Abgedruckt in
Diplomatische Dokumente der Schweiz, Bd. 20, Dok. 88
volume linkZürich/Locarno/Genève 2004
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Archiv | Schweizerisches Bundesarchiv, Bern | |
▼ ▶ Signatur | CH-BAR#E2300#1000/716#795* | |
Alte Signatur | CH-BAR E 2300(-)1000/716 352 | |
Dossiertitel | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 110 (1956–1956) |
dodis.ch/12018
La guerre des sept jours
C’est le 30 octobre que l’ultimatum franco-britannique à Tel-Aviv et au Caire a été connu à Paris, prenant totalement au dépourvu les milieux politiques français et l’opinion publique2.
Ceux-ci reprochaient depuis des mois au Gouvernement son impuissance et son inaction. Le public pense toujours que tant qu’on n’aura pas infligé une leçon au dictateur égyptien3, on ne pourra pas rassurer la population musulmane d’Algérie au point qu’elle sorte de sa neutralité, ou même de sa terreur, qu’entretiennent chez elle des agitateurs.
Les milieux politiques et l’opinion se sont donc réjouis de cette manifestation de courage et de décision. Ils étaient émerveillés que, pour une fois, le secret eût été si bien gardé. M. Félix Gaillard, député radical-socialiste, ancien ministre, m’a dit, le 1er novembre, n’avoir été prévenu lui-même, par le Ministre de la Défense nationale, M. Bourgès-Maunoury, à titre amical et sous le sceau du secret, que le 8 octobre, c’est-à-dire à la veille de l’offensive israélienne. Très proche du Ministre de la Défense nationale, M. Gaillard était d’avis qu’au point de vue militaire l’opération en Egypte ne présentait aucune difficulté et qu’il était naïf de s’alarmer.
Dans la nuit du 30 au 31 octobre, l’Assemblée nationale a approuvé, sans discussion, l’expédition en Egypte. Seuls les communistes ont voté contre, tandis qu’une dizaine d’amis de M. Mendès-France s’abstenaient.
Par la suite, les milieux politiques et l’opinion s’impatientaient, constatant que les Israéliens ne rencontraient presque pas de résistance sur leur chemin, alors que l’action franco-anglaise ne se déclenchait pas. On devait apprendre après coup que, d’après l’entente qui a indiscutablement existé entre Tel-Aviv, d’une part, Londres et Paris d’autre part, l’action n’aurait dû être lancée qu’après la réélection du Président Eisenhower. Cela devait permettre aux autorités américaines d’avoir les coudées plus franches.
Or Ben Gourion a placé ses alliés franco-britanniques devant un fait accompli, en déclenchant son offensive 8 jours plus tôt, à savoir à l’instant où les Soviets semblaient avoir des difficultés sérieuses en Hongrie. Le dispositif franco-britannique à Chypre, qui devait effectuer le débarquement sans le secours habituel de l’armée et du matériel américains, n’était pas encore en place. L’opinion s’impatientait. Le Quai d’Orsay aussi, craignant que Israéliens et Egyptiens ne s’entendissent bilatéralement, avant que l’expédition franco-britannique eût pris pied dans la zone du Canal. En fin de semaine, M. Christian Pineau se rendit à Londres, pour presser le Gouvernement britannique de hâter le débarquement.
Dans la journée du 5 novembre encore, M. Maurice Schumann, député MRP, ancien Ministre, était mobilisé et envoyé à Chypre, pour prendre en charge l’émission «La France parle aux Arabes», qui devait désormais faire pendant, à Nicosie, «à la Voix de l’Angleterre».
Le 5 novembre toujours, les parachutistes prenaient pied à l’embouchure du Canal, et un débarquement s’opérait.
