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Documents Diplomatiques Suisses, vol. 22, doc. 162
volume linkZürich/Locarno/Genève 2009
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2001E#1976/17#2768* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2001(E)1976/17 444 | |
Titre du dossier | Politische Bewegungen und Zustände (1961–1963) | |
Référence archives | B.73.0 • Composant complémentaire: Frankreich |
dodis.ch/30326 Notice interne du Département politique1 Conversation avec le Ministre des Affaires Etrangères2
1. L’accord tripartite de Moscou 3 , du 25 juillet
«Cet accord ne nous intéresse pas. S’il nous avait intéressés, nous nous serions associés aux pourparlers qui ont mené au paraphe. Nous aurions pu nous prévaloir ainsi du droit de veto que les partenaires se sont réservés. D’ailleurs l’accord peut être mis en cause à tout moment. Chaque partenaire peut s’en retirer ou le contester. Il n’apporte rien de nouveau. C’est une farce. C’est un accord à bien plaire pour celui qui le signe, et il ne peut pas être imposé à ceux qui ne le signent pas.
«Ceci dit, il ne nous rend pas heureux. L’accord est important comme manifestation d’un climat de la recherche d’ententes croissantes entre les Etats-Unis et l’URSS. Le 4 ème paragraphe du préambule dit que les trois chefs de délégation ont discuté la proposition soviétique d’un pacte de non agression entre l’OTAN et le Traité de Varsovie. Les trois gouvernements ont décidé de consulter leurs alliés respectifs sur cette question, «dans l’intention d’arriver à un accord satisfaisant pour tous les participants». Ils ont donc pris un engagement de négocier, dans l’intention d’arriver à la conclusion d’un pacte de non agression.
«Les conséquences de la dernière guerre sont ce qu’elles sont en ce qui concerne l’Europe satellisée et, en particulier, l’Allemagne divisée et Berlin. Du côté français, on a toujours été de l’avis que l’état de choses ne doit pas être officiellement reconnu et légitimé. Nous savons qu’on ne peut le changer que par la force; il n’est pas souhaitable d’utiliser la force dans le présent. Il faut donc vivre avec cet état de choses sans le considérer comme légitime, surtout en ce qui concerne l’Allemagne, en hommage aussi au principe de l’auto détermination des Allemands.
«La politique russe a toujours consisté à consacrer comme un état de choses légal, reconnu par les Puissances occidentales et garanti par elles, la situation de l’Europe satellisée, la division de l’Allemagne et Berlin. Il est clair qu’on ne peut pas entrer dans cette voie. Ce serait bafouer nos principes démocratiques sur la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes. Les Puissances occidentales ne peuvent reconnaître et légitimer ce qui a été acquis par la force et contre le vouloir des populations intéressées, et ce qui ne pourra jamais satisfaire les Allemands.
«Il ne faut donc entrer dans aucune négociation qui puisse marquer l’intéressement occidental à une reconnaissance du statu quo. On ne peut que le subir, comme un statut imposé et précaire. Or les Russes veulent mener les Américains et les Anglais vers la reconnaissance légale de ce qui est, et consolider ainsi à jamais le statu quo comme un arrangement définitif et légitime pour l’Europe. Cette tendance, il faut au contraire la repousser d’emblée. C’est ce que les Anglo-Saxons n’ont pas fait à Moscou. La Conférence de Moscou n’est d’ailleurs que la suite d’autres contacts et plans antérieurs entre Anglo-Saxons et Russes.
«La tendance se dégage de continuer à négocier après l’accord tripartite sur les tests nucléaires, d’abord un pacte de non agression, ensuite la prévention de la guerre par surprise, la zone partiellement dénucléarisée des deux côtés de l’Elbe, sans parler de la ligne de téléphone directe Washington-Moscou. Cette tendance place d’abord les Allemands dans une situation difficile. Leur sort, leur avenir, leur sécurité sont engagés dans cette affaire.
«Que vont-ils faire, compte tenu de leur désir de ne pas déplaire à l’Amérique, dans laquelle ils voient leur meilleur gage de sécurité et de défense? Elle heurte désormais ouvertement les principes sacro-saints de la politique allemande. Le Chancelier Adenauer quittera le pouvoir le 8 octobre; que se passera-t-il ensuite?
«Nous nous opposons à cette ligne de négociations. Nous défendons ainsi leurs vrais intérêts. L’Allemagne est une puissance économiquement et militairement toujours plus importante, qui est pour tout le monde un point d’interrogation. Nous essayons de la contrôler, de l’entourer politiquement par le Marché commun et par la coopération politique des Six. C’est la meilleure manière d’exercer sur elle une sorte de tutelle amicale dans l’intérêt général. Cette troisième force, que nous préparons, est le meilleur moyen d’aider et de surveiller l’Allemagne, dans l’intérêt général et dans le sien. Il sera intéressant de voir désormais quelle voie choisiront les Allemands entre les solutions américaines, dures à avaler pour eux, et la ligne de résistance à la Russie et d’intégration dans l’Europe, que nous leur offrons.
2. L’Angleterre et le Marché commun
«Nous étions opposés aux contacts entre le Royaume-Uni et le Marché commun. Pour des raisons politiques, nous avons fini par accepter le compromis consistant en des contacts via l’UEO4. Ceux-ci ne sont, à notre avis, qu’une farce. Il n’est pas question de poser à nouveau, au sein de l’UEO, la réouverture des négociations pour l’adhésion du Royaume-Uni. Si tel était le cas, nous opposerions notre veto.»
Je demande si la question de contacts semblables entre le Marché commun et les autres pays de l’AELE est posée.
