétence de prendre toutes les mesures commandées par la sûreté extérieure, ainsi que par le maintien de l’indépendance et de la neutralité de la Suisse». Il ajoutait à la fin de son exposé qu’ «abstraction faite des garanties morales et politiques qu’offre un Etat en vue d’une exécution loyale de ses obligations de membre de la Société des Nations, il est d’une importance essentielle que sa Constitution permette d’édicter rapidement les mesures propres à parer à toute éventualité. La Constitution fédérale ne présente à cet égard aucune lacune».

Il s’ensuit que, dès l’instant où le plan d’action cœrcitive contre l’Italie se sera précisé et où l’on connaîtra plus ou moins exactement la contribution qui sera demandée à la Suisse, le Conseil fédéral aurait à convoquer l’Assemblée fédérale et à lui soumettre des propositions concrètes sur l’étendue de notre participation à l’action concertée de Genève. Sans doute, l’Assemblée fédérale est maîtresse de ses décisions, et, si elle a qualité pour décider des mesures de sanctions, elle pourrait estimer avoir droit d’évoquer, de son côté, la question préjudicielle de savoir s’il y a ou non rupture de Pacte. Il serait néanmoins excessif de soutenir que le Conseil fédéral ne saurait se prononcer lui-même sur l’existence de la rupture. L’appréciation des circonstances qui ont conduit à la violation d’un engagement international relève plus de l’exécutif que du législatif. Chacun s’attend, d’ailleurs, à ce que le Conseil fédéral prenne à cet égard ses responsabilités. C’est ainsi qu’il a agi dans l’affaire sino-japonaise13 et dans le conflit entre la Bolivie et le Paraguay14. Personne ne lui a contesté ce droit d’appréciation.

La question de la convocation du parlement demeurerait réservée pour le moment.

D. Le Département politique croit que ces quelques considérations suffiront au Conseil fédéral pour donner les instructions nécessaires à la délégation suisse à Genève.

Il propose dès lors:

1° d’autoriser la délégation suisse à l’Assemblée de la Société des Nations à constater avec le Conseil de la Société unanime qu’il y a, dans l’espèce, rupture de Pacte au sens de l’article 12;

2° de charger la délégation de déclarer au Conseil ou à l’Assemblée, le moment venu, que les sanctions auxquelles la Suisse serait tenue de participer ne devront pas avoir pour effet de mettre en péril les intérêts vitaux du pays et, en particulier, le statut de notre neutralité militaire;

3° de l’autoriser à demander, le cas échéant et selon les circonstances, la faculté pour la Confédération, vu sa situation géographique toute particulière, d’ajourner, conformément à la procédure instituée par les résolutions interprétatives de 1921, l’application des sanctions économiques et financières qui pourraient être recommandées par le Conseil ou l’Assemblée.

II.

Au cours de la discussion, qui avait d’ailleurs déjà commencé à la dernière séance, le chef du département politique justifie encore verbalement sa proposition, tout en complétant quelques-uns des renseignements contenus dans l’exposé écrit.

Le chef du département des finances et douanes déclare se rallier à la proposition présentée par le département politique. Il estime qu’il n’est pas possible à la Suisse d’accepter le point de vue impérialiste de l’Italie. Il se demande ce qui arriverait si, la Suisse n’ayant pas adhéré à la constatation de violation du Pacte, l’Italie, subitement et pour des raisons lui semblant impérieuses, tendait à occuper le Tessin. Pourrions-nous alors exiger que les autres nations prennent une attitude favorable à notre égard, constatent la nouvelle violation du Pacte et prennent des mesures de sanction ou autres contre l’agresseur?

