Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
13. France
13.2. Neutralité de la Savoie
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 4, doc. 22
volume linkBern 1994
more… |▼▶Repository
Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2#1000/44#1644* | |
Old classification | CH-BAR E 2(-)1000/44 271 | |
Dossier title | Die Neutralitätsfrage Nordsavoyens von 1888 bis zum Ausbruch des 1. Weltkrieges (1888–1913) | |
File reference archive | B.137.1 |
dodis.ch/42432
Hier soir, j’ai eu l’occasion de passer quelques heures en petit comité avec MM. de Freycinet et Ribot. Ce dernier m’a dit qu’il avait regretté de ne pas avoir eu ma visite mercredi à la réception ordinaire du corps diplomatique (je n’avais rien à lui dire et m’étais abstenu, sachant d’ailleurs devoir dîner avec lui le lendemain parce qu’il y avait quelques points dont il désirait m’entretenir. M. Ribot m’a parlé d’abord du bill Mac Kinley et du Simplon au sujet desquels Vous recevrez des rapports séparés, puis a ajouté: «Je désirais aussi vous parler du Chablais et du Faucigny. La question a une grande importance pour notre défense nationale». J’ai répondu dans l’esprit et à peu près exactement dans les termes de Votre télégramme du 13 février de cette année2 en ajoutant que j’avais lieu de croire les Italiens extrêmement en éveil de ce côté, en sorte qu’il était, à mon avis personnel, peu opportun ou tout au moins délicat de traiter ce sujet entre nous à l’heure actuelle. Le lieu ne se prêtait pas à une conversation plus détaillée et j’ai d’ailleurs fait dévier la conversation. Il est possible que M. Ribot revienne à la charge; ce qui me le fait supposer c’est, d’une part, l’article la Revue des Deux-Mondes du 15 mars sur la neutralité de la Suisse vis-à-vis de l’alliance italo-allemande, article dont ni M. Ribot, ni M.de Freycinet, ni le Général Haillot, chef de l’Etat-major, etc. etc. ne veulent connaître l’auteur et qui pourrait bien être un ballon d’essai (voir pages 300 à 302); c’est ensuite la circonstance que M. Ribot a été rapporteur des crédits extraordinaires de la guerre dans les dernières années et, comme je Vous l’écrivais le 7 novembre 1888, «a voulu obtenir et a obtenu un coup d’œil d’ensemble sur toute la situation militaire.» M. Ribot ajoutait à cette époque: «Nous allons être obligés de fortifier non seulement Albertville, ce qui est à peu près fait, mais les positions et les cols en avant de cette place; nous devrons fortifier aussi les passages conduisant de la Tarantaise dans la Maurienne et la Maurienne elle-même, puisqu’il est entendu que la HteSavoie est laissée de côté. L’Italie est plus redoutable qu’on ne semble disposé à l’admettre etc...» 11 y a aussi lieu de mentionner le fait que M. Logordan est devenu le Directeur du cabinet de M. Ribot et j’ai l’impression que MM. Charmes et Logordan sont les auteurs de la dépêche dont M. Arago vous a entretenu en septembre 1887 de la part de M. Flourens peu de jours avant l’Exposition fédérale d’agriculture à Neuchâtel.3 Il y a ensuite la circonstance que M. Ribot est le parent très rapproché du Général Haillot, chef de l’Etat-major général; c’est même chez M. Ribot que j’ai fait la connaissance de cet officier (voir rapport du 7 avril 1889).4 II y a enfin la reprise des pourparlers italo-suisses pour le percement du Simplon dont parlent les journaux. Sans insister sur la tentative avortée de M. Spuller le 10 février dernier5, je ne puis m’empêcher de me demander si les Français, nous sentant préoccupés et justement préoccupés de la situation faite à la Suisse par l’alliance italo-allemande, cherchent à nous lier à leur cause ou à nous pousser à faire à l’endroit de la Savoie neutralisée des promesses d’occupation effective pour pouvoir, si quelque incident d’exécution ou quelque retard survenait, dire que nous ne tenons pas nos engagements et que les troupes françaises restent en Savoie. Je puis me tromper, mais je crois que les présomptions sont cependant en faveur de cette appréhension, puisque M. Ribot revient à la charge après M. Spuller.
