Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 7-II, doc. 217
volume linkBern 1984
more… |▼▶Repository
Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001B#1000/1522#2* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(B)1000/1522 2 | |
Dossier title | Aussenpolitische und militärische Berichte von Bern an schweizerische Vertretungen im Ausland (Auszüge aus politischen Berichten) (1921–1923) | |
File reference archive | D.1 |
dodis.ch/44428
L’Adjoint à la Division des Affaires étrangères du Département politique, Ch.L. E. Lardy, aux Légations de Suisse1
Nous avions adressé, le 13 décembre, à toutes les Puissances prévues comme devant participer à la Société des Nations un aide-mémoire2 exposant le point de vue du Conseil fédéral au sujet du délai dans lequel la Suisse pourra adhérer à la Ligue.
Le Gouvernement français a jugé bon de saisir de cette question le Conseil suprême. Celui-ci a remis notre aide-mémoire à l’examen de quelques juristes dont les noms ne sont pas illustres (M. Fromageot pour la France, M. Pilotti pour l’Italie, M. Malkin pour l’Angleterre et M. Nagaka pour le Japon. L’Amérique n’était pas représentée). Tout cela a eu lieu sans que nous en ayons rien su. A la suite de cet examen, le Secrétariat général de la Conférence de la Paix a adressé à notre Légation à Paris une réponse3 à notre aide-mémoire, réponse qui ne touche pas seulement à la question du délai. Elle discute en effet la thèse suisse de la ratification par les cinq Puissances principales et réserve le maintien de la neutralité suisse au sein de la Ligue. Cette réponse a été remise au Conseil fédéral, qui l’examine.
Nous pouvons vous informer confidentiellement que la question de la reconnaissance de l’Autricheest arrivée à maturité. Le Conseil fédéral s’en occupera sans doute d’ici à peu de jours et il est probable que la reconnaissance sera décidée.4
On a l’habitude, en Europe en général et en Suisse aussi, d’envisager l’Autriche uniquement au point de vue sentimental: on songe aux enfants de Vienne qui meurent de faim, à la nation dépouillée de nombreuses provinces et grevée d’indemnités trop lourdes à payer. Cette triste situation détourne quelque peu l’attention de l’activité du Gouvernement autrichien et cache aux yeux du public l’extrême habileté de la politique de M. Renner. Dès les premiers jours des conférences de St-Germain, celui-ci, par sa bonhomie, sa modestie, son attitude résignée, a su se gagner la sympathie des Puissances de l’Entente: la presse française s’est alors fait l’écho de ces sentiments bienveillants. L’ancienne Légation d’Autriche-Hongrie à Berne a été très frappée de ce succès de Renner auprès de l’Entente; elle se demande à quoi l’attribuer, car le Chancelier autrichien ne lui est pas autrement sympathique.
Dans la question du Vorarlberg, nous avons eu quelques indications sur les méthodes de M. Renner: d’abord les avances apparentes aux Vorarlberg eois et les promesses faites par l’intermédiaire de Fink pour éviter une proclamation d’indépendance imminente; ensuite les mouvements de rébellion autonomiste organisés à Salzbourg et au Tyrol pour impressionner les Puissances; enfin nous venons d’avoir connaissance d’un moyen fort efficace auquel M. Renner a recouru, avec plein succès, pour s’assurer le concours des Anglais dans sa politique vorarlbergeoise: il avait exposé que, étant donné le développement que doit prendre la navigation sur le Rhin, le port de Bregenz deviendrait indispensable à l’Autriche pour maintenir ses communications avec la mer du Nord et l’Océan. Vous voyez l’habileté du Chancelier qui sait découvrir, même pour l’Angleterre, des raisons militant en faveur du maintien de l’union du Vorarlberg avec l’Autriche. Les Anglais ont tout de suite vu la possibilité d’un commerce direct par voie fluviale de Londres à la frontière autrichienne.
