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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 14, doc. 209
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#E2001D#1000/1554#813* | |
Dossier title | Généralités (1941–1945) | |
File reference archive | E.140 |
dodis.ch/47395Notice de la Division des affaires étrangères du DPF1
[Relations entre la Suisse et la Société des Nations depuis 1939]
L’impossibilité dans laquelle la Société des Nations s’est trouvée, de 1919 à 1939, de faire triompher ses principes et de sauvegarder la paix dans le monde a provoqué, au cours de ces dernières années, une certaine défiance à l’égard de cette institution. Cette défiance s’est d’autant plus accentuée que la Société subissait l’influence croissante d’un groupe déterminé d’États, phénomène résultant d’ailleurs, en partie, de la sortie successive de trois grandes puissances. Il est bon de rappeler, à ce propos, que, de plus en plus consciente de la rupture d’équilibre ainsi provoquée, la Suisse avait obtenu de la Société elle-même la libération de certains engagements qui étaient de nature à compromettre sa neutralité.2
De telles circonstances auraient pu créer, en septembre 1939, un danger considérable pour notre pays, malgré le recouvrement récent de sa neutralité intégrale, si le conflit qui venait alors d’éclater avait fait l’objet de débats au Palais des Nations. Tel ne fut heureusement pas le cas. Par son inaction, due probablement à un certain manque d’unité de vues entre les principaux États membres, manque d’unité auquel on ne se serait guère attendu quelques mois auparavant, la Société se révéla, en fait, assez inoffensive.
Tenue en décembre 1939, la vingtième session de l’Assemblée qui se termina par l’exclusion de l’Union des Républiques soviétiques socialistes, jugée coupable d’agression envers la Finlande, fut la dernière manifestation de cet ordre qui se déroula sur territoire suisse.3 La réunion dont il s’agit avait suscité des craintes qui pouvaient raisonnablement paraître fondées. Le Conseil fédéral, singulièrement le Département politique et la Délégation suisse à Genève veillèrent à maintenir le débat dans un cadre strict.4 Grâce à cette attitude, la session n’eut pas de conséquences fâcheuses pour nos relations extérieures. Notre opinion publique, notre presse, ne comprirent pas toujours, il est vrai, le point de vue du Gouvernement, tel qu’il fut défendu par la Délégation.
Depuis lors, ni l’Assemblée, ni le Conseil ne se sont plus réunis au siège de la Société. Seules quelques commissions (mandats, opium, etc.) y ont déployé une certaine activité jusqu’en mai 1940.
Il convient du reste d’ajouter que, soit le secrétaire général de la Société, M. Avenol, soit ses principaux collaborateurs, MM. Lester et Aghnidès, ont fait avec succès des efforts louables, notamment en décembre 1939, pour éviter que l’activité de la Société n’occasionnât des complications politiques à la Suisse.
Aujourd’hui, la Société, qui, en théorie tout au moins, comprend encore un grand nombre de membres - dont plusieurs pays neutres et même des États, tels que la Finlande ou la Thaïlande, qui sont les alliées de l’Allemagne et du Japon - n’est plus soutenue, en fait, que par la Grande-Bretagne et par quelques-uns de ses alliés, parmi lesquels les Dominions anglo-saxons. Seuls ou presque seuls, ces pays contribuent actuellement aux dépenses de cette institution.
Dans ces conditions, il peut être intéressant d’étudier quelles relations subsistent entre la Société des Nations et le pays qui lui offre l’hospitalité - en l’espèce le nôtre - et de passer brièvement en revue les vestiges de cet organisme international, tels qu’on peut en constater l’existence à Genève. C’est à ces deux objets que sera consacré l’exposé ci-dessous.
Les circonstances auxquelles il est fait allusion plus haut ont incité la Suisse à faire preuve de réserve à l’égard de la Société des Nations. Cette réserve, due surtout au souci de maintenir intacte notre neutralité et dictée principalement par des considérations de nature politique, n’affecte pas la position prise, dès 1919, par le Gouvernement et le peuple suisse à l’égard de l’idéal que la Société a incarné.
C’est pour se conformer à cette attitude que notre pays a cessé, dès et y compris 1941, de verser sa contribution annuelle à la Société.5 Un tel versement n’étant plus actuellement effectué, si l’on en excepte, pour 1941, la France, d’ailleurs démissionnaire, que par les États affiliés au groupe anglo-saxon, tout paiement de la part de la Suisse risquerait, vu le conflit en cours, d’être interprété comme une manifestation favorable à ce groupe. Notre abstention est justifiée aussi par diverses raisons d’ordre juridique ou pratique, dont la moindre n’est pas l’adoption, dans des conditions de régularité douteuses, des budgets de la Société des Nations postérieurs à 1940.
