Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
11. France
11.5. Affaire des zones
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 10, doc. 208
volume linkBern 1982
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#E1004.1#1000/9#12805* | |
Dossier title | Beschlussprotokoll(-e) 03.11.-07.11.1932 (1932–1932) |
dodis.ch/45750
CONSEIL FÉDÉRAL
Procès-verbal de la séance du 7 novembre 19321
1782. Exécution de l’arrêt: rendu le 7 juin par la Cour permanente de Justice internationale sur l’affaire des zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex
Procès-verbal de la séance du 7 novembre 19321
Le Département politique rappelle que, par décision du 23 septembre, le Conseil fédéral a chargé «le Département politique, le Département de l’Economie publique et le Département des Finances et des Douanes de préparer, en commun, les mesures nécessaires à l’exécution par la Suisse de l’arrêt de la Cour de La Haye3 »et d’inviter lesdits Départements «à désigner chacun un ou deux représentants en vue de cette collaboration».
En exécution de cette décision, une conférence réunie le lundi 17 octobre sous la présidence du Président de la Confédération a donné lieu à un premier échange de vues entre les représentants des trois Départements intéressés. Cette conférence a malheureusement révélé l’existence d’une divergence de principe, sur laquelle le Conseil fédéral doit se prononcer. Ladite divergence a trait à la portée des obligations assumées par la Suisse à l’égard du régime des importations en franchise ou à droits réduits à travers la ligne des douanes fédérales que l’arrêt du 7 juin 1932 impose comme contre-partie du recul du cordon douanier français à la ligne prévue par les anciens traités.
Les représentants du Département politique ont exprimé l’avis que cette contre-partie devait comporter au minimum l’amélioration et la consolidation du régime dont ont bénéficié jusqu’ici les habitants des petites zones4, puisque, dans son Mémoire du 4 août 19285, la Suisse a exposé à la Cour que le Conseil fédéral, par sa note du 5 mai 19196, avait «accepté l’article 435 du Traité de Versailles... comme un engagement pris par lui de compléter les stipulations... de 1815.. par une nouvelle convention franco-suisse destinée à faciliter, grâce à un régime de franchises plus libéral et juridiquement plus stable que par le passé, l’entrée en Suisse des produits des zones franches instituées par les traités de 1815..».
Le Directeur de la Division du Commerce7 a pleinement reconnu que cet engagement devait être tenu conformément au projet que la Suisse a soumis à la Cour en 19308, à condition qu’il soit possible d’obtenir de la France qu’elle renonce à maintenir à la frontière entre la Suisse et les zones le cordon fiscal que la Cour a jugé légitime. Il a proposé, en revanche, si cette condition n’est pas remplie, d’accorder simplement la franchise douanière au 50% des produits des zones, naturels ou fabriqués.
Le champ d’application du régime préconisé par M. Stucki serait plus vaste que les facilités actuellement en vigueur et donnerait aux industriels et artisans des zones, notamment, des avantages dont ils n’ont pas joui jusqu’ici. Il réduirait, en revanche, les franchises et facilités dont bénéficient actuellement encore les produits agricoles, qui forment la partie essentielle des exportations des zones en Suisse. Il apparaîtrait donc, dans son ensemble, moins libéral que le régime actuel. Le représentant du Département de l’Economie publique n’y voit toutefois pas d’inconvénient, car, à son avis, l’interprétation donnée par le Premier Mémoire suisse9 à la note suisse du 5 mai 1919 ne s’appliquerait pas à l’éventualité dans laquelle un cordon fiscal français gênerait les importations du commerce genevois dans les zones.
Les représentants du Département politique n’ont pu se ranger à cette manière de voir. Ils ont fait remarquer qu’au moment où, pour tenir compte du courant d’opinion qui s’était manifesté en France, la Suisse a promis d’établir, en faveur des habitants des zones, un régime plus libéral et juridiquement plus stable que par le passé, le Conseil fédéral ne songeait pas à contester à la France le droit de maintenir à la frontière politique le cordon fiscal qui y a été placé dès 1917 et ils ont soutenu qu’il serait fort dangereux pour la Suisse de s’exposer au reproche de vouloir se soustraire à un tel engagement.
