Classement thématique série 1848–1945:
III. RÉFUGIÉS ET QUESTIONS DE TRAVAIL
2. Questions de travail et problème du chômage en Suisse
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 11, doc. 2
volume linkBern 1989
Plus… |▼▶Emplacement
Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2001C#1000/1534#986* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2001(C)1000/1534 59 | |
Titre du dossier | Verhandlungen mit Italien betr. Niederlassungs- und Aufenthaltsfragen 1934, I (1934–1935) | |
Référence archives | B.31.01.1.a • Composant complémentaire: Italien |
dodis.ch/45923
Procès-verbal1 de la Conférence tenue au Palais fédéral le 18 janvier 19342
Difficultés relatives à l’application des traités d’établissement
Présents:
Division des Affaires étrangères:
MM. de Stoutz, chef de la Divsion des afaires étrangères,
Bonna, conseiller de légation,
Division de la Police:
MM. Rothmund, chef de la Division de la Police,
Ruth, adjoint de la Division de la Police,
Baechtold, adjoint de la Police fédérale des étrangers.
Office fédéral du Travail:
MM. Renggli, directeur de l'Office du Travail,
Bartholdi, 2ème chef de section,
M. de Stoutz expose que, sous les effets de la crise et du nationalisme, le Gouvernement français a pris diverses mesures qui sont contraires à notre convention d’établissement4, telle la règle obligeant les entreprises à n’avoir qu’un certain pour cent d’employés étrangers5. Notre Légation a entrepris d’innombrables démarches, mais n’arrive pas à obtenir de réponse écrite. C’est ce qui l’a amenée à se demander s’il ne serait pas indiqué d’engager des négociations concernant les questions relatives au marché du travail.
Il est hors de doute que notre position pour de telles négociations n’est pas favorable et que, par suite de la disproportion existant entre le nombre des Français en Suisse et des Suisses en France6, nous serions dans un état d’infériorité. D’autre part, le mal ne réside pas tant dans le défaut d’accords que dans la non-application des accords existants. Le seul argument que nous ayons à l’égard de la France est le déséquilibre de notre balance commerciale7. Toutefois, nous faisons déjà valoir cet argument dans de nombreux autres pourparlers.
M. Renggli. La situation des Suisses en France est, en effet, préoccupante. Jusqu’en 1930, le nombre des Suisses partant pour la France était supérieur à celui des Suisses rentrant au pays. En 1931, par contre, le nombre des Suisses rentrant au pays a dépassé celui de ceux partant pour la France de 760; en 1932, de 910; en 1933, au cours du premier semestre, de 400. Ces chiffres sont ceux fournis par le Département militaire et sont, par conséquent, très sûrs, mais ne se rapportent qu’à des hommes. La disproportion des colonies respectives ne doit pas être perdue de vue si nous songeons à des négociations. Toutefois, les Suisses sont, en général, très estimés et nous pouvons, par conséquent, compter sur une certaine bonne volonté à notre égard.
En ce qui concerne l’assurance-chômage, nous traitons les Français en Suisse extrêmement bien et il n’y a pas de réclamations pendantes actuellement. A ce sujet, nous ne pouvons obtenir plus des Français que la ratification et l’exécution de l’arrangement de l’été dernier8. La convention d’établissement, de son côté, doit être maintenue. Elle a souffert dans son application par suite du contingentement des étrangers employés dans les divers corps de métier. Les projets prévoyant que les employeurs utilisant de la main-d’œuvre étrangère seraient frappés d’impôts spéciaux prohibitifs ont été abandonnés pour le moment. Nous devrions obtenir que toute règle non conforme à la convention d’établissement ne soit pas appliquée à nos ressortissants. Pour cela, nous n’avons pas de moyen de pression à notre disposition. Mais nous avons pour nous notre bon droit et des titres pour que le Gouvernement français fasse preuve de bonne volonté à notre égard.
M. Rothmund. Il est clair que, si la Légation insistait trop dans ses démarches sur les questions de principe, on risquerait de lui répondre que la convention d’établissement en vigueur est désuète et qu’il faudrait en conclure une nouvelle, ce qui ne serait certainement pas dans nos intérêts. En revanche, elle ne doit pas avoir peur d’aller de l’avant énergiquement dans les cas isolés.