Le Ministre répond que la France avait proposé qu’il y eût un agent du Marché commun à Genève, en contact avec le Secrétaire général de l’AELE, et inversément. «Les Anglais s’y sont opposés, parce qu’ils veulent surtout maintenir ouverte leur propre négociation avec les Six, pour des motifs politiques. Ils veulent saper les Six par l’intérieur. La question de contacts avec d’autres pays de l’AELE, dans le cadre de l’UEO, ne se pose pas pour la France. D’après l’arrangement UEO, on s’y borne à s’expliquer réciproquement des voies qu’on prend de part et d’autre dans sa politique économique. C’est un compromis diplomatique. Il ne répond pas à un besoin. Tout le monde sait quelle est la politique économique du voisin, elle n’a rien de secret. Des contacts entre le Danemark et les Six, à l’UEO, dans ce cadre, ne sont pas nécessaires. Les autres pays de l’AELE connaissent la politique économique suivie au Marché commun, et inversément. Si on a besoin d’informations supplémentaires, il y a la voie diplomatique normale. L’Angleterre a toujours cherché à torpiller le Marché commun, d’abord de l’extérieur. Elle a cherché ensuite à le torpiller par l’intérieur, en demandant son adhésion, dans l’idée d’arriver successivement à la zone de libre échange atlantique que souhaitent les Etats-Unis. On sape par là la base économique commune des Six, fondement nécessaire de l’Europe politique.
«Il faudra faire quelque chose pour l’Autriche, mais on ne sait encore quoi. Les Autrichiens, pour des raisons de politique intérieure, ne savent pas ce qu’ils veulent. Un arrangement compréhensif avec l’Autriche comportera sa sortie de l’AELE. Au sein des Six, l’Allemagne seule s’intéresse à l’association de l’Autriche: il s’agirait d’un ‹Anschluss économique›. Nous Français ne pouvons pas y être très favorables.
«Vous Suisses êtes raisonnables. Vous avez compris que vos alarmes étaient excessives et injustifiées. La discrimination du Marché commun n’est pas une catastrophe pour votre économie. Vos exportations vers le Marché commun ont augmenté. Vous prenez une vue plus sereine des choses.»
J’observe alors, de mon côté, que nous ne renonçons pas à un arrangement avec le Marché commun. Nous estimons que le moment n’est pas propice pour mettre ce problème, à l’heure présente, sur le tapis. Mais nous ne renonçons aucunement à l’idée d’une association qui est dans la nature des choses.
Couve approuve, en disant qu’il y a des problèmes posés. Le Danemark, par exemple, se trouve devant des problèmes évidents d’exportations agricoles, qui demandent un règlement. Tout cela devra être revu à son heure. Il reconnaît qu’il existe un problème des petits pays de l’AELE. Sa déclaration sur ce point semble plutôt de la nature des apaisements diplomatiques habituels et dilatoires.
«On a prédit, après le 14 janvier6, la fin de l’entreprise du Marché commun. Nous avons franchi l’étape du 1er juillet, nouvel abattement des tarifs intérieurs (4% de ce qu’ils étaient en 1958). La politique agricole commune, qui semblait presque impossible à atteindre, est en vue, même en ce qui concerne les problèmes les plus difficiles: les céréales et leur futur prix européen. Le choc du 14 janvier n’a pas empêché de franchir depuis, et récemment, des étapes délicates et importantes. Le Marché commun, continue.
«Une conception commune existe pour le Kennedy Round. Nous participerons à cette négociation, avec un front commun. Nous défendons d’ailleurs les intérêts de tout le monde, y compris la Suisse, en nous efforçant d’ouvrir des voies à l’exportation européenne vers l’Amérique. On dit que la France est la source de toutes difficultés. Les Américains surtout le disent. Nous ne demandons que des concessions égales de part et d’autres, du côté de l’Amérique aussi, avant d’aboutir au Kennedy Round. C’est une position équitable et d’intérêt général.
4. Le dollar
«Le problème le plus important actuellement est le dollar. Les mesures prises par les Américains ressemblent beaucoup à un début de ‹Devisen-Bewirtschaftung›. Ils ne semblent pas être conscients de l’étendue des mesures plus incisives qu’ils pourront être amenés dans l’avenir à prendre. Il devrait y avoir plus de contact entre la France et la Suisse sur ce problème important. Il faudra s’habituer à vivre dans un monde où il n’y aura plus de ‹devise de réserve›, de ‹devise pour les règlements internationaux›, comme l’était le dollar. Une telle devise n’est pas nécessaire à la vie économique internationale. L’or suffit à ce rôle.»
Pour conclure le Ministre se félicite de constater qu’il n’y a aucun problème bilatéral entre la France et la Suisse. Il y en a eu un quand la Suisse pensait que la France était à l’origine d’une discrimination tarifaire, dont elle serait la victime. L’expérience a montré que les dégâts ne sont pas grands, au contraire, et que la construction d’une Europe politique a un sens. Les Suisses l’ont compris. Il a loué ensuite l’attitude raisonnable de notre presse.
Il passera ses vacances, comme d’habitude, début août, à Crans-sur-Sierre.
- 1
- E 2001(E)1976/17/444. Cette notice est annexée à la lettre confidentielle de A. Soldati à F. T. Wahlen du 26 juillet 1963, non reproduite.↩
- 3
- Sur cet accord entre les Etats-Unis d’Amérique, le Royaume-Uni et l’Union soviétique sur l’arrêt partiel des essais nucléaires, cf. DDS, vol. 22, doc. 142, note 5.↩
- 5
- Sur cette négociation sur la libération du commerce mondial, cf. DDS, vol. 22, doc. 112, doc. 142 et doc. 179.↩
- 6
- Allusion à la conférence de presse tenue par Ch. de Gaulle au sujet de l’adhésion de la Grande-Bretagne au Marché commun. Cf. DDS, vol. 22, doc. 123, note 2.↩
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