Afin de permettre au Conseil fédéral de se prononcer en pleine connaissance de cause sur cette divergence de principe, il a paru nécessaire de recueillir l’avis des professeurs Logoz10 et Burckhardt11 sur le sens qui doit être attaché au passage du Premier Mémoire suisse interprétant la note suisse du 5 mai 1919 comme un engagement d’établir, au profit des zones, un régime plus libéral et plus stable que par le passé.
MM. Logoz et Burckhardt ont fait à la question posée une réponse commune, qui ne laisse subsister aucun doute sur la signification de l’engagement pris. Il résulte des termes mêmes et du contexte de cet engagement qu’il n’a pas été soumis à la condition que le statut des zones serait modifié au profit de la Suisse par la renonciation de la France à son droit d’établir un cordon fiscal à la frontière politique. Une telle condition n’a jamais été formulée et la Cour n’a eu aucun doute sur la portée de l’obligation assumée par la Suisse.
Quels que soient les avantages d’opportunité et de tactique de la solution envisagée par le Département de l’Economie publique, il paraît vraiment préférable de renoncer à établir en faveur des zones un régime qui risquerait de donner lieu à des contestations dont nous ne pourrions triompher.
Le Département politique propose dès lors de constater que l’arrêt du 7 juin 1932 de la Cour permanente de Justice internationale oblige la Suisse à établir en faveur des produits des zones, nonobstant la présence d’un cordon fiscal français à la frontière, un régime plus libéral que par le passé.Dans son contre-rapport du 31 octobre, le Département de l’Economie publique déclare qu’il ne peut pas se rallier à la manière de voir et à la proposition du Département politique, ni aux conclusions de MM. Logoz et Burckhardt.
Son exposé, assez long, se résume par les constatations suivantes:
Rien ne permet d’affirmer qu’en se déclarant prêt à mettre l’importation des produits zoniens en Suisse au bénéfice d’un régime plus libéral et juridiquement plus stable que par le passé, le Conseil fédéral, dans son Mémoire du 4 août 1928, ait pris cet engagement dans une hypothèse autre que celle du rétablissement des zones telles qu’elles existaient avant la guerre, aucun droit de douane ni aucune taxe fiscale n’étant perçus à l’importation de Suisse en zone.
L’ensemble de la procédure montre que le Conseil fédéral a pris cet engagement à la condition que l’importation de Suisse en zone ne se heurtât à aucune barrière douanière ni à aucune barrière fiscale.
Par le projet de Règlement dont il a saisi la Cour en juillet 193012, le Conseil fédéral a offert, en cas de rétablissement des petites zones telles qu’elles existaient avant la guerre, d’accepter, à titre permanent, en franchise de droits de douane et de taxes fiscales quelconques, la totalité de la production zonienne non consommée sur place ou exportée ailleurs qu’en Suisse.
Le cordon fiscal français restant à la frontière politique, la Suisse a offert la franchise non pas pour la totalité, mais pour le 50% de la production zonienne. Cette offre doit être maintenue telle quelle; il ne faut ni l’amplifier ni la diminuer. Il s’agirait d’un régime permanent, appelé à durer aussi longtemps que les zones elles-mêmes. C’est ainsi que le Conseil fédéral exécuterait l’engagement qu’il a assumé par sa note du 5 mai 1919, de «régler d’une façon mieux appropriée aux conditions économiques actuelles les modalités des échanges entre les régions intéressées».
Depuis le 11 novembre 1923, la France, en violation des traités de 1815 et autres actes complémentaires, perçoit des droits de douane sur les produits qui entrent dans les petites zones.
Depuis le 11 novembre 1923, la Suisse eût été en droit de supprimer toutes les franchises et facilités douanières dont bénéficient les produits zoniens à leur entrée en Suisse. Non seulement elle a maintenu ces faveurs douanières au profit des petites zones, mais elle en a fait bénéficier, jusqu’au 1er janvier 1932, les produits originaires de la grande zone13. Si la Suisse avait appliqué le droit commun aux produits zoniens dès le 11 novembre 1923 et à supposer que dans cette hypothèse les mêmes quantités de marchandises d’origine zonienne fussent entrées dans notre pays, la perception des droits de douane sur ces marchandises eût fourni une somme d’environ 8 millions de francs suisses. Et tandis que cette recette fort appréciable nous échappait, les marchandises importées de Suisse dans les zones étaient frappées contrairement aux traités, de droits de douane français, sans compter les taxes fiscales. Situation à coup sûr paradoxale.