Le chef du département des postes et chemins de fer déclare qu’il n’y a aucun doute sur l’existence d’une violation du Pacte et que nous sommes obligés de participer à la constatation de cette vérité. Nous sommes moralement tenus de nous exprimer à ce sujet. Mais quant au reste, notre délégation devra être très réservée et très prudente. M. Pilet-Golaz voudrait en outre qu’on remplace au chiffre 2 les mots «tenue de» par «appelée à» et qu’on supprime à la fin de ce chiffre le mot «militaire» ou éventuellement qu’on le remplace par l’expression «séculaire». Il n’est d’ailleurs pas exclu que la convention du Gothard15 nous obligerait à permettre le transit des marchandises venant de l’Allemagne. Si l’on voulait vraiment empêcher le transport des marchandises pour l’Italie en Abyssinie, il suffirait que l’Angleterre ferme le canal de Suez. En ce qui concerne le chiffre 3, l’orateur se demande s’il est bien possible de prendre une décision aujourd’hui. Il serait préférable aussi que le Conseil fédéral fasse en temps voulu, lui-même ou par l’organe du département politique, une démarche auprès de la Société des Nations au lieu d’en charger notre délégation. Il est d’ailleurs probable que M. Motta désirera encore connaître l’opinion du Conseil fédéral avant d’entreprendre la démarche prévue. Par conséquent, il faudrait faire abstraction pour le moment de ce chiffre 3 et renvoyer la décision à plus tard, lorsque la situation sera plus claire.

Le chef du département de justice et police est également d’avis qu’il y a lieu de participer à la constatation de la rupture du Pacte. Il est d’accord sur les chiffres 1 et 2 de la proposition. Quant au chiffre 3, il partage la manière de voir de M. Pilet-Golaz.

Le chef du département de l’intérieur voudrait rappeler le sage conseil de Nicolas deFlue, recommandant à la Suisse de ne pas se mêler des querelles étrangères. Dans l’affaire dont s’occupe actuellement la Société des Nations, il s’agit non pas d’un différend entre celui qui a violé le droit et celui qui le protège, mais d’une opposition entre l’impérialisme italien et l’impérialisme anglais. Mais il va sans dire qu’une rupture du Pacte existe effectivement et que nous ne pouvons pas nous soustraire à l’obligation de constater ouvertement ce fait. Il s’agit seulement de savoir si nous devons également participer aux conséquences découlant de cette constatation. Voilà pourquoi, quant au chiffre 2, l’orateur doute qu’après nous être déclarés en principe d’accord de participer aux sanctions, nous puissions nous arrêter à mi-chemin; il craint que nous ne soyons alors plus maîtres de nos décisions, et que nous nous trouvions engagés sur une voie dont il est encore difficile de prévoir où elle nous mènera. Dès lors, M. Etter préférerait que nous disions déjà maintenant qu’en ce qui concerne les sanctions nous nous réservons notre pleine et entière liberté. Il ajoute que, d’après une nouvelle de l’Agence télégraphique suisse, une commission des sanctions doit être constituée, dont feront aussi partie les pays voisins de l’Italie. Il nous faut être extrêmement prudents et vigilants. Comme les deux orateurs précédents, le chef du département de l’intérieur désirerait la suppression du chiffre 3; d’autre part, il aimerait, pour le chiffre 2, une autre rédaction, affirmant encore davantage que nous voulons rester entièrement maîtres de nos décisions.

M. le président16 estime, lui aussi, que, quel que soit le résultat d’une comparaison entre l’attitude et les sentiments de l’Italie et de l’Angleterre dans le domaine de l’expansion coloniale, nous devons participer, avec les autres Etats, à la constatation d’une rupture du Pacte par notre voisin du sud; car cette violation est incontestable. L’orateur est par conséquent d’accord sur le chiffre 1 de la proposition du département politique. Il désire toutefois que nos délégués à l’Assemblée ne prennent pas part à la discussion, et se contentent de voter. En ce qui concerne la question des sanctions, il n’est guère nécessaire que le Conseil fédéral prenne une décision aujourd’hui ou dans le courant de cette semaine. Les sanctions ne doivent pas aller trop loin, sinon il serait à craindre que l’Italie quittât la Société des Nations et qu’il se formât alors une entente séparée entre l’Italie, l’Allemagne, la Hongrie et peut-être aussi la Pologne, ce qui pourrait, le cas échéant, aboutir à une guerre européenne. Les efforts doivent tendre à la localisation du conflit. M. le président voudrait, lui aussi, qu’on biffât le mot «militaire» au chiffre 2 et qu’on laissât entièrement de côté le chiffre 3.

