Classement thématique série 1848–1945:
II. LES RELATIONS BILATERALES ET LA VIE DES ETATS
II.12. France
II.12.1. La question des zones franches de Haute-Savoie et du Pays de Gex
Également: Rejet de la note française annonçant le transfert de la douane française à la frontière politique. Décision de porter l’affaire devant la CPJI. Annexe de 12.10.1923
Également: Réponse du Conseil fédéral à la décision de Poincaré de mettre en vigueur la loi relative au nouveau statut des zones franches et de porter en conséquence le cordon douanier français à la frontière politique dès le 10 novembre. Protestation contre cette décision contraire aux propositions de négociations antérieures. Exposé des points controversés que la Suisse souhaite soumettre à la CPJI. Annexe de 17.10.1923 (CH-BAR#E1004.1#1000/9#11891*).
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 8, doc. 292
volume linkBern 1988
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#E1005#1000/16#10* | |
Dossier title | Protokolle des Bundesrates, Geheimprotokolle (Minuten und Originale) 1923 (1923–1923) | |
File reference archive | 4.5 |
dodis.ch/44934 1
Affaires des Zones
En présence de la brusque aggravation de l’affaire des zones2, le Chef du Département politique croit devoir tout d’abord récapituler les différentes phases par lesquelles cette affaire a passé ces derniers temps.
Le 16 mars 19233, le Conseil fédéral arrêtait la teneur d’une note annonçant au gouvernement français que, vu le résultat de la votation populaire du 18 février, il n’était pas en mesure de ratifier la convention du 7 août 1921; qu’il conservait cependant le ferme espoir que les relations entre les zones franches et les régions voisines de la Suisse n’en subiraient pas de répercussion dommageable, et qu’afin de l’éviter, les autorités suisses s’efforceraient de faire tout ce qui pourrait dépendre d’elles. Cette note fut remise au gouvernement français le 19 mars.
Le 21 mars4, M. Poincaré répondait par la note dans laquelle il refusait de reconnaître le résultat de la votation populaire suisse et invitait le Conseil fédéral à mettre en vigueur la convention de 1921. Après la réplique du Conseil fédéral du 26 mars5,M. Poincaré déclara, le 27 mars6, ne pas persister dans sa demande du 21. Il déclarait en même temps qu’il était tout prêt à étudier, dans l’esprit le plus amical, les propositions que le gouvernement suisse voudrait bien lui communiquer et il ajoutait que, dans les négociations nouvelles, il devrait cependant tenir compte des droits que l’article 435 du Traité de Versailles a conférés à la France et des obligations imposées au gouvernement français par la loi française du 16 février 1923.
Dans sa note du 15 avril7, le Conseil fédéral prit acte de ces déclarations. Pour déblayer le terrain en vue de nouvelles négociations, il proposa de chercher d’abord à élucider la question de droit par des conversations diplomatiques directes.
Le 17 avril8, M. Poincaré fit savoir qu’il était prêt à prendre connaissance des suggestions que le gouvernement fédéral pourrait lui soumettre en vue de la solution de l’affaire. Il demandait que les conversations diplomatiques eussent lieu à Paris et fussent strictement confidentielles.
Sur ce, les conversations s’engagèrent à Paris entre M. Dunant d’une part, de Lacroix et Peretti délia Rocca de l’autre. M. Dunant fit savoir aux représentants du Ministère des Affaires étrangères qu’avec l’assentiment du gouvernement fédéral, la Chambre de commerce de Genève avait constitué des commissions chargées d’étudier la question des zones aux points de vue juridique et économique, et que le Conseil fédéral serait en mesure de présenter de nouvelles propositions à la France dès que ces commissions auraient déposé leurs rapports, probablement déjà au mois de septembre.
Le 27 juillet, M. de Lacroix annonça à M. Dunant que M. Poincaré avait de son côté soumis l’affaire des zones aux divers ministères intéressés et qu’il désirait aboutir pour l’automne à une entente avec la Suisse. Par la suite, il communiqua à M. Dunant les nouvelles propositions du gouvernement français. Celles-ci consistaient en quatre accords techniques reproduisant purement et simplement dans leur substance les dispositions de la convention du 7 août 1921.
Le gouvernement français faisait une seule concession apparente en consentant à laisser de côté la question de droit; au surplus il maintenait la condition du transfert du cordon douanier à la frontière politique.
