Jugoslawische Einschätzung der Schweiz und ihrer Neutralität sowie der UNO.
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 16, doc. 93
volume linkZürich/Locarno/Genève 1997
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2802#1967/78#237* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2802(-)1967/78 9 | |
Titre du dossier | Jugoslawien (1946–1956) | |
Référence archives | E. |
dodis.ch/314 Notice interne du Département politique1 NOTICE À L’INTENTION DE MONSIEUR LE CONSEILLER FÉDÉRAL PETITPIERRE
Samedi dernier, j’ai eu un long entretien avec M. Ristić, Ministre de Yougoslavie à Berne. Nous avons fait ensemble un tour d’horizon politique et avons constaté, à cette occasion, une divergence de vue assez profonde entre les points de vue suisse et yougoslave. Je retiens, à toutes fins utiles, quelquesunes des divergences les plus saillantes:
La thèse yougoslave peut être récapitulée comme il suit: La Suisse est un pays qui, par une chance imméritée due à sa situation géographique, a pu échapper à la guerre. La conséquence logique de cet état de choses devrait être pour le Gouvernement suisse de tâcher de mettre tout en œuvre pour aider les pays dévastés et collaborer à la reconstruction du monde entier. Or, la Suisse refuse cette collaboration sous prétexte de sa neutralité, même dans les affaires purement humanitaires (le Don Suisse travaille indépendamment des Nations Unies). L’ONU poursuit des buts essentiellement pacifiques et tend à éliminer toute possibilité d’un conflit armé. La Suisse refuse de collaborer, ce qui équivaut à un isolement volontaire de la communauté des peuples. La Yougoslavie comprend très bien le point de vue suisse pour autant qu’il s’agit d’un conflit armé, mais ne comprend pas la neutralité là où il n’y a pas de conflit. Parler continuellement de la neutralité au peuple suisse équivaut à une propagande contre les Nations Unies, car on pourrait en déduire qu’un conflit armé est imminent et qu’il vaut mieux se servir de l’arme traditionnelle qui a fait ses épreuves pendant deux guerres que de prêter son concours aux Nations Unies dont la décomposition semble être uniquement une question de temps.
2. La neutralité suisse3.
A l’avis de M. Ristić, on ne peut parler de neutralité que lorsqu’un conflit militaire éclate. Si l’on parle de neutralité dans des moments où il n’y a pas de conflit armé, il faut avoir une attitude politique générale qui exclue toute équivoque. Or, la Suisse, tout en se considérant neutre, a permis à M. Churchill de prononcer sur son territoire un discours extrêmement inopportun4 qui provoquera sans aucun doute des réactions du côté de l’URSS et de la France. Ceci n’a pas empêché le peuple suisse de recevoir avec enthousiasme l’auteur de ce discours. M. Ristić a fait son rapport à Belgrade et il est convaincu que son gouvernement considérera le fait signalé comme une tendance de la politique suisse à se départir de sa politique de neutralité et de s’associer, pour le moment inofficiellement et légèrement, au bloc occidental. M. Ristić ne croit pas que M. Churchill ait pu prononcer ce discours sans le consentement préalable du Gouvernement britannique. Il est convaincu également que le Gouvernement suisse n’a pas pu avoir de doute à ce sujet. Il a néanmoins permis que ce discours soit prononcé à Zurich5 et diffusé par toutes les stations radiophoniques suisses et étrangères.
La presse suisse également a commencé à propager assez bruyamment le point de vue anglo-américain. Il ne faut pas s’étonner si, à l’est de la ligne de démarcation, on devient quelque peu méfiant et voit dans ces manifestations des signes précurseurs d’une nouvelle politique suisse.
3. M. Ristić constate que les 9/10 èmes de toutes ses démarches auprès du Département politique sont restés sans suite. Il rappelle les problèmes suivants:
a. La surveillance de l’activité politique des émigrants yougoslaves en Suisse: D’après les informations que la Légation de Yougoslavie possède, il s’est formé en Suisse un centre yougoslave antidémocratique qui développe une forte activité tant en Suisse qu’à l’étranger tendant à renverser le gouvernement yougoslave actuel. Ce centre dispose de postes émetteurs et récepteurs, de courriers secrets entre la Suisse, la France et l’Autriche; il distribue un matériel considérable de propagande fasciste. Le Roi Pierre II de Yougoslavie6, qui a passé presque deux mois à St Moritz, est entré en contact étroit avec ce centre et lui a donné des directives pour continuer la lutte. La Police fédérale n’a rien fait et n’a donné aucune suite aux protestations de la Légation yougoslave.
