dodis.ch/46151
Aide-mémoire du Chef du Département politique,
G. Motta1
Strictement confidentiel
Berne, 12 mai 1936
M. Tamaro ministre d’Italie m’a fait demander de le recevoir hier à 16 h. 30.
Je l’ai reçu à l’heure indiquée. Il m’a communiqué le décret du Roi d’Italie, en date du 9 mai, soumettant l’Ethiopie à la souveraineté de l’Italie2. J’ai pris acte de cette notification sans me prononcer.
La conversation a été amenée sur la conférence des Etats ex-neutres qui a eu lieu à Genève le 9 et le 10 de ce mois3 et à laquelle j’avais participé.
J’ai renseigné – avec toute la discrétion et la mesure nécessaires – M. Tamaro sur l’essentiel des discussions, en évitant tout ce qui avait caractère confidentiel. Je lui ai montré que notre attitude à l’égard de l’Italie avait été, dans ce cas encore, amicale. Je lui ai cependant fait comprendre que la Confédération suisse ne pouvait pas et n’avait pas l’intention de prendre une initiative pour la levée des sanctions.
A ce moment M. Tamaro m’a déclaré que le Gouvernement de Rome s’attendait à ce que la Suisse ne participât [pas]ultérieurement aux sanctions contre l’Italie, celles-ci ayant maintenant un caractère purement punitif et vexatoire et étant par conséquent incompatibles soit avec la politique de neutralité soit avec l’amitié pour l’Italie.
J’ai répondu que cette communication me surprenait et qu’il était moralement et politiquement impossible pour le Conseil fédéral d’entrer dans les vues du Gouvernement italien. J’ai expliqué quelle avait été notre politique dans la question des sanctions et les raisons qui l’avaient dictée et dirigée.
Comme M. Tamaro insistait et qu’il m’affirmait de faire la démarche sur ordre reçu et non pas de son initiative, comme en outre il me déclarait que M. Aloisi, qu’il avait vu à Genève le jour même, l’avait chargé de venir me trouver, j’ai pris un ton très sérieux, mais en même temps très calme, pour dire à M. Tamaro que cette attitude du Gouvernement italien me remplissait de douleur et me paraissait contraire aux normes de la justice et de l’amitié.
M. Tamaro, voyant qu’il ne réussissait pas à modifier mes déclarations, a alors ajouté qu’il suffirait peut-être que le Conseil fédéral fasse savoir que la question des sanctions reste à l’étude.
J’ai répliqué que la question restait, en effet, à l’étude – chose trop naturelle! – mais que je devais maintenir et confirmer que la Suisse ne pouvait pas agir seule ou prendre des initiatives isolées.
Je pense que notre ministre à Rome, à l’occasion de sa prochaine visite à M. Mussolini4, doit expliquer à celui-ci que nous nous attendons de sa part à une compréhension meilleure. Ab amicis honesta suntpetenda!