Le 16 août 1923, M. Motta eut une conversation avec M. Allizé et lui déclara ce qui suit: Nous avons reçu, il y a quelques semaines, les propositions de Paris. Celles-ci ne sont pas autre chose que la convention de 1921, découpée en plusieurs tranches. Sur le fond, il n’y a pas de modification. Le fait de ne plus parler des traités anciens, qui à Paris serait considéré comme une concession, n’a aucune valeur pour nous. La France part toujours du point de vue que le cordon douanier serait transféré à la frontière, point de vue inadmissible pour nous. Le gouvernement fédéral ne peut ni ne veut ruser avec le peuple. Nous étudions une solution qui consisterait en une sorte de novation des petites zones. Nous tenons à faire l’unité des esprits à Genève. Des commissions genevoises sont à l’œuvre; elles travaillent sérieusement. Nous espérons pouvoir faire une proposition en automne, probablement au mois de septembre. Il faut éviter de nous bousculer. On ne pourra faire aucun arrangement évitant le référendum, s’il implique renonciation aux droits anciens. Un modus vivendi ayant pour point de départ le transfert du cordon douanier à la frontière politique ne peut être accepté parce qu’il compromettrait en fait la solution définitive à notre détriment. Nous avons reçu hier une dépêche de notre chargé d’affaires à Paris, M. de Weck. M. de Lacroix aurait attiré son attention sur la nécessité d’une réponse. M. Poincaré désirerait en finir. Il serait harcelé par les parlementaires. Il voudrait qu’à la rentrée du Parlement, en octobre, la question fût résolue.
M. Motta continua en disant: Je trouve que M. de Lacroix fait du zèle. Il doit comprendre qu’il n’y a d’intérêt pour personne à vouloir nous imposer des solutions. Je compte bien que jamais la loi française concernant le transfert du cordon douanier ne sera appliquée sans entente avec nous. Tout transfert unilatéral serait une violation des traités.
En conséquence, M. Motta pria l’ambassadeur de faire savoir à son gouvernement que nous ne pourrions entrer en matière sur les propositions que nous avons reçues au mois de juillet et que nous continuons à étudier loyalement une solution.
L’ambassadeur prit acte de cette communication et assura M. Motta qu’il en informerait son gouvernement.
Pendant la dernière session de la Société des Nations, M. Motta eut à Genève des conférences avec les représentants de la Chambre de commerce de Genève. Il put se convaincre que les commissions constituées travaillaient assidûment, mais que les études demandées étaient longues et laborieuses. Il demanda aux représentants de la Chambre de commerce que les propositions de celle-ci lui fussent remises pour la mi-octobre, ce qui lui fut promis.
M. Dunant rentrant à Paris à la fin de ses vacances, M. Motta le chargea de faire, dès sa rentrée, des démarches pour dissuader le gouvernement français de nous placer devant un fait accompli. Dans l’intervalle, M. Allizé demanda à diverses reprises à quoi en était l’affaire. Il prévoyait que dès le retour de M. Dunant, il se passerait du nouveau à Paris. En effet, M. Dunant est rentré à Paris le 9 octobre et, sans attendre plus longtemps, M. Poincaré lui a fait remettre le 10 une note par laquelle il nous est notifié que la loi française du 16 février 1923 serait mise en vigueur à partir du 10 novembre prochain. M. Poincaré se déclare toutefois prêt à continuer les négociations en vue de la conclusion d’un accord de bon voisinage tenant compte des intérêts et de la situation géographique de Genève. Mais ces paroles ne peuvent masquer la volonté de nous violenter, que trahit l’action précitée du gouvernement français.
Hier M. Dunant a téléphoné à M. Motta qu’il s’était rendu le matin au Quai d’Orsay où M. de Lacroix lui avait annoncé que le décret de mise en vigueur de la loi du 16 février paraîtrait aujourd’hui à l’Officiel. M. Motta chargea M. Dunant de faire une nouvelle démarche d’urgence au Quai d’Orsay, pour demander que cette publication fût différée. Dans deux télégrammes, M. Dunant a fait savoir au Département politique que, selon l’avis de M. de Lacroix, la mesure prise par le gouvernement français n’impliquait pas la cessation des négociations et il a rendu compte de sa démarche en vue de faire différer la publication. M. de Lacroix lui avait opposé une fin de non-recevoir, en prétextant que, de toute façon, la décision du gouvernement français avait déjà reçu une certaine publicité, puisqu’elle avait été communiquée au gouvernement fédéral, et en faisant valoir, pour justifier la manière d’agir du gouvernement français, les raisons invoquées dans le rapport accompagnant le décret. Aujourd’hui, la publication à l’Officiel est un fait accompli.
Nous nous trouvons donc en présence d’un acte extrêmement grave, d’un coup de force et d’une violation du droit. Les raisons que le gouvernement français invoque pour l’accomplir brusquement et sans attendre nos propositions ne sont que des prétextes et ne couvrent que la volonté arrêtée de nous faire violence en supprimant coûte que coûte le régime des zones. Dans ces conditions, il ne nous reste qu’à protester avec la dernière énergie. Il devient inutile de hâter la remise des nouvelles propositions au gouvernement français, après cette manifestation éclatante de ses véritables intentions. Et pourtant, hier encore, M. Motta recevait de Genève l’avis que les propositions élaborées par la Chambre de commerce étaient en passe d’obtenir l’assentiment unanime de la population genevoise et pourraient être déposées à très bref délai. Mais dans la conjoncture actuelle, la seule attitude digne du Conseil fédéral est celle de la protestation, et la seule proposition qu’il puisse faire encore au gouvernement français est celle de soumettre le différend à l’arbitrage de la Cour permanente de La Haye. Il est malheureusement à prévoir que le gouvernement français repoussera cette dernière proposition. Alors, ayant épuisé les voies amiables directes, il ne nous restera qu’à recourir à la Société des Nations, en priant le Conseil de la Société de demander un avis consultatif à la Cour permanente de Justice internationale.
