Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 1, doc. 450
volume linkBern 1990
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#1104* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 473 | |
Dossier title | Turin, Politische Berichte und Briefe, Band 3 (1862–1862) |
dodis.ch/41449
Mon cher Staempfli,
Je crois, comme je vous le dis dans ma dépêche de ce jour2, expédiée directement à Berne, que des influences secondaires, peu favorables à la Suisse, cherchent à retarder le règlement définitif des pensions napolitaines. Je sais, entre autres qu’il a été répondu brusquement à des particuliers qui intercédaient en faveur de nos compatriotes: «Nous avons du temps, encore, avant de nous occuper de ces étrangers.» Mais ces petites hostilités ne me semblent pas assez sérieuses pour expliquer le retard inouï apporté à nous rendre justice. Il faut, je le crois, chercher plus haut.
Je crains que ces délais inexplicables ne proviennent de l’incertitude où est Rattazzi au sujet de la possession définitive du Royaume de Naples. Bien des indices m’ont conduit à ce soupçon. Je l’ai communiqué au Ministre d’Angleterre3 qui, depuis mon arrivée à Turin, n’a pas cessé de me témoigner une confiance rare entre diplomates, ainsi que le plus sincère intérêt pour la Suisse.
Après avoir, comme l’on dit, comparé nos notes, Sir James a fini par partager mon sentiment, mes craintes, que longtemps il traita de chimériques. Oui, ce que veut l’Empereur, c’est un Murât, ou son cousin sur le trône de Naples.
François II l’a déclaré nettement à M. de Lavalette, lors des dernières représentations de ce ministre pour l’éloigner de Rome. L’ex-roi a répondu par un refus formel. Il ne cédera qu’à la force.
Moyennant quoi il évacuera Rome, car de ce jour, ce sera le drapeau français qui flottera dans les Deux-Siciles, et dès lors tous les scrupules des cléricaux ne pèseront pas plus qu’une plume dans le bassin de la balance opposé à celui où seront l’honneur et le chauvinisme français. Peut-être même, obtiendra-t-on encore Venise.
On se débat à Turin contre ce marché peu honorable et on voudrait bien obtenir en même temps Rome et Venise, tout en conservant Naples. Seulement, ce n’est là, surtout pour les Piémontais (et le ministre est tout Piémontais) qu’une affaire d’amour-propre. Au fond, le mépris pour les Napolitains a toujours été excessif dans le nord de l’Italie; c’est presque à contrecœur qu’on y a accepté l’annexion des provinces méridionales, et depuis un an, ce mépris s’est tourné en dégoût. Le gouvernement ne se fera donc pas trop tirer l’oreille pour abandonner un pays qui coûte énormément et ne rend rien. Mais il faut auparavant, préparer l’opinion publique à cet acte.
Or, plusieurs indices, certains mots lancés imprudemment, nous font croire que le voyage si prolongé de Victor Emmanuel à Naples, entouré des plus hauts fonctionnaires et de tout le corps diplomatique, sauf la Prusse, est une dernière tentative. Si cette tentative aboutit et qu’on réussisse à réorganiser quelque peu le pays et le parti italien, on attendra encore, dans le statu quo. Sinon, on pourra dire, «nous abandonnons un pays pour lequel nous avons tout fait, et qui ne veut pas de nous.» Reste à savoir ce que ferait Garibaldi.
Tout ce qui se dit des efforts des Français pour empêcher les brigands de passer la frontière romaine, n’est qu’une pure comédie. J’ai vu les pièces officielles constatant que l’Autriche vide les prisons de la Dalmatie, de l’Illyrie et de l’Istrie, et met leurs hôtes à la disposition du prince Petrullo, qui les équipe, les arme et les expédie de Trieste. La Marmora prévenu, ayant empêché leur débarquement sur les côtes de l’Adriatique, ils ont doublé et doublent encore la Sicile, et se rendent à Rome par Civitavecchia.
Or Monsieur Lavalette a dit nettement: «Je ne demande que le commandement pendant quarante-huit heures, de la gendarmerie française qui se trouve à Rome pour arrêter tous les brigands qui infestent le pays! » L’Empereur veut donc bien que Naples ne se tranquillise pas.
Pour donner le change, il a dit, mercredi dernier, à un diplomate étranger (j’ai lu le rapport): «J’étais décidé à faire quelque chose pour l’Italie, à régler la question romaine. Mais, depuis les manifestations de Garibaldi, cela est devenu impossible; tout est ajourné indéfiniment. Les manifestations sont un grand péril pour l’Italie, et par contrecoup pour la France.»
Maintenant, cher ami, vous comprendrez mieux les fins de non recevoir qu’on oppose à nos réclamations. Profondément mesquin en toutes choses, comme l’est malheureusement ce ministère, il veut dépenser le moins possible pour un pays qui peut lui échapper. Il ne veut pas non plus que le nom du Roi figure au bas de décrets garantissant des pensions, que le successeur pourra, lui, ne pas vouloir payer.
Tout au moins, voilà les craintes que j’ai. Je me garderais bien d’affirmer qu’il en soit ainsi, mais j’en ai peur. Il est bien possible que j’arrive malgré cela à obtenir justice, en me fâchant, et en déclarant que si on ne nous paie pas, c’est parce qu’on veut lâcher Naples, et que je le répéterai! Ce sera brutal, j’en conviens, aussi je ne recourrai à ce moyen qu’en cas de nécessité. Mais on attermoira autant que possible.
Durando est fort agréable, et naturellement bienveillant. Mais il est sans influence; c’est Rattazzi seul qui fait tout.
A voir la faiblesse de ce gouvernement, l’impuissance de la monarchie constitutionnelle à rien faire de complet, je me sens toujours moins de confiance dans cette forme politique. L’Angleterre est elle une véritable république aristocratique, voilà pourquoi elle marche. Mais toutes ces monarchies continentales soidisant à l’anglaise, sans tradition, sans noblesse sur qui s’appuyer me semblent de véritables pétaudières.
Ici, la république fait chaque jour de nouveaux convertis et je ne m’en étonne pas. Seulement je n’en dis rien.
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