Le succès obtenu par M. Renner à Paris pour maintenir en vie l’Autriche n’est jusqu’ici que relatif. En effet, M. Allizé lui-même ne prévoit, pour le moment, qu’un secours immédiat destiné surtout à «empêcher les formes irréparables de la catastrophe». Y arrivera-t-on? Il y a des gens qui en doutent et qui prévoient d’ici à quelques semaines un effondrement de tout et les troubles les plus graves engendrés par le désespoir. Mais si souvent déjà des prédictions analogues ont été démenties par les événements que l’on ose être plus optimiste. Les encouragements du bolchevisme hongrois ayant disparu, la sagesse et la patience sans bornes de la population viennoise peuvent une fois de plus développer une force d’inertie suffisante pour résister à des entraînements dangereux. Mais le péril n’en existe pas moins et serait surtout à craindre si des mouvements révolutionnaires se produisaient dans quelque pays voisin.
La représentation française en Autriche préconise des accords économiques avec les pays voisins: la force des choses tend ainsi à rapprocher les pays que l’on croyait rattachés les uns aux autres par le seul lien de la dynastie commune. La représentation britannique voit l’avenir autrichien plutôt en noir, surtout à cause du problème des transports. Elle cherche le seul remède efficace dans la création d’un service centralisé des transports pour tous les pays de l’ancienne doublemonarchie, service qui serait dirigé par l’Entente et aurait son siège à Vienne. Le Président Masaryk aurait été sondé à ce sujet et se serait déclaré d’accord en principe pourvu que le siège de l’organisation fût installé à Prag ue, mais l’Angleterre considérerait Vienne comme bien mieux située comme centre ferroviaire.
De Hongrie, on continue à assurer que la monarchie est inévitable. Le baron Bornemisza, qui part ces jours-ci pour venir représenter officieusement à Berne le Gouvernement de Budapest, dit que les élections vont se faire certainement vers la fin de ce mois et qu’elles seront indubitablement en faveur de la forme monarchique; sur environ 180 mandats, il prévoit que 70 iront aux anciens partis magyars, 70 au nouveau parti des paysans (monarchistes aussi) et 40 aux démocrates et autres qui ne seraient pas tous républicains; les socialistes n’auraient à espérer que quelques mandats à Budapest et dans ses faubourgs industriels. Il est impossible de dire encore qui montera sur le trône. La couronne de St-Etienne – la couronne proprement dite – joue un rôle important en Hongrie et parmi les paysans surtout: est roi celui qui a ceint cette couronne. Le roi Charles est donc pour beaucoup le seul roi possible. Il est probable que la nouvelle assemblée nationale déclarera tout ce qui est survenu depuis la révolution – y compris le régime Carolyi – comme nul et non avenu et reprendra le fil des affaires là où elles en étaient au mois d’octobre 1918 comme si rien n’était survenu depuis lors; le roi Charles ne serait pas replacé sur le trône, il serait censé ne l’avoir jamais quitté. Seulement pour éviter les difficultés du moment, Charles IV (IV en Hongrie) ne reprendrait pas possession du pouvoir mais le déléguerait, selon les anciennes formes de tradition en Hongrie lors des absences du roi, à un «Palatin» qui serait l’archiduc Joseph, né et domicilié en Hongrie, très populaire là-bas et dont le père et le grand-père ont déjà revêtu cette charge. Reste à savoir ce que dira l’Entente et si la nouvelle, d’après laquelle elle s’opposerait à la reprise du pouvoir par les Habsbourg aussi bien que par les Hohenzollern, est exacte.
De source non officielle, nous apprenons que la mission française est disposée à favoriser un rapprochement des marchands français et hongrois. Le commerce de Hongrie est presque entièrement dans les mains des juifs. Bien qu’en principe une autorisation soit nécessaire pour obtenir des importations de Hongrie en France, une exception générale a été faite déjà pour le bois, les tuiles, l’ardoise, la chaux, le ciment, le fer et l’acier.
