Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
11. France
11.4. Questions politiques générales
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 10, doc. 337
volume linkBern 1982
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#772* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 343 | |
Dossier title | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 86 (1933–1933) |
dodis.ch/45879
Le Chargé d’affaires a.i. de Suisse à Paris, P. Ruegger, au Chef du Département politique, G. Motta1
Vus sous l’angle de l’histoire de notre pays, les mouvements dictatoriaux, autoritaires et sociaux à la fois, qui se déployent chez nos voisins du Sud et du Nord, auront peut-être, malgré certaines difficultés de l’heure, allégé indirectement notre politique extérieure de deux soucis qui auraient pu devenir cuisants. Le fascisme italien, en déracinant - volontairement ou non - les quelques velléités irrédentistes dont notre sol n’était guère immunisé avant la marche sur Rome; le national-socialisme allemand en provoquant, par ricochet, un repliement de l’Autriche sur ellemême, un réveil - ou plutôt la naissance - d’un sentiment national dans le petit Etat issu mutilé de la salle d’opérations de St-Germain-en-Laye, et, enfin, il est permis de l’espérer, le maintien de notre quatrième frontière. On n’ignore pas à Paris l’attitude nette adoptée toujours par le Conseil Fédéral dans la question d’Autriche, les termes catégoriques dans lesquels les deux messages au Parlement, celui de 19222 comme celui de 19333, insistent sur l’intérêt essentiel que la Suisse doit porter à l’existence d’une Autriche viable et réellement indépendante. Suivant le cours que prendront les événements, il est possible que des invitations plus ou moins précises nous soient adressées, soit pendant l’Assemblée actuelle4, soit après, pour nous amener à nous associer à des moyens de fortune tentés, cette fois sur le plan économique, pour garantir l’avenir immédiat de l’Autriche. Il paraît, dès lors, essentiel, de vous renseigner sur la manière dont le problème d’Autriche est envisagé aujourd’hui à Paris.
Selon l’avis généralement exprimé au Quai d’Orsay, le mois de septembre devait être la période déterminante pour la politique intérieure autrichienne. La crainte d’un coup d’Etat subit soit à Vienne, soit dans l’un des «Länder» était extrêmement vive, surtout au début de ce mois. Un haut fonctionnaire du Ministère, spécialiste des questions danubiennes, avouait que chaque matin, il redoutait de trouver une dépêche annonçant la formation d’un Gouvernement national-socialiste à Vienne, ou en province. En présence d’un fait accompli de la constitution d’un Gouvernement qui ne manquerait pas de se déclarer parfaitement «régulier», le Quai d’Orsay eût été désarmé. Actuellement, il y a lieu de constater un certain regain d’optimisme dans les milieux gouvernementaux français, qui se montrent, en particulier rassurés par l’action de l’Italie. Le mouvement d’opinion alimenté par l’Assemblée de la Société des Nations - qui, dans ce domaine a déjà fait œuvre utile - est considéré comme un atout précieux.
Néanmoins, la situation en Autriche continue à causer des inquiétudes. C’est surtout dans le Tyrol qu’on voit le point névralgique de l’Autriche anémiée. Et, une fois de plus, les préoccupations primordiales sont de nature économique. On se rend compte que la situation de la population agricole du Tyrol est presque désespérée. Les mesures prises par le Cabinet hitlérien de Berlin pour enrayer l’afflux des touristes allemands ont porté un coup extrêmement dur aux familles de paysans tyroliens qui réussirent auparavant à boucler leur modeste budget en hébergeant pendant quelques semaines de l’année un touriste allemand. Ce ne sont pas les quelques trains de voyageurs et autres que Paris, grâce à une propagande improvisée, a su diriger vers Innsbruck qui ont pu combler cette lacune sensible dans les ressources des montagnards tyroliens.