D’un autre côté, une sortie éventuelle de la Société pourrait être considérée, dans le cas de la Suisse, comme un geste susceptible de porter atteinte à notre neutralité, mais, cette fois-ci, dans un sens favorable à l’Axe.6 Aussi constituerait-elle, plus encore que le paiement de nos cotisations, un acte inopportun, dont le Gouvernement fédéral a cru devoir s’abstenir jusqu’à présent.
On peut se demander, d’autre part, si, au cours de l’hiver 1940–1941, un «consilium abeundi» de la part de la Suisse ne fut pas souhaité par certains milieux sociétaires, qui ne voulaient pas que la Société des Nations assumât la responsabilité d’un transfert hors de notre pays et auraient peut-être désiré que celui-ci prît sur lui-même - quitte à subir, de ce fait, une certaine impopularité - de demander l’éloignement du Secrétariat ou, du moins, de ce qui en reste. Fort heureusement, la Suisse s’est abstenue de ce geste, pour les mêmes raisons qui l’ont engagée à ne pas quitter formellement la Société des Nations. Notre pays a d’ailleurs fait plus: il s’est attaché, surtout en 1940 et non sans encourir certains risques, à traiter la Société avec le maximum d’égards et avec une entière correction.
Il n’en reste pas moins que nos relations avec les organismes de la Société des Nations sont actuellement réduites au minimum. En effet, l’activité du Secrétariat est, nous allons le voir, presque totalement suspendue, à l’exception de quelques entreprises techniques qui subsistent, qui ont une certaine valeur, mais qui, pour la plupart, ont leur siège hors de notre territoire.
a) Le Secrétariat
Depuis la démission du secrétaire général, M. Joseph Avenol, survenue en 1940,7 le Secrétariat est dirigé, à titre intérimaire, par M. Sean Lester, secrétaire général adjoint, qui est de nationalité irlandaise. Fortement diminué au cours de ces dernières années, le personnel du Secrétariat comprendrait encore, d’après les listes les plus récentes qui ont été communiquées au Département politique, une centaine de fonctionnaires dont quelque quatre-vingts résideraient en Suisse. Parmi ces derniers figurent un grand nombre d’agents subalternes, dont beaucoup, de nationalité suisse, sont affectés à l’entretien du Palais des Nations. Près de trente autres fonctionnaires se trouveraient à l’étranger, notamment aux États-Unis d’Amérique, où l’Université de Princeton a offert l’hospitalité à certains services du Secrétariat.
Outre la Direction, la Trésorerie, les Services de l’administration intérieure et la Bibliothèque, le Secrétariat ne compte plus que trois départements, désignés sous le nom de «groupes». Deux d’entre eux, les Groupes I et III auraient fusionné au cours de 1941.
Le Groupe I qui s’occupe des affaires générales et à la tête duquel était placé M. Aghnidès, sous-secrétaire général, en congé depuis quelques mois et actuellement Ministre des Affaires étrangères du Gouvernement grec en exil, a été particulièrement affecté par la guerre, car il revêtait un caractère nettement politique. C’est à lui qu’auraient incombé, en d’autres temps, les affaires de désarmement, de minorités et de mandats.
Nous ne mentionnerons que pour mémoire le Groupe II qui a transféré ses services à Princeton et qui traite les questions économiques et financières, ainsi que celles concernant les communications et le transit.
Quant au Groupe III, que dirigeait M. Skylstad, actuellement en congé à Londres, au Service du Gouvernement norvégien en exil, il étudie les problèmes relatifs à l’hygiène et au trafic des stupéfiants, ainsi que les questions sociales et culturelles. Certains de ses services, en particulier ceux qui s’occupent du trafic des stupéfiants, ont été également transférés à Princeton. Le Groupe III publie certains documents intéressants, notamment en matière d’hygiène. Ce domaine particulier est confié à notre compatriote, le Dr. R. Gautier, qui dispose d’un grand nombre de correspondants dans le monde et qui donne périodiquement, sur le mouvement des épidémies, des renseignements de valeur. Bien que n’étant pas membre de la Société des Nations, l’Allemagne, jusqu’il y a peu de temps, les États-Unis et l’Italie coopèrent à cette œuvre et n’ont jamais cessé de fournir des indications.
b) L’Organisation internationale du travail
L’Organisation internationale du travail semble avoir subi à un moindre degré que la Société des Nations proprement dite le désintéressement d’un grand nombre d’États. Certains pays non membres de la Société en font encore partie. En donnant, l’an passé, son préavis de retrait de la Société des Nations, le Gouvernement français, par exemple, s’est réservé «de se prononcer ultérieurement sur la continuation éventuelle de sa participation à l’Organisation internationale du travail et aux institutions de caractère purement technique rattachées à la Société des Nations».