L’origine des mesures dont nous nous plaignons peut être attribuée à ce qu’au lendemain de la guerre, la France a passé de nombreux contrats de travail avec des pays comme la Tchécoslovaquie, la Pologne, etc. qui l’obligent à absorber un certain nombre d’ouvriers étrangers. Elle cherche à respecter ces traités et il est probable que la règle du contingentement des employés étrangers ne les viole pas. Nous souffrons de cette situation bien que nous n’y soyons pour rien.
Il y a aussi un aspect politique de la question. Nous n’avons plus qu’un pays voisin à système démocratique. Ce voisin ne devrait donc pas nous faire des difficultés particulières.
Pourquoi continuer nos démarches auprès du Ministère français des Affaires étrangères, qui ne répond pas et s’excuse en disant qu’il n’a pas d’influence sur les autres Ministères? Au Ministère du Travail, il semble qu’on n’ait pas une sympathie particulière pour nous. Le Conseil fédéral devrait charger M. Dunant de s’adresser au Président du Conseil ou au Ministre des Affaires étrangères personnellement et de présenter sa demande en la basant sur des cas particuliers.
Une dénonciation de la convention et l’état qui existerait en l’absence de convention ne seraient certainement pas à notre avantage.
Ce contre quoi nous devons nous élever avec la plus grande vigueur, c’est les mesures prises contre des Suisses établis en France depuis longtemps ou qui y sont nés et auxquels on refuse la carte d’identité. A ce point de vue, nous avons la conscience nette, parce que nous n’avons jamais pris des mesures contre un individu établi depuis longtemps en Suisse.
M. Kappeler signale qu’un très petit nombre de Suisses seulement s’adressent, lorsqu’on leur fait des ennuis, à nos représentants diplomatiques ou consulaires, de sorte que le nombre des cas sur lesquels nous sommes orientés ne s’élève guère à plus d’une vingtaine.
M. Renggli est sceptique quant à une démarche en haut lieu. Les services techniques enterreront les avantages que nous aurons obtenus en paroles. Comment pourrait-on éclairer l’opinion et faciliter à l’administration un traitement favorable de nos ressortissants?
M. Kappeler. Le contingentement des étrangers a été imposé par les parlementaires et l’administration y était opposée. En tout cas, dans la loi il n’y a pas de disposition concernant la répartition des contingents parmi les diverses nationalités. Une déclaration de bonne volonté ne sert à rien en ce qui concerne la limitation du pourcentage de la main-d’œuvre étrangère.
M. Rothmund. Il serait souhaitable que les Consulats fussent au courant de la question, pussent nous renseigner exactement sur la situation, nous signaler et suivre tous les cas concrets qui se produisent dans leur arrondissement. Pour cela, il faut qu’ils aient un personnel suffisant.
M. Bonna. Nous sommes en présence de difficultés d’exécution plutôt qu’en présence d’une mauvaise volonté fondamentale. Les syndicats excitent l’opinion, mais nous voyons, en revanche, les Français établis à l’étranger, avec à leur tête le sénateur de Jouvenel, s’émouvoir. Il est un fait que les très nombreux Suisses établis en France n’ont pas l’habitude de se rendre au Consulat pour y raconter leurs ennuis. Cela a pour conséquence que les Consulats sont très mal renseignés, bien que nous ayons insisté depuis fort longtemps pour obtenir des informations précises de leur part.
M. Rothmund. Il faut faire des démarches simultanées à Paris et à Berne pour obtenir une déclaration de bonne volonté. D’autre part, les Consulats pourraient prendre contact avec les syndicats et devraient absolument avoir un peu d’esprit d’initiative.
M. de Stoutz. La conclusion à laquelle nous aboutissons, c’est qu’il nous faut entreprendre une démarche très sérieuse. A cet effet, nous préparerons pour notre Légation un aide-mémoire que nous soumettrons tant à la Division de la Police qu’à l’Office du Travail. Cet aide-mémoire sera remis par M. Dunant à M. Paul-Boncour. Simultanément, M. Motta verra le Comte Clauzel. Les Consulats seront renseignés sur la situation, les droits auxquels nos ressortissants peuvent prétendre et les assurances que nous aurons obtenues.M. de Stoutz. En ce qui concerne l’Italie, notre situation est beaucoup plus favorable, vu la grande quantité d’italiens en Suisse et le petit nombre de Suisses en Italie9.