Le chef du département des postes et chemins de fer ajoute à ses premières considérations qu’avant de prendre une décision sur la collaboration de la Suisse au sein d’une commission des sanctions, il faudrait savoir d’une façon claire et précise comment cette commission sera composée et quelle sera sa compétence. Pour le moment, il a encore des craintes et désire donc que toute décision à ce sujet soit renvoyée. Toutefois, s’il ne s’agit que d’une commission d’étude, rien ne s’opposerait à ce que la Suisse en fasse partie. Il en serait autrement s’il s’agissait d’une commission de contrôle ou de surveillance; dans ce cas, la Suisse ne devrait pas y collaborer avant que le Conseil fédéral ait pris une nouvelle décision.

Le chef du département politique est d’accord soit sur les propositions de modification rédactionnelle relatives au chiffre 2, soit sur la suppression du chiffre 3. Quant à la commission des sanctions, il est absolument nécessaire que la Suisse en fasse partie. En sa qualité de pays limitrophe à l’Italie, elle y aura des intérêts très importants à sauvegarder et doit avoir la possibilité de faire entendre sa voix.

Le chef du département de l’économie publique est absent. A la dernière séance du Conseil, où avait déjà eu lieu un premier échange d’opinions sur la question dont il s’agit, M. Obrecht s’était expressément déclaré d’accord avec le département politique et avait estimé que la Suisse ne pouvait faire autrement que de participer à la constatation de la rupture du Pacte par l’Italie. Nous ne pouvons pas nous soustraire à cette obligation. Cependant, avait-il ajouté, cette attitude par laquelle la Suisse affirmerait, elle aussi, que l’Italie a violé le Pacte, ne nous obligerait pas encore de participer aux sanctions ou autres mesures semblables qui pourraient être décidées par la Société des Nations.

M. le président constate qu’il y a unanimité au sujet du chiffre 1 et du chiffre 2, amendé par le chef du département des postes et chemins de fer, et que les membres présents sont également tous d’accord que le chiffre 3 soit biffé.

III.

Il est dès lors décidé ce qui suit:

1° la délégation suisse à l’Assemblée de la Société des Nations est autorisée à constater avec le Conseil de la Société unanime qu’il y a dans l’espèce rupture de Pacte au sens de l’article 12;

2° la délégation est chargée de déclarer au Conseil ou à l’Assemblée, le moment venu, que les sanctions auxquelles la Suisse serait appelée à participer ne devront pas avoir pour effet de mettre en péril les intérêts vitaux du pays, et en particulier le statut de notre neutralité17;

3° la question d’une demande éventuelle d’ajournement des sanctions conformément aux résolutions interprétatives de 1921 reste pour le moment réservée.

1
E 1004 1/354. Absent: Obrecht.
2
Cf. no 152, n. 13.
3
Le 5 octobre.
4
Cf. lettre de J. D. de Montenach, rattaché à la Section de la Coopération intellectuelle du Secrétariat de la SdN, à C. Gorgé, du 7 octobre (E 2001 (C) 5/173).
5
Cf. no 145, n. 5.
6
1. Tous les Membres de la Société conviennent que, s’il s’élève entre eux un différend susceptible d’entraîner une rupture, ils le soumettront soit à la procédure de l’arbitrage ou à un règlement judiciaire, soit à l’examen du Conseil. Ils conviennent encore qu’en aucun cas ils ne doivent recourir à la guerre avant l’expiration d’un délai de trois mois après la décision arbitrale ou judiciaire, ou le rapport du Conseil. 2. Dans tous les cas prévus par cet article, la décision doit être rendue dans un délai raisonnable, et le rapport du Conseil doit être établi dans les six mois à dater du j our où il aura été saisi du différend.
7
Cf. no 153.
8
Cf. no 145, n. 6.
9
Cf. no 152, n. 10.
10
Il s’agit bien entendu de l’article 16 du Pacte.
11
Le 4 octobre 1921.
12
Cf. no 152, n. 21.
13
Cf. DDSvol.10, no 278.
14
Cf. annexe au no 186, n. 16.
15
Cf. no 157.
16
R. Minger.
17
Cf. annexe.