En août 1940, le directeur du Bureau international du travail, qui était alors M. John G. Winant, actuellement ambassadeur des États-Unis à Londres, décida, vu les circonstances, le transfert temporaire de son personnel à Montréal, où l’Université Mac Gill lui offrait l’hospitalité. Un nombre limité d’agents d’exécution devant rester à Genève, le Département politique appela l’attention de M. Winant sur les inconvénients qui résulteraient pour la Suisse, État neutre, de la présence dans notre pays d’un groupe de fonctionnaires dépendant d’un organisme international installé, même provisoirement, au Canada, État belligérant. Aussi exprima-t-il le désir que seul un agent de liaison fût maintenu en Suisse.
Le Bureau international n’a pas pu donner entièrement suite à notre demande, le Gouvernement français s’étant opposé, de son côté, au déplacement, dans un pays en guerre, de quelques-uns de ses ressortissants, fonctionnaires du Bureau. Il a donc maintenu un petit groupe de personnes à son siège de Genève.
Ce petit groupe comprend, à l’heure actuelle, une vingtaine d’agents, auxquels il convient d’ajouter onze fonctionnaires dits «détachés», qui sont en mission dans leurs pays respectifs.
D’après les renseignements que le Département politique possède sur l’activité du Bureau international du travail, celui-ci prétend se consacrer à l’étude de divers problèmes sociaux, ainsi qu’à celle de certains sujets spéciaux relatifs à la guerre ou à l’état de mobilisation militaire ou industrielle dans laquelle se trouvent de nombreux pays.
Le groupe de Genève s’occuperait plus particulièrement de la réunion, à l’intention du Bureau, à Montréal, d’informations de nature sociale et politique sur l’Europe en général et sur la Suisse en particulier, ainsi que de la diffusion, en Suisse et en Europe, des publications du Bureau et des nouvelles intéressant cette institution. Malheureusement, la manière dont ce travail est effectué et l’esprit dans lequel il s’exécute est de nature à causer quelque crainte aux autorités fédérales, soucieuses de la neutralité de notre pays à laquelle certains fonctionnaires du Bureau n’hésiteraient pas, peut-être, à porter atteinte.
Du 27 octobre au 10 novembre 1941, la Conférence internationale du travail a tenu, à New York, sa vingt-septième session. Vu les circonstances politiques du moment, les autorités fédérales se sont abstenues de participer à cette réunion. Bien leur en a pris, d’ailleurs, s’il faut en croire certains échos d’après lesquels la session dont il s’agit aurait présenté une tendance nettement hostile à l’une des parties en cause dans le conflit actuel.
c) Radio-Nations
Installé près de Prangins, le poste de Radio-Nations faisait, jusqu’il y a peu de temps, l’objet d’accords conclus entre le Conseil fédéral et la Radio-Suisse, d’une part, et la Société des Nations, d’autre part.8 Ces accords, qui ont été dénoncés par le Conseil fédéral au terme prévu, selon décision du 23 janvier 1940, sont arrivés à expiration le 2 février 1942. Jusqu’à cette date, la Société s’était abstenue d’exercer son droit de gérer exclusivement Radio-Nations en temps de crise.
Le poste de Radio-Nations vient d’être racheté par la Radio-Suisse au prix de 265 000.– francs suisses. Fixé à l’unanimité par un tribunal arbitral institué par un accord entre la Radio-Suisse et le Secrétariat, ce prix ne dépasse que légèrement la somme de 250 000.– francs offerte par notre société nationale de radiodiffusion. En revanche, il est très inférieur au montant considérable – frs. 1 500 000.–, que le Secrétariat prétendait obtenir pour le rachat des installations.
d) Délégations permanentes et associations internationales
Des quelques trente délégations permanentes auprès des organismes de la Société des Nations qui nous étaient encore annoncées à fin août 1939 et qui réunissaient alors environ quatre-vingts personnes, il ne reste plus, à l’heure actuelle, que quelques derniers vestiges. Seules les Délégations permanentes de la Grèceet de l’Iran ont fait renouveler, par le Département politique, les cartes de légitimation de leurs membres pour le deuxième trimestre de 1942. Cela fait en tout trois personnes.