M. Motta soumet au Conseil fédéral un projet de communiqué à la presse. Il lui propose de charger le Département politique d’élaborer un projet de noteréponse au gouvernement français, qui pourra être discuté dans une prochaine séance, samedi ou lundi.
Dans la discussion qui suit, tous les orateurs partagent quant au fond le point de vue du Chef du Département politique.
M. le Conseiller fédéral Schulthess fait observer que l’on pouvait s’attendre à l’acte de la France. Le point essentiel étant préjugé par sa décision, il n’y a pas d’intérêt pour nous à négocier sur les points accessoires. L’orateur est d’accord avec M. Motta pour la suite à donner à l’affaire, toutefois il ne fonde guère d’espoir sur une intervention du Conseil de la Société des Nations. Il n’y a du reste pas lieu de prendre aujourd’hui de décisions allant au delà de la proposition d’arbitrage, et dans la note à adresser au gouvernement français, tout en proposant de soumettre le litige à la Cour permanente de La Haye, on pourra laisser la porte ouverte à des propositions de la France, au cas où elle se prononcerait pour une autre instance d’arbitrage.
L’orateur examine encore la question des mesures de rétorsion que nous pourrions prendre envers la France. Les moyens ne nous manqueront pas si nous sommes unis dans la défense, et soutenus en particulier par l’opinion genevoise unanime, car les mesures à prendre seront gênantes en premier lieu pour les Genevois. M. Schulthess a chargé sa division du commerce d’étudier les mesures à appliquer dans l’éventualité du transfert du cordon douanier à la frontière.
Il propose des modifications de forme au projet de communiqué.
M. le Conseiller fédéral Musy propose aussi une adjonction au communiqué.
Il fait observer que l’acte du gouvernement français est d’autant plus injustifié qu’en ce qui concerne les intérêts genevois, l’état du change français rend illusoires les facilités offertes au commerce avec les zones.
En fait de mesures de rétorsion à prendre, on pourrait dès maintenant, tout en restant sur le terrain des conventions en vigueur, appliquer de façon plus sévère les dispositions relatives au petit trafic de frontière, qui le sont actuellement de façon très large. On pourrait en outre parer dès maintenant à ce que les viticulteurs de la zone n’importent en masse durant le mois d’octobre les 15 000 hectolitres de vin qu’ils ont le droit d’importer en franchise, en divisant ce contingent en tranches mensuelles ou trimestrielles.
M.le Conseiller fédéral Haab est d’accord avec les préopinants. Il rend le Conseil attentif à l’unique point faible de notre ligne de défense, savoir le reproche déjà formulé par le gouvernement français, que nous aurions traîné l’affaire en longueur, reproche auquel il faut parer.
M. le Conseiller fédéral Hâberlin estime que le gouvernement français était de toute façon décidé à en passer par sa volonté, et que nous ne lui avons fourni aucun prétexte à son acte. Dans l’étude des représailles à exercer, il faudra s’assurer l’appui de la population genevoise.
M. le Vice-président Chuard approuve le communiqué avec les amendements présentés. Il considère toute l’affaire comme profondément regrettable. Avec la convention d’août 1921, nous avions obtenu de la France, étant donnée son intransigeance sur la question du transfert du cordon douanier, toutes les concessions que nous pouvions raisonnablement espérer. Ceux qui ont lancé la campagne pour le rejet de la convention portent leur part de responsabilité de ce qui se passe maintenant. Au point de vue des intérêts genevois, l’acceptation de la convention eût été infiniment préférable au conflit actuel, car les petites zones n’offraient qu’un intérêt économique très médiocre, et leur maintien n’était pour les Genevois qu’une question de commodité et de prestige.
M. Motta accepte les amendements au communiqué. Il estime que la crainte exprimée par M. Haab est dépourvue de fondement, avis que le Conseil fédéral partage.
Il est décidé:
1. Le projet de communiqué est approuvé avec les amendements de MM. Schulthess et Musy (voir annexe 1).
2. Le Département politique est chargé de préparer un projet de note au gouvernement français, qui sera soumis au Conseil fédéral lundi matin.9
3. Les Départements de l’Economie publique et des Douanes étudieront les mesures qui pourraient être prises éventuellement.
Extrait du procès-verbal aux chefs des Départements politique, de l’Economie publique et des Douanes.
- 1
- E 1005 2/2.↩
- 2
- Le 10 octobre, Dunant transmettait par télégramme, expédié à 18 h 50 et arrivé à Berne, le 11 octobre, la teneur de la note par laquelle Poincaré faisait part de la décision du Gouvernement français de mettre en application le 10 novembre prochain la loi relative à la réforme du statut douanier des zones franches, prévoyant le transfert du cordon douanier à la frontière francosuisse (E 2/1678).↩
- 3
- Cf. no 264.↩
- 4
- Cf. no 265.↩
- 5
- Cf. no 266.↩
- 6
- Ibid. Ann. 7.↩
- 7
- Cf. no 268.↩
- 8
- Ibid. Ann. 5.↩
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