M. Kappeler. En Italie, les Autorités sont bienveillantes, mais nos ressortissants sont en butte à des influences occultes sur les entreprises privées et, s’ils perdent leurs places, ils ne parviennent pas à être réengagés. Le but de négociations éventuelles avec l’Italie devrait être d’obtenir l’assurance que le parti et les syndicats ne feront pas pression sur les employeurs pour les empêcher d’engager des Suisses.
M. Renggli. Notre situation est forte. Nous engageons chaque année un grand nombre d’ouvriers saisonniers italiens et nous pourrions très bien nous passer d’une partie d’entre eux. En effet, nous avons eu des offres de Tchécoslovaquie10 à ce sujet. Nous devrions obtenir l’admission de commerçants et employés suisses. Il serait utile pour nos jeunes gens de pouvoir passer quelques années en place en Italie. Depuis 1926, le nombre des Suisses rentrés d’Italie a toujours dépassé le nombre des Suisses se rendant en Italie et notre colonie dans ce pays a diminué de 10%.
M. Rothmund. Nous devrions, en effet, obtenir des résultats en engageant des négociations avec l’Italie. Mais nous ne devrions pas nous mettre à négocier la revision du traité d’établissement11. Nous ne devrions notamment pas nous lier sur la question de l’établissement après cinq ans, parce qu’on a souvent observé que les Italiens venaient pour cinq ans en Suisse comme maçons, par exemple, et puis changeaient de profession.
M. de Stoutz. La conclusion concernant l’Italie est que nous devrions engager des négociations, de préférence à Rome, au cours de ce printemps12. M. de Stoutz. A l’égard de la Belgique, nous nous sommes heurtés à un refus d’entrer en discussion sur les subsides de chômage sauf dans le cadre d’une convention. Le Gouvernement belge a cependant fini par céder, vu ses obligations découlant de la convention de Washington13. Toutefois, il continue à demander la revision du traité d’établissement14. Le nouveau traité serait établi sur la base du projet de convention de Genève15. L’étude de notre projet16 pourrait-elle être poussée et pourrait-on bientôt en communiquer les résultats au Gouvernement belge?
M. Rothmund. L’affaire a été mal emmanchée et il est indispensable qu’avant que nous présentions un projet, nous ayons entre spécialistes des deux pays une discussion dans laquelle nous expliquerions nos difficultés et les raisons pour lesquelles nous ne pourrons pas adopter certaines propositions belges conformes au projet de Genève, telle la règle des cinq ans pour l’établissement. Nous ne pourrions pas non plus admettre la clause de la porte ouverte; tant que nous n’aurons pas renoncé à la clause de la nation la plus favorisée, nous ne pouvons pas aller aussi loin. On pourrait conclure un arrangement secret à côté de la convention officielle.
M. Renggli estime que, s’il y a plus de Suisses en Belgique que de Belges en Suisse17, le chômeur belge en Suisse reçoit plus que le chômeur suisse en Belgique. Il y aurait donc pratiquement équivalence des prestations.
M. de Stoutz. Nous ferons savoir au Gouvernement belge que nous enverrons prochainement une délégation à Bruxelles pour amorcer les pourparlers concernant la révision du traité d’établissement. Il est entendu que cette délégation partira après la conférence prévue avec les chefs de police des Cantons18.M. Rengglidit qu’on pourrait obtenir des concessions pour les Suisses en Tchécoslovaquie en consentant à l’admission d’un certain nombre d’ouvriers saisonniers tchécoslovaques.M. de Stoutz. Aux Pays-Bas, nous n’avons aucun ennui. Les Hollandais désireraient entrer en négociation au sujet de l’admission réciproque des travailleurs.
M. Rothmund. Nous devons faire attention. Toutefois, nous pourrions faire une déclaration après la conférence avec les Cantons.
M. Bonna. Nous pourrions, en attendant, dire au Ministre de Hollande que nous consentirions à régler l’affaire par un échange de notes19.