Après l’euphorie de la matinée du lundi 5 novembre, le bruit se répandit, en fin d’après-midi (mon rapport No 101 du 5 novembre4), d’un appui diplomatique massif et brutal de l’URSS à l’Egypte. Il s’agissait de la note, au ton direct et menaçant, de M. Boulganine au Président Mollet. Cette manifestation, suivant de près la lourde et cruelle répression en Hongrie, ébranla le courage, jusque-là intact, du Gouvernement français. A partir de ce moment, l’Ambassadeur des Etats-Unis fit plusieurs démarches pressantes auprès du Président du Conseil.
D’après ce qu’on me laisse entendre à la Direction politique5, c’est le Gouvernement britannique qui a fléchi d’abord. Le fléchissement avait commencé à l’Assemblée générale des Nations-Unies, lorsque le délégué du Canada, d’entente avec Londres, avait lancé la proposition d’une force de police internationale, dans l’idée, il est vrai, que les grandes puissances y auraient participé. Le Gouvernement de Londres considérait cette proposition comme une issue honorable à l’expédition en Egypte, les forces franco-britanniques recevant, après coup, une sorte de légitimation juridique, puisqu’elles n’auraient constitué que l’avant-garde d’une brigade internationale, chargée par l’ONU, de l’occupation de la zone du Canal.
Du moment que le Canada, d’entente avec Londres, lançait cette proposition, et que M. Eden y voyait un moyen de sortir des nouvelles difficultés de politique intérieure (ainsi que de mettre fin à un divorce d’ordre idéologique, au sein du pays, comme le Royaume-Uni n’en avait jamais connu en période de crise extérieure), le Gouvernement français ne pouvait plus que suivre, bien qu’à regret, la voie dans laquelle voulait s’engager son allié britannique.
Fiers du débarquement le matin du 5 novembre, très inquiets des répercussions internationales dans la soirée, préparés au pire malheur dans la matinée du 6, les Français ont appris dans la soirée de ce même jour, avec soulagement, mais aussi avec un certain dépit, que l’action si brillamment amorcée sur le Canal, était tronquée.
Ainsi que me le confirmait il y a un instant M. Daridan, Directeur politique au Quai d’Orsay, le cessez-le-feu, que tout le monde enregistre actuellement avec satisfaction, repose sur une série de malentendus majeurs. L’Angleterre ne l’a accepté qu’à condition qu’Israël évacue la totalité du territoire occupé. L’Egypte ne l’a accepté qu’à condition que toutes les troupes étrangères quittent les zones d’opération. La France imagine que la police d’ordre des Nations Unies exercera un contrôle permanent et efficace et ne s’avérera pas trop docile à l’égard du dictateur égyptien; ce qui pourrait ne pas être la tendance de la majorité de l’Assemblée générale des Nations Unies. M. Pineau a posé comme condition que le Conseil de Sécurité, à l’échelon des ministres, règle, la semaine prochaine, de manière définitive, «l’ensemble des problèmes» du Proche-Orient, (y compris le statut des «pipes-lines», l’avenir de la Jordanie, etc.).
Il est clair que la trève n’est intervenue, en réalité, que sur la base des pressions soviétique et américaine à Londres, ainsi que sur l’intervention pressante du Chancelier Adenauer, en visite à Paris, et enfin de M. Spaak. Mais le cessez-le-feu ne repose sur aucune entente, ou même début d’entente, quant aux problèmes qu’on voulait trancher par les armes. La crise du Proche-Orient est suspendue, mais elle n’est nullement résolue.
Comme je le disais dans mon rapport précédent (page 2, No 1016), le Quai d’Orsay s’attendait «sous une forme indirecte, à une intervention soviétique» massive, à une aide militaire, pour appuyer l’Egypte, éventuellement par la Syrie, où l’on pouvait craindre des troubles sérieux. On considère ce pays comme, peut-être, prédestiné à devenir un jour la première démocratie populaire du Proche-Orient. Elle passe pour être beaucoup plus minée par la propagande soviétique que l’Egypte.