b. Bien que la Légation ait demandé depuis longtemps et à plusieurs reprises le rapatriement des Yougoslaves, militaires et civils7, le Gouvernement suisse et surtout certains cantons catholiques n’y ont prêté aucune attention. La Légation a même constaté une propagande assez sérieuse dans les camps des internés tendant à dissuader ceux des émigrés qui ont exprimé le désir de rentrer dans leur pays.
c. La Légation a signalé plusieurs cas de criminels de guerre qui se trouvent sur territoire suisse. Le Département politique a, dans chaque cas, répondu qu’il ignorait la présence de ces criminels de guerre en Suisse. M. Ristić a l’impression que la police suisse, ayant retrouvé ces criminels, les faisait passer clandestinement la frontière suisse pour pouvoir dire au Gouvernement yougoslave qu’ils n’étaient pas présents8.
d. Le Gouvernement yougoslave ayant décrété que tous les internés militaires et civils devraient retourner en Yougoslavie et qu’en cas de refus, ils perdraient la nationalité yougoslave, la Légation a demandé aux Autorités fédérales de lui fournir une liste complète des réfugiés yougoslaves pour être en mesure d’aviser, par lettre recommandée, chacun des intéressés9. Cependant, le Département politique vient de refuser la liste en question.
e. Une fois seulement, M. Ristić a pu enregistrer un succès. Ce fut lorsque M. le Ministre Stucki est venu à la Légation pour exprimer les regrets du Gouvernement fédéral pour l’assassinat d’un interné yougoslave par le commandant du camp10. En même temps, il a remis un chèque de frs s. 20’000.–. Lorsque, plus tard, le Gouvernement yougoslave a demandé que le montant de l’indemnité soit augmenté en faveur de la mère de l’assassiné, le Gouvernement suisse le refusa. Pour comble, le Tribunal de Genève, saisi de l’affaire, vient de prononcer une peine extrêmement légère: une année de prison avec sursis.
f. Plusieurs journaux catholiques, parmi lesquels les «NeueZürcher Nachrichten», ont publié un entrefilet accusant la Légation de Yougoslavie d’entretenir en Suisse des agents de la «OZNA» (Guépéou yougoslave)11. Le Département politique, saisi de cette affaire par M. Ristić, avait promis de demander des explications à la rédaction du journal et de faire démentir la nouvelle lancée à la légère. Bien que plus de 15 jours se soient écoulés depuis lors, M. Ristić n’a pas encore vu ce démenti. Il demande un démenti formel, en bonne et due forme, signé par le Département fédéral de Justice et Police, puisque ce Département a été expressément indiqué par le journal dont il s’agit comme ayant en mains les preuves de l’activité de l’OZNA.
Les insinuations de M. Ristić me paraissent suffisamment sérieuses pour qu’il vaille la peine de les voir de près. J’ai fait convoquer, à cette fin, une conférence interne et je demanderai la réunion d’une conférence interdépartementale (Politique, Division de Police, Ministère public) au début de la semaine prochaine12. Après cette conférence seulement, je pourrais proposer la ligne de conduite à suivre dans nos relations avec la Yougoslavie.
- 1
- E 2802/1967/78/9. Paraphe: YG. Cette notice est rédigée par A. Zehnder.↩
- 3
- Cf. table méthodique du présent volume: Doctrine officielle de la neutralité.↩
- 4
- Au sujet du discours de W. Churchill prononcé le 19 septembre 1946 à Zurich, cf. E 2001 (E) 1/26.Cf. aussi Nos 91 et 92, publiés dans le présent volume et la table méthodique du présent volume: Grande-Bretagne – Relations politiques.↩
- 5
- Remarque de M. Petitpierre en marge: local fermé.↩
- 6
- Au sujet du séjour en Suisse du roi Pierre II, cf. E 2001 (E) 1967/113/384, PVCF No 1671 du 28 juin 1946, E 1004.1 1/470 et No 171 du 21 janvier 1947, E 1004.1 1/477.↩
- 7
- Cf. Bericht über eine Beprechung betreffend Behandlung und Heimschaffung der jugoslawischen Internierten, am 3. August 1945, dodis.ch/1751. Cf. aussi E 2001 (D) 3/312.↩
- 8
- Remarque de M. Petitpierre en marge: preuves.↩
- 10
- Au sujet de la mort du réfugié civil M. Todorović à Bremgarten, cf. E 2001 (D) 3/312.En fait Todorović n’a pas été tué par le commandant du camp, mais par un soldat.↩
- 11
- A ce sujet, cf. E 2001 (E) 1970/217/61.↩
- 12
- Sur cette conférence, cf. la notice d’A. Zehnder à M. Petitpierre du 30 septembre 1946, dodis.ch/1750.↩
Liens avec d'autres documents
http://dodis.ch/314 | complète | http://dodis.ch/1751 |
http://dodis.ch/314 | complète | http://dodis.ch/1750 |
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