- 1
- Non signé.↩
- 2
- (Copie): E 2001 (C) 4/59.↩
- 4
- Du 23 février 1882 (RO, 1882, vol. 6, pp. 362ss.).↩
- 5
- Imposée par la loi protégeant la main-d’œuvre nationale, du 10 août 1932. Cf. DDS vol. 10, surtout no 238, dodis.ch/45780.↩
- 7
- Cf. annexe au no 6.↩
- 8
- Daté du 9 juin 1933, l’arrangement n’entrera en vigueur que le 15 juillet 1937. Cf. DDS vol. 10, no 298, dodis.ch/45840.↩
- 10
- Cf. aussi plus bas le paragraphe consacré à ce pays.↩
- 11
- Du 22 juillet 1868 (RO, 1866–1869, vol. IX, pp. 624ss.).↩
- 12
- Sur le résultat de ces négociations cf. no 24 et annexe.↩
- 13
- Convention internationale concernant le chômage, adoptée par la première Conférence internationale du Travail, tenueà Washington du 29 octobre au 29 novembre 1919; adoptée par l’Assemblée fédérale le 3 février 1922, elle est entrée en vigueur pour la Suisse le 10 octobre 1922 (RO, 1923, vol. 39, pp. 217-222).↩
- 14
- Du 4 juin 1887 (RO, 1889, vol. 10, pp. 540-544).↩
- 15
- Du 5 novembre au 5 décembre 1929, a eu lieu à Paris une Conférence internationale sur le traitement des étrangers, organisée par la SdN, à laquelle la Suisse a été représentée. Cette conférence a mis au point un projet de Convention internationale sur le traitement des étrangers, projet qui a été remanié au cours d’une réunion officieuse qui a regroupé à Genève, du 5 au 9 novembre 1931, les délégués de l’Allemagne, de la Belgique, de la France, de la Grande-Bretagne, de l’Italie, des Pays-Bas et de la Suisse. Le texte ainsi remanié a ensuite été soumis aux gouvernements ayant participé à la réunion de Genève. Le 24 mai 1932, le texte du projet de Convention revu par la Suisse, a été accepté parle Conseil fédéral et envoyé au Secrétaire général de la SdN (PVCF no 860, E 1004 1/334). Sur toute l’affaire, qui ne débouchera sur aucune décision concrète, cf. E 2001 (C) 5/34-36.↩
- 16
- Un projet de Convention d’établissement entre la Suisse et la Belgique a été mis au point en date du 18 septembre 1933 (E 2001 (C) 4/20).↩
- 17
- Au début des années 30, il y a environ 5800 Suisses en Belgique (dont environ 150 chômeurs), mais seulement 1200 Belges en Suisse (cf. PVCF ° 1861 du 30 octobre 1934, E 1004 1/348).↩
- 18
- Elle aura lieu le 22 mai. Cf. procès-verbal de la conférence in E 2001 (C) 4/59). Les négociations entre la Suisse et la Belgique auront lieu à Bruxelles du 30 novembre au 3 décembre 1934 (PVCF ° 115du 25 janvier 1935, E 1004 1/350), puis du25 au 28 février 1935, et aboutiront à des échanges de lettres et de notes, datés du 30 mars, non publiés à l’époque (cf. PVCF 0 483 du 22 mars 1935, E 1004 1/351, er E 2001 (C) 4/20-21). Deux des textes signés le 30 mars 1935 seront publiés plus tard dans le Recueil systématique du droit fédéral: lEchange de lettres relatif à l’autorisation d’établissement accordée aux ressortissants des deux Etats ayant cinq années de résidence régulière et ininterrompue sur le territoire de l’autre Etat (0.142.111.723), et /’Arrangement relatif à l’admission des stagiaires (0.142.111.727).↩
- 19
- Des négociations entre la Suisse et les Pays-Bas auront lieu à La Haye du 26 au 29 novembre (cf. PVCF 0114 du 25 janvier 1935, E 1004 1/350, et E2001 (C)4/60 –61). Elles seront suivies, le 16 février 1935, de la signature d’un Echange de notes relatif à l’autorisation d’établissement accordée aux ressortissants des deux Etats ayant cinq années de résidence régulière et ininterrompue sur le territoire de l’autre Etat, non publié à l’époque, mais publié plus tard dans le Recueil systématique du droit fédéral (0.142.116.364).↩
Tags
Attitudes face aux persécutions