Classement thématique série 1848–1945:
4. POLITIQUE ET ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES
4.2. BLOCUS ET CONTRE-BLOCUS
Également: Compte rendu de l’entretien du banquier genevois avec les diplomates britanniques. Explications sur les relations de Hentsch avec le Portugal, avec l’Italie (en particulier avec la Société financière italo-suisse), avec l’Allemagne (pour d’anciennes affaires en Autriche et en Hongrie). Annexe de 12.2.1942
Pubblicato in
Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 14, doc. 309
volume linkBern 1997
Dettagli… |▼▶Collocazione
Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
▼ ▶ Segnatura | CH-BAR#E2809#1000/723#39* | |
Vecchia segnatura | CH-BAR E 2809(-)1000/723 3 | |
Titolo dossier | Grande-Bretagne (1941–1944) |
dodis.ch/47495
Notice du Département politique1
LISTE NOIRE BRITANNIQUE. AFFAIRE HENTSCH & CIE, BANQUIERS À GENÈVE.
MM. Hentsch & Cie, banquiers à Genève, ont été portés sur la liste noire britannique en janvier 1942, puis, par voie de conséquence, sur la liste noire américaine le mois suivant. Ils se sont aussitôt adressés à la Division des Affaires étrangères, en lui demandant son appui pour obtenir le retrait de cette mesure, dont les effets ne pouvaient manquer de causer un tort considérable à la banque et à ses clients2.
Il a fallu tout d’abord chercher à savoir, pour être à même d’agir utilement, quels étaient les motifs de la décision prise contre la maison genevoise. A cet effet, la Légation de Suisse à Londres approchait à plusieurs reprises le Ministry of Economic Warfare; MM. Hentsch & Cie, d’autre part, prenaient contact avec l’Attaché commercial britannique à Berne, tandis que la question était également abordée par la Division du Commerce dans le cadre de la Commission mixte anglo-suisse3.
Malgré ces efforts et démarches répétés, il n’a pas été possible d’obtenir que les autorités britanniques énoncent un fait précis qui puisse justifier la mesure prise, probablement par désir de ne pas dévoiler leur source d’informations. Aussi en a-t-on été réduit à faire différentes suppositions. M. Gustave Hentsch a subventionné «l’Entente internationale pour la lutte contre la 3e Internationale», présidée par Me Th. Aubert, et dès lors une pression russe sur les autorités britanniques pourrait être concevable. On peut rappeler à cet égard les attaques dont la maison Hentsch & Cie a été l’objet de la part de Léon Nicole lors de l’affaire de la Banque de Genève4. La maison genevoise a été en outre en relations d’affaires avec la société Günzburger & Cie à Bâle5 et la Banque Cupertino di Miranda & Cie, Oporto, qui figurent toutes deux sur la liste noire. De même une compagnie d’importation de produits alimentaires et agricoles, la Cipa S.A. à Genève, fondée par l’entremise de MM. Hentsch & Cie à la demande et au nom d’un ressortissant français6, a fourni à la France des produits achetés en Hongrie. Il se peut aussi qu’un envoi de titres des USA en Europe, retenu aux Bermudes7 par la censure, ait éveillé la suspicion des autorités britanniques malgré que des envois semblables aient été faits par d’autres banques suisses et que l’Association suisse des Banquiers ait donné des instructions à cet effet. De même on peut noter que le nom de la maison Hentsch & Cie a été prononcé, à tort ou à raison, dans une affaire de billets français achetés en (Allemagne?) par un client de la banque, un Balte du nom d’Olian, et qui paraissent avoir été revendus en Suisse ou écoulés en France8.
Ces différentes opérations n’ont sans doute pas été sans déplaire aux autorités britanniques. Toutefois, il y a lieu de relever que dans une grande banque les directeurs n’ont pas toujours connaissance de toutes les affaires traitées à ses guichets. Et même s’il n’en était pas ainsi, il n’en reste pas moins que la maison Hentsch & Cie est un établissement financier parfaitement honorable et que, si des imprudences ont été commises, elle en a déjà été durement éprouvée.