De source privée, nous recevons sur la Hongrie les renseignements suivants: tout le monde est d’accord pour le retour à la monarchie, mais on songe à l’archiduc Frédéric, dont la candidature aurait les plus grandes chances de succès. Les anciens fonctionnaires ont presque partout repris leur place et les quelques socialistes qui restent n’ont aucun succès en dehors de Budapest. Le Gouvernement actuel manque d’hommes d’affaires pratiques et le premier soin du futur Gouvernement monarchique devra consister en un remaniement du Ministère dans ce sens. On ne craint plus une immixtion de l’Entente, car celle-ci a perdu son prestige. La France et l’Angleterre sont bien loin et, quant aux Italiens et aux Serbes, on pourra toujours s’entendre avec eux. Ces derniers sont même des alliés éventuels contre les Roumains auxquels va toute la haine du peuple hongrois.
Loin de redouter l’Autriche et l’Allemagne, on espère au contraire un appui secret de ces Puissances. La politique hongroise et la sympathie du peuple tendent toujours plus vers l’Allemagne, ce qui n’est pas désagréable à l’Italie. Et les Tchèques, nous dit notre interlocuteur, ont trop à craindre de leurs difficultés intérieures pour oser entreprendre quoi que ce soit contre la Hongrie. [...]5
La situation des Allemands en Italie est des plus singulières: depuis des semaines ils arrivent en masse. L’un après l’autre, les hauts fonctionnaires, qui se trouvaient à la tête des établissements allemands à Rom e, reprennent leur poste. Le Gouvernement italien favorise activement la reprise des affaires avec l’Allemagne. La presse ne contient plus d’articles hostiles à l’Allemagne, et les Allemands qui rentrent à Rome peuvent avoir l’impression que rien ne s’est passé dans ces quatre années. Cela ne veut pas dire que l’on va leur rendre tous leurs biens. En particulier, la précieuse bibliothèque de l’Institut archéologique allemand menace d’être longtemps encore, entre les deux gouvernements, un sujet de discorde. Mais certainement l’Italie, parmi les pays de l’Entente, est celui où la paix des esprits se fera le plus vite.
Autrefois, les éléments soi-disant avancés étaient pour la France par hostilité contre les grands Empires conservateurs; maintenant, la France étant le boulevard du conservatisme bourgeois, n’a plus du tout le même ascendant sur ces éléments d’extrême gauche. Les catholiques restent hostiles à la France par tradition et les socialistes par politique. D’autre part, l’empressement du Gouvernement italien à faire connaître à l’Allemagne, par l’entremise du Gouvernement fédéral, la désignation de son représentant à Berlin, dès que la paix sera ratifiée, est un fait significatif.
L’Allemagne et ses partisans en Italie bénéficient en ce moment de la mauvaise humeur générale provoquée par le récent discours de M. Clemenceau et par les nouvelles de l’étranger concernant la solution internationale de la question de Fiume. [...]6
- 1
- Rapport politique (Copie): E 2001 (D)c 1/1920-1923.↩
- 2
- Cf. no 180.↩
- 3
- Cf. no 211.↩
- 4
- A ce sujet, on lit dans le procès-verbal de la séance du Conseil fédéral du 9 janvier: En date du 31 octobre, le Chancelier Renner a adressé au Ministre de Suisse à Vienne une lettre pour demander au Gouvernement fédéral de reconnaître officiellement la République d’Autriche.[cf. no 136], Bien que le Traité de Saint-Germain ne soit pas encore ratifié et que l’existence de la nouvelle République ne paraisse pas assurée, dans sa forme actuelle, la Suède, la Norvège, le Danemark, les Pays-Bas, l’Espagne et la République Argentine, ainsi que le Saint-Siège ont reconnu la nouvelle République d’Autriche. Dans ces circonstances, et d’après la proposition du Département politique, il est décidé: de charger le Ministre de Suisse à Vienne de notifier la reconnaissance officielle de la République d’Autriche par le Conseil fédéral. Il serait ajouté qu’à cette occasion, le Conseil fédéral fait des vœux pour la prospérité de l’Autriche et le développement des relations amicales entre les deux pays. (E 1004 1/274 no79).↩
- 5
- Ensuite, le Ministre Lardy parle des élections en France, de la situation en Allemagne et de la réaction française aux événements de Fiume.↩
- 6
- Suivent des passages sur l’Espagne et la Yougoslavie.↩
Tags
Austria-Hungary (General) The Vorarlberg question (1919) Questions concerning the Accession to International Organizations