Pour parer au plus pressé - et en songeant toujours au danger d’un coup d’Etat réalisé d’abord à Innsbruck - le Cabinet français a, depuis quelque temps, assuré à l’Autriche des contingents extraordinaires portant sur toute une série de positions douanières. Il a voulu, en outre, concéder à l’Autriche des facilités importantes pour l’importation de bois en France. La consternation fut, dès lors, assez vive au Quai d’Orsay lorsque malgré les objurgations du Ministre des Affaires Etrangères, qui appela à son secours son collègue de l’Agriculture, la Commission sénatoriale compétente, sous la pression des puissants groupements nationaux, et maintenant une décision négative antérieure de la Haute Assemblée, refusa de se rendre aux arguments du Gouvernement. Ce refus parlementaire a aussi enlevé du poids aux démarches presque impérieuses entreprises par le Quai d’Orsay auprès des autres Etats successeurs de la Monarchie danubienne pour les sommer d’accorder une aide immédiate à l’Autriche en péril par la concession de contingents supplémentaires.
Jusqu’ici les moyens de sauvetage économique préconisés à Paris en complément de la dernière action financière menée à bonne fin5, sont à proprement parler des moyens de fortune. Il dépendra peut-être en partie de l’Assemblée de la S.d.N. d’incorporer ces initiatives isolées dans un plan plus général et plus vaste, pouvant remédier tardivement à certaines erreurs funestes commises en 1919 à Saint-Germain.
Cette initiative ne viendra certainement pas du côté de la France, actuellement presque trop consciente des soupçons éveillés par le fameux plan danubien de M. Tardieu6. En revanche, si, par hasard, le premier pas est fait à Rome, la France et ses satellites de la Petite-Entente7 donneront presque certainement leur appui à une nouvelle union danubienne, même élargie du côté de la Hongrie et de la Bulgarie, à la condition, toutefois, que l’Italie se contente d’un rôle d’initiatrice sans demander des avantages immédiats dans le bassin du Danube.
Libéré momentanément du poids qu’il ressent en politique étrangère lors de la réunion des Chambres, le Gouvernement de Paris a franchi, durant les vacances parlementaires qui touchent à leur fin, des étapes importantes de son programme hasardeux de rapprochement avec la Russie soviétique. Je n’ai pas à revenir sur le voyage de M. Herriot8 que certains journaux représentent comme «l’homme conquis» par la vue de villages à la Potemkine - ni sur l’expédition aérienne, stimulée par le raid du maréchal Balbo9, de M. Pierre Cot10, Ministre de l’Air et pilote de l’armée aérienne française. Ces manifestations, suivies d’amples commentaires, de conférences, d’accolades ont cependant préparé l’opinion publique à envisager sous un nouveau jour et incontestablement avec un intérêt accru les rapports entre Paris et Moscou. Le régime soviétique est généralement considéré comme un élément relativement stable de la politique internationale actuelle. Les mobiles qui paraissent décider le Quai d’Orsay et le Cabinet actuel à agir nettement dans le sens d’un rapprochement sont d’ordre divers. Tout d’abord, le désir de ne pas voir se rétrécir un marché possible après la reconnaissance, escomptée ici, des Soviets par les Etats-Unis; puis, la tendance instinctive, en face de l’Allemagne hitlérienne, à consolider la position des alliés orientaux de la France; enfin, dans une certaine mesure, la crainte de voir la France «distancée», dans ce domaine aussi, par d’autres Etats et, en particulier, par l’Italie.
Il est certain que le voyage de M. Herriot a été vivement encouragé par le Gouvernement de M. Daladier. D’une source généralement très sûre, il me revient que M. Paul-Boncour11 aurait même souhaité donner à la réunion en Russie un caractère plus «officiel» et gouvernemental, en déléguant, par exemple, M. Patenôtre, sous-secrétaire à l’Economie Nationale. Les négociations actuelles avec les Soviets - sur le résultat desquelles nous vous renseignerons séparément - ne paraissent d’ailleurs pas fort avancées et certaines nouvelles de presse semblent répondre davantage aux désirs de porteurs de titres russes qu’à la réalité. Je vous signale cependant qu’il a été question, dans les pourparlers, de l’emploi de main-d’œuvre française en Russie. D’aprés une information que je ne puis contrôler, mais qui m’a été donnée comme certaine de bonne source, les Soviets, escomptant un arrangement portant sur les créances françaises d’avant-guerre, effectueraient déjà, en bourse de New-York, des achats de titres des anciens emprunts russes.
