Classement thématique série 1848–1945:
2. RELATIONS BILATÈRALES
2.11. GRÈCE
Pubblicato in
Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 14, doc. 280
volume linkBern 1997
Dettagli… |▼▶Collocazione
Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
▼ ▶ Segnatura | CH-BAR#E2300#1000/716#34* | |
Vecchia segnatura | CH-BAR E 2300(-)1000/716 20 | |
Titolo dossier | Athen, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 3 (1932–1943) |
dodis.ch/47466
J’ai eu l’occasion de rendre récemment visite au Métropolite d’Athènes, Sa Béatitude Monseigneur Damaskinos; celui-ci, après m’avoir exprimé en termes très nobles sa profonde gratitude de l’œuvre si généreuse de la Suisse en faveur de son pays, me fit part de tous les soucis que lui cause l’avenir de son malheureux pays.
Il croit, comme moi, au péril communiste en Grèce qui éclatera certainement au moment du départ des troupes d’occupation, à moins qu’un Gouvernement énergique n’ait le temps de dominer la situation. Il paraît qu’heureusement ceux qui doivent le composer et qui sont avant tout des militaires, sont déjà prêts. Mais pourront-ils agir assez vite? Mgr Damaskinos leur prêtera tout son appui. Il y a même certains Grecs qui lui attribuent le projet très audacieux de se mettre en personne à la tête du Gouvernement, ce que je ne crois pas, sachant combien l’Eglise, quelle qu’elle soit, est prudente en politique lorsqu’il s’agit de s’exposer officiellement. Je ne doute pas cependant qu’il jouera un rôle important derrière les coulisses car il fait l’impression d’un homme aussi intelligent qu’énergique, qui s’est acquis l’estime et la reconnaissance de tous par son courage, n’hésitant pas à protester sans se lasser auprès des Plénipotentiaires italiens et allemands contre les arrestations d’otages, les condamnations injustes, les réquisitions arbitraires, etc.2
Mgr Damaskinos m’a également parlé de son projet de se rendre en Suisse pour un court séjour, afin de pouvoir de là correspondre télégraphiquement avec les plus riches membres des colonies grecques disséminées dans le monde, qui ont toujours pris à leur charge les principales œuvres d’assistance publique en Grèce. J’ai appris ainsi à mon étonnement que ce n’était pas moins de sept millions de £ sterling que l’Eglise recevait chaque année pour les distribuer à ses œuvres. Vous comprendrez combien l’absence d’un montant de cette importance, qui n’est plus versé depuis l’occupation du pays, se fait cruellement sentir, surtout par les temps de disette où nous vivons. Mon interlocuteur est certain de pouvoir faire de Suisse un arrangement bancaire qui lui permettrait d’hypothéquer les biens de l’Eglise en Grèce en attendant de pouvoir transférer les sommes qui seront versées à son nom chez nous.
Je ne crois pas qu’il nous serait possible de refuser à Mgr Damaskinos de venir en Suisse tout en pensant qu’il serait préférable de ne pas avoir chez nous, même pour peu de temps, une personnalité aussi connue en Grèce; aussi ai-je conseillé au Métropolite d’Athènes, avant de prendre congé de lui, de bien réfléchir à tous les aléas de ce voyage étant donné la tournure que prennent les événements et qui nécessitent plus que jamais sa présence ici3.
C’est cette précipitation des événements qui fait croire à certains de mes collègues que la décision de l’Allemagne de supprimer les Consulats étrangers à Salonique n’a pas été prise après plusieurs mois de réflexion, mais bien tout à coup. Les autorités d’occupation auraient, en effet, découvert que le Consulat de Turquie à Salonique surveillait trop attentivement ses mouvements de troupes et tout ce qui se passe dans ce grand port - or comme l’Allemagne ne veut pas en ce moment donner à la Turquie l’occasion d’être mécontente d’elle, elle aurait décidé la fermeture de tous les consulats, mesure qui, devenant générale, ne peut plus offenser la Turquie.
Certains Allemands pensent d’ailleurs que l’heure n’est pas lointaine où la Turquie, sous la pression de l’Angleterre, entrera en lice et que Salonique deviendra un autre champ de bataille après l’invasion de la Bulgarie par les troupes alliées.
Dans ce cas, les armées d’occupation seraient obligées de reculer en toute hâte pour garnir un nouveau front Salonique - Monastir et pour ne pas se laisser prendre de dos.