En constatant ces faits, le Département de l’Economie publique n’entend nullement récriminer contre la décision par laquelle le Conseil fédéral avait maintenu au profit des marchandises d’origine zonienne le régime de franchises appliqué jusqu’ici. Il se peut que le maintien de ce régime ait influé favorablement sur l’opinion des juges. Il se peut aussi que l’arrêt de la Cour eût été le même, si nous n’avions pas continué à accorder aux zoniens des avantages auxquels ils n’avaient d’ailleurs aucun droit.
Il a suffi que la Suisse appliquât dès le premier janvier 1932 le droit commun aux seuls produits de la grande zone pour susciter dans cette région des récriminations contre le Gouvernement français. Au fait, Genève est le débouché naturel et nécessaire des produits agricoles des petites et de la grande zones. Les agriculteurs de ces régions étaient habitués aux avantages douaniers que la Suisse leur accordait depuis longtemps, mais sans y être tenue et sans qu’ils y eussent droit. On leur avait fait accroire qu’ils y avaient droit et c’est ce qui explique l’agitation provoquée par les mesures pleinement justifiées que le Conseil fédéral a prises à la fin de l’année dernière. Ces mesures gênent les agriculteurs de la grande zone, qui sont mécontents des autorités françaises. C’est ainsi que dans une lettre adressée au Conseil fédéral en février 1932, plusieurs syndicats agricoles de la Haute-Savoie «protestent contre les prétentions du Gouvernement français, qui ne tient aucun compte de l’état de fait économique et géographique» et déclarent que «leur plus sincère désir est de voir triompher prochainement la thèse suisse à la Cour de Justice internationale à La Haye».
Dans son arrêt du 7 juin 1932, la Cour a reconnu que l’article 435, alinéa 2, du Traité de Versailles, avec ses annexes, n’a pas abrogé et n’a pas pour but de faire abroger les stipulations des traités de 1815 et autres actes complémentaires. Elle a décidé que le Gouvernement français doit reculer sa ligne des douanes et elle a fixé au 1er janvier 1934 la date à laquelle ce recul doit avoir été effectué.
Depuis que la Cour a rendu son arrêt, la France a continué et continue de percevoir des droits de douane sur les marchandises pénétrant de Suisse dans les petites zones. Cette perception est contraire au droit proclamé par la Cour. En fixant à la France un délai pour opérer le recul du cordon douanier, la Cour n’a sans doute pas voulu dire que le Gouvernement français avait la faculté de percevoir jusqu’au 1er janvier 1934, sur les marchandises importées de Suisse en zone, des droits d’entrée qui sont incompatibles avec les stipulations des anciens traités. Quoi qu’il en soit, l’arrêté de la Cour n’oblige pas la Suisse à accorder aux produits zoniens un régime de facilités douanières, tant que le cordon douanier français restera à la frontière politique des zones. Aussi bien, la question se poset-elle de savoir si le Conseil fédéral entend maintenir plus longtemps le régime de faveur dont bénéficient encore les produits zoniens à leur entrée en Suisse. L’intérêt du commerce genevois exige, selon nous, que l’autorité fédérale crée dès maintenant une situation qui facilite la tâche de nos représentants dans les négociations qui pourraient avoir lieu avec la France. Il convient d’amener les habitants des petites zones à faire pression sur leur Gouvernement, de façon que celuici se montre accommodant. Les motifs d’opportunité qui ont pu justifier le maintien des franchises douanières jusqu’à l’arrêt de la Cour n’existent plus aujourd’hui. Nous croyons dès lors que le moment est venu de supprimer les facilités douanières consenties jusqu’ici à l’égard des produits en provenance de la zone du Pays de Gex et de la petite zone sarde. Toutefois, le régime douanier commun resterait applicable à ces produits (article 14, chiffre 20, de la loi fédérale sur les douanes14 et article 25 du Règlement d’exécution15). A ce propos, il importe de bien faire remarquer que nous ne sommes même pas tenus d’accorder les facilités prévues par les dispositions précitées de notre législation douanière, attendu que la France n’use pas de réciprocité (article 19 de la loi sur les douanes). Néanmoins, le Département de l’Economie publique ne voudrait pas que fussent supprimées les facilités prévues pour le trafic de marché. En outre, il faudrait maintenir le bénéfice de la franchise à un contingent de 25 000 litres de lait frais que nous accordons au Gouvernement français en échange d’un contingent additionnel pour nos exportations de fromage en France16.
