Pubblicato in
«Die Revolte der Jungen». Die Berichterstattung der Schweizer Diplomatie über die globale Protestbewegung um 1968, vol. 9,
volume linkBern 2018
Dettagli… |▼▶Collocazione
Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
▼ ▶ Segnatura | CH-BAR#E2300-01#1973/156#243* | |
Vecchia segnatura | CH-BAR E 2300-01(-)1973/156 29 | |
Titolo dossier | Rom (Berichte, Briefe) (1968–1968) | |
Riferimento archivio | A.21.31 |
dodis.ch/50607L'Ambassadeur de Suisse à Rome, Jean de Rham, au Secrétaire général du Département politique, Pierre Micheli1
L'agitation estudiantine en Italie
Vendredi 1er mars, une véritable émeute a mis aux prises quelque 3000 étudiants et plus d'un millier de policiers dans les parages de la faculté d'architecture, à Via Giulia, à Rome. Résultat: une trentaine de blessés, quelques arrestations, voitures incendiées, sans parler du trafic paralysé pendant plusieurs heures. Une pluie glaciale et ininterrompue, survenue le lendemain, a momentanément calmé les manifestants, mais le problème de la «révolution culturelle italienne»2 n'en est pas résolu pour autant3.
Les origines de ce malaise, universel et profond, remontent à plusieurs années. Il n'y a pas de doute, en effet, que le système universitaire italien n'a pas su s'adapter aux exigences de notre époque. L'enseignement est conçu selon des critères rigides et dépassés. Les institutions sont souvent presque féodales. La plupart des professeurs exercent parallèlement une activité plus rémunératrice (six d'entre eux sont Ministres d'État!). Beaucoup se font remplacer par des assistants qui fournissent tout le travail, en étant dérisoirement payés et qui joignent aujourd'hui ceux qui se révoltent contre l'état actuel des choses. Le parlement s'occupe de cette question depuis 1965. La loi sur la réforme universitaire (legge Gui)4, aurait dû être votée au cours de la présente législature, mais elle a fait l'objet d'innombrables discussions entre les partis et n'a pas abouti jusqu'ici. Pris de panique devant les désordres récents, le Gouvernement aurait voulu faire voter précipitamment un texte abrégé, permettant l'introduction des réformes les plus urgentes, mais il se heurte à l'opposition des partis communistes et d'extrême droite qui, pour des raisons différentes, exigent que la loi soit discutée dans son ensemble. Elle sera donc renvoyée à la prochaine législature!...
Quant aux raisons profondes du malaise universitaire, elles sont d'ordres divers:
1. Un désarroi général et sans doute une anxiété des jeunes devant les problèmes que pose le monde d'aujourd'hui.
2. Un désir, souvent confus, de changer l'ordre des choses existant, de s'insurger contre notre civilisation actuelle. Une aspiration à une plus grande liberté dans tous les domaines et à une participation directe à la direction et à la gestion des organes dont les universitaires dépendent.
3. Une réforme de l'enseignement qui leur assure une préparation plus adéquate aux professions qui les attendent, particulièrement dans le domaine de la recherche scientifique.
4. Une organisation différente et plus moderne des méthodes de travail; dialogue aves les professeurs; travail de groupes ou par équipes, etc
Ces tendances sont, bien entendu, d'ordre universel et rejoignent celles qui ont déjà été constatées aux États-Unis5 ou en Allemagne6, par exemple. En ce qui concerne l'Italie, il faut encore ajouter une infrastructure universitaire inadéquate, manque de locaux, manque de professeurs, équipement, laboratoires insuffisants, etc.