D’autres éléments étrangers croient, au contraire, à un coup de théâtre, et que le Führer n’hésiterait pas à préférer l’alliance russe à une victoire anglaise, même s’il devait la payer par une Europe tout entière bolchevisée, pourvu qu’il puisse continuer à y jouer un rôle de premier plan avec son camarade Staline. Ce ne serait pas la première fois qu’il étonnerait le monde par un de ces brusques volte-face dont il a le secret. Ce qu’il y a en tout cas d’inquiétant, c’est que les soldats et les officiers allemands qui obtiennent des permissions du front russe ont leur feuille de congé munie de l’inscription suivante: «en cas d’armistice, vous devrez vous rendre à tel ou tel dépôt». Cette information vous aura d’ailleurs très probablement été déjà donnée par notre Légation à Berlin.
Sans vouloir attribuer trop d’importance à des bruits aussi extraordinaires que contradictoires, je dois cependant reconnaître qu’une grande effervescence se fait sentir partout. Les Grecs, même cultivés, croient déjà à l’arrivée des Anglais, ce qui est assez enfantin, et les murs d’Athènes et surtout du Pirée sont couverts d’inscriptions à la victoire des alliés mais où malheureusement dominent la faucille et le marteau.
D’autre part, comme vous l’aurez probablement appris par les journaux - ici on n’en a rien dit dans les feuilles locales - des bandes de Grecs ont fait sauter le principal pont de chemin de fer entre Salonique et Athènes, près de Larissa, afin de retarder tout transport de troupes dans l’un et dans l’autre sens. Les dégâts sont très grands aux dires même des Allemands qui assurent qu’il faudra au minimum deux mois pour les réparer et qui prétendent que ce geste est dû uniquement aux communistes car des patriotes grecs ne l’auraient pas accompli puisque ce sabotage aura - toujours selon les Allemands - pour seul résultat d’empêcher les wagons de vivres que le Reich destinait à la Grèce d’arriver à destination. Ce qu’il y a de certain, c’est que ce sont une trentaine de malheureux soldats italiens qui ont tous payé de leur vie la défense de ce pont car ils étaient seuls à le garder contre une bande de plus de 200 rebelles.
M. de Velics, Ministre de Hongrie en Grèce, qui fut pendant plusieurs années le représentant de son pays à Berne, craint que la fermeture des consulats à Salonique soit un signe précurseur de la suppression des Légations à Athènes.
Quant à moi, j’ai profité d’une occasion favorable pour en parler avec S.E. Ghigi qui m’a assuré qu’il n’avait pas reçu de nouvelles instructions de Rome. La question ne serait pas enterrée, mais elle n’aurait pas été remise dernièrement sur le tapis au Palais Chigi.
Il m’a déclaré être pour le maintien des quelques rares légations qui restent et tout spécialement de la nôtre, car il considère que je suis le trait d’union indispensable entre l’activité de la Croix-Rouge et les Puissances occupantes. Il se rend compte également qu’il faut que je sois là pour la défense des intérêts étrangers qui sont confiés à la Suisse; mais pourra-t-il, au moment voulu, faire partager aux militaires sa manière de voir si raisonnable? Or ce sont malheureusement ces derniers qui commandent vraiment dans tous les pays occupés.
En tout cas, sans vouloir être trop pessimiste, j’ai l’impression que les derniers événements rendent les représentants de l’Axe très nerveux et qu’ils ne désireraient nullement, si la Grèce redevenait zone de guerre, que les Légations puissent fournir à leurs gouvernements des renseignements indiscrets. Je sens également que les délégués si nombreux du CICR et surtout les membres suédois qui en font maintenant partie4, portent sur les nerfs des militaires allemands et italiens, ce qui est assez compréhensible car certains de ces jeunes gens qui n’ont aucune expérience quelle qu’elle soit dans aucun domaine, tiennent des propos inconsidérés et ne font que critiquer les Puissances occupantes, au lieu de se consacrer uniquement à la tâche qui leur est assignée. On voit très bien qu’ils n’ont rien compris à l’esprit de Genève et surtout qu’ils ne s’en préoccupent nullement. Pour eux, faire partie du CICR est un «job» comme un autre. Il suffirait donc du moindre incident pour que l’Allemagne ou l’Italie en profite pour demander une transformation radicale de la délégation. S.E. Ghigi m’a même dit: «Quand je travaillais seul l’année dernière avec votre remarquable compatriote, M. Brunei5, nous faisions de l’excellent ouvrage. Pourquoi tant d’innovations qui ne se justifient qu’en partie?...» Les Italiens savent d’ailleurs très bien que si les Suédois sont venus en si grand nombre, c’est parce que l’Angleterre l’a voulu. Aussi n’ont-ils pas une très bonne presse ici. Par contre, nos compatriotes continuent à nous faire le plus grand honneur et aussi bien les membres des missions de Fischer6 et Scholder7 que ceux du CICR et tout particulièrement le Colonel Speidel, ont pris très à cœur leur tâche et organisent dans toute la Grèce des centres de ravitaillement qui marchent déjà très bien.