Quant aux multiples associations internationales qui s’étaient groupées, depuis 1920, autour des organismes de la Société des Nations, elles ne subsistent plus maintenant qu’en petit nombre. Celles qui existent encore, grâce au fait que leurs chefs responsables sont souvent des citoyens suisses, sont les derniers survivants de la vie internationale qui a fleuri à Genève, entre 1919 et 1939. Les plus connues sont l’Alliance universelle des Unions chrétiennes de jeunes gens, l’Union internationale de secours aux enfants, le Bureau international d’éducation et l’Office international de radiodiffusion.
- 1
- CH-BAR#E2001D#1000/1554#813* (E.140), DDS, vol. 14, doc. 209. Cette notice est rédigée par le Chef de la Section des unions internationales de la Division des affaires étrangères du DPF, Daniel Secrétan, puis signée par le Chef-suppléant, Carl Stucki, au nom du Chef de la Division des affaires étrangères, le Ministre Pierre Bonna.↩
- 2
- Par sa déclaration du 14 mai 1938, la Société des Nations dispense la Suisse de l’obligation de prendre part aux sanctions commerciales et financières de la Société des Nations, cf. DDS, vol. 12, doc. 293, dodis.ch/46553. Cf. à ce propos aussi le Mémorandum sur la neutralité de la Suisse au sein de la Société des Nations du 29 avril 1938, dodis.ch/53807 ainsi que le procès-verbal de la 101ème session du Conseil de la SdN du 14 mai 1938, dodis.ch/54174.↩
- 3
- La Suisse s’abstient de voter pour l’exclusion de l’URSS, cf. le PVCF No 2321 du 11 décembre 1939, QdD 15, doc. 42, dodis.ch/53770.↩
- 4
- Sur l’attitude du Conseil fédéral à cette occasion, cf. DDS, vol. 13, doc. 209, dodis.ch/46966.↩
- 5
- La contribution annuelle de la Suisse s’élevait à 316 286 francs suisses.↩
- 6
- Cf. QdD, vol. 14, doc. 45, dodis.ch/47237. Dans une notice du 21 avril 1941, dodis.ch/54155, le DPF examine la question d’un éventuel retrait de la Suisse de la Société des Nations (SdN) sous l’angle politique et juridique: «Bien que la Société des Nations soit à l’heure actuelle un organisme sinon défunt du moins moribond, et bien que la participation de la Suisse ne se soit jamais étendue à tous les domaines, il n’en reste pas moins que la sortie de notre pays peut faire plus de bruit qu’on ne pourrait le penser au premier abord. Tout d’abord, notre politique a la réputation d’être réfléchie, modérée, sérieuse, réaliste. Notre départ sera donc interprété comme l’indice que la Société des Nations est bien détruite. Par ailleurs, Genève a été, de 1920 à 1940, un des centres de la vie internationale du monde. [...] En conclusion, on peut affirmer ceci: La Société des Nations a toujours eu un caractère politique – franco-britannique – nettement accentué. Ce caractère, la guerre actuelle le rend plus apparent encore puisque la Grande-Bretagne, ses tenants et aboutissants, soutiennent seuls la ligue actuellement. Une politique de vraie neutralité exigerait donc notre sortie. Reste la question de l’opportunité. Étant donné les considérations que nous avons développées in fine – répercussion possible aux États-Unis d’Amérique, en Amérique latine et dans l’empire britannique – il conviendrait de donner à notre départ, s’il devait se produire, un caractère discret.»↩
- 7
- Sur la démission du Secrétaire général Joseph Avenol en juillet 1940, cf. DDS, vol. 13, doc. 358, dodis.ch/47115.↩
- 8
- Cf. DDS, vol. 14, doc. 66, dodis.ch/47252. Un accord et une convention sont signés le 21 mai 1930 entre le Conseil fédéral et le Secrétaire général de la SdN concernant l’établissement et l’exploitation d’une station radio-électrique (Radio-Nations). Pour les versions du 8 juin 1930 de ces documents, cf. le dossier CH-BAR#E2001C#1000/1535#1414* (B.56.13.2).↩
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