Quoi qu’il en soit - les semaines à venir nous donneront sans doute des précisions - l’œuvre du Cabinet Daladier demeurera caractérisée par le rapprochement politique et économique12 qu’il a réalisé entre la France et les Soviets. Il s’agit là d’un fait qui ne peut nous laisser indifférents. Déjà, une discrète pression s’exerce de Paris sur Bruxelles dans le sens d’un encouragement de pourparlers entre la Belgique et Moscou.
La tragédie des rapports franco-allemands dans la période de l’après-guerre, qui est, du reste, pour une grande partie le drame de notre Continent, résulte, ainsi qu’il a été relevé plus d’une fois, du manque de synchronisme entre les mouvements qui, alternativement, se sont fait jour dans les deux pays dans le sens de la conciliation et d’un règlement à l’amiable des graves questions controversées. Aujourd’hui, l’Allemagne nationaliste et portée vers l’isolement a en face d’elle un Gouvernement français qui souhaiterait vivement une entente. Des indices nombreux démontrent la vérité de cette assertion, en dépit de l’intransigeance apparente dont tout Cabinet soucieux de l’opinion publique croit devoir faire preuve dans certains domaines et, notamment, dans celui du désarmement.
Le Cabinet Daladier et le Ministère des Affaires Etrangères marquent souvent la volonté de «causer» avec Berlin et se plaignent du peu d’écho que trouvent leurs efforts. Le meilleur chemin de Paris à Berlin passe aujourd’hui, de l’aveu même du Quai d’Orsay, par Rome, dont on écoute volontiers ici les conseils modérateurs, désireux de se ménager, après la conclusion du Pacte à Quatre13, les possibilités qu’assure aux signataires de cet instrument l’intervention médiatrice du Chef du Gouvernement italien. Des considérations de prestige, si puissantes jadis, cèdent le pas à la préoccupation du moment d’utiliser tout canal de conversations fructueuses.
Il est assez significatif que le Ministre actuel des Affaires Etrangères veut même conserver l’espoir que la Russie soviétique apportera, à la suite de la politique de rapprochement franco-russe, une contribution effective au maintien de la paix en Europe. Il me revient que M. Paul-Boncour aurait développé récemment, dans une réunion privée, des théories qui ont laissé rêveurs ses interlocuteurs. L’ancien leader socialiste, qui a fait rappeler récemment la part qu’il a prise à la construction d’un nouveau système corporatif tel qu’il existe en Italie, aurait émis, plein d’optimisme, l’hypothèse que l’idée sociale, réalisée sous des formes différentes en France, en Allemagne et même en Russie pourrait devenir la base d’un nouveau statut de collaboration européenne. S’il en fallait encore une preuve, ces propos démontreraient jusqu’à quel point le Gouvernement d’aujourd’hui - dont la vie est évidemment suspendue à toutes sortes d’aléas de politique intérieure - est pénétré du désir d’une entente internationale.
- 1
- Rapport: E 2300 Paris, Archiv-Nr. 86. PN o 17 Le problème de l'Autriche vu de Paris. - Le flirt franco-russe. - La France et l’Allemagne..↩
- 2
- Message du Conseil fédéral concernant la participation financière de la Suisse à la reconstruction de l’Autriche (FF, 1922, III, pp. 833, ss.).↩
- 3
- Message du Conseil fédéral concernant la participation de la Suisse à l'œuvre de secours de 1932 en faveur de l’Autriche (FF, 1933,1, pp. 517, ss.).↩
- 4
- XIVe Assemblée générale de la SdN.↩
- 5
- Cf. no 232.↩
- 6
- En février 1932.↩
- 7
- Roumanie, Tchécoslovaquie et Yougoslavie.↩
- 8
- Fin août 1933.↩
- 9
- Ministre italien de l’Air. Cf. no 317.↩
- 10
- Du 15 au 21 septembre 1933.↩
- 11
- Ministre des Affaires étrangères.↩
- 12
- Le 29 novembre 1932, la France et l’URSS ont signé un pacte de non-agression et de conciliation.↩
- 13
- Signé le 15 juillet 1933.↩