En tout état de cause, le Président Guy Mollet et le Quai d’Orsay n’ont jamais cru à une intervention militaire directe de l’URSS, quel que pût être le cours des événements en Egypte. Il était clair, en effet, que sitôt passé le cap des élections américaines, malgré l’esprit passionnément panarabe du State Department, les Etats-Unis d’Amérique auraient calqué leur appui aux francobritanniques (en dépit de toute autre considération) sur celui de l’URSS à l’Egypte. Un concours malheureux de circonstances a rendu, ainsi, plus efficace le bluff soviétique. Mais même sans celui-ci, la situation du Gouvernement Eden, face au parlement britannique, et à l’opinion, n’aurait jamais permis de prolonger l’expérience militaire, qui s’avérait cependant comme techniquement favorable.
On n’en tire pas moins les conséquences fâcheuses suivantes:
1. Vis-à-vis de l’opinion mondiale, il aura suffi que M. Boulganine lève le petit doigt pour que la France et le Royaume-Uni arrêtent une opération militaire de grande envergure, préparée depuis trois mois, et mise en action depuis 24 heures.
2. D’après des renseignements qui parviennent d’Europecentrale, et même d’Allemagne occidentale, on ne pourra jamais ôter de la tête des vrais démocrates, dans les pays satellites, que l’Occident a laissé tomber la Hongrie aux abois, pour suivre des intérêts capitalistes à Suez. Pire que cela, les meilleures têtes dans les démocraties populaires sont persuadées qu’on a agi délibérément au moment, le seul, où le rideau de fer avait une chance quelconque d’être définitivement levé, pour poursuivre des buts égoïstes et intéressés dans le Proche-Orient, laissant les insurgés hongrois «occuper et retenir» les forces soviétiques.
3. On constate que l’ONU se contente de voir la surface des problèmes, sous leur aspect le plus formaliste. On était parti de l’idée que l’Organisation internationale grouperait des Etats respectueux des droits de l’homme, dont le régime intérieur serait conforme aux valeurs proclamées par la Charte. En fait, quand des massacres sont perpétrés dans des pays extra-européens, personne ne proteste. A l’intérieur, comme à l’extérieur de ses frontières, l’Union soviétique règne à son gré, déporte des populations entières, sans que les «grandes consciences afro-asiatiques» s’émeuvent.
L’ONU reconnaît le droit à l’indépendance de tous les peuples, à l’exclusion de ceux qui se trouvent soumis à Moscou. L’Organisation internationale est donc devenue une «machine de guerre» contre l’Europe (occidentale et orientale), animée par l’Union soviétique, avec l’appui des représentants des pays orientaux, et cela avec le consentement des Etats-Unis et de leur clientèle sud-américaine.
Les Français sont portés, actuellement, à accepter la conclusion résignée que leur suggère Raymond Aron dans ses articles et ses conférences, à savoir que la structure politique du monde a changé depuis la déstalinisation, mais non pas à l’avantage des Occidentaux.
La fin de Staline et l’arrêt de la Guerre froide ont engendré une sorte de gouvernement mondial à Deux: USA et URSS. Connaissant leurs ressources réciproques à engins atomiques à longue portée, ces deux puissances sont bien décidées à ne recourir, en aucun cas, à une guerre comme on l’entendait autrefois. Il ne reste, pour leur action limitée, que des guerres locales, pour lesquelles les USA ne disposent pas des moyens classiques suffisants, susceptibles d’être employés par des corps d’expédition pour des entreprises lointaines. Les conflits naissent donc, sans déclaration de guerre formelle (comme on l’aura vu une fois de plus cette fois-ci). Ils se terminent aussi sans une déclaration de paix (comme en Corée, au Vietnam, vraisemblablement à Suez). L’Europe, principal enjeu de cette lutte de géants, ne peut attendre un avenir meilleur que du réveil progressif de la conscience humaine, du genre de celui auquel on vient d’assister à l’occasion des événements de Hongrie7. Elle devrait tendre ses efforts vers une union plus solide à l’intérieur de ses frontières, et ramener les forces militaires, extra-européennes, vers leurs bases nationales. Inutile de dire qu’un pareil objectif n’est pas pour demain.
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