C’est dans ces conditions que, durant toute l’année dernière et jusqu’à maintenant, on s’est efforcé, du côté suisse, d’obtenir que la maison Hentsch & Cie soit radiée de la liste noire. Au mois de décembre notamment, la Légation de Suisse à Londres, conjointement avec M. Nussbaumer, président du Comité Grande-Bretagne de l’Association suisse des Banquiers, a conduit des pourparlers pour essayer d’arriver à une solution sur la base d’un engagement (undertaking). Le Ministry of Economic Warfare s’est déclaré prêt à radier la banque genevoise, moyennant la signature d’un tel «undertaking». La Division des Affaires étrangères pourrait, sans enthousiasme, il est vrai, donner son acquiescement à cette signature, comme elle l’a déjà fait pour des maisons suisses d’autres branches. Le ministère britannique a subordonné, toutefois, son accord final au préavis de la Légation à Berne.
Il y a lieu de relever, à ce propos, que le Ministry of Economic Warfare avait déjà donné antérieurement la même assurance. Si la maison Hentsch & Cie n’a pas été radiée de la liste noire, c’est à l’opposition de la Légation britannique et en particulier de son secrétaire commercial, M. Sullivan qu’il faut l’attribuer. M. Nussbaumer nous a rapporté, en nous priant de ne pas en faire usage, que M. Sullivan s’était laissé aller à lui dire que, pour un cautionnement de 1 million, il ne ferait pas radier la banque genevoise et qu’il fallait que cette maison soit ruinée. Ces propos, quoique tenus lors d’une conversation privée et alors que M. Sullivan ne paraissait pas être complètement maître de sa parole, n’en sont pas moins révélateurs de son état d’esprit.
Rentré de Londres, M. Nussbaumer a repris contact avec la Légation et, sur son insistance, M. Sullivan s’est déclaré d’accord de réexaminer la requête de MM. Hentsch & Cie, à condition que ceux-ci consentent à ce qu’une fiduciaire suisse, assistée d’un membre de la succursale de Zurich de la société fiduciaire britannique bien connue Price Waterhouse & Cie soumettent à un contrôle les livres de la banque.
Nous avons déjà dit à MM. Hentsch & Cie que nous ne pourrions donner une telle autorisation sans courir le risque de voir se constituer en Suisse un contrôle semblable à celui exercé dans l’autre guerre par la Société suisse de surveillance économique et contre lequel s’est prononcé M. le Conseiller fédéral Obrecht9.
Nous avons par contre signalé à la banque genevoise la possibilité d’entreprendre une démarche auprès de M. le Ministre Norton. Mais MM. Hentsch & Cie, qui paraissent être à bout de résistance et dont les clients demandent tous les jours le transfert de leurs portefeuilles dans d’autres banques, sollicitent formellement, par lettre du 1er février ci-jointe10, l’autorisation de donner suite à la proposition britannique. Ils estiment en effet que le contrôle envisagé présenterait plus de chances d’aboutir qu’une démarche auprès de M. le Ministre Norton.
L’expérience prouve cependant qu’il est permis de mettre en doute cette opinion. La Fabrique de produits chimiques Rohner S.A., Pratteln11, par exemple, s’est soumise à une révision de Price Waterhouse avant l’entrée en vigueur des prescriptions interdisant un tel contrôle. Elle n’en a pas moins été portée, par la suite, sur la liste noire, et ce n’est que sur une démarche pressante de la Légation de Suisse à Londres que la radiation a pu être obtenue.
En outre, il y a lieu de considérer que, si l’on donne suite à la démarche britannique, le délégué de Price Waterhouse remplira une fonction visée par l’art. 271 du Code pénal suisse12 qui a la teneur suivante:
«Celui qui, sans y être autorisé, aura procédé sur le territoire suisse pour un Etat étranger à des actes qui relèvent des pouvoirs publics, ... sera puni de l’emprisonnement.»
Cette disposition a été reprise textuellement de l’Arrêté fédéral du 21 juin 1935 tendant à garantir la sûreté de la Confédération13 et sur la base duquel les tribunaux n’ont pas hésité à prononcer des condamnations contre des représentants de fiduciaires allemandes qui venaient en Suisse pour demander à des banques l’accès aux safes de personnes impliquées dans des affaires de devises.
