Classement thématique série 1848–1945:
2. RELATIONS BILATÈRALES
2.1. ALLEMAGNE
2.1.2 RELATIONS POLITIQUES
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 14, doc. 349
volume linkBern 1997
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2809#1000/723#68* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2809(-)1000/723 5 | |
Titre du dossier | Bibra, de, Baron, Légation d'Allemagne - Prise de congé (1943–1943) |
dodis.ch/47535
A 11 heures 45, le Baron de Bibra vient auprès de moi prendre congé. Il quitte la Légation d’Allemagne à Berne2 pour devenir Ministre et Conseiller à l’Ambassade de Madrid.
Nous causons très librement. Je ne lui cache pas la très mauvaise réputation dont il «jouissait» en Suisse, les intentions hostiles qu’on lui prêtait, l’accusation même portée contre lui d’exciter le Commandement allemand (Général Dietl) contre nous. J’ajoute que, personnellement, je ne me suis pas laissé influencer par cette atmosphère, sachant que sa tâche était difficile et qu’il s’efforçait de l’accomplir en tenant compte de nos habitudes, de notre mentalité et des circonstances.
Je vais jusqu’à lui déclarer que j’ai dû quelquefois le «protéger». Il me répond qu’il n’est pas sans le savoir. Il affirme que les soupçons sont faux. Au contraire, pendant les sept ans qu’il a passés en Suisse, il s’est toujours plus efforcé d’éviter les incidents et il se réjouit de quitter le pays à un moment où les relations avec l’Allemagne sont meilleures. Il espère que son successeur, qui n’est pas encore désigné, continuera à travailler dans le même esprit que lui, en évitant toute attitude qui pourrait donner lieu à des incidents3. Il vient de passer deux jours au Grand Quartier Général. Il y a trouvé l’atmosphère favorable pour nous. Il y a confirmé, et il croit que c’est maintenant l’opinion dominante, que notre neutralité était sincère et résolue et que nous nous défendrions contre tout assaillant. Il précise à cette occasion que mon dernier discours a fait la meilleure impression. Il tient l’armée suisse pour capable. Il ajoute que l’impression que l’on avait eue il y a deux ans environ, lors de l’élimination d’un certain nombre d’officiers4 s’est dissipée. Ce qui nous amène à parler de l’armée. Je déclare que je suis convaincu qu’elle ferait son devoir envers et contre n’importe qui. Les bruits qui ont couru à l’époque sur une attitude qui ne serait pas tout à fait conforme à la neutralité ne sont pas fondés. Autant que j’ai pu m’en rendre compte, les accusations portées contre des accords avec l’étranger étaient fausses.
C’est alors que M. de Bibra m’interrompt en me disant que malheureusement il n’a pas le droit de s’exprimer sur ce point.
Peu après cependant, il me demande s’il peut parler comme homme et non plus comme Conseiller de la Légation d’Allemagne, puisqu’il a pris congé de moi. Il va sans dire que je suis d’accord. Il me dit alors qu’il aurait bien voulu, il y a deux ans, qu’on puisse me montrer et me remettre les documents qui ont inspiré à l’Allemagne sa méfiance (Charité s/Loire)5. Il en a souvent causé avec M. Köcher. Tous deux pensaient que, si on avait pu nous mettre en présence des faits, la tâche aurait été facilitée pour tous: Conseil fédéral, Légation, Gouvernement allemand. Mais Berlin - il le regrette - n’a pas voulu. Ce n’est plus maintenant que de la «maculature» c’est son mot: Makulatur).
Il fait une allusion à la possibilité d’une attaque contre la Suisse venant des adversaires de l’Allemagne. Il est sûr que nous serions en état de résister. Peutêtre cependant conviendrait-il de prendre certains contacts préalables pour renforcer notre défense. Je lui réponds que, par principe, je ne peux pas lui répondre parce que je ne veux pas répondre à des questions de cet ordre. Les circonstances telles que nous les voyons aujourd’hui peuvent ne pas être celles de demain. Je ne sais qu’une chose, mais je le sais comme je me connais moimême: la Suisse fera son devoir avec tous les moyens à sa disposition. Qui l’attaquera sera son ennemi. Ceux qui l’aideront seront ses amis. Au surplus, le moment où on pourrait l’attaquer n’est pas encore venu. Je suis assez sceptique en ce qui concerne la rapidité de l’évolution de la guerre.