Rien de surprenant donc à ce que les étudiants italiens, lassés de l'impuissance ou des tergiversations des autorités, aient décidé de passer à l'action et de forcer une solution. Le malheur est que le différend ait été immédiatement politisé, ce qui, à la veille des élections, pourrait avoir de sérieuses répercussions. Le Gouvernement, largement par sa faute comme en ont convenu beaucoup de personnalités intelligentes, se trouve maintenant devant le dilemme suivant: ne rien faire, laisser les universités se débrouiller, ou, au contraire, intervenir énergiquement, faire évacuer les universités occupées, prendre des sanctions contre les fauteurs de trouble. Il y a naturellement des partisans de chaque méthode. En fait, le Gouvernement avait commencé par choisir la première, mais certains recteurs d'université, malmenés et outragés, se sont révoltés et ont donné leur démission en demandant à l'État de faire son devoir, soit de rétablir l'ordre. Les communistes, de leur côté, ont tout de suite vu l'avantage qu'ils pouvaient tirer de cette situation. Ils se sont immédiatement alignés du côté des étudiants qui, bien que nombre d'entre eux se déclarent Maoistes7, Castrites8 ou Marcusiens9, ne sont pas nécessairement communistes, mais par la force des choses créent une confusion qui profite aux extrémistes. Les étudiants les plus irréductibles, surnommés «les Chinois», sont souvent manœuvrés par les communistes qui, une fois les universités dégagées par la police, ont mis leurs propres locaux à la disposition des étudiants pour qu'ils puissent continuer à y tenir leurs discussions. Le recteur de l'Université de Rome, le Prof. D'Avack10 qui, après avoir vainement exorté les étudiants à la raison, s'était décidé à demander l'aide de la police et l'avait obtenue, se heurte aujourd'hui non seulement à l'opposition de la majorité des étudiants, mais aussi à celle de nombreux professeurs et assistants. Sa proposition de «rouvrir le dialogue» entre les 6 et les 11 mars vient d'être repoussée par le conseil des étudiants dont le quartier général se trouve dans le bâtiment de la Fédération des jeunesses communistes. C'est tout dire! L'agitation va donc continuer, mais l'on espère encore dans les milieux gouvernementaux que l'influence des modérés finira par prévaloir et qu'il sera possible de régler le conflit pacifiquement. Les autorités judiciaires sont prêtes à faire preuve de mansuétude, tout en avertissant les étudiants qu'en cas de nouvelle émeute, les responsables devraient s'attendre à des peines sévères. Le Gouvernement, de son côté, cherche à rouvrir le dialogue et a laissé entendre qu'il serait prêt à tenir compte de beaucoup de revendications des étudiants et professeurs en faisant voter une loi spéciale qui permettrait de procéder aux réformes les plus urgentes. Ce régime provisoire serait prolongé pour deux ans environ, au bout desquels l'on procéderait à la réforme définitive du régime universitaire sur la base des expériences acquises. Il faut espérer que la raison l'emportera, sinon, il est certain que l'agitation reprendra de plus belle et viendra s'ajouter aux autres manifestations qui se déroulent actuellement à Rome dans un climat de campagne préélectorale: protestations des invalides civils; des sinistrés de la Sicile; menace de grève des syndicats communistes au sujet de la réforme des pensions. C'est donc dans une atmosphère assez troublée que va se terminer cette quatrième législature11.
- 1
- Lettre politique No 8 de l'Ambassadeur de Suisse à Rome, Jean de Rham, dodis.ch/P844, au Secrétaire général du Département politique, Pierre Micheli, dodis.ch/P86: CH-BAR#E2300-01#1973/156#243*(A.21.31).↩
- 2
- Dans beaucoup de pays, les mouvements de protestation furent partiellement inspirés par la révolution culturelle de la République populaire de Chine et du maoïsme. Cf. doc. 4, dodis.ch/50612; doc. 8, dodis.ch/50614; doc. 10, dodis.ch/50609; doc. 14, dodis.ch/50611; doc. 22, dodis.ch/50622; doc. 23, dodis.ch/50605 et la lettre politque No 4 de Jean-Pierre Ritter, dodis.ch/P17429, du 17 juin 1968, dodis.ch/50840.↩
- 3
- Pour plus de précisions sur le cas italien en comparaison avec les situations française et allemande, cf. le rapport politique No 4 de Jean de Rham à Willy Spühler, dodis.ch/P2111, du 18 juin 1968, dodis.ch/50670.↩
- 4
- Nommée ainsi en référence à Luigi Gui (1914–2010), dodis.ch/P13885, ministre de l'Instruction publique jusqu'au 28 juin 1968.↩
- 5
- Cf. doc. 16, dodis.ch/33421.↩
- 6
- Cf. doc. 1, dodis.ch/50608.↩
- 7
- Mao Zedong (1893–1976), dodis.ch/P12354, révolutionnaire, militaire et homme d'État chinois, président du Parti communiste chinois de 1943 à 1976. Cf. note 2.↩
- 8
- Dans plusieurs pays, les mouvements de protestation furent partiellement orientés par les idées révolutionnaires de Fidel Castro (1926–2016), dodis.ch/P14631, chef de gouvernement et du Parti communiste de Cuba. Cf. doc. 8, dodis.ch/50614; doc. 10, dodis.ch/50609; doc. 18, dodis.ch/32164 et doc. 23, dodis.ch/50605.↩
- 9
- Herbert Marcuse (1898–1979), dodis.ch/P45394, philosophe, politologue et sociologue américain d'origine allemande, dont les ouvrages eurent une grande influence sur les mouvements étudiants de 1968. Cf. doc. 16, dodis.ch/33421 et doc. 23, dodis.ch/50605.↩
- 10
- Pietro Agostino d'Avack (1905–1982), dodis.ch/P55605.↩
- 11
- Cf. le rapport politique No 3 de Jean de Rham à Willy Spühler du 6 juin 1968, dodis.ch/50669, qui s'étend sur le blocage du Ministère des Affaires étrangères après les élections et les lettres politiques No 19 et No 20 de Jean de Rham à Pierre Micheli du 21 novembre 1968, dodis.ch/50671, et du 5 décembre 1968, dodis.ch/50673, la première porte sur la période transitoire entre les élections de mai 1968 et la formation d'un nouveau gouvernement entre novembre et décembre 1968 et la seconde montre que la situation reste compliquée en tout cas jusqu'à la fin 1968.↩