Selon l’avis du Département de l’Economie publique, seul le rétablissement du droit commun aura un effet salutaire sur le cours des futures négociations. Par conséquent, la convention du 14 juin 1881 relative au régime douanier entre le canton de Genève et la zone franche de la Haute-Savoie17, le Règlement relatif au Pays de Gex du 20 octobre 190618 et l’arrêté fédéral du 19 juin 1908 concernant l’importation des zones franches de la Haute-Savoie et de Gex19 cesseraient d’être applicables à l’importation en Suisse des produits du Pays de Gex et de la petite zone sarde.
La convention de 1881 est caduque, de sorte que nous pouvons mettre fin d’un jour à l’autre au régime de faveur que nous appliquons encore aux produits originaires de la petite zone sarde. Quant à l’arrêté fédéral du 19 juin 1908, il constitue une mesure autonome révocable en tout temps.Par conséquent, le Département de l’Economie publique estime qu’il faudrait supprimer dès le 15 novembre 1932 les facilités douanières consenties jusqu’ici à l’égard des produits en provenance de la petite zone sarde. Quant aux facilités accordées au Pays de Gex, elles prendraient fin le 15 février 1933; le Règlement du Pays de Gex devrait donc être dénoncé avant le 15 novembre 1932.
Avant de se prononcer sur la suppression de toutes ces facilités, le Conseil fédéral devrait peut-être prendre l’avis du Conseil d’Etat de Genève.Au cours de la discussion, le chef du Département politique déclare qu’il doit maintenir sa manière de voir; le chef du département de l’Economie publique répond qu’il ne peut y adhérer. Les autres membres du Conseil estiment que la Suisse est tenue de respecter loyalement les promesses contenues dans les déclarations faites par nos avocats devant le tribunal de La Haye. Nous n’osons pas manquer à la parole donnée. Le Conseil fédéral est d’ailleurs unanime sur ce point. La divergence porte principalement sur la question de savoir si, en parlant d’un «régime plus stable et plus libéral» que celui d’avant 1919, que la Suisse serait prête à accorder, l’on doit entendre le régime qui existait alors de fait, ou bien celui qui aurait été applicable en droit, si la Suisse s’était bornée à n’accorder aux territoires français visés que les seules facilités prévues par les traités de 1815-1816. f.J20
- 2
- ;Non reproduit.↩
- 3
- Ordonnance du 7 juin 1932. Cf. no 160, n. 4.↩
- 4
- Zones de la Haute-Savoie et du Pays de Gex.↩
- 5
- Cf. DDS vol.9, no 414 + A, dodis.ch/45431.↩
- 6
- Annexe I à l’article 435 du Traité de Versailles. Cf. DDS vol.7/1, no 388, dodis.ch/44133.↩
- 8
- Cf. no 27, n.l.↩
- 9
- Du 4 août 1928. Cf. DDS vol.9, no 414 +A, dodis.ch/45431.↩
- 10
- Agent de la Confédération dans l’affaire des zones.↩
- 11
- Expert juridique dans l’affaire des zones.↩
- 12
- CF. no 27.↩
- 13
- Cf. no 90, n.5.↩
- 14
- Loi du 7er octobre 1925 (RO, 1926, vol. 42, pp. 307ss.).↩
- 15
- Règlement du 10 juillet 1926 (RO, 1926, vol. 42, pp. 361 ss.).↩
- 16
- Cf. no 173.↩
- 17
- RO, 1882.1883, vol. 6, pp. 455ss.↩
- 18
- Annexe C de la convention de commerce franco-suisse (RO, 1906, vol. 22, pp. 672ss.).↩
- 19
- RO, 1908, vol.24, pp. 701 ss.↩
- 20
- En conclusion, le Conseil décide de convoquer une conférence qui réunira les représentants de la Confédération et une délégation du Gouvernement genevois pour faire le point de la situation. A la suite de cette réunion, le 21 novembre, il est décidé de préparer avec les services fédéraux compétents un projet de règlement comportant des variantes minimum, moyenne et maximum. En cas d’échec avec la France, il y aura lieu d’envisager l’application du droit commun. (E 2, Archiv-Nr. 1725, procès-verbal de la conférence avec le Conseil d’Etat genevois, sous la présidence de G. Motta).↩