J’ajoute ce que j’ai déjà dit à M. Köcher plusieurs fois: j’espère de tout cœur que la Suisse sera épargnée. Mais celui qui l’attaquera le premier sera le plus bête (Der Erste wird der Dümmste sein), précisément parce qu’il nous aura contre lui, quel qu’il soit.
La fin de l’entretien a un caractère plus privé. Nous parlons de M. Marschall de Bieberstein, qui peut-être viendra à la Légation6. C’est, d’après lui, un homme remarquable. Il voudrait que ce soit lui, mais il n’en est pas encore sûr.
Puis nous passons à des questions personnelles: Madame, santé du père de Madame, carrière, etc.
Pour la première fois au cours de cet entretien, notamment lorsque j’ai parlé de Madame de Bibra, j’ai vu v. Bibra nettement ému.
Il m’a promis - cela vaut ce que cela vaut, naturellement - d’exercer son influence, pour autant qu’il en a, en faveur de la Suisse, qu’il affirme aimer. Cela lui sera d’autant plus facile qu’il n’aura plus à représenter en Suisse les intérêts allemands et qu’il pourra plus librement s’exprimer7.
- 1
- E 2809/1/5.↩
- 2
- Sur les fonctions exercées par von Bibra à Berne de 1936 à 1943, cf. E 2001 (D) 3/73.Cf. aussi la lettre du Général Guisan du 15 mai 1943, E 5795/338.↩
- 3
- Cf. la notice de Pilet-Golaz du 29 mai 1943, E 2809/1 /2.Sur Wilhelm Stengel, Consul général, faisant fonction de Conseiller de la Légation d’Allemagne à Berne, dès le 23 juillet 1943, cf. E 2001 (D) 3/76.↩
- 4
- Sur la mise à l’écart d’officiers à cause de sympathies pour le national-socialisme, cf. notamment E 27/4751-4790, ainsi que E 5795/145 et 468.↩
- 5
- Cf. table méthodique du présent volume: Politique militaire. Cf. aussi DDS, vol. 13, doc. 196, dodis.ch/46953, doc. 308, dodis.ch/47065, doc. 355, dodis.ch/47112, doc. 429, dodis.ch/47186.↩
- 6
- Sur les séjours en Suisse du Conseiller de Légation A. Bieberstein, cf. E 2001 (D) 3/73.↩
- 7
- Lors de la séance du 7 juillet 1943 de la Commission du Conseil national pour les pouvoirs extraordinaires, le Conseiller national H. Oprecht pose une question sur le droit de J. - M. Musy d’utiliser un passeport diplomatique et propose de saisir l’occasion du départ de von Bibra pour ne plus accepter que le chef de l’organisation nazie en Suisse soit intégré à la Légation d’A llemagne, ce qui suscite une correspondance entre von Steiger et Pilet-Golaz. Celui-ci écrit le 9 juillet: C’est la Suisse (M. Motta) qui a désiré, et pour cause, que le chef des organisations nationalessocialistes allemandes en Suisse soit rattaché à la Légation et dépende du Ministre responsable, plutôt que d’être une personnalité indépendante agissant d’une façon autonome et non contrôlée.[...] ( E 4001 (C) 1/34). Pilet-Golaz précise dans sa réponse de 23 juillet 1943: [...] \\ va sans dire que la solution adoptée par M. Motta à l’époque ne présente pas que des avantages, comme toutes les solutions humaines. Cela ne signifie pas du tout que l’autre aurait été préférable, loin de là. En réalité, il s’agit d’une question de circonstances et de mesure, suivant les cas et le point de vue auquel on se place (E 2001 (D) 3/293). Sur les activités politiques de von Bibra, cf. aussi E 2001 (D) 3/40-41 et 287. Sur les conditions de la décision de Motta en 1936, cf. DDS, vol. 11, doc. 209, dodis.ch/46130, doc. 210, dodis.ch/46131.↩
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