J’ajouterai que M. de Freycinet m’a pris à part hier soir pour me parler du Colonel Keller, notre nouveau chef d’Etat-major général, dont je n’ai pas manqué de lui dire le plus grand bien parce que je pense ce bien. M. de Freycinet a eu l’air d’insinuer que M. Keller était avant tout un technicien, un parfait chef d’Etat-major connaissant merveilleusement sa géographie militaire, ses routes et ressources de transport, mais n’était pas un généralissime comme le Colonel Pfyffer. Il m’a demandé si ce généralissime futur était désigné in petto et il a insisté à deux reprises sur le fait qu’il ne fallait pas redouter de songer aux jeunes. Il a dit ensuite qu’à la suite de son entretien de l’automne dernier avec le Colonel Pfyffer, il avait massé en face de Mulhouse un nombre d’hommes beaucoup plus considérable que précédemment, de façon à pouvoir mettre «beaucoup de monde» entre l’Allemagne et nous. Il se déclare en mesure d’affirmer qu’il aura tant de troupes dans cette région que l’Allemagne aura pour longtemps du fil à retordre, en sorte que la Suisse peut en toute sécurité tourner ses forces du côté du midi; le plus vif désir de la France serait de voir l’armée suisse prendre une courageuse offensive contre l’Italie, occuper Milan pendant la mobilisation italienne, et infliger à l’armée du roi Humbert un échec moral que l’action des 150000 hommes du Général Berge, «le plus entreprenant des généraux français» transformerait bientôt en défaite dans le Piémont. M. le Ministre de la Guerre a terminé en insistant, comme minimum indispensable selon lui pour assurer la situation franco-italo-suisse, sur l’importance extrême que la France ajoute à nous voir fortifier St-Maurice et la route du St-Bernard; il appelle de tous ses vœux des travaux sur cette ligne et considère que les positions y sont assez formidables naturellement pour que la dépense soit relativement modeste. M. de Freycinet a aussitôt pris congé du maître de la maison et s’est retiré après cette seule conversation. Faut-il y voir une connexité avec les paroles de M. Ribot relatives à la zone neutre de Savoie?
Si nous étions à la veille de complications européennes, je considérerais cette coïncidence comme grave; je me dirais peut-être que la France, voulant profiter du désarroi créé par la retraite du Prince Bismarck et du manque d’expérience politique de ses successeurs comme aussi du mouvement socialiste en Allemagne, médite la revanche. Mais tout, absolument tout ce que j’apprends concorde à démontrer que la Russie ne veut pas la guerre en ce moment et je ne puis considérer la France comme assez folle pour l’entreprendre seule. Je dois dire cependant que le même personnage duquel j’avais appris le 17 octobre dernier le résultat de pacifique détente de l’entrevue de Berlin entre les Empereurs d’Allemagne et de Russie a traversé Paris il y a peu de jours et a dit, confirmant ainsi les rapports de M. Roth, que cette impression n’avait pas laissé de suites durables et qu’en particulier l’Empereur GuillaumeII avait, il y a six semaines environ, omis de persévérer dans la politique traditionnelle de M. de Bismarck de se désintéresser des affaires de Bulgarie ou de laisser la main plus ou moins libre à la Russie dans les affaires bulgares; en d’autres termes, l’Empereur Guillaume II a laissé au contraire la main libre à l’Autriche en Bulgarie sans faire la moindre réserve; on n’a pas voulu me dire de quoi il s’agissait au juste; on a même paru regretter d’en avoir trop dit et on m’a fait promettre de ne rien écrire à ce sujet; je Vous prie donc de regarder ce détail comme rigoureusement personnel. Je suppose qu’il y a quelque connexité entre cette affaire et l’attitude du cabinet britannique (traité de commerce anglo-bulgare). Il est possible que M. Laboulaye (voir rapport du 8 avril) ait fait allusion à ces faits lorsqu’il a parlé de la force de volonté du Czar, qui a su «vaincre jusqu’à son amour-propre dans l’affaire de Bulgarie». Il y a donc eu, semble-t-il, dans les dernières semaines, des motifs de tension entre la Russie et l’Allemagne, et le même personnage qui, en octobre dernier, voyait une grande garantie des rapprochements entre ces deux Etats dans le fait de l’invitation de Guillaume II aux grandes manœuvres russes de 1890, m’assure aujourd’hui avoir la conviction que cette visite en Russie n’aura pas lieu. Malgré cela, malgré cette tension, la Russie reste pacifique; donc, à mon avis, la France restera pacifique. D’où il suit, pour en revenir à l’affaire de Savoie, que si les impressions reçues par vous de Berlin et de Rome continuent à représenter cette affaire comme un point sensible, nous avons le devoir de ne pas la traiter actuellement avec la France. Quelles que soient mes relations amicales avec le chef actuel du Ministère français des Affaires étrangères, et quelques facilités qui puissent résulter de ces relations personnelles pour la tractation d’une affaire délicate, je pense que nous avons un intérêt sérieux à ne pas lier, en pleine paix, des détails destinés à être modifiés par les circonstances d’un moment absolument incertain et d’une époque peut-être fort éloignée. Je pense aussi qu’il y a là une question de confiance; si, à Paris, on considère la Suisse comme résolue à faire fidèlement et honnêtement son devoir d’Etat neutre, les détails s’arrangeront toujours facilement; si on nous croit capables de manquer à notre tradition et à notre politique séculaire, on serait naïf de croire à des engagements de détail que nous ne pouvons d’ailleurs pas plus prendre pour la Savoie neutralisée qu’envers telle ou telle partie du territoire de la Suisse proprement dite.6
Avant de me répondre, je Vous serais néanmoins obligé de relire Votre lettre du 15 juin 1889 écrite au moment où l’affaire Wohlgemuth et dans laquelle Vous exprimiez des vues différentes. Un de mes collaborateurs M. DuPasquier, ira Vous voir demain et attendre, pour rentrer à Paris, Vos instructions; je serais heureux d’avoir une réponse avant l’audience ordinaire de M. Ribot mercredi; M. DuPasquier est jusqu’à dimanche soir en séjour chez sa mère, Grande Rochette, à Neuchâtel.
Tags
Free zones of Haute-Savoie and Pays de Gex