Nous devons donc espérer qu’aucun contretemps ne surviendra qui pourrait entraver leur bienfaisante activité. De mon côté je ferai naturellement tout mon possible pour qu’en cas contraire les membres suisses de toutes ces missions puissent demeurer à leur poste.
- 1
- Rapport politique: E 2300 Athen 3. Paraphe: RP.↩
- 2
- Parmi les appels de Mgr Damaskinos, dénonçant la situation de misère dans laquelle la guerre a plongé le peuple grec, signalons notamment la lettre qu’il adressa au Président du Gouvernement hellénique, déjà le 16 décembre 1941, signée par des hautes personnalités de l’Académie, de l’Université et de l’Ecole polytechnique. Pour une copie en français de cette lettre, cf. E 2001 (D) 3/233.↩
- 3
- Dans un rapport du 7 avril 1943, dans lequel il rend compte de la visite de Mgr Damaskinos, de Bavier écrit: Celui-ci est venu me trouver la semaine dernière pour m’entretenir de questions de nature économique qui feront l’objet d’une communication spéciale. A cette occasion il m’a longuement parlé du mouvement intitulé «EAM» qui correspond aux premières lettres grecques des mots «front libérateur national». Ce groupe qui prend de plus en plus d’ampleur a été créé par les communistes et est déjà très bien organisé. Il paraîtrait que les vrais patriotes grecs, faute de trouver dans leurs propres rangs des éléments aussi disciplinés que ceux de ce parti, se sont joints à lui et, toujours d’après le Métropolite, on devrait saluer avec satisfaction l’initiative de ces patriotes. En effet, plus ils auront la majorité et plus alors ils pourront, au moment de la libération du pays, jouer un rôle actif dans ce mouvement en le débarrassant de ses éléments purement communistes, tout en profitant aujourd’hui de son organisation et de ses ressources. C’est plus facile à dire qu’à faire et je veux espérer que le Métropolite d’Athènes ne se trompe pas. En tout cas l’on peut supposer que la Grande-Bretagne favorise également l’EAM, très probablement pour plaire àl’U.R.S.S., car nous venons d’apprendre ici que le Gouvernement grec de Londres a été complètement transformé et que sauf M. Tsouderos, tous les ministres ont été remplacés par des personnalités vénizélistes d’extrême gauche et que le Roi, qui a quitté l’Angleterre pour l’Egypte afin d’être prêt à rentrer à Athènes d’un moment à l’autre, a parlé à la radio à son peuple en félicitant tous les rebelles de leur résistance. Or nous savons que ceux-ci dans leur grande majorité sont avant tout communistes. Mgr Damaskinos m’a dit en me quittant qu’il comptait beaucoup sur moi, comme représentant de la Suisse, pour l’aider dans la grande oeuvre de pacification interne qui commencera dès le jour où la Grèce sera libre. Je lui ai répondu que tant qu’il ne s’agira que de m’intéresser au sort matériel du peuple grec, je ferai ce que je pourrai pour me rendre utile mais que je ne me mêlerai jamais de questions politiques touchant au sort futur de la Grèce.↩
- 4
- Remarque manuscrite du Conseiller fédéral Etter en marge de ce passage: Sollte man nicht von dieser Bemerkung dem Präsidenten des CICR Kenntnis geben? La Suède ayant offert son concours à l’action de secours à la Grèce, il a été convenu que les délégués de la Croix Rouge suédoise travaillant en Grèce devaient être intégrés dans une commission mixte placée sous l’égide du CICR: Commission de gestion de la délégation du CICR en Grèce, composée de huit ressortissants suédois et de 7 ressortissants suisses; celle-ci commença ses activités le 1er septembre 1942 et les poursuivit jusqu’en mars 1945.↩
- 6
- Le docteur de Fischer dirigea une mission du Cartel suisse de secours aux enfants victimes de la guerre.↩
- 7
- Le docteur Scholder dirigea la mission orthopédique envoyée en Grèce en août 1942 par le Comité pour les activités de secours de la Croix-Rouge suisse.↩
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