Cependant, étant donné l’insistance de la maison Hentsch & Cie agissant en accord avec l’Association suisse des Banquiers, ainsi que le prouve la lettre en annexe, le soussigné a dû se résoudre à soumettre le cas au Chef du Département.
La question se pose maintenant de savoir si, nonobstant les graves inconvénients mentionnés plus hauts, il est opportun de donner à la banque genevoise l’autorisation de se soumettre à la révision proposée par la Légation britannique, ou bien s’il est préférable d’envisager une démarche auprès de M. le Ministre Norton tendant à obtenir que la maison Hentsch & Co. soit radiée de la liste noire moyennant la seule signature d’un undertaking.
Il convient, toutefois, de noter que même au cas où l’autorisation sollicitée ne serait pas accordée, on ne saurait avoir la garantie que la banque genevoise n’accepte de guerre lasse le contrôle qui lui est demandé14.
- 1
- E 2809/1/3. Paraphe: NX.↩
- 2
- Cf. la lettre publiée en annexe au présent document. Celui-ci est rédigé par Weibel et signé par R. Kohli.↩
- 3
- Notamment lors des séances des 23 janvier, 9 et 23 avril, 12 mai, 12 juin, 2 juillet et 21 octobre 1942.↩
- 4
- Le krach de la Banque de Genève date de 1931, cf. E 6100 (A) 10/338.Cf. aussi DDS, vol. 10, doc. 168, dodis.ch/45710, note 5.↩
- 5
- Cf. E 2001 (E) 1968/78/278.↩
- 6
- Il s’agit de L. Delorme, cf. E 2001 (E) 1968/78/292.↩
- 7
- Sur ces mesures anglaises et les réactions suisses, cf. E 2001 (D) 3/459-461 et E 2001 (E) 1/132.↩
- 8
- Sur M. Olian, cf. notamment E 2001 (E) 1/315, E 2001 (E) 2/567, E 2001 (E) 1968/78/258 et 298, E 4001 (C) 1/231-232.↩
- 9
- Cf. DDS, vol. 13, doc. 1, dodis.ch/46758, doc. 73, dodis.ch/46830, doc. 101, dodis.ch/46858, doc. 159, dodis.ch/46916.↩
- 10
- Non reproduite.↩
- 11
- Cf. E 2001 (E) 1967/113/477 et E 2001 (E) 1968/78/259.↩
- 12
- RO, 1938, vol. 54, pp. 781 ss.↩
- 13
- RO, 1935, vol. 51, pp. 495-497.↩
- 14
- Sur une lettre (non reproduite) du 10 mars 1943 de G. Hentsch, figure l’annotation manuscrite suivante de P. Bonna pour R. Kohli: M. Pilet a reçu longuement M. Alb [ert]Pictet et lui a promis de parler de l’aff [aire]Hentsch & Cie à M. Norton. M. Pictet renseignera directement M. Hentsch. 2/4. Une annotation manuscrite de Pilet-Golaz indique que le Chef du DFP en a conféré avec Norton le 26 mai 1943. Les négociations se poursuivent tout au long de l’année 1943. Dans une lettre du 28 juillet adressée à P. Bonna, G. Hentsch écrit notamment: [...] Je vous prie d’exprimer à Monsieur le Conseiller fédéral Pilet-Golaz la très grande reconnaissance de Messieurs Hentsch & Cie pour les interventions opportunes qu’il a bien voulu faire en leur faveur afin qu’ils soient rayés de la liste noire. La réponse à ses démarches constitue déjà un grand succès. Les événements d’Italie sont bien intéressants et on est heureux de constater qu’une évolution de l’envergure de celle qui se produit se passe sans dégâts intérieurs, d’une façon en somme assez analogue à celle de 1921[sic], lors de la marche sur Rome. Mais, le dénouement de la situation est bien compliqué et difficile et il faut espérer que les extrémistes de tous côtés n’auront pas trop leur mot à dire, car ce sont déjà eux qui sont bien responsables de toute la situation italienne et qui ont créé ce fossé entre l’Angleterre et l’Italie, qui n’aurait jamais dû se produire (E 2001 (E) 1968/78/285).↩
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